Abyssus abyssus invocat.
Un craquement sinistre, une chute lourde. Le début d’un cri, la main qui ripe contre la planche sans pour autant s’en saisir. L’assassin pivote, se retrouve face aux hommes ornés de son funeste emblème, tandis que le tortionnaire chute, toujours sa corde dans la main. Il tire alors d’un coup sec, tentant d’emporter l’Auditore avec lui, mais celui-ci amortit le choc en s’aplatissant sur la palanque qui craque sous le poids combiné des deux hommes. Puis il dégaine sa lame secrète encore en état, et la place contre sa gorge pour se libérer. La corde de chanvre cède, mais il est trop tard. La planche gémit une dernière fois et cède, les projetant tout deux dans le vide. L’assassin tente une dernière fois de se rattraper mais il est trop tard, seules les abysses s’offrent à lui. Sans un cri, il disparaît dans l’oubli.
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Les montagnes s’étalaient là, après les ruines d’une antique cité. L’homme n’avait apparemment pas menti, mais on n’était jamais trop prudent. Un blizzard glacial commençait à se lever, pressant l’assassin à se trouver un abri pour la nuit. Il rajusta sa houppelande puis s’engouffra dans ce qui semblait être une alcôve rocheuse. Les restes d’un feu lui indiquait que ce point avait déjà servi, à un groupe de deux ou trois personnes, à en voir les diverses traces restant ça et là. Il s’assit donc en tailleur, et tira de son sac quelques maigres rations séchées. Il n’avait plus le temps d’aller chercher de quoi se sustenter, ainsi il devrait faire avec. Il tira sa cape en laine sur lui et se cala dans un coin au sec pour la nuit. À l’abri de la fureur des éléments, il n’aurait pas froid ce soir. La nuit se passa sans encombre, si on omettait les quelques bêtes sauvages qui étaient passées par là, flairant une quelconque odeur de nourriture, mais elles avaient rebroussé leur chemin en rencontrant la rapière tirée au clair de Rafaelo. Il ne dormit que très peu cette nuit là, sa haine lui procurait un sommeil agité entrecoupé de rêves étranges et désagréables. Il retira de cette nuit une sensation harassante de fatigue et il était courbaturé, certainement des efforts de la veille. Il avait marché à une vitesse plus que raisonnable à travers les sentiers tortueux des ruines, après être passé par une lande désertique et n’avait pas dormi la nuit précédant son départ, trop occupé à masquer ses crimes aux yeux de la cité. Il se réveilla donc à l’aube, et prit à peine le temps de remballer ses affaires avant de se remettre en route. Il mordit dans une ration de viande séchée, estimant que cela suffirait pour la matinée puis se rua à l’assaut de la montagne, attachant surement tout son attirail à son sac. Puis il s’assura une prise, et une seconde. Il avait repéré en ces lieux la montagne la plus haute du comté, et en gagnant son sommet, il serait à même de découvrir aisément la planque de ceux qu’il traquait. Il s’élança alors à l’assaut de Dame Nature, profitant d’une accalmie de sa fureur. Il atteindrait le sommet avant le début d’après midi, n’était-il pas un grimpeur hors pair après tout ?
La vue du sommet de ce mont était magnifique, on distinguait au loin la cité blanche, qu’il avait visité l’avant-veille, ainsi que des lieues de montagnes enneigées. Il y faisait un froid mordant, mais l’effort avait réchauffé l’assassin, à tel point qu’il aurait volontiers ôté quelques uns de ses vêtements mais il était concentré sur le spectacle qui s’offrait à lui. Au centre d’une vallée se dressait un promontoire en pierre où un trônait un immense édifice en pierre, un château des plus majestueux, l’air malheureusement bien peu entretenu. Le Soleil l’éclairait à moitié, mais le contraste de ce matin hivernal sur les contreforts rocheux était admirables. Il reconnaissait là un style gothique qui n’était pas sans lui rappeler quelque chose, et les remparts du bastion se jetaient dans le vide. Il approchait de son but, après tant d’efforts, le voilà récompensé. Il ne fallait surtout pas se relâcher, la phase ardue du voyage commençait à peine. Il avait su jouer de l’effet de surprise, de ses talents jusqu’à présent mais s’attaquer à une organisation entière était risqué. Le jeu en valait cependant la chandelle, et il aurait mis n’importe quelle vie dans la balance si cela pouvait encore sauver Césare. Trop de mois s’étaient écoulés, trop de temps mais il subsistait un espoir : il pouvait encore être emprisonné, et sa volonté de fer le préserverait. L’assassin se laissa alors glisser de son promontoire, plus que quelques centaines de mètres et il y serait, mais la structure était telle qu’il ne pouvait envisager d’entrer autrement que par la grande porte. Ses qualités de grimpeur étaient exceptionnelles, mais il n’était pas encore capable de voler. Non, il ferait fi de tout ses enseignements et se reposerait uniquement sur ses capacités martiales, il n’avait jamais été défait par autre que Césare, il était un expert du corps à corps et feinter ne se faisait pas que dans l’ombre. Il était Il Assassino, et il pouvait tuer en regardant ses cibles droit dans les yeux. Il s’avancerait donc, fier et droit comme son honneur le devait. Il laverait l’affront dans le sang et récupèrerait ce qui l’intéressait, le Moku Moku no mie.
