Amertumes

J'ai été défaite par Frost. C'est une pilule difficile à avaler même si c'est tout de même d'un Empereur dont on parle! Pourtant j'ai l'impression de ne pas être si loin de son niveau. J'en suis convaincue, ça c'est joué à peu de choses! Malheureusement, je n'ai pas eu le dessus et c'es bien moi qui retourne à mon navire la tête basse. Car je n'ai pas perdu qu'un combat, j'ai aussi perdu mon fils dans l'affaire et ma liberté. Non seulement le Fléau va profiter du prestige de ma victoire militaire lors de la prise de Pearl Harbor, mais en plus me voilà enrôlée de force parmi ses troupes. Si je ne lui obéis pas, c'est mon Sakazuki qui en pâtira. Et ça c'est hors de question! En plus il m'a confié comme mission de conquérir l'Asile, rien que ça! Et comme Monsieur ne me fait pas confiance, il m'a mis dans les pattes un chaperon. Un homme à lui qui suit la Lépreuse, mon navire, à une distance raisonnable. La grande prison de Teach réveille en moi d'horribles souvenirs. J'y ai passé un an, et j'y ai vécu un clavaire. J'ai tenu bon et je m'en suis sortie, mais … mon appréhension m'indique clairement que je n'ai pas encore totalement tourné la page. Certaines blessures ne guérissent jamais totalement.

Sur le pont de mon fier navire, je vérifie avec l'équipage que nous tenons le bon cap et je file m'isoler. J'ai fait bonne figure jusqu'à maintenant, mais je sens que si je ne vais pas tenir plus longtemps. Et je n'ai pas envie de saborder le peu de crédit qu'il me reste en m'effondrant au milieu de mes hommes. Me voilà donc seule, dans ma cabine. J'ai envie de hurler ma colère, de laisser sortir cette frustration qui me ronge comme de l'acide, mais… je ne veux pas qu'on m'entende. Alors j'enfouis mon visage dans mon oreiller et je crie un bon coup. Nom d'une biscotte, ça fait du bien! En plus le coussin joue magnifiquement bien son rôle de sourdine. Je devrais le faire plus souvent! Malheureusement, je ne suis pas encore apaisée. Alors j'attrape la première chose qui me tombe sous la main et je la jette violemment ou sol. Le crac du bois qui se brise, le son cristallin du verre qui se répand sur le sol en unemyriade d'éclats scintillants, même pas le temps de voir ce que j'ai cassé que Héfy, ma fidèle amie entre dans ma chambre sans se donner la peine de frapper.

"Alors, ça va mieux?" me lance-t-elle un brin narquoise.

"Même pas." soufflé-je de dépit.

Ceci dit, la présence de la noble m'apaise suffisamment pour que je puisse laisser choir mon regard vers le bibelot que j'ai lâchement massacré. Les débris du cadre de bois, des éclats de verre, et une photo sur laquelle il y a Red, Sakazuki, Damien, Lola et moi. On sourit, on a l'air heureux. Ce souvenir figé sur papier glacé m'arrache une larme. C'est le dernier moment de bonheur dont je me souvienne et, aveuglée par la colère, je n'ai pas hésité à le briser. J'ai honte de moi, de m'être laissée emporter. Religieusement, je me baisse et je ramasse le cliché, puis je ferme les yeux. Toutes les personnes figurant sur l'image ne sont plus à mes côtés. Red est parti roucouler avec cette catin d'Izya, son fils a dû retourner sur Armada, Lola vogue pour retrouver son capitaine, quand à mon petit bout d'ange, Frost me l'a enlevé. Je me relève et je pose délicatement l'instantané sur une commode.

"Et là?" s'enquiert Héfy.

"Il y a un léger mieux." Dis-je en esquissant un sourire mi-figue mi-raisin.

"Très bien." reprend-t-elle. "Venez, les gars, on va discuter de comment on va récupérer Sakazuki."

Wolfgang et Gaston nous rejoignent alors. Ils s'étaient embusqués à l'abri de mon regard, et attendaient de voir si j'étais en état de parler. Je les gratifié d'un franc sourire. Si Héfy a un plan, alors tout n'est pas perdu.

Quelques raclements de chaises plus tard, nous voilà donc tous assis autour de mon bureau. Gaston est avachi nonchalamment sur son siège, tandis que Wolfgang se tient droit, quant à Héfy, elle est courbée en avant, les coudes sur la table, les mains jointes laissant son menton s'appuyer dessus.

"Bon..." commence la blonde. "Qu'a-t-on appris du duel entre Jeska et Frost?"

"Frost n'est pas beaucoup plus fort que Jes' ..." commente mon médecin. "Je ne suis pas versé dans l'art du combat, mais l'écart ne m'a pas semblé si grand que ça."

