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Per inania regna ~ part three [quête]


Abyssus abyssus invocat.

Un craquement sinistre, une chute lourde. Le début d’un cri, la main qui ripe contre la planche sans pour autant s’en saisir. L’assassin pivote, se retrouve face aux hommes ornés de son funeste emblème, tandis que le tortionnaire chute, toujours sa corde dans la main. Il tire alors d’un coup sec, tentant d’emporter l’Auditore avec lui, mais celui-ci amortit le choc en s’aplatissant sur la palanque qui craque sous le poids combiné des deux hommes. Puis il dégaine sa lame secrète encore en état, et la place contre sa gorge pour se libérer. La corde de chanvre cède, mais il est trop tard. La planche gémit une dernière fois et cède, les projetant tout deux dans le vide. L’assassin tente une dernière fois de se rattraper mais il est trop tard, seules les abysses s’offrent à lui. Sans un cri, il disparaît dans l’oubli.

~~~

Les montagnes s’étalaient là, après les ruines d’une antique cité. L’homme n’avait apparemment pas menti, mais on n’était jamais trop prudent. Un blizzard glacial commençait à se lever, pressant l’assassin à se trouver un abri pour la nuit. Il rajusta sa houppelande puis s’engouffra dans ce qui semblait être une alcôve rocheuse. Les restes d’un feu lui indiquait que ce point avait déjà servi, à un groupe de deux ou trois personnes, à en voir les diverses traces restant ça et là. Il s’assit donc en tailleur, et tira de son sac quelques maigres rations séchées. Il n’avait plus le temps d’aller chercher de quoi se sustenter, ainsi il devrait faire avec. Il tira sa cape en laine sur lui et se cala dans un coin au sec pour la nuit. À l’abri de la fureur des éléments, il n’aurait pas froid ce soir. La nuit se passa sans encombre, si on omettait les quelques bêtes sauvages qui étaient passées par là, flairant une quelconque odeur de nourriture, mais elles avaient rebroussé leur chemin en rencontrant la rapière tirée au clair de Rafaelo. Il ne dormit que très peu cette nuit là, sa haine lui procurait un sommeil agité entrecoupé de rêves étranges et désagréables. Il retira de cette nuit une sensation harassante de fatigue et il était courbaturé, certainement des efforts de la veille. Il avait marché à une vitesse plus que raisonnable à travers les sentiers tortueux des ruines, après être passé par une lande désertique et n’avait pas dormi la nuit précédant son départ, trop occupé à masquer ses crimes aux yeux de la cité. Il se réveilla donc à l’aube, et prit à peine le temps de remballer ses affaires avant de se remettre en route. Il mordit dans une ration de viande séchée, estimant que cela suffirait pour la matinée puis se rua à l’assaut de la montagne, attachant surement tout son attirail à son sac. Puis il s’assura une prise, et une seconde. Il avait repéré en ces lieux la montagne la plus haute du comté, et en gagnant son sommet, il serait à même de découvrir aisément la planque de ceux qu’il traquait. Il s’élança alors à l’assaut de Dame Nature, profitant d’une accalmie de sa fureur. Il atteindrait le sommet avant le début d’après midi, n’était-il pas un grimpeur hors pair après tout ?

La vue du sommet de ce mont était magnifique, on distinguait au loin la cité blanche, qu’il avait visité l’avant-veille, ainsi que des lieues de montagnes enneigées. Il y faisait un froid mordant, mais l’effort avait réchauffé l’assassin, à tel point qu’il aurait volontiers ôté quelques uns de ses vêtements mais il était concentré sur le spectacle qui s’offrait à lui. Au centre d’une vallée se dressait un promontoire en pierre où un trônait un immense édifice en pierre, un château des plus majestueux, l’air malheureusement bien peu entretenu. Le Soleil l’éclairait à moitié, mais le contraste de ce matin hivernal sur les contreforts rocheux était admirables. Il reconnaissait là un style gothique qui n’était pas sans lui rappeler quelque chose, et les remparts du bastion se jetaient dans le vide. Il approchait de son but, après tant d’efforts, le voilà récompensé. Il ne fallait surtout pas se relâcher, la phase ardue du voyage commençait à peine. Il avait su jouer de l’effet de surprise, de ses talents jusqu’à présent mais s’attaquer à une organisation entière était risqué. Le jeu en valait cependant la chandelle, et il aurait mis n’importe quelle vie dans la balance si cela pouvait encore sauver Césare. Trop de mois s’étaient écoulés, trop de temps mais il subsistait un espoir : il pouvait encore être emprisonné, et sa volonté de fer le préserverait. L’assassin se laissa alors glisser de son promontoire, plus que quelques centaines de mètres et il y serait, mais la structure était telle qu’il ne pouvait envisager d’entrer autrement que par la grande porte. Ses qualités de grimpeur étaient exceptionnelles, mais il n’était pas encore capable de voler. Non, il ferait fi de tout ses enseignements et se reposerait uniquement sur ses capacités martiales, il n’avait jamais été défait par autre que Césare, il était un expert du corps à corps et feinter ne se faisait pas que dans l’ombre. Il était Il Assassino, et il pouvait tuer en regardant ses cibles droit dans les yeux. Il s’avancerait donc, fier et droit comme son honneur le devait. Il laverait l’affront dans le sang et récupèrerait ce qui l’intéressait, le Moku Moku no mie.

Les nuages masquaient le Soleil et un crépuscule durable s’étendait sur la citadelle. Rafaelo se tenait là, dans une sorte de plaine aménagée pour le passage d’hommes et de marchandises, entourée de petites falaises et un large chemin se dessinait entre deux pans de roche. Il regard à gauche, puis à droite et avança jusqu’au milieu de la petite place. Pas âme qui vive, aucune homme ne s’avançant pour le cueillir. Etaient-ils si mal organisés qu’ils n’étaient pas même aptes à le voir, et à découvrir la mort de deux des leurs ? Soudain, un trait siffla d’en haut et un impact douloureux cueillit l’assassin à l’épaule gauche. Il se recula d’un pas et attrapa la flèche qui venait de se planter dans les plaques protectrices de son armure, à gauche. Il esquissa une grimace et observa les environs, levant son regard sur les falaises. Une quantité impressionnante d’hommes vint alors se masser là et, parmi eux, un homme au crâne rasé vint le toiser. Une cicatrice marquait ses lèvres, découvrant ses dents en un rictus écœurant. Ses yeux de rats détaillaient l’assassin, mais on pouvait sentir la satisfaction qu’il éprouvait à découvrir ainsi cette nouvelle proie entre ses mains, sûr qu’il était de sa puissance. Quelques sbires s’aventurèrent alors sur la place, armés de pics et de hallebardes, décidés à en finir avec ce misérable homme venu seul les affronter. Toujours sa main sur la flèche, Rafaelo ôta ce pieu qui le dérangeait, tout en dégrafant son encombrante cape en laine. Il se rua alors sur un des impudents et l’écrasa de son poids, appuyant ses talons sur son torse. Il roula par-dessus lui puis évita une première attaque, exécutant un pas sur le côté, d’un autre homme. Il écarta sa hallebarde d’une main tout en le tirant vers le bas de l’autre. Le forçant à se baisser, il posa son dos sur le sien et passa au dessus de lui. Tout en se remettant d’aplomb, il para une attaque d’un troisième homme en bloquant l’arme de sa main directrice puis écrasa sa pomme d’Adam, le condamnant à agoniser douloureusement. Il récupéra alors l’arme, pivota et l’enfonça dans l’abdomen d’un imprudent puis intercepta une attaque à l’épée et retourna celle-ci pour parer un autre coup. Il dégagea son opposant d’un coup de pied puis fit une clef de bras au possesseur de l’arme qu’il venait de s’accaparer afin de lui perforer le torse dans une gerbe de sang. Se baissant de justesse, il évita alors une hallebarde tranchant horizontalement et se décale sur le côté, saisissant la tête de son adversaire entre ses mains. D’un geste, il lui brisa la nuque mais il n’eut pas même le temps de tomber que déjà Rafaelo se ruait sur un autre, mais un plus malin se saisit de lui par derrière et tenta de lui bloquer les bras. Lâchant un léger rire moqueur, l’assassin se décala sur le côté et l’homme se prit le coup de taille qui lui était destiné puis il assomma le malheureux qui venait de tuer son comparse d’un coup de tête. Il para encore un coup de son avant-bras puis assomma un autre homme d’un direct du droit avant d’intercepter un nouveau coup d’épée et d’empaler son propriétaire sur sa propre arme d’une simple passade. Il évita encore deux attaques avec un placement millimétré puis saisit un homme et le jeta au milieu de ses alliés pour se laisser une seconde de répit. Il toisa alors la marée grouillante qui se tenait face à lui puis, écartant les deux bras, il dégaina ses deux lames secrètes, leur souriant malicieusement. Deux tentèrent alors de le prendre en tenaille, mais c’était sans compter la dextérité de l’assassin qui les tua de ses armes, l’un à la gorge, l’autre au ventre. Soudain, alors qu’il se reculait, un ombre immaculée surgit au coin de son esprit …

… Rafaelo demeura un instant interdit, dévisageant cette silhouette translucide et à l’apparence si semblable. Il ouvrit la bouche mais resta muet alors que cette forme blanche se glissait parmi les rangs de ses ennemis. Son cœur s’emporta soudain alors que le fantôme avançait en direction de la forteresse. Sa volonté vacilla un instant, et il perdit sa concentration. Césare ? Aucun doute, c’était bien lui sous le couvert de cette capuche …

… Un épéiste des plus avisé tenta alors sa chance et attaqua l’assassin de front alors que tous avaient reculés ; il regardait ailleurs, c’était le moment ! Ce dernier ne vit le coup qu’au dernier moment et leva un bras hasardeux pour se protéger, mais l’arme porta en plein sur l’armature de sa lame secrète droite et cette dernière vola en éclat, projetant le jeune Auditore à terre. Il atterrit douloureusement et releva sa tête, exécutant un geste pour se relever mais malheureusement pour lui, la cinquantaine d’homme l’encerclait déjà, armes pointées vers lui. L’assassin grimaça et soupira longuement. Ainsi donc il avait échoué. Tout était fini. Il se raidit dans l’attente d’un coup fatal, et toute sa haine défila devant ses yeux, tous les motifs de rancœur et de vengeance qu’il nourrissait depuis des siècles. Etait-ce là sa vie ? Se résumait-elle à ce piètre constat ? Nul amour, si ce n’était celui qu’il nourrissait pour son frère, nulle femme ne l’attendrait. Pourquoi s’intéresser à ce futile détail en un instant aussi périlleux, aussi improbable ? Lui, l’assassin des rois, celui qui devait imposer sa loi à tous les blues allait disparaître dans ce coin miteux, et pour quoi ? Car il n’avait pas même su garder sa concentration pendant ce combat. Il avait faillit à la première leçon que la Volpe lui avait enseigné. Pitoyable. Il leva un regard dur envers ceux qui allaient l’achever, mais au lieu de ça, les rangs s’écartèrent, révélant l’étrange homme à la cicatrice qui avait surveillé le combat d’en haut. Rafaelo le dévisagea longtemps et s’aperçut qu’il portait une boucle de ceinture imitant en taille réduite la sienne, ainsi que divers symboles liés d’un peu trop près au passé des Auditore. Il fit un signe de tête à ses hommes.

« Ôtez-lui ses armes, vérifiez bien dans chaque recoin de ses vêtements, nous avons affaire à un authentique assassin, un véritable Auditore. » ordonna-t-il, d’une voix rêche et cassante.

Rafaelo plissa les yeux et se laissa relever par les soldats, pendant qu’ils lui ôtaient son ceinturon et se armes apparentes. Il se laissa rudoyer puis accepta son broncher qu’on lui fouille les bottes. Lorsque la corde fut apportée, il avança ses poignets et laissa les sbires de cet étrange personnage lui attacher les mains. Ils lui attachèrent par devant, prenant soin de lui préciser que s’il jouait à dégainer sa dague, elle lui perforerait la main avant tout. L’assassin resta de marbre, mais avança lorsque celui qui semblait diriger la troupe lui fit signe. Il baissa volontairement le haut du crâne, afin que personne ici ne puisse voir son visage mais c’était certainement peu utile : comment connaissait-il son nom ?! Il étouffa une bouffée de haine quant à tous les scénarios plausibles qui lui passaient par la tête, les écartant car le tenant trop à cœur, puis se laissa guider après une inspection en détail. L’un des sbires lui donna un violent coup dans l’épaule, qu’il accepta sans broncher. Il rongeait son frein et se demandait pourquoi on le gardait encore en vie. Etait-ce parce qu’il était un ‘véritable Auditore’ ? La réponse lui vint assez vite, car alors qu’ils marchaient encore vers le château, l’homme à la cicatrice lui parla sur un ton un peu trop amical.

« Federico Borgia. Je suis étonné de voir qu’il existe encore des gens de ta famille, mon gars … on pensait les avoir tous éradiqués avec cette foutue montée Révolutionnaire il ya une vingtaine d’année. » se gaussa-t-il, profitant de la jouissance que sa situation lui procurait.

« Je suis le fils d'un de ceux qui se sont occupés de tous les anéantir dans les blues, ces maudits assassins nous ont donné pas mal de fil à retordre, tu sais, mais il est plaisant de voir que les vieilles habitudes ont la vie dure. J’ai jamais pris autant de plaisir qu’à chasser tes amis avec mon paternel. Enfin, ta famille, c’est ça ? Ah ah ah ! »
continua-t-il, devant le silence de son interlocuteur.

Assassins. Oui, ça il le savait, que tous les Auditore avaient servi le peuple depuis des décennies. Il savait que ses parents avaient été massacrés, mais que des hommes les avaient pris en chasse depuis des lustres, ça non. Quel étrange hasard, que ce répugnant personnage soit justement celui qui détienne ce que l’assassin était venu chercher. Mais il tenait là un édifice de la mémoire ancestrale de sa famille, et il était bien décidé à la laisser parler le plus longtemps possible sans l’interrompre, c’est qu’il était bavard, cet imbécile. Il pensait énerver ainsi l’assassin, et il n’avait pas tout à fait tort, mais cela laissait surtout à Rafaelo le temps d’élaborer une stratégie pour se sortir de ce guêpier. Il lui était évident à présent qu’il n’avait été épargné que pour souffrir encore plus, dans les heures ou jours à venir. À moins qu’ils l’aient délibérément attiré par ici ?

« Récemment, nous avons appris que de nouveaux assassins couraient les rues, arborant ce symbole … tu vois tous ces petits ornements sur moi ? Ce sont toutes les vies Auditore que j’ai pris, mon gars, hé hé hé ! » continua-t-il de se moquer.

L’assassin serra fortement les dents, tentant de ne pas réagir violemment à cette vilénie , et conserva un profil bas, poussant son adversaire à lui en apprendre plus, même si cela était désagréable.

« Mais que dans les blues, tu vois ? Alors je suis venu ici, ou plutôt j’ai pas eu le choix. Pas content les copains du paternel que je traque ouvertement tous ces petits merdeux encapuchonnés … mais toi, t’es venu à moi. Il Assassino, depuis le temps que je te cherchais. Le fils de Giovanni, le seul et l’unique Césare ! Ah ah ah ! Et oui, je connais ta véritable identité, ça t’embouche un coin ? Ça doit faire depuis des lustres que mes hommes t’ont repéré, dans la ville à arborer ce symbole. Et l’armure de ton défunt père. Pas trop discret, quand on l’a déjà vue, n’est-ce pas ? Surtout quand tu l’as chopée à quelqu’un qui m’était cher … à mon père, petite vermine. » termina-t-il, s’arrêtant là.

La troupe fit de même. Ainsi ce misérable rat était celui-ci qui se pensait responsable de la disparition d’assassins de la Confrérie, de temps à autres ? Et il était le fils de ce Colonel boiteux, qui avait participé à la mort de son père, Giovanni Di Auditore ? La rage faillit prendre le contrôle de Rafaelo, mais il se contrôla de justesse. Tous les hommes durent sentir ses pulsions de meurtre car plus d’une dizaine dégainèrent leurs armes. Federico les stoppa puis il ôta son gant, et caressa amoureusement la bague qui y trônait, représentant une croix grossièrement taillée. Il colla alors une baffe du revers de la main à Rafaelo, qui ne bougea pas sous la violence du coup. Il sentit sa lèvre éclater, et le sang ruisseler mais il garda la tête sur le côté, ignorant l’attaque de cette vermine. Tout comme son père, il ne valait rien. De plus, il avait été rétrogradé, voir même destitué car il n’arborait plus les emblèmes de la Marine. Son père était peut être la dernière chose qui lui avait permis de s’intégrer, mais sa chasse des assassins n’était due qu’à son désir de gibier, non pas guidé par un quelconque sens de l’honneur de la justice. Un porc parmi les hommes, une honte. L’assassin ne lui ferait pas l’honneur de répliquer. Federico parut le remarquer, mais il fit comme si de rien n’était. Il se retourna alors brusquement, et un étrange détail attira l’attention de Rafaelo, une petite clef en or, pendue à sa bourse. Le sang de Rafaelo ne fit qu’un tour. Qui disait clef, disait trésor, ou même appartements … il sauta alors sur Federico et le mit à terre d’un coup d’épaule. Se baissant, il roula sur lui, et lui asséna un coup de talon sur l’arrière du crâne puis se releva dans le même temps. La cinquantaine de sous-fifre se mit alors en branle et tous dégainèrent leurs armes, encerclant de nouveau l’assassin. Celui-ci crispa sa mâchoire et les dévisagea d’un air hargneux tandis que le Borgia se relevait, saignant abondamment du crâne. Une lueur de rage trônait au fond de ses yeux enfoncés, et il s’approcha de l’assassin, en le montrant du doigt, tout en gardant ses distances.

« Toi, je te jure que tu vas souffrir ! Tout comme j’ai fais souffrir chacun de tes camarades avant de les achever ! Tu pendras au bout d’une corde, mais tu vas couiner et pleurer pour ta misérable petite vie, Auditore ! » fulmina-t-il, essuyant tant bien que mal sa blessure.

« Amenez le dans le donjon, et assurez vous qu’il ne soit plus en état de marcher librement ! » hurla-t-il, à l’attention de ses hommes.

L’assassin lui offrit un sourire moqueur en passant devant lui, tandis qu’un des soldats le faisait avancer de la pointe de sa lance en direction du château. Le contact du métal glacé de la petite clef contre sa langue était lourd de promesses. Rirait bien qui rirait le dernier.