Les nuages masquaient le Soleil et un crépuscule durable s’étendait sur la citadelle. Rafaelo se tenait là, dans une sorte de plaine aménagée pour le passage d’hommes et de marchandises, entourée de petites falaises et un large chemin se dessinait entre deux pans de roche. Il regard à gauche, puis à droite et avança jusqu’au milieu de la petite place. Pas âme qui vive, aucune homme ne s’avançant pour le cueillir. Etaient-ils si mal organisés qu’ils n’étaient pas même aptes à le voir, et à découvrir la mort de deux des leurs ? Soudain, un trait siffla d’en haut et un impact douloureux cueillit l’assassin à l’épaule gauche. Il se recula d’un pas et attrapa la flèche qui venait de se planter dans les plaques protectrices de son armure, à gauche. Il esquissa une grimace et observa les environs, levant son regard sur les falaises. Une quantité impressionnante d’hommes vint alors se masser là et, parmi eux, un homme au crâne rasé vint le toiser. Une cicatrice marquait ses lèvres, découvrant ses dents en un rictus écœurant. Ses yeux de rats détaillaient l’assassin, mais on pouvait sentir la satisfaction qu’il éprouvait à découvrir ainsi cette nouvelle proie entre ses mains, sûr qu’il était de sa puissance. Quelques sbires s’aventurèrent alors sur la place, armés de pics et de hallebardes, décidés à en finir avec ce misérable homme venu seul les affronter. Toujours sa main sur la flèche, Rafaelo ôta ce pieu qui le dérangeait, tout en dégrafant son encombrante cape en laine. Il se rua alors sur un des impudents et l’écrasa de son poids, appuyant ses talons sur son torse. Il roula par-dessus lui puis évita une première attaque, exécutant un pas sur le côté, d’un autre homme. Il écarta sa hallebarde d’une main tout en le tirant vers le bas de l’autre. Le forçant à se baisser, il posa son dos sur le sien et passa au dessus de lui. Tout en se remettant d’aplomb, il para une attaque d’un troisième homme en bloquant l’arme de sa main directrice puis écrasa sa pomme d’Adam, le condamnant à agoniser douloureusement. Il récupéra alors l’arme, pivota et l’enfonça dans l’abdomen d’un imprudent puis intercepta une attaque à l’épée et retourna celle-ci pour parer un autre coup. Il dégagea son opposant d’un coup de pied puis fit une clef de bras au possesseur de l’arme qu’il venait de s’accaparer afin de lui perforer le torse dans une gerbe de sang. Se baissant de justesse, il évita alors une hallebarde tranchant horizontalement et se décale sur le côté, saisissant la tête de son adversaire entre ses mains. D’un geste, il lui brisa la nuque mais il n’eut pas même le temps de tomber que déjà Rafaelo se ruait sur un autre, mais un plus malin se saisit de lui par derrière et tenta de lui bloquer les bras. Lâchant un léger rire moqueur, l’assassin se décala sur le côté et l’homme se prit le coup de taille qui lui était destiné puis il assomma le malheureux qui venait de tuer son comparse d’un coup de tête. Il para encore un coup de son avant-bras puis assomma un autre homme d’un direct du droit avant d’intercepter un nouveau coup d’épée et d’empaler son propriétaire sur sa propre arme d’une simple passade. Il évita encore deux attaques avec un placement millimétré puis saisit un homme et le jeta au milieu de ses alliés pour se laisser une seconde de répit. Il toisa alors la marée grouillante qui se tenait face à lui puis, écartant les deux bras, il dégaina ses deux lames secrètes, leur souriant malicieusement. Deux tentèrent alors de le prendre en tenaille, mais c’était sans compter la dextérité de l’assassin qui les tua de ses armes, l’un à la gorge, l’autre au ventre. Soudain, alors qu’il se reculait, un ombre immaculée surgit au coin de son esprit …
… Rafaelo demeura un instant interdit, dévisageant cette silhouette translucide et à l’apparence si semblable. Il ouvrit la bouche mais resta muet alors que cette forme blanche se glissait parmi les rangs de ses ennemis. Son cœur s’emporta soudain alors que le fantôme avançait en direction de la forteresse. Sa volonté vacilla un instant, et il perdit sa concentration. Césare ? Aucun doute, c’était bien lui sous le couvert de cette capuche …