"Le souci, c'est son haki de l'observation." poursuit mon sniper bègue. "Il lui a donné un avantage net sur toi."

"Exactement!" embraye Héfy. "C'est comme s'il savait à l'avance ce que tu voulais faire."

"Et c'est très probablement le cas." Devant leur mines interloquées, j'étaye mon raisonnement. "Je sais que des experts en haki de l'observation arrivent à avoir des visions nettes d'évènements qui vont se produire dans un futur proche."

"Hum..." La noble grimace. "Et puis, il y a aussi cette capacité à créer du froid, elle est très dangereuse."

"Plus il touchait Jes' avec, plus elle faiblissait." bégaye Wolfgang.

"Comment va-t-on faire, alors?" demande Gaston fort à propos.

"Lorsque j'ai affronté des adversaire avec un tel niveau de haki de l'observation, soit j'ai eu de l'aide, soit j'ai fini par empoisonner mon opposant puis je l'ai surclassé physiquement. Mais là, son pouvoir frigorifique fausse tout."

"Le problème avec Frost ce n'est pas qu'il est beaucoup plus fort que toi. C'est que ce salaud est rusé, et qu'il nous est impossible de le surprendre. Il nous faut de l'aide." détaille la princesse.

"On peut appeler Red, non?" propose le médecin.

"Non, c'est hors de question." coupé-je un brin abruptement. "Frost tient Sakazuki, et même si Red décidait de nous aider, sa simple venue serait comme un arrêt de mort pour mon fils."

"Alors, on est seuls?" conclut mon sniper.

"Pas tout à fait. On pourrait appeler Aoi D. Nakajima, Mountbatten, ou encore Lola, et pourquoi pas Diego, mais…"

"Dès qu'on le fera, Frost sera au courant." pondère mon amie.

"Comment?"

"Grâce au chaperon qu'il nous a mis dans les pattes. Ils ont certainement un moyen d'intercepter nos transmissions. Et même si on dispose d'un brouilleur. Le simple fait qu'on communique avec l'extérieur sera considéré comme suspect. On est pieds et poings liés." rouspète ma stratège de dépit.

"Si je vous disais qu'il me reste quelques atouts dans notre manche?" lancé-je d'une voix mystérieuse.

Quelques dizaines de minutes plus tard, les mines sont graves, mais l'atmosphère semble un peu moins fataliste.

"C'est un plan de fou." dit Wolfgang en butant sur chaque mot.

"C'est un Empereur des mers tout de même!" soupire Gaston.

"On a nos chances." conclut Héfy.

"En effet, maintenant qu'on a de quoi neutraliser son haki et son froid, Le Fléau est plus que prenable." ajouté-je dans un sourire mauvais.

"N'empêche, qui aurait cru qu'un objet gagné chez Kiyori ... " soupire Gaston.

"Ce n'est pas du tout cuit non plus!" tempère la blonde. "Même si tu peux challenger Frost, il a une foule d'hommes sous ses ordres, et pas des moindres."

"Aidez-moi à accomplir cette mission et on l'aura, notre armée."

"Ouais, enfin, c'est loin d'être gagné, Jes' . Il faut déjà prendre l'Asile et ça, c'est bien plus facile à dire qu'à faire."

"Je connais bien les lieux, et leurs occupants, j'en fais mon affaire."

"Justement, ça veut dire qu'ils te connaissent aussi..." s'inquiète légitimement le médecin.

"J'espère bien!" coupé-je.

"Toi, tu as un plan." me lance la princesse d'un air complice.

"Et pour les hommes de Frost?" s'inquiète mon tireur d'élite.

"Nos projets en seraient grandement simplifiés s'ils rencontraient un incident fâcheux lors de la mission."

"Il va falloir la jouer finement sur ce coup là. Sinon, il va se douter de quelque chose."

"Je pense même qu'il sait très bien que je vais essayer de s'en prendre à lui."

"Alors on part en mission suicide dans le but d'avoir une armée, tout ça pour se jeter dans un piège dans lequel on est certain de tomber? Ca n'a aucun sens."

"Lorsque Frost m'aura matée. Il ne se méfiera plus de moi."!

"Tu penses qu'il va nous laisser en vie après ça?"

"S'il avait voulu nous tuer, il l'aurait déjà fait. Mais il y a huit Empereurs maintenant, et je pense qu'il a besoin de nous pour muscler son jeu et garder sa place."

"N'empêche que c'est vraiment un plan tordu, j'adore!"

"A la moindre erreur, on y passe tous." bégaye Wolfgang.

"Et même sans ça, rien ne nous garantit qu'on réussisse. Après tout, c'est un des pirates les plus puissants au monde!" pondère le docteur.

