En chantier

Bon, quelle excuse je vais bien pouvoir trouver cette fois ? J’aimerais parler à Red, mais c’est toujours délicat pour des hommes de parler entre eux, à cœur ouverts. Généralement il est toujours affaire d’une femme, ou il y en a une qui sert d’intermédiaire entre le cœur des hommes, car nous nous avons l’égo, et l’égo ne permet pas de bonnes discussions.

L’égo interdit par exemple d’avouer se sentir penaud d’avoir songé à trahir Red, bien qu’il le sache et qu’il m’ait pardonné. Je ne me sens pas encore à l’aise avec le fait de soutenir son regard, pourtant il m’a assuré me suivre de mon projet fou contre le gouvernement mondial, la plus grande preuve d’amitié qu’il puisse me donner : mettre en péril son titre et sa vie dans une guerre qui n’est pas la sienne. Mais cette joie est entachée par ma honte et mes anciennes cicatrices : j’ai déjà enterré Red une fois, je ne souhaite pas revivre ça. Seulement, j’aurais sans doute besoin de lui. Mais ça aussi, mon égo m’interdit de le lui dire : ce mélange de reconnaissance, de peur et de culpabilité qui me ronge tout à la fois.

Les règles viriles m’ordonnent aussi de ne pas parler d’Izya : mon ancienne amante, ma femme, tombée amoureuse de lui et dont il semble partager des sentiments complexes. Selon ces us ancestraux, si nous devions en parler, il nous faudrait alors en arriver aux mains, car les hommes ne savent régler leur différend qu’au prix de la sueur et du sang, ce qui ne les empêche en rien de partager un verre ensuite, si tant est qu’ils sont encore en vie.

Pourtant j’en ai des questions, notamment sur le fait qu’en allant au festival de Kiyori, Red avait une femme : Jeska. De retour sur Treize, il n’y a plus que nous deux, les hommes. Jeska a disparu je ne sais où et Izya vogue vers Eoloria pour libérer le peuple céleste de cette île en la faisant sienne. Seuls les hommes demeurent, avec leurs lots de questions et de sujets qu’ils ne peuvent aborder ensemble. La bouche ne le peut, et pourtant les yeux disent tout.

« Salut Red, je viens voir où en est l’opération de mon monstre marin Plouf : une fois qu’il sera opérationnel je compte bien me rendre jusqu’à Erbaff dans l’intention d’en faire mes alliés pour la guerre à venir. Tu crois qu’ils pourront atteindre quelle taille avec mes hormones ? Héhé, et toi tu vas faire quoi maintenant que tu as vaincu ton fantôme ?
Ah, j’ai un autre service à te demander. Une commande plutôt : ton chantier naval avance ? J’aimerais un navire pour ma boutique aux hormones. »

Des sujets superflus, mais tout est dit dans nos yeux, et sur le fait que nous portons tous deux une vivre card d’Izya. On essaie de penser à autre chose pour ne pas s’inquiéter pour elle et pour taire notre désir d’aller l’aider, la protéger, veiller sur elle.

Une femme aurait fait montre de son inquiétude en tiquant aux projets de Red : avoir vaincu Teach a-t-il été suffisant pour tourner complètement la page ? Alors pourquoi vouloir délocaliser ici, à Treize, l’ancien fief du Malvoulant ? Pourquoi vouloir repêcher Thriller Bark, son propre tombeau, preuve indéfectible de son échec ? Oh c’est peut être un moyen de surmonter tout ça, mais ça montre que le chemin n’est pas tout à fait terminé. Oui, une femme userait de mots pour témoigner son inquiétude, mais un homme ne le peut. Pour elles c’est une façon de montrer qu’elles tiennent à nous, de prendre soin de nous, mais dans notre langue ça veut dire tout autre chose : ça signifie que je n’ai pas confiance en sa capacité à réussir, à s’en sortir. Or, même si je me fais du souci, je crois en lui. C’est son choix, son chemin et je me dois de le respecter. Tout ce que je peux faire, c’est être là s’il le demande. En traduction d’homme, une main posée sur son épaule et un regard suffit à ce qu’il comprenne : je suis là. Ni plus, ni moins, c’est à lui de voir s’il en a besoin ou non. Ou simplement s’il en a envie.