… Un épéiste des plus avisé tenta alors sa chance et attaqua l’assassin de front alors que tous avaient reculés ; il regardait ailleurs, c’était le moment ! Ce dernier ne vit le coup qu’au dernier moment et leva un bras hasardeux pour se protéger, mais l’arme porta en plein sur l’armature de sa lame secrète droite et cette dernière vola en éclat, projetant le jeune Auditore à terre. Il atterrit douloureusement et releva sa tête, exécutant un geste pour se relever mais malheureusement pour lui, la cinquantaine d’homme l’encerclait déjà, armes pointées vers lui. L’assassin grimaça et soupira longuement. Ainsi donc il avait échoué. Tout était fini. Il se raidit dans l’attente d’un coup fatal, et toute sa haine défila devant ses yeux, tous les motifs de rancœur et de vengeance qu’il nourrissait depuis des siècles. Etait-ce là sa vie ? Se résumait-elle à ce piètre constat ? Nul amour, si ce n’était celui qu’il nourrissait pour son frère, nulle femme ne l’attendrait. Pourquoi s’intéresser à ce futile détail en un instant aussi périlleux, aussi improbable ? Lui, l’assassin des rois, celui qui devait imposer sa loi à tous les blues allait disparaître dans ce coin miteux, et pour quoi ? Car il n’avait pas même su garder sa concentration pendant ce combat. Il avait faillit à la première leçon que la Volpe lui avait enseigné. Pitoyable. Il leva un regard dur envers ceux qui allaient l’achever, mais au lieu de ça, les rangs s’écartèrent, révélant l’étrange homme à la cicatrice qui avait surveillé le combat d’en haut. Rafaelo le dévisagea longtemps et s’aperçut qu’il portait une boucle de ceinture imitant en taille réduite la sienne, ainsi que divers symboles liés d’un peu trop près au passé des Auditore. Il fit un signe de tête à ses hommes.
« Ôtez-lui ses armes, vérifiez bien dans chaque recoin de ses vêtements, nous avons affaire à un authentique assassin, un véritable Auditore. » ordonna-t-il, d’une voix rêche et cassante.
Rafaelo plissa les yeux et se laissa relever par les soldats, pendant qu’ils lui ôtaient son ceinturon et se armes apparentes. Il se laissa rudoyer puis accepta son broncher qu’on lui fouille les bottes. Lorsque la corde fut apportée, il avança ses poignets et laissa les sbires de cet étrange personnage lui attacher les mains. Ils lui attachèrent par devant, prenant soin de lui préciser que s’il jouait à dégainer sa dague, elle lui perforerait la main avant tout. L’assassin resta de marbre, mais avança lorsque celui qui semblait diriger la troupe lui fit signe. Il baissa volontairement le haut du crâne, afin que personne ici ne puisse voir son visage mais c’était certainement peu utile : comment connaissait-il son nom ?! Il étouffa une bouffée de haine quant à tous les scénarios plausibles qui lui passaient par la tête, les écartant car le tenant trop à cœur, puis se laissa guider après une inspection en détail. L’un des sbires lui donna un violent coup dans l’épaule, qu’il accepta sans broncher. Il rongeait son frein et se demandait pourquoi on le gardait encore en vie. Etait-ce parce qu’il était un ‘véritable Auditore’ ? La réponse lui vint assez vite, car alors qu’ils marchaient encore vers le château, l’homme à la cicatrice lui parla sur un ton un peu trop amical.
« Federico Borgia. Je suis étonné de voir qu’il existe encore des gens de ta famille, mon gars … on pensait les avoir tous éradiqués avec cette foutue montée Révolutionnaire il ya une vingtaine d’année. » se gaussa-t-il, profitant de la jouissance que sa situation lui procurait.
« Je suis le fils d'un de ceux qui se sont occupés de tous les anéantir dans les blues, ces maudits assassins nous ont donné pas mal de fil à retordre, tu sais, mais il est plaisant de voir que les vieilles habitudes ont la vie dure. J’ai jamais pris autant de plaisir qu’à chasser tes amis avec mon paternel. Enfin, ta famille, c’est ça ? Ah ah ah ! » continua-t-il, devant le silence de son interlocuteur.
