La Guilde des Orphelins ~ 1612 : Les Origines
Flashback 1612
✘ Solo ~ Boutique
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Un nouveau réveil dans cet espace exigu, au sommet de ce clocher désaffecté, m’offrant tout de même un abri que je squattais depuis un peu plus d’un an déjà. Un quignon de pain pour seul petit déjeuner, j’observais la ville qui s’éveillait depuis le sommet du clocher. Plus personne ne fréquentait cette église depuis des années, mis à part quelques moines en bure en de très rares occasions. Ainsi, j’étais tranquille ici, personne pour venir m’ennuyer tant que l’endroit resterait secret.
Les habitants de la frange se réveillaient tôt, avant même le chant du coq aux premières lueurs du jour. Et je faisais de même, ma condition précaire m’obligeant à ‘travailler’ tôt le matin jusqu’à ce que la nuit tombe. Ce que je faisais ? Beaucoup de choses, même si la plupart de ces activités tournaient autour du vol à la tire, la choure, la fauche ou tout autre moyen illégal d’obtenir des biens appartenant à autrui.
Une fois prêt, ma casquette récemment obtenue vissée sur la tête, mon sweat-shirt noir noué à ma taille, un débardeur et un pantacourt de la même teinte pour le reste, je pouvais me mettre en route. Je gagnais le toit de l’église en passant par une ouverture dans le clocher, longeant la gouttière jusqu’à un mur recouvert par la végétation de la cour intérieure de la bâtisse religieuse. M’aidant de trous de briques manquantes ainsi que d’un lierre probablement plus vieux que moi, je descendais le mur avec agilité. Ce passage, je l’avais emprunté à plusieurs reprises chaque jour depuis que j’avais emménagé ici, et me déplacer tôt le matin et tard le soir me permettait de ne pas attirer l’attention des voisins ou d’éventuels ennemis.
Enfin, ennemi était peut-être un peu fort comme mot, adversaire ou concurrent serait sans doute plus juste. Celle qui régnait entre tous les orphelins qui, comme moi, se retrouvaient dans ces rues à déambuler, arnaquer, se battre, mendier ou voler. La mendicité par exemple, nécessitait de trouver l’endroit idéal où les badauds auraient suffisamment d’argent pour le partager avec de pauvres erres. Le port, la place de l’obélisque et la cité intérieure étaient mes endroits de prédilection, avec assez de passage de citoyens aisés pour récupérer une jolie somme, selon mes standards bien entendu. Je ne récupérais jamais de grosses sommes, juste assez pour vivoter et me payer le nécessaire vital, ayant parfois la chance de mettre une piécette ou deux de côté pour les jours difficiles.
Et, ce fut lors de mes premiers vols à la tire où je m’étais rendus compte des limites de la mendicité, décidant d’agrandir le cercle de mes activités. Toutefois, j’étais rarement le seul sur le coup, surtout quand la journée annonçait un nouvel arrivage de touristes et marchands. Ainsi, perché sur le toit d’une des tavernes les plus fréquentées du port, j’observais l’horizon à la recherche des nouveaux arrivants du jour. Une fois repérés, l’important était la préparation, déterminer à quel endroit ils souhaitaient s’amarrer pour se préparer et se placer au mieux.
De nouveau descendu dans les rues, je longeais le port, les mains dans les poches, la visière de ma casquette abaissée au-dessus de mes yeux, la capuche du sweat-shirt rabattue dessus. Ma dégaine n’attirait pas tant l’attention malgré toutes ces mesures, beaucoup d’autres gamins du coin déambulaient de la même manière. Et, pour une fois, mes vêtements étaient propres et neufs, pas de trous ou de déchirures. J’avais économisé longtemps pour me les payer, hormis pour ceux que j’avais volé et, grâce à ça, je pouvais passer un peu plus inaperçu.
Je passais à côté d’un marchand qui se laissait séduire par les atours d’une fille de joie qui avait abusé sur le maquillage. Il semblait hésiter à la suivre vers l’établissement un peu plus loin qui, comme les vieilles légendes de sirènes, attirait les hommes, le chant en moins. D’une main leste et discrète, je tirais sur le petit cordon de cuir qui dépassait de l’une de ses poches, amenant à moi la bourse dont le poids me rassura une fois dans ma main. Sans m’attarder sur les lieux du crime, je m’éloignais prestement en me dirigeant vers mon objectif. Un peu plus loin, un grand navire richement décoré jetait l’ancre, abaissant un joli pont de bois suivi par plusieurs gardes à l’air patibulaire. Enfin, vinrent les pigeons, magnifiques créatures tape à l’œil, du nobliau à n’en point douter vu comme ils étaient parés. Des bijoux, de l’or, du clinquant, autant de choses brillantes qui dénotaient avec l’allure sordide de la frange de Saint-Uréa. Du moins, quand on s’enfonçait dans les ruelles étroites et sombres. Ici, au port, la sécurité était renforcée et, je savais par expérience qu’être un gamin n’empêchait pas ce genre de gaillards de vous tabasser allègrement.
