Y'a t-il un capitaine dans le bateau ?

Alors que le navire de la Translinéenne poursuivait son voyage, Orion se tenait sur le pont, le regard fixé sur l'horizon. Il ne pouvait s'empêcher de penser aux Mékanos et à l'épreuve difficile qu'ils devaient traverser en ce moment. Sa rencontre avec Méca Frankyky et les autres enfants l'avait profondément marqué, et il espérait sincèrement qu'ils trouveraient le moyen de se défendre contre le Grand Corsaire Minaro.

Cependant, le destin d'Orion le poussait toujours vers de nouvelles aventures, et cette fois-ci, il était sur le point de pénétrer dans les mers du Royaume de l'Absurde. Les récits de ce royaume excentrique et de son roi atypique l'avaient intrigué depuis longtemps, et il était curieux de découvrir ce qu'il trouverait sur cette île si particulière.

Un employé de la Translinéenne s'approcha d'Orion alors qu'il contemplait la mer.

"Eh bien, mon garçon, nous approchons du Royaume de l'Absurde. Vous êtes prêt à entrer dans ce monde de folie et de non-sens ?"

Orion tourna la tête vers le marin et esquissa un sourire.

" - Absolument ! J'ai toujours été attiré par l'inattendu et l'étrange. Qu'est-ce qui m'attend là-bas ?
- Oh, vous verrez bien. Ce royaume est dirigé par un roi que certains appellent fou, mais d'autres disent qu'il est simplement… excentrique. Ses lois sont aussi changeantes que le vent, et personne ne sait jamais vraiment ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. C'est un endroit où la désinformation règne en maître, mais ceux qui savent démêler les vérités des mensonges y trouvent leur compte."

Orion était de plus en plus intrigué.

" - Et comment allons-nous y accéder ?
- Nous n'allons pas nous y arrêter. Nous devons simplement changer de navire. Nous allons vous déposer dans une navette absurdienne qui se chargera de vous emmener jusqu'à notre nouvelle embarcation."

Le jeune peina à cacher sa déception.

" - Mais rassurez-vous. Monter dans une navette absurdienne, c'est comme poser le pied sur leur île. Les mêmes règles s'appliquent et vu la saison vous ne serez qu'avec des locaux. Croyez-moi sur parole, cette expérience vous suffira amplement. "

Orion hocha la tête, peu convaincu.

" - D'ailleurs préparez-vous à descendre, nous arrivons. "

Orion, immobile sur un ponton vert, attendait patiemment que la navette absurdienne accoste. Il en profita pour regarder tout autour de lui, découvrant avec un ébahissement franc les locaux de ce royaume.

À côté de lui, dans une piscine gonflable, barbotait un baigneur surmonté d'un aileron de dauphin. Une musique terrifiante résonnait sur l'ensemble du ponton, donnant un ton dramatique à la scène qui se déroulait sous yeux.

" - La musique des Dents de Grand Line ? "

Petit, ce film l'avait terrifié. Encore aujourd'hui, lorsqu'il se baignait en haute mer, Orion sentait une cage froide se refermer autour de son torse, l'empêchant parfois de respirer correctement. La musique s'arrêta brusquement, une annonce résonnant à travers de nombreux dials positionnés un peu partout sur le quai.

Nous vous rappelons que la zone blanche est réservée aux débarquements. Par conséquent il est interdit de mouiller dans la zone rouge.

À peine quelques secondes plus tard, une nouvelle annonce se fit entendre, cette fois prononcée par un homme.

Nous vous rappelons que la zone rouge est réservée aux débarquements. Par conséquent il est interdit de mouiller dans la zone blanche.

Orion arqua un sourcil, intrigué par cette flagrante contradiction. Le jeune homme commençait à comprendre pourquoi le Royaume de l'Absurde se nommait ainsi. Un adolescent s'approcha d'Orion jusqu'à lui toucher l'épaule et lui tendre une rose.

" - Cette fleur vous est offerte par le Culte de la conscience inconsciente de Kiyori. Souhaitez-vous faire une donation ? "

La conscience inconsciente ?