Assassins. Oui, ça il le savait, que tous les Auditore avaient servi le peuple depuis des décennies. Il savait que ses parents avaient été massacrés, mais que des hommes les avaient pris en chasse depuis des lustres, ça non. Quel étrange hasard, que ce répugnant personnage soit justement celui qui détienne ce que l’assassin était venu chercher. Mais il tenait là un édifice de la mémoire ancestrale de sa famille, et il était bien décidé à la laisser parler le plus longtemps possible sans l’interrompre, c’est qu’il était bavard, cet imbécile. Il pensait énerver ainsi l’assassin, et il n’avait pas tout à fait tort, mais cela laissait surtout à Rafaelo le temps d’élaborer une stratégie pour se sortir de ce guêpier. Il lui était évident à présent qu’il n’avait été épargné que pour souffrir encore plus, dans les heures ou jours à venir. À moins qu’ils l’aient délibérément attiré par ici ?
« Récemment, nous avons appris que de nouveaux assassins couraient les rues, arborant ce symbole … tu vois tous ces petits ornements sur moi ? Ce sont toutes les vies Auditore que j’ai pris, mon gars, hé hé hé ! » continua-t-il de se moquer.
L’assassin serra fortement les dents, tentant de ne pas réagir violemment à cette vilénie , et conserva un profil bas, poussant son adversaire à lui en apprendre plus, même si cela était désagréable.
« Mais que dans les blues, tu vois ? Alors je suis venu ici, ou plutôt j’ai pas eu le choix. Pas content les copains du paternel que je traque ouvertement tous ces petits merdeux encapuchonnés … mais toi, t’es venu à moi. Il Assassino, depuis le temps que je te cherchais. Le fils de Giovanni, le seul et l’unique Césare ! Ah ah ah ! Et oui, je connais ta véritable identité, ça t’embouche un coin ? Ça doit faire depuis des lustres que mes hommes t’ont repéré, dans la ville à arborer ce symbole. Et l’armure de ton défunt père. Pas trop discret, quand on l’a déjà vue, n’est-ce pas ? Surtout quand tu l’as chopée à quelqu’un qui m’était cher … à mon père, petite vermine. » termina-t-il, s’arrêtant là.
La troupe fit de même. Ainsi ce misérable rat était celui-ci qui se pensait responsable de la disparition d’assassins de la Confrérie, de temps à autres ? Et il était le fils de ce Colonel boiteux, qui avait participé à la mort de son père, Giovanni Di Auditore ? La rage faillit prendre le contrôle de Rafaelo, mais il se contrôla de justesse. Tous les hommes durent sentir ses pulsions de meurtre car plus d’une dizaine dégainèrent leurs armes. Federico les stoppa puis il ôta son gant, et caressa amoureusement la bague qui y trônait, représentant une croix grossièrement taillée. Il colla alors une baffe du revers de la main à Rafaelo, qui ne bougea pas sous la violence du coup. Il sentit sa lèvre éclater, et le sang ruisseler mais il garda la tête sur le côté, ignorant l’attaque de cette vermine. Tout comme son père, il ne valait rien. De plus, il avait été rétrogradé, voir même destitué car il n’arborait plus les emblèmes de la Marine. Son père était peut être la dernière chose qui lui avait permis de s’intégrer, mais sa chasse des assassins n’était due qu’à son désir de gibier, non pas guidé par un quelconque sens de l’honneur de la justice. Un porc parmi les hommes, une honte. L’assassin ne lui ferait pas l’honneur de répliquer. Federico parut le remarquer, mais il fit comme si de rien n’était. Il se retourna alors brusquement, et un étrange détail attira l’attention de Rafaelo, une petite clef en or, pendue à sa bourse. Le sang de Rafaelo ne fit qu’un tour. Qui disait clef, disait trésor, ou même appartements … il sauta alors sur Federico et le mit à terre d’un coup d’épaule. Se baissant, il roula sur lui, et lui asséna un coup de talon sur l’arrière du crâne puis se releva dans le même temps. La cinquantaine de sous-fifre se mit alors en branle et tous dégainèrent leurs armes, encerclant de nouveau l’assassin. Celui-ci crispa sa mâchoire et les dévisagea d’un air hargneux tandis que le Borgia se relevait, saignant abondamment du crâne. Une lueur de rage trônait au fond de ses yeux enfoncés, et il s’approcha de l’assassin, en le montrant du doigt, tout en gardant ses distances.
