Quoi qu'on en dise, Saint-Uréa était vraiment une île d'opportunités pour qui s'en donnait les moyens. Les nobles, la marine, la révolution et la pègre. Tous valaient leur pesant de berrys et tous étaient prêt à s'entre-tuer pour en posséder une plus grosse part. C'était à travers ça qu'ils mesuraient leur pouvoir, leur influence. À travers cet argent rarement propre qu'ils échafaudaient des projets pour diriger Saint-Uréa comme ils l'entendaient.
Stephen rêvait de ce pouvoir. C'était pour ça qu'il avait passé tant d'années à errer en mer en simple tueur à gages anonyme. C'était pour ça qu'il avait décidé de reprendre son nom une fois arrivé ici. Il lui fallait un emplacement solide pour planter les racines d'un nouvel empire criminel. Et c'était bien là le problème. Ici, il n'y avait plus de place pour lui. Il était arrivé trop tard. Et trop pauvre. Les gains de ses contrats passés avaient fondu à vue d'œil. Acquérir des contacts, aussi précaires soient-ils, et acheter des informations utiles à ses traques avait eu un coût colossal. Si l'on ajoutait à ça le fait que la moitié de ses gains actuels servaient à sécuriser sa couverture et la difficulté à exercer en tant que tueur à gages dans la ville la plus militarisé des Blues... D'ici peu, il ne serait définitivement plus qu'une ombre parmi d'autres.
C'était inacceptable. Il n'aurait pas quitté Manshon si c'était pour continuer à vivre ainsi. Il avait juste besoin d'un peu de soutien pour enfin acquérir sa pleine indépendance, quitte à courber légèrement l'échine face aux gros bonnets du coin. Temporairement. C'était pour ça que ce jour, il errait plus qu'à l'accoutumé dans les recoins les plus sordides de l'île. Il était en quête d'une information précieuse. Qui à le plus de poids dans la frange ?
— Si t'en as les moyens, y a la guilde des usuriers. Ces gars-là, ils se prennent pas pour de la merde, mais si t'as besoin d'un truc, ils l'ont.
— Sauf qu'après, ils te tiennent par les couilles un bon bout de temps !
Il n'en fallut pas plus pour que les deux compères éclatent de rire. Ils avaient tout du sous-fifre qui se croit plus malin que les autres parce qu'il a entendu des choses qu'il n'aurait pas dues. Mais ils avaient des informations, et ils n'étaient pas les premiers à mettre cette guilde en avant. Ils en parlaient tous, toujours avec ce ton mêlé de crainte et de respect. Stephen, quant à lui, ne leur offrit qu'un regard froid et un ton indifférent. Après tout, il valait mieux qu'eux, c'était évident.
— Où est-ce que je peux les trouver ?
— T'es pas très loin. Va voir du côté des tanneries. Ils trainent dans un des plus grands entrepôts du quartier. Tu finiras bien par les trouver.
L'autre type ajouta quelques indications plus précises et comme le voulait la coutume, Stephen leur laissa une somme anecdotique. Il les remercia d'un signe de tête et quitta ce bar putride. Il n'entendit que les rires et les "encouragements" des voyous avant de s'en aller. Le balafré n'était cependant pas dupe. Ça n'aurait pas été la première fois de la journée qu'il se serait retrouvée avec de fausses informations. Certains de ces gars semblaient prendre un malin plaisir à faire tourner en rond les nouveaux arrivants. À ce stade, c'en était presque une tradition.
Pourtant, le quartier des tanneries correspondait à la description et les allées qu'on lui avait indiquées existaient réellement. Cerise sur le gâteau, il finit même par apercevoir un entrepôt plus gros que les autres.
— Surprise !
Le sol se déroba sous ses pieds et il tomba lourdement au sol. Sa vision se troubla brièvement, l'empêchant de réagir convenablement à la pression qui le maintenait au sol et aux quelques coups qu'il se prit au visage avant de se protéger. Par excès de confiance, il n'avait pas imaginé tomber aussi bêtement dans un guet-apens. Il était personne, n'avait pas d'argent et aucune affiliation politique. Mais il avait oublié qu'il n'était qu'un loup sans meute. Il ne représentait pas la menace qu'il espérait être. Aussi, lorsqu'il reprit ses esprits, il ne fut pas surpris de reconnaitre l'un des brigands du bar.
Les coups cessèrent, mais pas la violence. Il fut relevé sans ménagement et cette fois plaqué contre un mur. Un bras ferme posé contre sa gorge lui coupait le souffle et son regard était attiré par la lame qui brillait près de son visage. Il tenta de reprendre prudemment son souffle alors que son agresseur se mettait à beugler.
— Hé Conrad ! Monte bien la garde, j'voudrai pas qu'on nous pique notre sac à fric !
— Pourquoi c'est toujours moi qui doit faire ça, hein ? La prochaine fois, ça se passera pas comme ça...
Évidemment, l'autre était de la partie aussi, mais tant qu'il se tenait à l'écart, il n'était pas une menace. Au contraire. Ces deux-là commettaient une belle erreur. S'il l'avait pu, Stephen n'aurait pu retenir un ricanement moqueur. Ils auraient mieux fais de l'assommer, ou même de le tuer, s'ils n'étaient intéressés que par le contenu de ses poches.
— Alors comme ça, t'as vraiment les moyens de négocier avec les usuriers ? Doit y avoir une belle liasse de billets cachés dans ton costard, tu me fais voir ?
— Volontiers.
Plongeant une main dans sa veste sous l'œil cupide du voleur, il en ressortit son fameux pistolet à double canon, pointé directement vers une cible.
— Quoi ?!
La détonation qui suivit fut la seule réponse de Stephen à la surprise de son assaillant. Et lorsque le corps de ce dernier tomba au sol après avoir aspergé de sang le visage du tueur, une autre détonation se fit entendre. Malheureusement, le dénommé Conrad avait déjà commencé à prendre ses jambes à son cou et il évita largement la balle qui lui était destinée.
Dans le calme morbide qui suivit, le balafré prit soin de recharger son arme avant de la remettre dans sa poche. Il poussa un soupir en sortant cette fois une cigarette. Il la garda en main un instant, songeur.
Il avait oublié son briquet.