" - Je... "

Nous vous rappelons que la zone blanche est réservée aux débarquements. Par conséquent il est interdit de mouiller dans la zone rouge.
Non Virginie, c'est la zone rouge qui est réservée aux débarquements.
Tu vas m'apprendre à faire mon travail peut-être ? Comme tu vas m'apprendre à gérer ma grossesse ?
Tu sais très bien ce que j'en pense.
On va surtout voir ce qu'en pense ta femme.
Connasse !

Peut-être que finalement le marin avait raison. Un court trajet en navette sera sûrement suffisant pour découvrir toutes... beautés ? de l'île.

Alors qu'Orion s'apprêtait à embarquer dans la navette Absurdienne, des employés interpellèrent la personne qui se trouvait devant lui.

" - Bonjour Monsieur. Fouille non-aléatoire. Veuillez déposer vos objets métalliques dans cette coupelle. "

L'homme s’exécuta sans un mot, déposant bague, montre, collier, ceinture, bracelet de cheville, boucle d’oreille, piercing à la langue, au téton, dévissa sa prothèse qui lui servait de bras. Avant qu'Orion ne puisse réagir, l'homme venait également de se séparer de sa jambe gauche.

À quelques pas de là, un employé du port était occupé à aider un bateau à slalomer entre les obstacles. Interrompus par un collègue, il lui désigna quelque chose au loin. Le navire, suivant ces nouvelles indications, s'encastra contre un rocher avant de couler à pique. Plus le temps passait et plus Orion se sentait insensible à cette absurdité ambiante. Il espérait sincèrement que ce n'était pas contagieux.

" - Roberta !
- Daniel ?! Que fais-tu ici ? Je vais embarquer !
- Tu as trouvé ma lettre ?
- Oui mais cela ne change rien. Je pars.
- Non Roberta ! Laisse moi une chance !
- N'insiste pas Daniel, c'est terminé !
- Tu n'éprouves donc plus rien ?
- Je refuse de vivre un homme qui ne fait pas frisonner. Tu sais... hier j'ai embrassé quelqu'un. Je ne connaissais même pas son nom.
- Je sais...
- Je sais que tu sais. C'est ça le pire... C'est terminé. "

Alors que la dénommée Roberta s'enfuyait d'une allure terriblement non-élégante en reniflant, l'homme resta immobile. Orion essuyait les larmes qu'il avait tenté en vain de dissimuler.

" - Cette fleur vous est offerte par le Culte de..."

L'homme ne pu finir sa phrase avant qu'un poing rageur ne vienne s'écraser contre son visage.

BAM

" - Monsieur ?
- Oh oui pardon ! "

C'était à son tour d'embarquer dans la navette.

" - Puis-je voir votre billet ?
- Oui bien-sûr, tenez.
- Siège... B6. Très bien, rendez-vous dans la septième allée et asseyez-vous sur le fauteuil où est inscrite la lettre C.
- Euh ... D'accord. "

Étonnant ? Non. Absurde ? peut-être. Installé dans la navette à côté d'une vieille femme, une hôtesse d’accueil passait dans les rangs.

" - Bonjour, désirez-vous quelque chose à lire ? "

La vieille femme ne s'inquiéta pas de s'avoir à qui la jeune femme s'adressait.

" - Auriez-vous quelque chose de léger ?
- Hum ... "

L’hôtesse s'empara d'un petit morceau de papier.

" - J'ai l'adresse d'un masseur sur Marie Joie.
- Je ne compte pas m'y rendre, c'est parfait. "

Avant qu'Orion ne puisse réfléchir à ce qu'il venait de se passer, les lumières de la navette s'éteignirent, créant une ambiance tamisée où une étrange musique résonna. Un homme, vêtu d'un costume aux couleurs criardes, se tenait au centre de l'attention, exécutant une danse des plus extravagantes. Ses mouvements étaient aussi saccadés que ses vêtements, et il semblait totalement absorbé par sa performance.