« Toi, je te jure que tu vas souffrir ! Tout comme j’ai fais souffrir chacun de tes camarades avant de les achever ! Tu pendras au bout d’une corde, mais tu vas couiner et pleurer pour ta misérable petite vie, Auditore ! » fulmina-t-il, essuyant tant bien que mal sa blessure.
« Amenez le dans le donjon, et assurez vous qu’il ne soit plus en état de marcher librement ! » hurla-t-il, à l’attention de ses hommes.
L’assassin lui offrit un sourire moqueur en passant devant lui, tandis qu’un des soldats le faisait avancer de la pointe de sa lance en direction du château. Le contact du métal glacé de la petite clef contre sa langue était lourd de promesses. Rirait bien qui rirait le dernier.
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Rafaelo se massa les poignets, enfin libéré de ses liens. Trois gardes gisaient à ses pieds. Après une dizaine de minutes de passage à tabac, il avait joué le mort. Bande d’imbéciles, c’est toujours de la pointe de l’épée qu’il faut bouger un présumé cadavre, pas se pencher dessus. L’assassin avait tué le premier garde net puis en avait terminé avec les deux autres en quelques secondes, avant même qu’ils ne puissent donner l’alerte. Peu importait, il fallait faire vite. Il poussa la porte de sa cellule doucement puis jeta un regard à droite, et à gauche. Il était parcouru de contusions mais cela lui importait peu. Il avait un seul but à accomplir, et il ne reculerait devant rien : il avait déjà vécu pire. Il s’engouffra alors dans le couloir et se faufila dans le premier escalier qu’il découvrit. Il faillit ainsi atterrir dans la cour mais réussit à se dissimuler dans une alcôve avant de se laisser emporter par son élan. Il poussa une porte puis découvrit ce qui ressemblait à un nouvel escalier et le gravit rapidement. Il dut, à son sommet, éliminer un nouveau garde en silence mais rien ne semblait perturber sa folle escapade. Il était tant obnubilé par celle-ci qu’il en avait même oublié la vision qu’il avait eu de Césare un peu plus tôt. Ainsi, après cinq minutes de courses effrénée, et une dizaine de morts, l’assassin finit par parvenir dans ce qui semblait être une des pièces les plus riches de l’endroit. Il avait reconnu tout le long de son parcours de nombreuses armoiries ayant autrefois appartenu à sa famille, ce bastion était à n’en pas douter un vestige Auditore. Peu importait. D’un coup de pied, il défonça la porte, n’ayant cure d’alerter une quelconque personne, les cadavres s’en seraient déjà chargés à priori. Il s’engouffra dans la pièce et se dirigea vers le bureau. Il découvrit alors, à côté de celui-ci, un petit coffre en acier, présentant une serrure en or. Il tira alors la langue et s’empara de la clef puis la fit doucement glisser dans l’encoche et tourna. Le mécanisme s’actionna et le couvercle se releva pour laisser apparaître une forme rugueuse et spiralée de couleur grise. Une sorte de fruit ésotérique trônait là, un sourire s’épancha sur la face de l’assassin, son cœur manqua un battement. Il était là ! Ce fruit tant recherché, tant désiré ! Le Moku Moku no mie ! Bien au chaud dans les appartements de Federico Borgia ! L’assassin le caressa langoureusement du bout des doigts lorsque des éclats de vois résonnèrent dans le couloir, puis ce fût un cri alerté. Rafaelo se retourna brusquement, que faire ?!
« Il est là ! On l’a trouvé ! Dans le bureau de Federico, vite ! » hurla un des bandits.
Il entra alors dans le bureau pour trouver l’assassin enjambant à moitié la rambarde. Le coffre était refermé, mais le bureau était dans un sale état. Le soldat pointa alors son fusil sur l’assassin. Rafaelo regarda le vide qui s’offrait sous lui, puis le canon et déglutit bruyamment. Bien. Il n’avait donc pas le choix. Il soupira puis leva les deux mains et revint à l’intérieur de la pièce. Ce fut à ce moment précis que Federico débarqua dans sa chambre, en trombe. Il regarda l’assassin, son coffre, puis revint à Rafaelo. Un léger sourire trôna alors sur son visage. Il fit signe à l’assassin de s’avancer. Ce dernier s’exécuta et offrit un petit sourire amusé au Borgia.