~~~

Rafaelo se massa les poignets, enfin libéré de ses liens. Trois gardes gisaient à ses pieds. Après une dizaine de minutes de passage à tabac, il avait joué le mort. Bande d’imbéciles, c’est toujours de la pointe de l’épée qu’il faut bouger un présumé cadavre, pas se pencher dessus. L’assassin avait tué le premier garde net puis en avait terminé avec les deux autres en quelques secondes, avant même qu’ils ne puissent donner l’alerte. Peu importait, il fallait faire vite. Il poussa la porte de sa cellule doucement puis jeta un regard à droite, et à gauche. Il était parcouru de contusions mais cela lui importait peu. Il avait un seul but à accomplir, et il ne reculerait devant rien : il avait déjà vécu pire. Il s’engouffra alors dans le couloir et se faufila dans le premier escalier qu’il découvrit. Il faillit ainsi atterrir dans la cour mais réussit à se dissimuler dans une alcôve avant de se laisser emporter par son élan. Il poussa une porte puis découvrit ce qui ressemblait à un nouvel escalier et le gravit rapidement. Il dut, à son sommet, éliminer un nouveau garde en silence mais rien ne semblait perturber sa folle escapade. Il était tant obnubilé par celle-ci qu’il en avait même oublié la vision qu’il avait eu de Césare un peu plus tôt. Ainsi, après cinq minutes de courses effrénée, et une dizaine de morts, l’assassin finit par parvenir dans ce qui semblait être une des pièces les plus riches de l’endroit. Il avait reconnu tout le long de son parcours de nombreuses armoiries ayant autrefois appartenu à sa famille, ce bastion était à n’en pas douter un vestige Auditore. Peu importait. D’un coup de pied, il défonça la porte, n’ayant cure d’alerter une quelconque personne, les cadavres s’en seraient déjà chargés à priori. Il s’engouffra dans la pièce et se dirigea vers le bureau. Il découvrit alors, à côté de celui-ci, un petit coffre en acier, présentant une serrure en or. Il tira alors la langue et s’empara de la clef puis la fit doucement glisser dans l’encoche et tourna. Le mécanisme s’actionna et le couvercle se releva pour laisser apparaître une forme rugueuse et spiralée de couleur grise. Une sorte de fruit ésotérique trônait là, un sourire s’épancha sur la face de l’assassin, son cœur manqua un battement. Il était là ! Ce fruit tant recherché, tant désiré ! Le Moku Moku no mie ! Bien au chaud dans les appartements de Federico Borgia ! L’assassin le caressa langoureusement du bout des doigts lorsque des éclats de vois résonnèrent dans le couloir, puis ce fût un cri alerté. Rafaelo se retourna brusquement, que faire ?!

