Mouillage dans le port de l'île du Levain, 1629
Feignent de ne pas entendre l’homme s’agiter, le Capitaine des Faucheurs continua de contempler la rade miteuse depuis le bastingage. Dans son dos, le briscard tout penaud se racla maladroitement la gorge sans obtenir davantage de succès. Seul un vent glaçant fit écho… Le dos vouté du Cavalier ne lui lâcha rien d'autre. A ses côtés, la figure de proue du Helhest ne se dérogea pas non plus de son silence. Pourtant le messager veilla à la garder au coin de l’œil tout de même et s’assura de rester à distance de la Grande Dame. Les traits taillés au biseau avaient sortis du bois une mort squelettique de quatre coudées et demi, dont les mains osseuses se terminaient d’une faux menaçante. Un avertissement que les hommes du bord eux-mêmes savaient devoir craindre. Le Cavalier lui savourait le mutisme de la pièce de bois, d'où sa place à ses côtés. Son seul regret était de ne pas s’entendre raconter les aventures qu’elle avait fait face avant de croiser sa funeste route. Aujourd’hui en cette journée ensoleillée, le regard vide du masque de bois se posait sur une flottille d’embarcations arrimée au seul port de l’île. Un ramassis de renégats du Gouvernement Mondial profitant de ce morceau de terre boudé pour épancher soif et avarice. Une terre de liberté, idéale lorsque venait le temps de jeter l’ancre après des mois en mer à zoner aux abords d’Alabasta en quête de proies d’abordage. L'air semblait vibrer d'entrain.
Après un raclement plus prononcé à deux doigts d’éveiller les noyés, le Cavalier dédaigna enfin porter son attention sur le malheureux cherchant son attention. La vinasse pourtant bien bâtie ne dégageait aucune méchanceté. Un bref soulagement se lut sur le visage du gaillard avant que la face de mort lui fasse baisser le regard, trop vite au goût de son Capitaine. Le vieux pirate se demanda par quel chemin les culs rouges trouvaient encore son bord. Son mépris transparu quand il lui aboya dessus.
- Qu’est ce qu’y a bon sang ! Besoin t’arracher la langue pour savoir ce qu’il s’y cache ?!
- Non M’sieur ! Ils m’ont envoyé prévenir que les préparatifs se finissent. Le monde attend que vous pour lancer !!
- Bougre d’âne émasculé, et pourquoi tu m’l’as pas dit plutôt ! Il manquerait plus qu’on vienne dire que la Mort se fait attendre... Tu me gratteras ce sol les prochaines nuits histoire de te rappeler à l’ouvrir quand il faut ! Débarrasse moi le plancher maintenant, t’es dans mes pattes ! Du vent !! Mouhé hé hé !
Le foutriquet détala sous l’éclat de rire glaçant du Cavalier. Le privilège du chef de bord de malmener ses ouailles les plus molles. Son humeur avait changé comme tempête par grand vent au rappel des festivités. Il choppa sa faux et sans demander son reste bondit depuis le pont sur les quais. Les planches du port grimacèrent mais tinrent bon à l’atterrissage. Il n’aurait plus manqué qu’elles cassent et qu’il se noie. Rigolant une nouvelle fois seul à cette pensée comme un pochtron, il salua les hommes qui l’attendaient et mena la marche vers la scène ouverte. L’hampe de son arme pour canne, les effluves des limbes gambadèrent sur les talons. Autour le monde s’était activé à dresser en quelques heures ce qui pouvait l'être. Les marins de passages avaient pris place sur tous lieux surélevés pour ne rien manquer. En levant le menton, il remarqua également des badauds aux niveaux supérieurs impatients de découvrir l’épreuve à venir. Avec les petits commerces sur roue, les étales amuse-gueules déployées à la va-vite, les musiques et danses sonnantes, un air de fête baignait la zone portuaire que l’aura ténébreuse du Cavalier ne parviendrait pas à chasser. Acclamée comme de pas coutume, sa venue délia les langues et les paris s'entendirent.
Il lui fallut encore marcher un peu pour atteindre une place plus large, zone d’échanges et de débarquements en temps normal, qui avait été libérée pour l’occasion sous la houlette du chef des lieux. Des barrières en ceignaient maintenant les contours. Une bien belle tournure prise par des chamailleries entre deux équipages, enivrées de la boisson locale, sous l’appel de souvenirs communs entre deux Capitaines. Il n'en fallut pas plus pour Kass Thet, le gérant du port, d'y mettre son grand de sel. L'échange sanglant se transforma en jeux sanglants dans son domaine. Un jeu des plus aimés de part les mers. Un jeu où l’on ne visait pas l’or, mais les hommes et l’honneur de son adversaire. Un jeu que le Cavalier prit grand plaisir d'appuyer à coup de provocations. A peine le tricorne de son bélitre d’adversaire déborda de la foule qu’il remit une couche.
- Alors le sieur crasse barbe, prêt à rendre les armes et fuir la queue entre les jambes comme le chacal qui t’a vu naitre ? Il est encore temps de t’en aller avec un lambeau d’honneur 'vant que mes hommes et moi te déculottions devant ces bons gens ! Hé hé hé !
- Toujours la même grande gueule ! Voilà tout ce que tu as toujours été même quand tu me servais du Capitaine et moi des coups de pieds au cul. Ne crois pas que prendre la tête d’une coque de noix te met à ma hauteur ! N'oublie pas qui je suis ! Ce ramassis qui te sert d’équipage sera enterré avant d’être connu ou je m’appelle plus Barbe Noire !