« Tu pensais pouvoir t’enfuir comme ça ? Non, tu n’as fait qu’attiser ma colère, assassin imbécile. Je t’assure que tu vas passer un sale quart d’heure, mon gars … Préparez sa corde, j’en ai assez de lui. Mais avant ça … » ordonna-t-il avant d’ôter son gant.
Federico s’approcha de Rafaelo et s’assura que ses hommes le ceinturaient avant de lui décocher un violent coup de poing en pleine tempe. Sous le choc, l’assassin posa un genou à terre, puis le Borgia réitéra son attaque une deuxième puis une troisième fois, puis se fut le trou noir. Avant de s’effondrer, l’assassin parut hoqueter quelques mots mais il s’affala les yeux écarquillés, comme s’il ne comprenait pas. Puis ce fut le trou noir.
L’assassin revint à lui à terre, alors que quelques gardes lui attachaient les poignets. Il se laissa soulever alors que le brouillard s’amenuisait petit à petit autour de lui. Il en retirait un mal de tête terrible, mais il était vivant, et de ce fait il y avait encore de l’espoir. Il failli reperdre conscience plusieurs fois, alors qu’on le trainait à terre, mais à chaque fois, l’air frais le revigorait un petit peu plus jusqu’à arriver en face de Federico Borgia, qui l’accueillit avec un air empreint de méfiance et de colère à la fois. Il tenait dans sa main une corde en chanvre tressée se terminant par un nœud coulant. Ainsi, c’était comme cela que tout se terminait ? Rafaelo donna un coup d’épaule à un des soldats qui le soutenait puis se releva. Plusieurs tirèrent leurs armes, mais Federico leur intima de les rengainer d’un geste. Il laissa passer l’assassin devant lui, lui adressant un moue haineuse. Rafaelo s’avança seul sur la palanque surplombant le vide, ne voulant pas laisser l’honneur à ses ennemis de le guider à la mort. Le Borgia le poussa néanmoins en avant mais il accusa le coup sans broncher. Il inspira un grand coup lorsqu’une nouvelle fois, le fantôme de son frère s’imposa à lui. Il marchait sans peur sur une palanque voisine et surplombait le vide avec une grâce inégalée. Mais quel était donc ce pressentiment qui ne cessait de le presser depuis ce début de journée ? L’assassin cligna des yeux et alors l’apparition s’en alla, tout comme elle était venue. Le cri d’un rapace résonna alors dans les cieux, et il cru apercevoir l’ombre d’un aigle, au loin. Un aigle Royal, l’Empereur des cieux … Cette pensée lui tira un sourire amusé, tandis que Federico passait derrière lui. Il lui attrapa la capuche et la tira vers le bas, révélant à tous le visage de Rafaelo. L’air frais et le vent cueillirent celui-ci de plein fouet et un air soucieux se peignit sur ses traits, comme si ses pensées étaient occupées ailleurs. Il passa le nœud coulant autour de la nuque de l’assassin puis le resserra doucement alors que le regard de l’assassin se déporta lentement vers la gauche. Soudain, Rafaelo se retourna et colla un coup de coude à Federico, le projetant dans le vide. Celui-ci commença à glisser mais déjà, l’assassin avait coupé les liens de son poignet avec lesquels il jouait depuis quelques instants déjà. Ils étaient un peu trop lâches pour le retenir éternellement. Et soudain …
… un craquement sinistre, une chute lourde. Le début d’un cri, la main qui ripe contre la planche sans pour autant s’en saisir. L’assassin pivote, se retrouve face aux hommes ornés de son funeste emblème, tandis que le tortionnaire chute, toujours la corde dans la main. Il tire alors d’un coup sec, tentant d’emporter l’Auditore avec lui, mais celui-ci amorti le choc en s’aplatissant sur la palanque qui craque sous le poids combiné des deux hommes. Puis il dégaine sa lame secrète encore en état, et la place contre sa gorge pour se libérer. La corde de chanvre cède, mais il est trop tard. La planche gémit une dernière fois et cède, les projetant tout deux dans le vide. L’assassin tente une dernière fois de se rattraper mais il est trop tard, seules les abysses s’offrent à lui. Sans un cri, il disparaît dans l’oubli …
… les ténèbres. Mais un sourire se peignit sur ses traits, alors que Federico hurlait de peur. Seule la première bouchée procurait les effets. Le reste du fruit était insipide, pourquoi donc s’en préoccuper ? La face inférieure du fruit était marquée d’une profonde morsure, mais on ne pouvait le voir si on ne retournait pas le fruit. L’assassin éclata de rire, même Césare n’avait pas été capable de maîtriser son fruit dès la première fois, alors pourquoi s’étonner qu’il soit si facile de le blesser alors qu’il venait de l’ingérer ? Rafaelo écarta alors les bras et accueillit le vide qui s’étalait sous lui comme une promesse. Il ferma les yeux et se laissa porter par les vents puis ce fut le son d’un choc. Un bruit sec, craquant. Puis vint le sien. Pas douloureux, non, mais lourd. L’assassin ouvrit les yeux et regarda ses mains. Elles avaient disparues, seule restait cette impénétrable fumée qui s’épanchait au fond du gouffre. Puis, soudain, il se recomposa et la fumée se mua en un tourbillon argenté qui se condensa en dessous de lui et il vit ses membres se reformer un à un, puis les couleurs revenir. En quelques secondes, l’apparent brouillard avait disparu pour laisser place au corps de Federico, agonisant, et à Rafaelo entièrement reconstitué. Celui-ci déroula plusieurs fois ses doigts avant d’être rappelé à la réalité par un toussotement de la part de l’homme qui avait tenté de le tuer. L’assassin remit sa capuche sur sa tête, puis s’approcha de lui, avec un sourire victorieux.