« Il est là ! On l’a trouvé ! Dans le bureau de Federico, vite ! »
hurla un des bandits.

Il entra alors dans le bureau pour trouver l’assassin enjambant à moitié la rambarde. Le coffre était refermé, mais le bureau était dans un sale état. Le soldat pointa alors son fusil sur l’assassin. Rafaelo regarda le vide qui s’offrait sous lui, puis le canon et déglutit bruyamment. Bien. Il n’avait donc pas le choix. Il soupira puis leva les deux mains et revint à l’intérieur de la pièce. Ce fut à ce moment précis que Federico débarqua dans sa chambre, en trombe. Il regarda l’assassin, son coffre, puis revint à Rafaelo. Un léger sourire trôna alors sur son visage. Il fit signe à l’assassin de s’avancer. Ce dernier s’exécuta et offrit un petit sourire amusé au Borgia.

« Tu pensais pouvoir t’enfuir comme ça ? Non, tu n’as fait qu’attiser ma colère, assassin imbécile. Je t’assure que tu vas passer un sale quart d’heure, mon gars … Préparez sa corde, j’en ai assez de lui. Mais avant ça … » ordonna-t-il avant d’ôter son gant.

Federico s’approcha de Rafaelo et s’assura que ses hommes le ceinturaient avant de lui décocher un violent coup de poing en pleine tempe. Sous le choc, l’assassin posa un genou à terre, puis le Borgia réitéra son attaque une deuxième puis une troisième fois, puis se fut le trou noir. Avant de s’effondrer, l’assassin parut hoqueter quelques mots mais il s’affala les yeux écarquillés, comme s’il ne comprenait pas. Puis ce fut le trou noir.

L’assassin revint à lui à terre, alors que quelques gardes lui attachaient les poignets. Il se laissa soulever alors que le brouillard s’amenuisait petit à petit autour de lui. Il en retirait un mal de tête terrible, mais il était vivant, et de ce fait il y avait encore de l’espoir. Il failli reperdre conscience plusieurs fois, alors qu’on le trainait à terre, mais à chaque fois, l’air frais le revigorait un petit peu plus jusqu’à arriver en face de Federico Borgia, qui l’accueillit avec un air empreint de méfiance et de colère à la fois. Il tenait dans sa main une corde en chanvre tressée se terminant par un nœud coulant. Ainsi, c’était comme cela que tout se terminait ? Rafaelo donna un coup d’épaule à un des soldats qui le soutenait puis se releva. Plusieurs tirèrent leurs armes, mais Federico leur intima de les rengainer d’un geste. Il laissa passer l’assassin devant lui, lui adressant un moue haineuse. Rafaelo s’avança seul sur la palanque surplombant le vide, ne voulant pas laisser l’honneur à ses ennemis de le guider à la mort. Le Borgia le poussa néanmoins en avant mais il accusa le coup sans broncher. Il inspira un grand coup lorsqu’une nouvelle fois, le fantôme de son frère s’imposa à lui. Il marchait sans peur sur une palanque voisine et surplombait le vide avec une grâce inégalée. Mais quel était donc ce pressentiment qui ne cessait de le presser depuis ce début de journée ? L’assassin cligna des yeux et alors l’apparition s’en alla, tout comme elle était venue. Le cri d’un rapace résonna alors dans les cieux, et il cru apercevoir l’ombre d’un aigle, au loin. Un aigle Royal, l’Empereur des cieux … Cette pensée lui tira un sourire amusé, tandis que Federico passait derrière lui. Il lui attrapa la capuche et la tira vers le bas, révélant à tous le visage de Rafaelo. L’air frais et le vent cueillirent celui-ci de plein fouet et un air soucieux se peignit sur ses traits, comme si ses pensées étaient occupées ailleurs. Il passa le nœud coulant autour de la nuque de l’assassin puis le resserra doucement alors que le regard de l’assassin se déporta lentement vers la gauche. Soudain, Rafaelo se retourna et colla un coup de coude à Federico, le projetant dans le vide. Celui-ci commença à glisser mais déjà, l’assassin avait coupé les liens de son poignet avec lesquels il jouait depuis quelques instants déjà. Ils étaient un peu trop lâches pour le retenir éternellement. Et soudain …

… un craquement sinistre, une chute lourde. Le début d’un cri, la main qui ripe contre la planche sans pour autant s’en saisir. L’assassin pivote, se retrouve face aux hommes ornés de son funeste emblème, tandis que le tortionnaire chute, toujours la corde dans la main. Il tire alors d’un coup sec, tentant d’emporter l’Auditore avec lui, mais celui-ci amorti le choc en s’aplatissant sur la palanque qui craque sous le poids combiné des deux hommes. Puis il dégaine sa lame secrète encore en état, et la place contre sa gorge pour se libérer. La corde de chanvre cède, mais il est trop tard. La planche gémit une dernière fois et cède, les projetant tout deux dans le vide. L’assassin tente une dernière fois de se rattraper mais il est trop tard, seules les abysses s’offrent à lui. Sans un cri, il disparaît dans l’oubli …

… les ténèbres. Mais un sourire se peignit sur ses traits, alors que Federico hurlait de peur. Seule la première bouchée procurait les effets. Le reste du fruit était insipide, pourquoi donc s’en préoccuper ? La face inférieure du fruit était marquée d’une profonde morsure, mais on ne pouvait le voir si on ne retournait pas le fruit. L’assassin éclata de rire, même Césare n’avait pas été capable de maîtriser son fruit dès la première fois, alors pourquoi s’étonner qu’il soit si facile de le blesser alors qu’il venait de l’ingérer ? Rafaelo écarta alors les bras et accueillit le vide qui s’étalait sous lui comme une promesse. Il ferma les yeux et se laissa porter par les vents puis ce fut le son d’un choc. Un bruit sec, craquant. Puis vint le sien. Pas douloureux, non, mais lourd. L’assassin ouvrit les yeux et regarda ses mains. Elles avaient disparues, seule restait cette impénétrable fumée qui s’épanchait au fond du gouffre. Puis, soudain, il se recomposa et la fumée se mua en un tourbillon argenté qui se condensa en dessous de lui et il vit ses membres se reformer un à un, puis les couleurs revenir. En quelques secondes, l’apparent brouillard avait disparu pour laisser place au corps de Federico, agonisant, et à Rafaelo entièrement reconstitué. Celui-ci déroula plusieurs fois ses doigts avant d’être rappelé à la réalité par un toussotement de la part de l’homme qui avait tenté de le tuer. L’assassin remit sa capuche sur sa tête, puis s’approcha de lui, avec un sourire victorieux.

« Tu ne mourras pas de ma main, Borgia. Contemple donc le don que tu viens de me faire, me voilà encore plus armé que je ne l’ai jamais été. Tu ne mérites pas que je m’attarde sur ton cas, mais sache que je traquerais et tuerais tous les tiens, tout comme vous avez tenté de détruire ma famille. Que la dernière image que tu contempleras soit celle d’un Auditore, penché sur ton corps brisé. Avec un peu de chance, ton agonie durera, et les charognards se disputeront ta carcasse encore vive. Mais avant de périr, sache que mon nom est Rafaelo, et Césare celui de mon frère. Et seulement ensembles, nous sommes Il Assassino. »
lâcha-t-il, avant de se détourner de l’homme qui tentait de lever une main mendiante vers lui.