- Hé hé hé.. Hâte de voir ça ! Je te rappellerai ces paroles !
La trogne furibonde du pirate à la barbe drue foudroyait le crâne moqueur de son opposant. Les acclamations quant à elles accueillirent avec joie les bravades ! Un demi-cercle s’était dessiné autour des deux Capitaines par leurs équipages respectifs. Des aboiements de coqs de part et d’autres qui pleuvaient depuis que le Cavalier avait défié l’équipage de Barbe Noire. Comme pour calmer l’électricité ambiante, l’autre grand homme de l’événement s’avança entre les deux hommes. L’hôte des jeux leva haut le bras pour attirer l'attention de tous et s'arrangea de se faire entendre tous.
- Messieurs ? Je vous sens prêt à débuter en cette journée de défis. Au nom de la légendaire île des pirates, je vous laisse énoncer l’ouverture de cet affrontement d’équipage contre équipage. Cavalier à vous de tirer le premier coup de semonce !
Sourire aux lèvres, le mangemort glissa une main dans sa soutenue décolorée et ressortit avec trois pièces entre les doigts. Fièrement tendues pour qu'aucun ne manque et n'ait à redire sur le défi lancé.
- Moi le Cavalier et mon équipage te défions dans une partie de Davy Bight Fight à trois pièces ! Règles hétérodoxes comme convenues !
- J’accepte chien !
- HOURAAAA !!!!
- Lors de ces trois épreuves, je veillerais en ma qualité d’arbitre à la bonne tenue des épreuves. J’expose les trois engagements du perdant : Tout équipier ou pavillon perdu ne peut être récupéré qu’en faisant une nouvelle partie. La personne choisie par le vainqueur est tenue de passer immédiatement dans le camp adverse et de jurer fidélité à son nouveau capitaine. Tout pavillon perdu ne devra plus jamais être abordé. Quiconque enfreindra ces règles sera livré à Davy Jones pour avoir déshonoré la piraterie ! Jurez-vous sur le Code de les respecter ?!
- Je le jure !
- Je le jure !
Le Cavalier clôtura le rite ancestral en lançant par dessus son épaule les trois pièces dans la mer baignant les quais.
- Davy Jones est maintenant averti que nous entamons une partie dans les règles hétérodoxes !!!
- HOURAAAA !!!
- J'annonce la première épreuve ! Mise-à-bas du poteau !! Chaque équipage entre sur le terrain avec onze membres, avec l'objectif de faire pencher l'homme-poteau adverse jusqu'à faire tomber le général qu'il porte sur son dos. Entendez bien que les armes sont autorisées sur le terrain et tous les coups sont permis ! Mouahaha ! Que chaque général prenne son chapeau pirate ! Et montrez-moi ce que vous avez dans le bide !
Une acclamation balaya une nouvelle fois la foule amassée alors que les premiers hommes sautaient par dessus les barrières du terrain. Une croix avait était dessinée de chaque côté pour marquer les points de départ. Après il ne resterait qu'une foire d'empoigne. Accoudé une bouteille à la main, le Capitaine des Faucheurs pointait du doigt les volontaires désignés à participer. Dodelinant de la tête, le Capitaine marqua son refus de prendre part aux jeux quand la question lui fut posée.
- Nan allez jouer d'abord, je veux voir ce que vous valez sans moi derrière à vous essuyer le cul héhé ! Montrez leur ce que vous valez ! Tiens Boll, tu seras le tronc et Bart prend le chapeau je te veux pour gérer ces zouaves. Faite pas les cons !
- QUOIII ?!! Mais rien à foutre de ce jeu de merde ! Si je suis venu à terre, c'est pour les voir vous casser les dents ! Rien à foutre je dis ! Trouvez un autre gland !
- Hé hé hé ! Vas donc pas me faire verser une larme à te recogner comme au bon vieux temps. T'souviens ? T'iras sur les deux jambes ou le groin éclaté, toi qui vois ! Hé hé !
- Humpf ! Fais chier ! Faites chier !! Journée de merde ! Et pourquoi c'est moi qui dois porter l'autre con d'abord ?!
- Boucle la ! Arrête de pleurnicher, tu sais bien qu'il en a pas plus cure que moi de ce que tu as à geindre !
- Répètes pour voir !
- Allons les enfants, maintenant vous fermez vos gueules et vous vous mettez en piste. Je le redirais pas... Hé hé..
- Humpf.. Chiures.. Bien fait de d'amener le hachoir..
Sortant des rangs en bougonnant, le zoan porcin bouscula méchamment deux gars trop prêt qui tombèrent sur le cul et tendit ses palourdes à son quartier maitre. Les deux hommes se lancèrent des éclairs, mais se sachant prisonnier des délires de leur Capitaine ne dirent mots et s'exécutèrent. Escaladant maladroitement le crâne suintant du porc, Bart se hissa au rang de général. L'équilibre précaire n'était pas au beau fixe, mais Boll restait une base solide sur laquelle s'appuyer. Autour, neuf autres faucheurs encerclèrent le duo improbable. Pour la première fois, ils allaient devoir se battre ensemble avec en arrière fond les moqueries du Cavalier repris par l'équipage restant. Si le Capitaine était hors de leur portée, les deux briscards notaient avec attention dans un coin de leur caboche ceux qui prendraient à leurs retours. Un canonnier entrain de se prendre des barres à leur montrer son cul dégusterait en premier...
En face l'équipe était déjà prête !