" - Qu'est-ce que c'est encore que ça... "

À ses côtés, une femme portant une horrible robe de professeur espagnole provenant de la boutique Dédé-Sigual en imitait avec une précision étonnante chacun de ses mouvements. Elle avait un air béat sur le visage, comme si elle était envoûtée par le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Cependant, alors que la femme tournait le dos à son partenaire pour exécuter une série de pirouettes, quelque chose d'inattendu se produisit. Un homme mystérieux, dissimulé dans l'ombre, s'approcha discrètement de l'homme danseur. L'inconnu enfonça le couteau dans le dos du danseur, avec une précision qui aurait fait pâlir n'importe quel agent du CP.

" - Mon dieu ! Vous avez vu ?!
- Ta gueule. "

Les bras lui en tombèrent. Pas un passager ne semblait s'interroger quant au poignard planté dans le dos du danseur. D'ailleurs, sa partenaire, toujours dans son état de transe, ne remarqua pas du tout l'incident. Elle continua d'imiter les mouvements de l'homme qui, malgré la douleur, tentait désespérément de retirer le couteau de son dos tout en continuant à danser. La scène était surréaliste. L'homme se tortillait dans tous les sens, essayant de garder le rythme de la danse tout en se débattant avec le couteau planté dans son dos. Finalement, l'homme parvint à le retirer, et il s'effondra sur le sol, gémissant de douleur. La femme s'agenouilla à ses côtés et commença à imiter ses gémissements, pensant qu'il s'agissait là d'un nouveau mouvement de danse.

" - Bordel... "

" - Et c'est ainsi que j'ai quitté Reverse Mountain ! Assez parlé de moi, j'espère que je nous ai pas trop embêté. "

Orion venait de raconter sa vie à sa voisine. Plongé dans son histoire le jeune homme n'avait pas regardé une seule fois la vieille femme. Tandis qu'une odeur de cochon grillé lui caressait les narines, il se tourna en sa direction. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir un petit tas de cendres là où se tenait sa voisine il y a encore quelques minutes.
L’hôtesse souriante arriva quelques secondes plus tard.

" - Elle en a eu marre de vous écouter et a préféré brûler vive. "

Comment Orion ne l'avait-il pas remarqué ? Commençait-il a devenir comme les habitants de ce Royaume ? À quelques pas de lui, une deuxième hôtesse passait distribuer des boissons chaudes.

" - Du sucre dans votre café Madame ?
- Non merci, je le prends noir. Comme mes hommes.
- Que venez vous faire dans notre Royaume ?
- En tant que marine je viens attaquer des positions révolutionnaires par le nord à 22h37.
- Et quand repartez-vous ?
- Je n'ai pas le droit de vous le dire... C'est top-secret. "

Pendant ce temps, Orion avait changé de place et avait commencé à raconter son histoire à une nouvelle personne. Cette dernière ne se retint que quelques minutes avant de plonger hors de la navette, dans la mer, sans aucun gilet de sauvetage. Devant cette hécatombe, On proposa à Orion et un jeune petit garçon d'aller voir la cabine du capitaine. Ce dernier était un vieux octogénaire qui semblait ravi d'avoir un peu de compagnie.

" - On m'a dis que tu aimais les bateaux Joe ? Tiens c'est pour toi. "

Le vieil homme tendit ses mains ridées et tâchées dans lesquelles se trouvaient un bateau en plastique. Le petit garçon fut ravi. Orion souhaitait interroger le capitaine, mais ce dernier l’ignora complètement.

" - Dis-moi Joe, tu as déjà vu la cabine d'un capitaine ?
- Non monsieur.
- Et est-ce que tu aimes les films de gladiateurs ? "

Pourquoi les mains caleuses de ce vieillard étaient posés sur les épaules du garçon ?

" - Tu as déjà été dans une salle de gymnastique ? "

S'en fut trop pour Orion qui, prenant la main du garçon, sorti de la cabine. Hors de question de prendre le moindre risque. Après, dans ce royaume de fous, ces questions étaient surement anodines. L’hôtesse interrompit ses pensées.

" - Merci d'aller vous rassoir à votre place. "

La passagère à côté d'Orion semblait vraiment malade. La peau pâle, cette dernière ne parlait plus, se contentant de lâcher de longs râles. Heureusement, un médecin se trouvait parmi les passagers de la navette. Un médecin absurdien toutefois...