Federico avait certainement la colonne brisé, et une grave hémorragie interne vu la gravité de la chute, c’était déjà un miracle qu’il ne soit pas mort tout de suite. Mais bientôt ses hommes viendrait le chercher. Vraiment dommage qu’ils aient vu le visage de Rafaelo. Vraiment. L’assassin ramassa sa rapière, gisant aux côtés du Borgia puis se mit en quête d’un chemin pour sortir du gouffre. Il n’avait pas de temps à perdre, cinquante têtes attendaient encore de tomber pour lui. Un seul chemin, une seule voie s’offrait à lui : il devait suivre le fond du ravin ou l’escalader. Bien sûr, il était libéré de la crainte de tomber, à présent, mais il ne désirait pas perdre de temps. Ainsi son élément était la fumée, du moins c’était ce qui en paraissait. Il regarda sa main, un instant, puis tenta de retrouver le même état d’esprit que précédemment et fouetta l’air de son bras. Alors qu’il percevait en lui une sorte d’harmonie, un lien imperceptible avec ce nouvel état, son bras disparut dans une gerbe de fumée, s’entendit puis redevint tel qu’il était. L’assassin caressa ensuite son membre et se rendit compte qu’il s’était arrêté pour contempler cette nouvelle force. Cela n’avait rien à voir avec ce que Césare avait fait, rien du tout ! Il ne s’était jamais aussi bien senti aussi bien, c’était incroyable. Comme si un nouveau monde s’offrait à lui, il se sentait comme complet. Il avait tant attendu ce moment, et ce depuis six mois. Un frisson de plaisir parcouru son échine, alors qu’il entamait une légère côté, à gravir. Il découvrit là un escalier aménagé, certainement à fin d’évacuer les restes des hommes jetés à bas, ou de les dépouiller de leurs dernières richesses. L’assassin n’avait en effet pas aperçu de cadavre humain au fond de ce ravin, cela ne l’avait pas interpellé sur l’instant. Les Borgias montraient donc un certain respect aux morts ? Voilà qui étonnait bien l’assassin. Il haussa les épaules en gravissant les marches sensées le mener vers le château. Il ne pouvait apercevoir le sommet de là, ainsi personne ne devait savoir qu’il était mort. Il avait ainsi tout le loisir de se questionner sur l’étendue de son nouveau pouvoir . Maintenant, il ne pourrait plus jamais se baigner dans la mer, et serait extrêmement sensible au contact du Granit Marin, une légère compensation à ses yeux, puisqu’il ne quittait jamais la terre ferme. Peut être même pourrait-il développer un moyen de voler avec ce pouvoir. Se transformer en fumée ? Jouer sur les courants ascendants ou autres … Non, pas vraiment l’endroit rêvé pour essayer cela. Ces nouvelles capacités demanderaient énormément de travail de sa part, mais il s’en réjouissait par avance, il était presque l’égal d’un Dieu maintenant. Non, ceci n’était que prétention. Il était devenu fort, intouchable pour ainsi dire, sauf par quelques détenteurs d’artifices rarissimes. Ou, du moins, il le deviendrait s’il s’entraînait assez. Être capable d’activer automatiquement ses pouvoirs, faire en sorte que rien de matériel ne puisse le toucher … se désincarner et frapper dans la nuit. Il était en quelque sorte l’assassin ultime, celui qui mettrait à bas le Gouvernement ! Un nouveau frisson d’extase le parcouru, alors qu’il arrivait en haut des marches. Pas un seul bruit, rien. Etrange que personne ne se soit rué au secours de leur chef tombé au fond du gouffre. Peut-être qu’ils n’étaient pas aussi solidaires que cela après tout. Rafaelo arriva juste à côté de l’esplanade où il avait combattu quelques heures plus tôt. Il se sentait en parfaite santé à présent, et même sa lèvre semblait s’être guérie d’elle-même. Le fruit avait donc tout remis en ordre ? Peut être. Il gravit donc les derniers mètres épée au poing lorsque l’incohérence de la situation lui apparut de plein fouet. Pas un seul bruit, et voilà plus de vingt minutes qu’il était tombé. Personne d’affolé, personne qui ne reprenait la situation en main. L’assassin pressa le pas, puis il se mit à courir. Ce silence pesant l’inquiétait. Il arriva alors au milieu de la cour du château, où personne ne trônait non plus. Avaient-ils tous fuit ? Non, c’était insensé, pourquoi s’échapper alors qu’aucun danger ne les guettait ?

Fouillant dans ce qui semblait être le coffre où on avait enfermé ses affaires, juste à côté de sa geôle, Rafaelo récupéra sa ceinture et constata avec dépit que cinq dagues manquaient. De même, sa réserve de poudre avait été dérobée, tout comme une de ses bombes fumigènes. Son épée courte était toujours par contre. L’assassin fixa le tout et s’avança discrètement vers l’escalier sensé le mener jusqu’en haut du bastion. Soudain, il lui sembla entendre un léger éclat de voix. Il se figea un instant, se plaqua contre le mur. Il posa doucement le pied contre la marche puis entama une montée silencieuse. Il arriva ainsi au niveau de la salle d’où on avait voulu le pendre quelques dizaine de minutes plus tôt et aperçut la totalité des Borgia restant pieds et poings liés, sauf quelques uns en plus sale état, entourés d’une dizaine d’hommes arborant un uniforme serré noir. Ils se tenaient tous là, tournant le dos à Rafaelo. Celui-ci était bouche bée. Il s’écarta d’un pas et se révéla au centre de l’esplanade, fixant la silhouette qui se tenait sur la palanque, immaculée. Un instant, il crut avoir une nouvelle vision, celle d’un assassin de blanc vêtu, le regard tourné vers le lointain mais ce ne fut que fugace. Son cœur cogna contre sa poitrine, presque à lui faire mal. Sa main trembla alors qu’il appréhendait ce spectacle. Césare ? Non, impossible ! Qui était donc ce type, avec ce sabre aussi gigantesque ? Il portait un masque mais sa tenue blanche piquait presque les yeux de l’assassin. C’est alors qu’il se rendit compte à qui, ou plutôt à quoi il avait affaire. Dans les longues semaines enfermé à fond de cale, il avait entendu parler d’une créature masquée maniant un long sabre et habillée de blanc. Une créature servant fidèlement les intérêts du gouvernement … et détruisant les nouveaux venus pirates dans Grand Line. Une créature qu’ils nommaient tous Hakumen … L’assassin plissa les yeux, et fit face à la scène qui se déroulait devant lui. Son regard alla des prisonniers à cette dizaine de gars, Cipher Pol ou Marines ? Peu importait, ils n’étaient pas aptes à faire le poids face à un Auditore. Et encore moins face à un détenteur de Logia.


« Hakumen et ses sbires. Je ne demandais pas mieux pour tester mes talents … ta tête sera mon premier trophée d’homme libre ! » les menaça-t-il, avec un léger sourire.

« Pour l’honneur des Auditore, et pour la gloire de la Confrérie ! » hurla-t-il, avant de se ruer à l’assaut sur le premier homme en noir qui se dressait face à lui.
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    La nuit prenait place, supplantant le jour. Son domaine s’étendait, sous le tendre regarde d’une lune au quart. La dame jetait de ci et de là des rayons argentés, éclairant le voyageur qui n’avait peur d’errer par heure pareille. Ou bien cherchait-elle à l’égarer, à le tromper, par son étroite bande luminescente. Pour l’heure, ses coups d’œil incessants dévoraient le voile nocturne, prêtant des aspects tantôt étranges, tantôt effrayants aux ombres. Les murs blancs, qui reflétaient sa pâleur opaline et ses rondeurs tronquées ne donnaient en rien l’envie de s’attarder. Pourtant, l’homme continuait son chemin, s’enfonçant dans les profondeurs.
    Cela faisait longtemps qu’il ne craignait plus rien.

    Aveuglement ou bien sang-froid ? Courage ou folie. Ce qu’il tenait pour sur, c’était cette détermination sans faille. Sans obstacle suffisant pour l’arrêter. Terminer son service, rendre la monnaie de la pièce, et s’en aller pour des objectifs plus honorables. Il avait vu la justice à l’œuvre. Et elle n’avait rien d’aveugle, et elle n’avait rien de juste. Elle s’appliquait certes à tous, mais de la volonté d’un seul, d’une inflexibilité et d’une cruauté telle que le soldat n’en avait jamais vu.
    Ce qui était assez étrange pour cet homme vigoureux à la mémoire de vieillard.

    Il n’arrivait pas à se souvenir. Cette simple constations l’emplissait de rage mais aussi, plus étrangement, de honte. Comme si cette défaillance était de son fait et que l’avouer fut lui faire tinter sa réalité. Au final, peut-être ne voulait-il pas se souvenir. Au final, à son désarroi, peut-être n’était-ce pas le bon moment.
    Mais quand ?

    L’impatience le gagna. Il venait de franchir un parapet, ses hommes le suivant comme une seule et même ombres. Hakumen appréciait cette discrète efficacité. A l’instar de leurs uniformes, de noirs cousus de fils bleutés, ils se fondaient parfaitement dans n’importe quel environnement, dans la masse la plus compacte. Ses hommes. Ce simple fait lui redonnait du courage, et sans qu’il ne sut pourquoi, déclenchait un écho plaisant dans le maelstrom de ses souvenirs.

    « Heu… Patron ? »

    Se retournant brusquement, s’obligeant à refouler sa faiblesse, ce fut d’une voix aux éclats métalliques qui lui répondit.

    « Oui Jory ? »

    Jory était un homme solidement bâtit, approchant la trentaine. Malgré son jeune âge, une mèche blanchâtre contrastait sur son épaisse chevelure nouée en catogan. Loin d’être gauche malgré sa grande taille, sa bonne humeur constante et son intelligence toute particulière étaient souvent sollicitées.

    « Je crois qu’on tourne en rond. »
    « Et merde. » Du tac-au-tac. Le soldat ne mâchait pas ses mots devant ses hommes.

    ***

    Lugubre. Le mot était faible pour décrire les tunnels qui serpentaient sous la montagne, reliant les ruines au château. Laissés là, abandonnés et oubliés depuis des siècles, un véritable écosystème avait envahi les murs. Une moisissure verdâtre laissait s’échapper des nués d’araignées minuscules, courant le long des briques et s’engouffrant dans les moindres interstices. Une eau stagnait dans des cavités creusé par le goutte à goutte permanente des stalagmites. Disséminés là. La nature avait reprit ses droits. Et c’était tout sauf magnifique. Croupie et trouble, la puanteur qu’elle dégageait se mêlait aux effluves du sol terreux dévoré par l’humidité.
    Quelle gageure !

    L’espèce de boue s’enfonçait lentement sous leurs bottes. S’enfonçait et collait mieux aux basques qu’un gamin de cinq ans à celle de sa mère. A chaque pas, une nouvelle vague de puanteur leur prenait les narines. Si la moitié de son plan ne reposait pas sur l’effet de surprise, le soldat se serait bien gardé d’utiliser ces souterrains. Eu bien vite fait de trouver une issue et de prendre une grande goulée d’air frais. Et d’admirer l’ocre et l’or dont se paraît la grise montagne, au petit matin.
    L’orage planait, grondant. L’orage grondait, planant. Tout est accalmie.