« Je comprends mieux la sympathie de Kiyori à mon égard : c’est grâce à elle que j’ai recouvert l’ouïe. Probablement le fruit de votre partenariat. Je dois savoir quelque chose sur votre relation ? »

Car chez les pirates les liens peuvent être multiples, et même une amitié peut être teintée de sang, n’est ce pas Red ? Je sens encore parfois la marque de ta main autour de mon cou, mais je l’avais cherché, je l’avoue.

« Elle m’a confié ça aussi, le dessin d’une clé, et cette phrase : seul toi peut trouver la clé et ce qu’elle ouvre. Ça te dit quelque chose ? Charabia philosophique ou une demande masquée ? »

Spoiler:

D’ailleurs maintenant qu’il parle de notre véritable ennemi, ça me rappelle qu’il était dans leur camp auparavant. On en a jamais vraiment parlé, et je dois avouer que je n’aurais jamais pensé pouvoir m’entendre avec un membre du gouvernement un jour. Comme quoi, ne jamais dire jamais. Et finalement je n’ai pas besoin de demander comment il se sent à l’idée de prendre les armes contre eux. Je le sais déjà, je le vois dans ses yeux. Depuis quand nous comprenons nous aussi bien ? Je n’avais même pas besoin de retrouver l’ouïe avec Red. Cette pensée m’amuse et me réchauffe les entrailles : je suis peut être moins seul que je ne le pensais.

« Le bateau ? Un transporteur, pas besoin qu’il soit taillé pour la guerre. Si quelqu’un l’attaque malgré ses couleurs, je me ferais une joie de traquer les assaillants pour tester certaines hormones… Non, le navire servira uniquement à livrer des commandes, et aussi à venir à moi pour que je remplisse les stocks de la boutique de temps en temps. Facile d’utilisation, rapide et qui puisse se rendre partout. C’est dans tes cordes ? »

« Et beh, vous n’avez pas chômé, je reconnais à peine l’endroit qu’on a envahi un mois plus tôt. Et pourtant on en avait fait des dégâts. »

Et on en avait subi aussi. C’est curieux de constater comme les blessures perdurent plus longtemps dans nos esprits que sur le champ de bataille lui-même. Ici, on a presque du mal à imaginer qu’il y avait eu une guerre, pourtant nos têtes et nos corps s’en souviennent encore parfaitement.

« Ah oui, la fameuse boîte à vœu de Kiyori, je me souviens maintenant : j’avais demandé à faire ma propre rencontre, en quelque sorte. Le projet de toute une vie hein ?
Je suppose que les différents avec Aoi sont réglés par la même occasion ? C’est bien d’avoir clarifié la situation avec Kiyori, mais je crains que nous aurons bientôt un autre conflit d’intérêts avec un grand nom : Kutroshinsky. Il convoite l’île vers laquelle vogue Izya si je ne m’abuse.
Débarrassé de Teach, son remplaçant est tout trouvé et il y aura aussi le gouvernement mondial avec moi… »

Red est devenu Empereur, mais ce n’est nullement la fin du chemin malgré ce qu’on pourrait croire. Au contraire : on a simplement changé de plateau de jeu, et celui-ci est bien plus dangereux que le précédent. Je laisse s’évanouir dans un soupir la plus grande des questions : quand y aura-t-il une fin ?

Un cri inhumain nous interrompt : un peu plus loin, dans un bassin entouré d’échafaudages, un monstre marin lourdement attaché hurle à la mort et tente de se libérer de ses entraves. D’un bond rapide, Red et moi y parvenons et je lui fais signe de me laisser faire tandis que mes doigts se plantent dans la chair de la bête. L’instant suivant l’animal s’apaise et finit par s’endormir.