" - Tirez la langue s'il vous plait. "

Tandis que la jeune femme s’exécuta, l'homme lui ausculta les yeux. Orion, qui priait pour que ça ne soit pas contagieux, ne pouvait détacher son regard de cette auscultation ubuesque. Alors que le médecin mit ses doigts dans la bouche de la patiente, il en retira un œuf. Orion était ébahi mais ça ne s'arrêta pas là. Le médecin en extrait un autre, puis un autre. Le spectacle continua ainsi de longue minute.

" - Qu'en pensez-vous docteur ?
- Je pense donc je suis...
- Hein ?
- Je suis docteur en philosophie. Et non en médecine.
- ...
- Nous allons devoir l'emmener dans l’hôpital le plus proche. Et rapidement."

Le jeune se mit à paniquer, craignant d'avoir lui aussi attrapé cette étrange maladie.

" - À l'hôpital ? Mais de quoi s'agit-il ?!
- Un hôpital est une grande maison avec pleins de malades. Mais là n'est pas la question. "

Orion, d'un naturel si gentil, se retint de ne pas lui écraser son poing dans la face. Le médecin s'approcha de l’hôtesse.

" - Je dois parler au capitaine de toute urgence. "

La petite troupe retourna donc dans la cabine du capitaine. Orion les suivit sans leur demander leur avis, cela ne sembla pas les gêner le moins du monde.

" - Capitaine nous avons un problème. De plus en plus de passagers se sentent souffrants. Ils ont été mortellement empoissonnés par un plateau de repas bon marché.
- Seigneur...
- Nous avions le choix entre poisson et boeuf. Tout ceux qui ont mangé de la carpe vont mourir dans les heures qui viennent.
- J'ai pris de la dinde...
- Toutes mes condoléances. Le symptômes sont les suivants : fièvre, gorge sèche, vertiges, démangeaisons, spasmes musculaires, vertiges, jets de bave et flatulences gênantes. "

Tout au long de son explication, le capitaine avait reproduit chacun d'entre eux. Une fois que le médecin eut terminé de parler, le capitaine était raide mort.

Le médecin se tourna vers le second, raide mort également. Il ne restait plus que l'hôtesse.

" - Quand pourrons nous accoster ?
- Je ne sais pas, c'est délicat.
- Je suis docteur en philosophie spécialisé en musique, vous pouvez tout me dire.
- Je ne suis pas capitaine...
- Dans ce cas, donnez moi un chiffre au hasard.
- Deux heures.
- Vous me donnerez votre réponse dans deux heures ? Ou deux heures est votre réponse ?
- Nous ne pourrons pas accoster avant 2 heures. "

Orion se croyait dans un film. Désormais les évènements qui se déroulaient sous ses yeux ne l'inquiétaient plus. Il était persuadé qu'il s'agissait là du quotidien du Royaume de l’absurde et que tout se passerait bien. Sortant du pop-corn de nul part, le jeune homme se mit à en grignoter, continuant de suivre la conversation entre le docteur et l’hôtesse.

" - Nous allons devoir enclencher le capitaine automatique. Ce dernier est conçu pour prendre la barre en cas de décès du capitaine et de son second. "

La jeune femme s'approcha d'un fauteuil, appuya sur un bouton qui permis à une poupée gonflable à taille humaine de sortir d'un tiroir.

" - Pour gonfler le capitaine automatique je dois souffler dans un tube rose qui se trouve sous sa ceinture. Je vous laisse rassurer les autres passagers. Désormais tout est derrière nous. "

Quelques heures plus tard, la navette parvint enfin à destination. Orion monta avec précipitation dans le navire de la translinéenne et paya le capitaine pour avancer l'heure du départ. Le jeune homme ne souhaitait pas rester une minute de plus dans ce Royaume de fous. Tandis qu'il s'éloignait des cotes, Orion retrouva dans ses poches l'un des œufs recrachés par sa voisine. Il décida de le conserver comme souvenir, le plaçant à côté du jeton de la fête foraine d'Innocent Island.

Se faisant la promesse de ne plus jamais revenir, Orion regagna le large avec allégresse.