« Tu ne mourras pas de ma main, Borgia. Contemple donc le don que tu viens de me faire, me voilà encore plus armé que je ne l’ai jamais été. Tu ne mérites pas que je m’attarde sur ton cas, mais sache que je traquerais et tuerais tous les tiens, tout comme vous avez tenté de détruire ma famille. Que la dernière image que tu contempleras soit celle d’un Auditore, penché sur ton corps brisé. Avec un peu de chance, ton agonie durera, et les charognards se disputeront ta carcasse encore vive. Mais avant de périr, sache que mon nom est Rafaelo, et Césare celui de mon frère. Et seulement ensembles, nous sommes Il Assassino. » lâcha-t-il, avant de se détourner de l’homme qui tentait de lever une main mendiante vers lui.
Federico avait certainement la colonne brisé, et une grave hémorragie interne vu la gravité de la chute, c’était déjà un miracle qu’il ne soit pas mort tout de suite. Mais bientôt ses hommes viendrait le chercher. Vraiment dommage qu’ils aient vu le visage de Rafaelo. Vraiment. L’assassin ramassa sa rapière, gisant aux côtés du Borgia puis se mit en quête d’un chemin pour sortir du gouffre. Il n’avait pas de temps à perdre, cinquante têtes attendaient encore de tomber pour lui. Un seul chemin, une seule voie s’offrait à lui : il devait suivre le fond du ravin ou l’escalader. Bien sûr, il était libéré de la crainte de tomber, à présent, mais il ne désirait pas perdre de temps. Ainsi son élément était la fumée, du moins c’était ce qui en paraissait. Il regarda sa main, un instant, puis tenta de retrouver le même état d’esprit que précédemment et fouetta l’air de son bras. Alors qu’il percevait en lui une sorte d’harmonie, un lien imperceptible avec ce nouvel état, son bras disparut dans une gerbe de fumée, s’entendit puis redevint tel qu’il était. L’assassin caressa ensuite son membre et se rendit compte qu’il s’était arrêté pour contempler cette nouvelle force. Cela n’avait rien à voir avec ce que Césare avait fait, rien du tout ! Il ne s’était jamais aussi bien senti aussi bien, c’était incroyable. Comme si un nouveau monde s’offrait à lui, il se sentait comme complet. Il avait tant attendu ce moment, et ce depuis six mois. Un frisson de plaisir parcouru son échine, alors qu’il entamait une légère côté, à gravir. Il découvrit là un escalier aménagé, certainement à fin d’évacuer les restes des hommes jetés à bas, ou de les dépouiller de leurs dernières richesses. L’assassin n’avait en effet pas aperçu de cadavre humain au fond de ce ravin, cela ne l’avait pas interpellé sur l’instant. Les Borgias montraient donc un certain respect aux morts ? Voilà qui étonnait bien l’assassin. Il haussa les épaules en gravissant les marches sensées le mener vers le château. Il ne pouvait apercevoir le sommet de là, ainsi personne ne devait savoir qu’il était mort. Il avait ainsi tout le loisir de se questionner sur l’étendue de son nouveau pouvoir . Maintenant, il ne pourrait plus jamais se baigner dans la mer, et serait extrêmement sensible au contact du Granit Marin, une légère compensation à ses yeux, puisqu’il ne quittait jamais la terre ferme. Peut être même pourrait-il développer un moyen de voler avec ce pouvoir. Se transformer en fumée ? Jouer sur les courants ascendants ou autres … Non, pas vraiment l’endroit rêvé pour essayer cela. Ces nouvelles capacités demanderaient énormément de travail de sa part, mais il s’en réjouissait par avance, il était presque l’égal d’un Dieu maintenant. Non, ceci n’était que prétention. Il était devenu fort, intouchable pour ainsi dire, sauf par quelques détenteurs d’artifices rarissimes. Ou, du moins, il le deviendrait s’il s’entraînait assez. Être capable d’activer automatiquement ses pouvoirs, faire en