« J’ai peut être sous estimer les douleurs infligés par une cybornétisation. Ça se dit ? J’espère que tes hommes à l’intérieur n’ont pas été trop secoué. Au moins on sait que Plouf est encore en vie : les tiens semblent savoir bien s’y prendre. Je pourrais très bien pêcher un autre roi des mers s’il venait à mourir, mais je préfère si l’opération marche sur le premier.
Tu parlais de navires modernes ? Ces créatures dominent déjà les océans, autant s’en servir. Je t’ai déjà montré combien de ces bêtes j’ai déjà dressé ? »

Une cinquantaine qui font dans les 5 à 6 mètres. Tandis que Plouf lui fait aisément 20 mètres de long.

« Les hormones sont vraiment fascinantes. Il suffit de les utiliser comme une drogue pour simplifier la domestication des animaux… Je devrais peut être essayer la technique sur des êtres humains ? »

Mais c’est quelque part déjà le cas : les fioles hormonales vendues dans ma boutique octroient un sentiment de bonheur, de quoi inciter à la consommation.

« Et toi, grand Empereur, il te reste combien de navires maintenant ? »

Je n’en ai pas un seul. Puis je vraiment me faire appeler un pirate ?

Ha ha ! Il a avoué qu’il était bien mort, que Red était mort, il ne peut donc pas être le vrai Red hein ? … Je rigole, cette problématique a été réglée, j’ai confiance que c’est le bon Red. Ou en tout cas j’essaie, mais il vient de me mettre un petit doute quand même. Après tout je suis le mieux placé pour savoir que l’apparence physique et la voix ne suffisent pas à prouver une identité.

« Il fait un peu trop lumineux non ? »

Ouais, uses de tes ténèbres, même si là encore, si le vrai Red est mort quelqu’un d’autre a pu récupérer ses pouvoirs mais ça me rassure quand même.

« Plouf sera mon navire personnel, il faut donc penser au confort pour de longs voyages et surtout la sécurité pour les maudits comme moi. Éviter que si Plouf a soif, ça nous tue tous dedans. Et maximiser l’espace, au cas où j’ai envie d’une pyjama partie sous marine.
Puis, si c’est possible, une fenêtre vers l’extérieur pour voir ce qui se passe, un accès à ce que Plouf avale pour récupérer une partie de sa pèche, et une voie d’évacuation d’urgence qui permet de s’échapper vers la surface ? Genre une structure avec plein de flotteurs, si jamais Plouf se fait dévorer par plus gros et que je me retrouve trois milles pieds sous l’océan. »

Ce serait dommage que l’histoire du grand pirate métamorphe se termine ainsi pas vrai ? Pourtant c’est la fin de tous pirates : lorsqu’il croise un poisson plus gros. Je me retourne vers Red, parlant gros poisson.

« Comme je te l’ai dit, je compte déjà passer à Erbaff. Je te remercie pour ta sollicitude mais j’irai seul. »

J’ai besoin de me prouver que je suis capable de réussir par moi-même.

« Par contre si mes hormones de croissance les intéressent, je peux peut-être proposer le même pacte aux Mangemondes. Qui sait, ils tourneront peut être le dos à Kutroshinsky.
S’il m’arrive malheur, mais surtout en preuve de bonne foi et de confiance en toi malgré nos… différents. Voici une vivre card liée à mon existence. »

Je donne à l’homme que j’ai déjà trahi, qui a toutes les raisons du monde pour me faire disparaitre, un moyen incontournable pour me localiser où que je me situe, l’unique faille à mon pouvoir qui me permet pourtant de prendre ma retraite et démarrer une nouvelle vie n’importe quand.

« Tu parles de ma prime mais regarde les infrastructures à ta disposition. Même en doublant la mienne, ça reste loin de la tienne. Même si c’est pas la taille qui compte…
Tiens, là on s’occupe des sous marins, mais qu’en est il du ciel ? Quel espèce animale dois-je domestiquer et ramener ici ? »

« Chacun son domaine, toi la mécanique, moi le biologique. » dis-je en montrant des doigts pointus comme des seringues.