"Vous avez raison. Et c'est exactement pour ça qu'on va réussir."

Après la réunion, je m'allonge dans mon lit et je contemple le plafond. Ce n'est pas tant que la vue soit digne d'intérêt mais plus que j'ai besoin de quelque chose sur quoi focaliser mon esprit pour ne pas devenir dingue. Il y a une toile d'araignée dans un coin et, engluée dans les fils, une petite drosophile s'agite, attirant le prédateur. L'arachnide glisse sur les fils avec autant d'agilité que ses huit pattes le permettent, et elle ne se presse pas. Pas besoin. L'insecte pris dans ses rets semble comprendre que la messe est dite et qu'il ne sert plus à rien de se débattre. Naïvement, j'espère que le moucheron fait le mort pour endormir la vigilance de son ennemi et qu'il va s'en sortir avec une pirouette digne d'un roman de cape et d'épée. Mais c'est la nature ici, pas une œuvre de fiction à l'eu de rose que j'affectionne tant, et l'araignée se penche sur sa proie, l'emmaillote méthodiquement dans un cocon de soie et se la garde pour plus tard. Dommage! J'aurais aimé que le faible s'en sorte face au fort pour une fois. D'autant plus que je ne peux m'empêcher de faire une analogie entre le destin du petit insecte ailé et le mien.

Oui, j'ai clairement l'impression d'être une pauvre mouche prise dans la toile de Frost. Je peux encore jouir d'une certaine liberté, mais, en fait, ça revient juste à me débattre contre les fils collants. Au bout d'un moment, je vais m'épuiser et le Fléau fondra sur moi comme l'araignée sur cette malheureuse drosophile et me mangera toute crue. Et pourtant je continue de caresser le fol espoir que je peux encore m'en sortir. Serait-ce une preuve de ma force de volonté, ou de ma très grande stupidité?

Finalement, l'acarien a un petit creux, adieu, moucheron, puisse ton trépas ne pas être trop douloureux.

Le doux roulis de le Lépreuse, la position allongée, l'heure tardive et quelques réflexions hautement philosophiques sur les regrets existentiels d'un insecte volant pris au piège d'une toile ont raison de moi et je sombre dans un sommeil sans rêves.

Je me réveille en sursaut. J'entends pleurer. Mon sans ne fait qu'un tour et mon A.D.N de maman me sort du lit et me fait me précipiter dans la chambre de mon petit. L'espace d'un instant, juste après avoir ouvert la porte, je le vois, assis dans son lit, de grosse larmes coulant de ses petits yeux endormis, perlant sur ses joues. D'instinct, je le prends dans mes bras et … je réalise qu'il n'est pas là, qu'il ne peut pas être là. Sakazuki mon fils est avec Frost, et s'il pleure, cette nuit, c'est tout seul dans le noir. Cette pensée me retourne les entrailles et je quitte la pièce le pas lourd, la tête basse et la mort dans l'âme. Les paupières encore appesanties par le sommeil, j'erre comme un zombi dans les entrailles de mon propre navire. Et puis, sans même m'en rendre compte, j'échoue sur le pont. La bise glacée me fait reprendre mes esprits, et me file la chair de poule. Par reflexe, je serre mes bras sur ma poitrine dans une vaine tentative de conserver ma chaleur corporelle avant qu'elle ne s'échappe. Le vent salé se prend dans mes cheveux ainsi que dans mes ailes et je mets quelques instants à réaliser que je serais bien mieux à l'intérieur. De retour dans les coursives, je suis enfin pleinement réveillée, ce qui ne me réjouit guère. Alors je regagne ma cabine, et je me prépare à aller me rendormir. Après tout, si je veux revoir mon fils je n'ai pas le choix, je dois faire ce que Forst veut de moi.

Cependant, je ne trouve pas le repos pour autant. L'Asile, j'y ai tellement de mauvais souvenirs. J'ai beau eu faire la fière-à-bras devant mes amis, la vérité c'est que je sais très bien ce qui nous y attend. Alors oui, ça va me permettre de tourner définitivement une des pages les plus sombres de ma vie, mais, de l'autre coté, bien que je sois plus forte qu'avant, ma défaite contre Frost vient rebattre les cartes et insinuer le doute dans mon esprit. Suis-je assez forte pour faire tomber ce lieu de perdition?

Rhaaa, des fois j'aimerais juste pouvoir arrêter de penser et agir d'instinct comme le font presque tous les autres pirates que je connais. D'ailleurs, je me demande bien lesquels seront prêts à m'aider? Je pense alors à mes amis dans le milieu. Et je me dis que j'aurais bien besoin d'aide, parce que mes amertumes sont de mauvaise compagnie.