sorte que rien de matériel ne puisse le toucher … se désincarner et frapper dans la nuit. Il était en quelque sorte l’assassin ultime, celui qui mettrait à bas le Gouvernement ! Un nouveau frisson d’extase le parcouru, alors qu’il arrivait en haut des marches. Pas un seul bruit, rien. Etrange que personne ne se soit rué au secours de leur chef tombé au fond du gouffre. Peut-être qu’ils n’étaient pas aussi solidaires que cela après tout. Rafaelo arriva juste à côté de l’esplanade où il avait combattu quelques heures plus tôt. Il se sentait en parfaite santé à présent, et même sa lèvre semblait s’être guérie d’elle-même. Le fruit avait donc tout remis en ordre ? Peut être. Il gravit donc les derniers mètres épée au poing lorsque l’incohérence de la situation lui apparut de plein fouet. Pas un seul bruit, et voilà plus de vingt minutes qu’il était tombé. Personne d’affolé, personne qui ne reprenait la situation en main. L’assassin pressa le pas, puis il se mit à courir. Ce silence pesant l’inquiétait. Il arriva alors au milieu de la cour du château, où personne ne trônait non plus. Avaient-ils tous fuit ? Non, c’était insensé, pourquoi s’échapper alors qu’aucun danger ne les guettait ?
Fouillant dans ce qui semblait être le coffre où on avait enfermé ses affaires, juste à côté de sa geôle, Rafaelo récupéra sa ceinture et constata avec dépit que cinq dagues manquaient. De même, sa réserve de poudre avait été dérobée, tout comme une de ses bombes fumigènes. Son épée courte était toujours par contre. L’assassin fixa le tout et s’avança discrètement vers l’escalier sensé le mener jusqu’en haut du bastion. Soudain, il lui sembla entendre un léger éclat de voix. Il se figea un instant, se plaqua contre le mur. Il posa doucement le pied contre la marche puis entama une montée silencieuse. Il arriva ainsi au niveau de la salle d’où on avait voulu le pendre quelques dizaine de minutes plus tôt et aperçut la totalité des Borgia restant pieds et poings liés, sauf quelques uns en plus sale état, entourés d’une dizaine d’hommes arborant un uniforme serré noir. Ils se tenaient tous là, tournant le dos à Rafaelo. Celui-ci était bouche bée. Il s’écarta d’un pas et se révéla au centre de l’esplanade, fixant la silhouette qui se tenait sur la palanque, immaculée. Un instant, il crut avoir une nouvelle vision, celle d’un assassin de blanc vêtu, le regard tourné vers le lointain mais ce ne fut que fugace. Son cœur cogna contre sa poitrine, presque à lui faire mal. Sa main trembla alors qu’il appréhendait ce spectacle. Césare ? Non, impossible ! Qui était donc ce type, avec ce sabre aussi gigantesque ? Il portait un masque mais sa tenue blanche piquait presque les yeux de l’assassin. C’est alors qu’il se rendit compte à qui, ou plutôt à quoi il avait affaire. Dans les longues semaines enfermé à fond de cale, il avait entendu parler d’une créature masquée maniant un long sabre et habillée de blanc. Une créature servant fidèlement les intérêts du gouvernement … et détruisant les nouveaux venus pirates dans Grand Line. Une créature qu’ils nommaient tous Hakumen … L’assassin plissa les yeux, et fit face à la scène qui se déroulait devant lui. Son regard alla des prisonniers à cette dizaine de gars, Cipher Pol ou Marines ? Peu importait, ils n’étaient pas aptes à faire le poids face à un Auditore. Et encore moins face à un détenteur de Logia.
« Hakumen et ses sbires. Je ne demandais pas mieux pour tester mes talents … ta tête sera mon premier trophée d’homme libre ! » les menaça-t-il, avec un léger sourire.
« Pour l’honneur des Auditore, et pour la gloire de la Confrérie ! » hurla-t-il, avant de se ruer à l’assaut sur le premier homme en noir qui se dressait face à lui.