J’appelais ce genre d’évènement un ‘bateau-touriste’, des compagnies navales qui proposaient des croisières pour les bourgeois curieux et en quête d’aventure, tout en étant protégés. Les groupes de nobliaux, soit de jeunes adultes ou adolescents ou à l’opposé, des octogénaires ayant l’impression de ne pas avoir assez voyagé dans leur riche vie. Ils descendaient les uns après les autres, accompagnés de leurs gardes, pour se diriger vers les boutiques touristiques du port. Les commerçants les attendaient en trépignant d’impatience, ils avaient même retiré toutes les affichettes de prix pour vendre leurs produits à la tête du client. Et ça ne manqua pas, les riches touristes se précipitaient vers les étals et les magasins avec un empressement qui dénotait de la folie de la richesse. Se précipiter à consommer pour se sentir en vie.
Trop les approcher était dangereux, leurs gardes du corps veillant au grain, des mercenaires ou des soldats de différents royaumes, des suivants et même des esclaves pour répondre à leur moindre besoin. Ce genre de vision me dégoûtait, cela faisait deux ans que ma famille ainsi que l’entièreté de la troupe Mazino avaient été réduits en esclavage par un noble à la tête enfermée dans une bulle. Et, depuis ce jour, ma haine pour les privilégiés avait grandit d’autant que le gouffre qui nous séparait. La rue était mon foyer, les leurs étaient des palais. Je me considérais dans mon bon droit de les délester d’un petit peu de monnaie.
Observant les allers et venues, je finis par choisir ma proie. Seulement deux gardes, sans autre compagnie, un ventre assez rond pour qu’il ne voit plus ses pieds et des bijoux qui reflétaient le soleil à chaque brinquebalement. Ce n’était pas le plus paré, mais c’était le meilleur rapport qualité vol à ma disposition. Je le suivais ainsi discrètement, me mêlant à la foule de badauds tout en le gardant en vue. Accompagné de ses gardes, il disparut alors dans une boutique. Le genre d’établissement clinquant dans lequel j’aurais trop attiré l’attention. Gagnant alors une allée obscure juste en face, je me fondis dans les ombres derrière une benne à ordure.
Les minutes passèrent sans que rien ne se passe, mise à part la chaleur qui montait dans l’étroite ruelle à mesure que le soleil grimpait dans le ciel. Puis, un bruit survint dans mon dos, de quelque chose qui tombe. Je me retournais pour me retrouver face à face avec un autre enfant de mon âge. Et, derrière lui apparaissaient plusieurs silhouettes de la même taille, certains se montrant pour m’intimider tandis que d’autres, plus prudents, restaient en retrait.
Bordel, vous êtes qui? m’exclamais-je un peu plus fort que je ne le voulais.
Des gamins qui ont la même cible que toi. répondit le rouquin à quelques centimètres de moi, maintenant mon regard un moment en ricanant, ses camarades reprenant ce rire en chœur pour me déstabiliser.
Et qu’est-ce que tu préconises? coupais-je alors sèchement, changeant l’ambiance en un instant.
Tu jactes bien l’albinos. Mais fais pas trop le malin, on est bien plus nombreux que tu le crois. fit-il alors en claquant des doigts, des silhouettes apparaissant au-dessus de nous sur les toits et d’autres un peu plus loin dans la ruelle, sortant de derrière des caisses et des coins de murs. Aboules les infos et fais pas chier !
Comme si j’allais partager ma proie. sifflais-je entre mes dents tel un chat acculé, levant mes poings pour protéger mon dû.
Après avoir perdu tout espoir le jour où ma famille m’avait été enlevée, faire confiance à des inconnus m’était impossible. Le risque était trop grand. Je comptais sur cet argent non seulement pour ma propre survie, mais également pour pouvoir quitter cette île et partir à la recherche de mes proches réduits à l’état d’esclaves.
Si tu te mets sur notre route, je vois pas d’autre solution. Théo!
Derrière-lui, sortant d’une ruelle adjacente, un grand gaillard à l’air nigaud s’approcha d’un pas lourd. On aurait dit un enfant, mais facilement trois fois plus grand. C’était donc ça qu’on appelait un géant ? Même enfant, son ombre suffit à me couvrir, m’observant en se curant le nez.
Coucou petit enfant, moi Théo, et toi tu dors! fit-il alors en approchant sa grande paluche de moi.
Bondir en arrière fut insuffisant, bloqué par la benne à ordure derrière moi, je ne pus qu’assister impuissant à la pichenette qu’il me colla. Projeté parmi les déchets, le monde se brouilla autour de moi, n’entendant que des voix.
J’espère que la prochaine fois qu’on se croisera, tu sera plus coopératif. Ciao!
Fiche par Ethylen sur Libre Graph'