    Sa colère refoulée manifesta son éclat tranchant lorsque le dédale les mena vers un cul de sac. La fatigue et la tension qui courbaturaient le muscle de la troupe aussi. Les nerfs à vif, sa voix n’en fut pas moins plus morne, tandis qu’il annonçait un demi-tour. Il trouverait ce château ! Rien ne saurait contrarier le plan parfaitement huilé qu’il avait établi, rien. Et finalement, ce fut la fatigue qui l’emporta sur le reste. Un jour et une nuit à marcher sans l’ombre d’une trace, mais sans l’ombre d’un doute. Ce serait la dernière fois que le soldat obéirait aussi aveuglement. La confiance ? Peuh ! Voyez ou cela le menait. Ses responsabilités l’obligeaient à plus de prudence, de retenue. Plus, toujours plus. Comme si ce n’était déjà pas suffisant.

    Ordonnant à ses hommes de se mettre à couvert, il sortit son sabre. Gigantesque arme pourvu d’une lame sans tranchant, longue de six pieds et moitié moins de fourreau. Parfaitement adaptée à son poing, elle semblait toute légère dans les mains d’Hakumen.
    Il retint son souffle, et d’un arc de cercle, toucha la pierre devant lui. Fracas.
    Les modestes briques qui avaient bouché la sortie éclatèrent, qui se tordaient, qui se déformait, qui volèrent, détruisant son masque. Douleur. Fulgurante, avant de décroitre. Refermant ses traits derrière son matériau étrangement tiède et doux, la face sans visage était de nouveau en place. Immaculée.

    De l’autre coté de la paroi se tenait un autre boyaux tortueux, qui cette fois, débouchait sur des marches. En haut de celle-ci se tenait une porte qui laissait filtrée une lueur jaune et blafarde.

    « On se bouge ! On investit les lieux, on capture et on se casse ! Je sais pas pour vous, mais j’ai pas envie de m’enraciner dans ce coin pourri ! » Lança-t-il à ses hommes, qui s’approchaient d’un pas incertains.

    ***

    En voilà une cocasse histoire, n’est-il pas ? Après un jour à trouver l’entrée d’un tunnel abandonné, après une nuit à parcourir sa pourriture nauséabonde, voilà que la place était vide ! Pas même un fantôme. Pas même la trace d’un fantôme ! C’était tout sauf drôle. Se disputait des signes d’activités à qui mieux mieux. Là un feu éteint par faute entretient. Là des vivres qui s’entassaient dans un coin. Ici, des assiettes à moitié vides. Pressant le pas, le Soldat dénicha des escaliers de service.
    Il n’était jamais venu ici, du moins l’espérait-t-il, cependant.
    Cependant une étrange impression de déjà vu étreignait son cœur, et broyait son crâne sous une poigne tenace.
    Qui était-il ?

    Ses hommes derrière lui, la question n’était pas utile. Qui était-il ? Le chef d’une escouade de dix fiers et loyaux subordonnés. Qui était-il vraiment ? Celui qui les mènerait soit à la victoire, soit à leur perte. La question s’arrêtait là. Ce genre de détail pouvait être vitale dans une bataille. Ce qui détermine un mort d’un vivant, c’est sa promptitude à décider. Justement.
    L’erreur n’est plus permise.

    Déboulant sur une porte, l’escalier était raide. Défonçant de son épaule le maigre panneau de bois, le Soldat eut la surprise de sentir le vent fouetter son visage. Devant lui, une vingtaine d’hommes, qui en attente, qui surprit, qui ne semblaient prêt à les recevoir. Souvent, une bataille ne se doit qu’à l’impression que l’on peut donner.

    « Halte, Marine ! Jetez vos armes ou tâter des nôtres ! » Déclara-t-il, d’une voix de stentor.

    Les réactions furent contrastées. Un peu trop même pour que leur simple apparition n’en soit la cause. Pour une poignée d’entre eux, on eut dit que la troupe venait de frapper une fourmilière. Le premier se lança sur l’homme en blanc qui lui barrait le chemin, pour simple réponse un rictus de haine sur le visage. Pour toutes paroles un sabre au clair qui décrivait une courbe meurtrière.
    Le choc fit trembler l’arme, qui sonna dangereusement de la rencontre avec celle d’Hakumen, une main sur sa lame. A peine fut-il stupéfait de sa promptitude, que déjà le soldat s’effaçait d’une torsion du buste. Passant sous sa garde, il faucha ses genoux d’un bruit écœurant, le laissant là agonisant.
    Un deuxième arrivait sur lui, mais a peine eut il le temps de lever sa lourde hache, que son adversaire lui présentait la semelle de sa botte. Crac ! Il termina sa course aux pieds du soldat, comme son camarade.
    Son suivant ne fit pas le goguenard bien longtemps, lui et sa rapière, quand en tourbillonnant une lame lui brisa respectivement la rotule, quelques côtes et la mâchoire.

    « Rendez vous, dernière somation » s’exprima-t-il, posément et sans avoir cure de l’effort qu’il venait de donner.

    Ce fut bien inutile, lorsqu’il remarqua ses propres troupes entrain de passer la corde à ceux qui n’avaient pas bougé. Décevant. Réellement, on aurait pu penser que ses supérieurs lui auraient offert meilleur gibier.

    ***

    Sur la potence, son sabre zébrant ses arrières, il observait. Calme et tranquille. Immobile au dessus du précipice. Cette sensation de connaître l’endroit ne l’avait pas quitté. Pis, elle devenait de plus en plus pressante, oppressante. Tandis que le soldat cherchait à comprendre comment il aurait pu atterrir dans ce lugubre château, une voix chargée de colère tonna contre ses oreilles.

    « Hakumen et ses sbires. Je ne demandais pas mieux pour tester mes talents … ta tête sera mon premier trophée d’homme libre ! Pour l’honneur des Auditore, et pour la gloire de la Confrérie !»

    Mais qui était cet énergumène ? Ou cet idiot. Il présentait un aspect bien trop semblable avec le contingent de criminel que l’homme venait d’arrêter. Soit il était avec eux, soit c’était une étrange coïncidence. Et même si sa loyauté se portait vers ce groupe aux ceinturons frappés d’un A, pourquoi donc revenait-il ici ? Ses chances de fuites étaient inexistantes maintenant qu’il s’était montré.
    Non non, toutes ces questions étaient futiles.
    Qui était cet homme ?! Son aspect lui était trop familier. Lui saurait dire pourquoi l’endroit semblait l’appeler. Susurrer son nom tellement de fois, qu’il se sentait au bord d’un gouffre insondable. L’inconnu voulait le happer, mais Hakumen n’aimait pas se laisser malmené par des mains inconnues.
    Son nom raisonnait d’étrange manière à ses oreilles. Diable, qui était-il ?

    Tandis que Rafaelo fonçait sur Jorry, celui-ci réagit promptement. Sa rapière allait le faucher lorsqu’il recula vivement. D’une roulade il se dégagea.

    Trois pas. Trois mouvements. Sortir son sabre, à deux mains le tendre, et d’une torsion du buste surprendre son adversaire. Simple et efficace. Presque brutale, mais si souple à la fois.

    « Tu me connais, moi pas. Qui est-tu ?!...
    puis il lança, par dessus son épaule.
    … Il est ma proie, qu’on ne le touche pas ! ».

    Alea jacta Est. Le sort en est jeté. Les deux frères s’entredéchiraient.
    Le premier s’effaça, d’une passe un peu trop familière aux yeux de l’assassin. Il roula sur le côté et se remit en garde. Rafaelo fit un pas sur le côté, envisageant cet étrange personnage. Trois pas sur la gauche, puis une fausse esquive. On contre-pique et l’attaque vient ensuite. L’homme en blanc vint cependant interrompre la suite des événements. Une attaque brutale, renforcée par la portée incroyable de son sabre. L’assassin s’écrasa sur sa jambe droite et laissa l’arme le frôler à peine quelques centimètres. Le souffle engendré par la puissance du coup releva un instant sa capuche, et son regard croisa les deux fentes obscures qui tenaient lieux d’yeux à Hakumen. Comme si le temps s’était arrêté, l’instant se prolongea et l’Auditore eut la terrible impression d’être face à bien pire que ce qu’il augurait. Il sentit son pouls s’accélérer, ses paumes devenir moites et l’air lui manquer puis Chronos rattrapa son dû et la lame termina son arc de cercle, loin de l’assassin. Tout n’était que questions, et cela se résumait à ce masque immaculé qui lui faisait face. Un léger frisson le parcourut alors qu’il s’éloignait d’un pas de son adversaire. Il n’était qu’à quelques mètres de ce qu’il restait de la troupe de Federico, et il était certain que ce type n’était pas là en renfort, mais pourquoi venir ici, capturer cette minable troupe de bandits ? Ce n’était ni le lieu ni le moment de se préoccuper de tout cela, mais les diverses apparitions, ou plutôt visions, que l’assassin avait eu l’avaient bien plus chamboulé qu’il ne voulait l’admettre. Cette image, d’un assassin pareil à lui, vêtu d’une tenue plus sobre, celle que son frère jumeau avait l’habitude de revêtir, celle qu’il imposait à tous ses hommes. Non, ce ne pouvait pas être une coïncidence, et c'était certainement lié à cet endroit, qui n’était qu’un des multiples vestiges de son passé. Alors qu’il croyait que son père n’était que le géniteur d’une révolution mineure et qu’il avait été écrasé par la simple cupidité et malveillance de cette foutue Marine, Federico venait de lui apprendre que les Auditore avaient hérité d’une longue tradition assassine dans tous les recoins du monde. Rafaelo ne savait comment prendre cela, s’il devait se sentir honoré d’avoir repris un fardeau qui avait marqué ses origines et sa naissance ou s’il ne devait se voir que comme le pantin d’un combat mené depuis des décennies. Il y avait cependant une chose qu’il savait de source sûre, sa vengeance était juste, et son combat pour retrouver Césare la seule chose qui lui permettait de garder le cap. De même, sa colère était la seule émotion qui coulait encore naturellement en lui et l’empêchait de sombrer dans une folie meurtrière. Le logia qu’il venait d’ingérer était un danger en soi, car il venait renforcer le potentiel destructeur d’une arme à double tranchant. Tant qu’il se battrait pour les autres et non pas pour lui-même, Rafaelo serait capable de garder sa quête juste et honorable, mais dès lors qu’il tuerait par pur plaisir, tout ceci serait terminé. Il se sentait parfois entraîné dans cette périlleuse pente, mais il avait en mémoire la volonté inébranlable de son frère et il cherchait à tout prix à lui faire honneur. Il ne s’était jamais réellement interrogé sur tout cela, et s’en était remis à Césare. Comment faire à présent qu’il était seul ? Toute une charge harassante de responsabilités lui étaient tombées sur le dos, et qu’avait-il fait ? Il avait fui. Oui, il avait fui à la recherche d’un moyen d’assumer ses envies de vengeance. Etait-ce de la lâcheté ? Non, plutôt de l’irresponsabilité. C’était cela le goût amer qui lui restait en travers de la gorge, et pas celui du fruit. Ce fut tout ce qui se passa dans l’esprit de l’assassin alors qu’il croisait les fentes vides du regard de Hakumen, comme si ce bref contact avait ressuscité les fantômes du passé et que Césare était venu lui claquer le crâne, en remontrance d’une quelconque bavure. L’assassin secoua la tête pour chasser ce sentiment indécent de culpabilité puis se décala d’un pas sur le côté, afin de voir si son adversaire le suivait.