Voilà pourquoi je préfère des montures en vie que des transporteurs artificiels : mon pouvoir n’a pas d’effet sur ces derniers. Je me rappelle d’ailleurs ma toute première rencontre avec un pacifista. Heureusement pour moi, les hormones ne sont plus ma seule force, j’ai bien d’autres cartes à mon arc, même si je reste plus connu pour mes hormones. Pas étonnant vu que mon cadran sur Armada tourne autour de ça et que j’y ai une boutique hormonale.

« J’attendrais d’être sûr qu’ils ont fait tous les tests avant d’entrer là-dedans. J’ai déjà eu droit à ce genre d’expérience il y a des années de ça, aux côtés d’Izya je crois bien. Avant toutes nos histoires. Nous nous étions faits avaler par un monstre marin, qui s’est lui-même fait dévorer alors qu’on était dedans…
Non, je préfère aller visiter ton nouveau chantier naval, celui où j’ai commandé un navire de transport qui livrera des hormones en dehors d’Armada. J’ai rassemblé la somme demandée : elle est dans ma piaule. Je crois savoir que tu as fait passer la construction de mon navire en priorité : qu’ils s’y sont mis dès le premier hangar de construction terminé alors que ton chantier était lui-même en montage ? On va donc recevoir nos cadeaux en même temps ? Ton chantier et mon bateau ?
J’espère juste qu’il saura naviguer d’ici jusqu’à Armada. Je m’y connais en petit bateau, genre le format pèche ou barque, mais pour ce qui est de la grande navigation… Voilà pourquoi je préfère un monstre marin. Je n’ai pas besoin de faire attention aux vents, à la météo, à la voilure, ou à je ne sais quoi encore : lui sait avancer tout seul, je n’ai qu’à fournir le cap : soit à suivre une aiguille magique. »

Rien de plus simple, n’importe quel gosse saurait faire ça. Le plus compliqué étant de discipliner la bête, mais je suis passé maître dans cet art en plein expansion. A notre prochaine rencontre à Red et moi, j’aurais bien d’autres spécimens dans ma bergerie.

Teach a laissé un bien bel héritage derrière lui. L’Empereur est mort, longue vie à l’Empereur. Et je lui parle actuellement alors qu’on se promène paisiblement comme deux amis. Un Empereur nom de dieu. On en a fait du chemin. Je me demande si lui-même a réalisé, s’il a conscience du titre qu’il porte. Je me rappelle encore notre première rencontre à Impel Down, j’avais bien des aprioris en apprenant qu’il avait fait parti de la marine. Et voilà le voilà maintenant, Rossignol le Grand.

« Ça mord pas. Pas encore. Mais j’ai démarré petit, un simple avertissement dans une ambassade du gouvernement à Parisse en faisant part de mes doléances et en leur disant que l’affaire sur ta tête ne tient plus. »

Tu te souviens ? Lorsque j’avais parlementé avec le gouvernement pour te la mettre à l’envers, lorsque j’étais persuadé que tu étais un usurpateur doublé d’un voleur de femme. Tu l’es encore, à moitié.

« L’étape finale sera MarieJoa s’ils ne réagissent pas avant, et c’est dans cette optique que je m’en vais à Erbaff chercher des alliés, dans le cas où ça termine en guerre totale. Mais en attendant, et bien que ça puisse être étrange : je veux préserver ma morale au maximum. Pouvoir me dire que j’ai bien fait les choses et qu’ils ne m’ont pas laissé le choix dans l’escalade de mes avertissements. »

Dire que nous parlons au passé et que dans l’interlude il y a eu le génocide de ChâteauGéant et la bataille à Marineford, tandis que nous sommes présentement sur l’île de Sekan à viser le Palais d’Or. Mais ça c’est le présent, un futur par rapport à cette temporalité qui témoigne de la nécessité de l’escalade qui ira probablement jusqu’à MarieJoa, comme le pressent Red.

Mais avant la guerre totale, nous profitons de cette petite marche à parler de tout et de rien tandis qu’autour de nous le monde s’affaire. Un nouveau chantier naval pour Red, un navire pour ma boutique et un monstre marin aménagée. Profitons oui, ces instants risquent de se faire rare dans les temps à venir…