    Il n’avait toujours pas répondu à ses questions, mais ce n’était pas volontaire. Ce bref contact l’avait ébranlé sans qu’il ne sût pourquoi. Etait-ce là le pouvoir de cet homme, marquait-il aussi profondément les esprits ? Ce n’était pas une question qu’il était important d’élucider pour l’heure, mais il était indéniable que sa présence affectait la psyché de Rafaelo. Raison pour laquelle il lui était impératif de s’en débarrasser le plus rapidement possible. L’assassin se pencha sur le côté, feinta à droite puis revint à sa position. Il jaugeait son adversaire et cherchait la moindre faille dans ses déplacements. Il se mouvait de manière presque aussi souple que l’assassin, mais celui-ci décela une légère faille. Pas réellement une faille, mais l’allonge de son sabre était si grande qu’il ne pouvait être apte à se défendre à courte portée, ce qui tombait plutôt bien car l’assassin ne se battait qu’à longue ou courte distance, jamais entre les deux. Pourquoi donc ? Et bien, soit c’était l’assassin qui surgissait de l’ombre, soit c’était sa dague. Et puis il y avait ce petit pas de retard, le même que Césare, mis à part que son frère ne faisait que tromper les esprits par là. C’était une ouverture destinée à piéger ses adversaires, il les attendait généralement au quart de tour et comblait cette lacune par un coup mortel. Ce genre de feinte était très efficace contre des adversaires non avertis, mais il était impossible que quelqu’un agisse de la même manière que Césare, il était un assassin impitoyable et jamais personne n’avait survécu assez longtemps pour être capable de le reproduire. Ainsi donc, Hakumen ne pouvait être qu’un combattant se fiant d’avantage à la force de ses bras qu’à la perfection de ses mouvements. C’était plausible pour quelqu’un qui démembrait les bateaux en quelques coups.

    « Je te connais … non, les maudits pirates qui m’amenèrent ici te craignaient, destructeur de navire. Mais ils auraient bien mieux fait de se méfier de moi, au lieu de penser pouvoir me vendre comme un vulgaire pourceau. » se gaussa l’assassin, tout en faisant jouer sa rapière autour de lui.

    « Je te conseille d’engager tous tes hommes dans le combat, petit chien, car tu ne seras pas de taille face à moi. Tu peux encore reculer, et te cacher derrières tes sbires, mais soit sûr que une fois que je les aurai tous exterminés, je te poursuivrais et te tuerais. Alors ne me sous-estime pas, Hakumen, et meurs en homme d’honneur. » le provoqua-t-il, avec un sourire sanguinaire.

    L’assassin s’arrêta alors une fraction de seconde et laissa un frisson lui couler le long de l’échine. La même tension euphorisante que précédemment coula en lui, alors qu’il se ruait sur son adversaire. Il feinta à droite et porta son attaque à droite, envoyant son épée courte vers son adversaire. Sa main libre, il dégaina quatre dagues et tourna sur lui-même, visant chacun des soldats accompagnant le Hakumen. Il se ramassa alors et bondit vers l’homme en blanc, fauchant l’air de sa rapière. Il ne cherchait rien d’autre qu’à gagner sa sphère de combat. L’assassin fit glisser sa rapière contre la lame de son adversaire et l’abandonna soudain pour révéler son autre main, d’où saillait sa dague secrète. Il leva le bras, aussi rapide qu’un homme pouvait l’être, et l’abattit, avec pour cible le cou. Le masque se terminait juste avant la tenue serrée, et libérait un léger espace que l’assassin comptait utiliser. Au moment même où il abattait son coup, le fil invisible reliant son âme à l’état de grâce dans lequel son statut de logia le plongeait réapparu. Ce fugace instant d’harmonie totale, une plénitude absolue. La lame destinée à Hakumen se désintégra avant même de l’avoir touché, et le bras vint en suivant, puis, comme une contagion inéluctable, le corps de Rafaelo disparu dans une gerbe de fumée, et passa à travers son adversaire ! L’assassin eut l’impression de rouler derrière Hakumen, tout en ayant le sentiment d’être étalé aux quatre vents. Il voulut hurler de douleur mais se rendit compte qu’il ne pouvait plus parler, et qu’il ne souffrait pas. Le monde devint grand et il se sentit maître de chaque chose. Comme s’il pouvait contrôler chaque parcelle de matière et la plier à sa volonté. Alors même qu’il formulait cette pensée, un bras grisâtre émana de la brume et disparut aussitôt. Alors que ce constat de puissance gonflait le cœur de l’assassin d’un plaisir sans nom, une sombre pensée s’imposa à lui. Et s’il n’était plus capable de réintégrer sa forme initiale, et si … ? La simple pensée, la simple panique de ne jamais y arriver ordonnèrent la masse incohérente de fumée en un corps humain. Les volutes s’ordonnèrent spirales infinies, soulevant un vent faible mais gémissant. Et Rafaelo réapparut, debout sur une palanque, les deux bras écartés, faisant fi du vide qui se dressait dans son dos. Comment avait-il réussi cela ? Et puis non, c’était une évidence : ses émotions guidaient son pouvoir. Lui qui avait tant de mal à les juguler, c’en était presque ironique. Il observa la paume de ses mains, et un sourire satisfait s’épancha sur ses lèvres. Il ne devait pas montrer, en aucun cas, qu’il était surpris. Cette pensée effleura son esprit et il se ressaisit aussi tôt. Césare ne l’aurait pas permis. Ainsi s’ouvraient à lui des possibilités infinies, mais pour l’heure, un combat l’attendait. Il profita donc de cette occasion inespérée pour tenter de terrifier son adversaire, tout en ayant l’air convainquant. Ce ne serait pas chose aisée à reproduire. Volontairement du moins.

    « Je réduirais toutes vos prétentions à néant, vous ne pouvez lutter contre un détenteur de Logia. »
    trancha-t-il.

    Un sourire moqueur naquit sur ses traits. Son cœur battait à un rythme qui aurait été inquiétant en d’autres circonstances. Une joie infinie commençait à se couler dans son corps. Non, il n’était pas un lâche, il n’avait pas fui par peur mais par nécessité et lorsqu’il reviendrait de ces terres de mythes et de légendes, il changerait le monde. Alea jacta est. Il déchirerait ce monstre blanc à l’arme si démesurément ridicule, sans même se douter qu’il s’agissait de l’autre moitié de son âme, qu’il s’agissait de Césare.
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      La roue tourne, et recommence son cycle période. La roue tourne, et pourtant les faits ne changent pas. Perpétuel et destructeur.


      Les nuages qui grignotaient de ci et de là le ciel s’écartaient tranquillement. Poussés par le vent qui sifflait et rouspétait dans la salle dépourvu de mur à l’est. Les trouées se firent légions, pour nimber la scène d’or, sur les mornes pierres. Un silence presque irréel dévorait l’espace entre son étrange opposant et l’homme masqué.
      Et par delà, le vide et sa promesse.

      Au bord du gouffre, il l’était. Sa psyché l’abandonnait par à coup, se retrouvant à ses frontières, les tâtant comme un aveugle cherche son chemin de sa canne. Des ténèbres, encore et toujours. Des visions le prenaient alors. Un homme richement vêtu, d’ocre et d’argent, rabattait sa capuche et trouvait son salut dans le suicide. Un autre, d'une parure minimaliste s'en drapait comme d'un heaume, se passant lentement la corde au coup. Ce ne serait pas une main étrangère qui mettrait fin à ses jours.
      Et tandis qu’il s’écartait vivement du torrent de pensées morbides qui le prenait, comme un enfant enlève la main du feu qui le brûle, Hakumen n’avait qu’une envie.
      Retourner dans ce puits sombre et froid, où peut-être trouver échos à ses questions.

      Certains combats sont assez atypiques. Certains, ne méritent même pas d’être nommés ainsi. D’autres, ne devraient jamais se dérouler. Et pourtant, la main invisible qui guide le guerrier ne lui laisse que trop peu souvent le choix. Qui peut se targuer aspirer à une vie de mort et de sang ?
      Il devait tenir.

      Les deux adversaires se toisaient encore, lorsque ses hommes se retirèrent dans le coin le plus éloigné de la salle. Ils savaient tout ce qu’ils avaient à perdre. La vie, et bien pis encore si l’homme en blanc utilisait son sabre. De l’avis de tous, il jouait à un jeu dangereux en jaugeant un adversaire à l’air si coriace. Seulement voilà, il ne pouvait pas se résoudre à le détruire comme tout les autres. Tant de questions, si peu de réponses.
      L’abime se rapprocha d’un pas, et instinctivement, il recula. L’adversaire attaquait.
      Feintant à droite, mais s’escrimant à porter le coup de ce coté-ci, un mouvement presque imperceptible agita la gauche. Hakumen connaissait ce geste. Il l’avait déjà vu. Un souvenir évanescent, flottant à la lisière de sa pensée immédiate, s’évertua à briser le bouclier de détermination qu’il s’était forgé. Des spasmes agitaient ses mains, et il sentait la sueur perler son front.

      Imaginant mille parades, n’esquissant même pas l’ombre d’un geste, le soldat vit la lame se diriger vers son crâne. Qu’avait-il cure de blessure ?! Lui qui maniait une épée capable de détruire le plus solide des rafiots. On ne pouvait pas le blesser. Immobile, pareille à une pierre immuable dans la rivière, Hakumen attendait le choc. Qui ne vint pas. Qui ne vint jamais.
      Passant au travers lui, une brume argentée se dispersa au quatre vent. Une sorte d’éclair lui vrilla les temps, tandis que l’Arme se laissait choir, un genou au sol.

      Un homme encapuchonné rengaine sa lame.
      « Quand vas-tu enfin être sérieux ? » le taquina-t-il, tout en dégainant sa rapière.



      Se relevant promptement, ne comprenant pas ce qui avait bien pu se passer, il était désarçonné. Son fruit démoniaque lui donnait-il pareil pouvoir ? L’homme auparavant si simple à concevoir se déforma, s’étira, devenant une ombre menaçante. Pourtant, le soldat ne pouvait le haïr, ne pouvait souhaiter la mort de celui qui l’avait fait tomber.
      Qui était-il ?

      Cette question n’avait pas sa place dans ce combat. Pas plus que tous les troubles dont il était victime, mais Hakumen n’y pouvait manifestement pas grand chose. En face de lui, d’un tourbillon informe, s’extirpa un homme, les bras levé comme pour une révérence. Son maintient n’avait pourtant rien de tel, on eut plutôt dit que c’était la manifestation de son orgueil.

      « Je réduirais toutes vos prétentions à néant, vous ne pouvez lutter contre un détenteur de Logia. »

      Démesuré. Que savait-il de lui ? Que savait-il de ces capacités et des effrayants pouvoirs qu’on lui avait donné? Avait-il une idée de cette chape de plombe sous laquelle ployaient ses épaules ? Tous les jours, le soldat revoyait les figures décomposées, calcinées, de ceux qu’il avait massacrer. Etalé ainsi ses capacités au grand jour, c’était peut-être se moquer de son manque de manières. Peuh ! Il pouvait bien se gausser, son mince sourire, il le ferait s’étrangler, se figer d’un rictus amer. C’était le gout de la défaite et de la mort. Et elle n’avait jamais rien de propre.

      Ce fut la colère qui l’emporta. Qui lui fit donner l’ordre de déguerpir à ses hommes, qui ne demandèrent pas leur reste.

      « Va au diable, toi et ton fruit ! Va au diable ! » S’entendit-il rugir, ses deux mains cramponnées au fourreau, fouettant le vide de son sabre.

      Une première détonation. Lointaine, trop pour être dangereuse. Suivit d’une explosion, qui de sa couleur jaunâtre tirant vers le roux, qui de sa chaleur étouffante, qui du bruit assourdissant qui vrillait les tympans, n’avait rien d’une blague. Une troisième suivit puis une quatrième, qui aurait pu lécher le visage de Rafaelo. Qui aurait-du réduire à néant sa vanité.
      Tandis que son adversaire jaillissait de l’écran de fumée qu’il avait lui même crée, Hakumen trahissait une nouvelle fois son instabilité.

      « QUI EST TU ! MAIS QUI EST-TU ? ! »

      Il bloqua la lame destinée à l’égorger. Se dégagea d’un pas de coté, même si son adversaire n’avait pas finit de le harceler. Prenant vivement appuis sur le sol, l’assassin changea brusquement de position, et le coup qui lui était destiné se perdit derrière lui. Il avait réussit à pénétrer son cercle, et l’avoir fait siens le rendait maître du jeu. Du moins le pensait-il, même quand son coup rencontra le vide.
      En appuyant du coude sur son arme, et en profitant de l’élan qu’elle lui avait donné, Hakumen avait sauté.
      Un coup de pied fouetté atteignit le visage de Rafaelo.
      Tandis que sa propre lame creva le masque d’Hakumen.


      Le voile rouge de la bataille s’en trouva dispersé. Un regard fauve posé sur lui.
      Le sang, quel goût affreux. Sa texture était admirable, un rouge ocre qui glissait sur le sol et fourmillait comme une cascade de rubis mais aussi insaisissable qu’un torrent en ébullition. Et ses contrastes, si chatoyants et pourtant morbides. Un symbole malsain de fin, de ténèbres. Il était pareil à de l’eau liquoreuse, mais sa chaleur était inégalée. Il refroidissait si vite qu’on l’eut cru éphémère, mais les tracés dont il régalait les yeux étaient tant de témoins et de preuves d’un violent trépas. Mais là où sa prestance était totale restait dans cette charpente où il était confiné, allait et venait sans une once de remord. On le pensa immuable mais en réalité il était inconstant, une image imparfaite de liberté et d’insolence. Alors pourquoi un goût aussi détestable ? Parce que c’était le sien ? Non, parce qu’il rappelait celui de la défaite, de la honte. La trahison pouvait aussi s’y apparenter, mais jamais l’amour n’y serait corrélé, ainsi donc son goût se devait d’être affreux. L’assassin se récupéra d’un roulé-boulé et se redressa comme si le coup n’était jamais venu. Mais la douleur était là. Ainsi donc, son pouvoir ne faisait pas tout pour lui. Il était inconstant, allant et venant sans même avoir la décence de se plier à la volonté de son détenteur. C’était risible, en un sens, de voir que sa nouvelle acquisition n’était pas aussi malléable que le métal entre ses mains. Il s’essuya le sang qui coulait abondamment de sa lèvre d’un revers de main et se rappela soudain la sensation écœurante d’un crissement grinçant, le contact de sa lame contre ce maudit masque immaculé. Ce masque qui se contentait de lui renvoyer une image amoindrie de sa propre personne et lui riait au nez de sa simple chasteté. Un sourire rouge se dessina sur les lèvres de Rafaelo, découvrant ses dents souillées par le liquide. Il cracha par terre et ramassa sa rapière. L’écran de fumée ne s’était pas encore dissipé, c’était là un rideau faisant durer l’horrible suspense, de savoir qui des deux combattants avait mis à terre l’autre. Avisant que plus personne ne restait là, l’assassin fit glisser sa capuche sur sa nuque et palpa sa pommette douloureuse. Hakumen devait être en bien plus piteux état, du moins si le masque n’avait pas tout pris à sa place. Mais quoi qu’il arriverait, Rafaelo le tuerait, alors pourquoi s’inquiéter de montrer son visage ? La vérité tenait aussi lieu dans le plaisir qu’il éprouvait à montrer son visage aux agents du gouvernement qu’il tuait, qu’il puisse rester la dernière chose qu’ils contemplent en leur pathétique vie était une jouissance pour l’assassin. Une revanche mesquine et particulièrement cruelle, mais il n’était pas un ange, bien loin de là.

      Se massant le menton, le jeune Auditore fit un pas en direction du rideau de fumée engendré par les attaques du Hakumen. Il possédait là une capacité bien intriguant, à générer des explosions à qui mieux-mieux, mais il pensait n’avoir rien à craindre de ce côté-là, n’était-il pas composé de fumée ? Enfin, il le pensait jusqu’à prendre ce coup, son pouvoir était légèrement incontrôlable et réagissait très mal aux imprécations de l’assassin. Il avait cru, quelques secondes auparavant, comprendre comment cela fonctionnait, mais c’était encore très erratique. Il resta donc sur ses gardes en traversant le maigre rideau grisâtre lorsqu’une étrange aspérité grinça sous son pied puis craqua sous la pression. Il leva la pointe de sa botte et découvrit les restes de ce sordide masque. Dire qu’un instant il avait cru reconnaître la voix impérieuse de son frère dans les intonations métalliques de cet imbécile de monstre blanc. Il avait ignoré ses demandes, se gaussant de la folie de son partenaire de jeu, pensait-il vraiment qu’il pourrait se jouer de l’assassin ainsi ? Son intonation trahissait une certaine panique, mais hors de question qu’il se laisse prendre. Il n’était pas tombé de la dernière pluie. Epée en avant, Rafaelo écarta les dernières volutes de fumée et révéla le macabre spectacle. Les sbires de Federico Borgia avaient bien mal digéré les explosions, et la plupart étaient recouverts de brûlures et de diverses contusions, les moins chanceux étaient éparpillés ça et là, en un spectacle répugnant. L’assassin aurait certainement rendu son repas s’il n’avait été habitué à bien pire. Ce genre de mort manquait totalement de dignité, il fallait vraiment être une créature malsaine pour agir et se battre ainsi. Soudain, son regard accrocha un détail au milieu du carnage. À nouveau, la silhouette immaculée de son frère le regardait, mais il était cette fois couvert de sang. Les yeux de Rafaelo s’écarquillèrent mais il comprit qu’il ne s’agissait là que d’une énième vision. Ces apparitions étaient extrêmement troublantes, elles agissaient comme si son esprit essayait de lui transmettre un message, comme si …

      « Césare ? » marmonna l’assassin, laissant tomber sa rapière.

      Il ouvrit la bouche, voulant proférer une quelconque autre parole, mais un maelström d’émotions déferla alors en lui. Tout son corps se crispa et l’air lui manqua. Non, impossible ! Ce ne pouvait être lui ! C’était son esprit qui lui jouait des tours, oui c’était ça ! Son frère était en train de croupir dans une geôle, il ne pouvait être ici. Une douleur aiguë foudroya l’assassin à la poitrine, et il vacilla un instant, portant sa main sur son cœur.

      « Non … non, non, non, non. Non !! Non !! »
      murmura-t-il, comme un dément.

      Il fit alors un pas vers l’homme à terre, et un nuage de fumée s’exhala de lui, le teintant d’une sombre aura grise. Un vent puissant se souleva, alors que la fumée s’échappait de lui et revenait en un cirque infernal. Sa stupeur mêlée à une incompréhension totale le paralysait presque. Une larme s’échappa soudain de son œil et fut aussi tôt aspirée par la fumée, se désagrégeant dès qu’elle fut tombée de la paupière de l’assassin. S’il ne pouvait le confirmer, son âme le savait. Tout avait été fait pour le prévenir. Rafaelo tomba à genoux et se rapprocha de son frère. Il leva vers lui une main tremblante, et une autre larme coula sur sa joue, avant de disparaître en fumée elle aussi. Son cœur cognait si fort contre sa poitrine qu’il en avait presque mal, il n’aurait su dire ce qu’il éprouvait au juste, mais à la douleur se partageait le bonheur. Il lâcha une sorte de sanglot et eut du mal à inspirer l’air qui lui venait. Matérialisant ses émotions, la fumée s’organisa autour de lui, et entoura les deux frères en des allées et venues les coupant du reste du monde. Soudain, du tas de sentiments épars, l’un d’entre eux sortit de cette montagne et emporta l’assassin dans son élan. La fumée s’organisa en un tout cohérent et se dissipa en partant dans les cieux et s’écrasant contre le plafond. Le calme se fit soudain, alors que l’assassin levait un regard noir vers son frère.

      « Tu … nous … as … trahi ? »
      murmura-t-il, se relevant en prenant appui sur son genou.

      Il se redressa de toute sa taille et toisa Césare. Il serra son poing et parla de manière plus audible, soufflant comme un bœuf, abasourdi qu’une telle pensée se soit imposée … et surtout qu’elle puisse se vérifier.

      « Tu nous as trahi ?! Césare, mon frère … TU NOUS AS TRAHIS ?!!! »
      hurla-t-il, attrapant son jumeau par sa tunique, au niveau de la poitrine.

      Tant sa rage était grande, il ne s’était pas rendu compte qu’en un instant, il s’était dématérialisé pour se rassembler devant son frère, et le saisir par le col. Il le leva sans mal à sa hauteur, et découvrit ses dents en un rictus de dément. De légères volutes s’exhalaient alors de lui, de temps à autre, alors qu’il attendait la réponse fatidique. Il respirait bruyamment, sa stupeur et sa colère étaient trop grandes pour être contenues par son seul corps. Tout ceci était trop pour lui, et plus les secondes s’égrenaient, plus sa poigne se raffermissait. Rafaelo était visiblement en état de choc, mais comme toujours, c’était sa rancœur et sa haine qui le guidaient. Il était impossible à ses yeux que cet état ne soit pas uniquement du fait de son frère. Il l’avait toujours idolâtré, comment pouvait-il faillir à sa tâche s’il ne le faisait pas délibérément ?
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        Un trait de feu barrait son visage, le souffle du vent attisant la douloureuse blessure, le soldat tempêta en silence. Contre lui même, contre son mystérieux adversaire, contre les éléments. La lame avait frappée juste, crevant son masque et déchirant ses tissus en diagonal. La mince ligne rougeâtre zébrait sa joue gauche, jusqu'à son arcade sourcilière droite. Et ça faisait un mal de chien.
        Il sentait la colère gronder au fond de ses tripes, un chien déchainé, un loup en colère d’avoir été blessé par sa proie. Instinctivement il retroussa ses lèvres, dévoilant une rangé de dents à qui voulait la voir. C’était mauvais. Sa logique partait en vrille, le fier navire de devoir et d’honneur qu’il s’était crée, quand à lui partait a veau l’eau. Cherchant son arme du regard, comme si elle pouvait lui permettre de se raccrocher à sa seule certitude, que toute sa vie n’était pas qu’un mirage. Désorienté, déstabilisé, le soldat n’eut même pas le réflexe de rendosser le masque. Première erreur.

        « Bordel! On y voit pas à deux mètres dans cette poix ! » S’exclama-t-il, tandis qu’une ombre s’approchait de lui, en silence.

        Battant des bras comme s’il cherchait l’équilibre, le soldat ne se sentait plus qu’ombre, comme si on lui avait arraché quelques possessions. Très précieuses. Il le savait depuis longtemps, des pans entiers de sa mémoire avaient été arrachés. Sans ménagement, comme si on lui avait prélevé quelques parties de son corps au fer blanc. Et la douleur persistait encore. Foutue douleur. Il l’avait en horreur. Sa main était lourde et cotonneuse et son gant moite et poisseux, lui laissant une désagréable sensation sur le visage. Le sang qui obstruait auparavant sa vue laissa miroiter un visage neuf, comme s’il venait de s’arracher une simple mue.
        Quelle belle explosion ! Les débris broyés qui restaient en suspension lui voilait la vue, à moins que ce ne fut là conséquence de ses étranges visions. Ces pensées s’envolaient à qui mieux mieux, et son corps tressaillait de faible soubresaut. Elle avait bel allure, l’Elite, la fine fleur de la marine ! Hakumen serra le poing, rageur, tentant désespérément de contrôler ses muscles tétanisés. Peine perdu, le corps l’emportait plus souvent sur l’esprit que ce que disait l’adage.

        Il perçut un mouvement, à sa droite. Se retournant vivement, il fit fasse à la cause de tout ces tracas. Pourtant, s’il lui répugnait à le haïr, il lui répugnait aussi à le combattre. Sans le savoir, son instinct de prédateur – à moins que ce ne soit une tare sanguine ? Lui ordonnait de ne pas s’attaquer à l’homme encapuchonné. Ils étaient de la même meute.

        « Césare ? » murmura presque l’assassin.
        « Césare ? » Reprit-il, comme un simple d’esprit.

        Il ne comprenait pas. Il ne comprenait plus. Trop de chose lui échappait, et cela le mettait dans un état pis encore. Ce fut alors son tour de souffrir quelques tourments psychologiques. Son tour de s’exclamer comme un dément. De minces filets de fumée argentée s’échappait de lui, contrastant sur le gris terne qui s’attardait encore. Tantôt coulant, tantôt jaillissant, Hakumen ne savait se qu’ils voulaient signifier.
        Se ramassant sur lui-même, d’une garde bien exécutée, le soldat était en tout cas prêt à en découdre. S’il lui fallait.

        L’assassin s’approchait, il était là.

        « Tu nous as trahi ?! Césare, mon frère … TU NOUS AS TRAHIS ?!!! »

        Ses mots étaient plus incompréhensibles que ces geste. Mais de qui parlait-il, à la fin ?! Blesser plus par son orgeuil que par la poigne, sa réaction fut violente.

        « De quelle trahison parle-tu ! Putain, mais qui es-tu ?!! DE QUEL DROIT ME PARLES TU AINSI ! » La voix tonna. Impérieuse, impériale, injonction qui ne pouvait souffrir d’opposition.

        Son poing se leva mollement, comme si prononcer ces paroles lui en avait couté plus que de raison. Son poing se leva mollement et s’écrasa contre le visage de son « frère ». Passant au travers lui. Ah, comme c’était amusant. Il n’arrivait même plus à le frapper.
        Se dégageant de l’étau de l’assassin, ses yeux se voilèrent. Un nouvel éclair vrilla ses temps, et sa visions ne fut plus qu’immaculé, tandis qu’il s’échouait à terre.

        ***

        « Une étendue de nacre et d’opaline,
        Une étendue glacée, dont la morsure piquait son corps à nue. Dont la morsure évoluait lentement de ses pieds, pour venir picorer ses mollets. Le ciel n’était que grisaille, et des flocons battaient sa peau, crevaient ses yeux.
        Devant lui, des monticules de neiges, que son pas s’escrimait à vaincre. Devant lui, une silhouette encapuchonnée, qui crie quelque chose.

        Pourtant il n’entend rien. Il ne comprend rien. Il n’aspirait qu’au réveil. Un brusque tremblement tourmenta son corps. Ce fut comme si ces oreilles se décidaient enfin à se déboucher. Et un écho assourdissant se fit aux paroles de l’homme.

        « Césare ! » Tonna la voix, qui venait du ciel, reprise par le murmure du vent qui venait de se lever.

        Et soudain il sut.
        »

        ***

        Étendu à terre, son corps secoué de spasmes douloureux, Césare ouvre les yeux. Regarde son frère de son fauve si inquiétant. Sa voix, faible et chevrotante, parvint à marmonner.

        « Rafaelo.. »

        Avant qu’un voile noire ne veuille s’emparer de lui.
        Qui es-tu ? Non. Ce n’était pas … Un tremblement imperceptible l’anima. Il secoua la tête, comme si ce n’était pas possible. Il plissa les yeux, voulant chasser cette image. Il tenait entre ses mains le pâle reflet de son frère, une marionnette brisée de ce que l’Empereur avait pu incarner. Comment avaient-ils pu anéantir Césare ? Comment ?! Paradoxalement, plus que l’ombre de son jumeau, c’était sa propre image que lui renvoyait le Hakumen. Une vision terne et maladive de la hargne qui le consumait, qui le rongeait. Ses cheveux étaient noirs, et la cicatrice qui lui barrait le visage était encore maculée de sang, mais elle se cautérisait à une vitesse incroyable. Un poing se leva soudain, mais l’assassin était trop abasourdi pour réagir. Ses mains passèrent alors au travers de la tunique, tandis que le poing de l’homme lui trouait le visage. Rafaelo regarda ses doigts qui partaient littéralement en fumée et sentit à nouveau ce sentiment étrange de distorsion. Il suffoqua un instant, et recula maladroitement de quelques pas, tandis que ses pieds eux-mêmes s’enfonçaient dans le sol. Il tomba à genoux et perçut le contrôle de son état perdre en substance. Il voulut parler, mais ce fut seulement le son du vent qui lui répondit. Et alors qu’il se dispersait, il vit la tête de son frère se relever et murmurer son nom. Il voulut lui répondre, mais il n’était plus aux commandes, son être se pliait au pouvoir capricieux du fruit du démon, et sa colère l’avait versé dans cet état inaltérable. Il voulut hurler son désespoir, mais il était à bout de forces. Peut-être était-ce cela la raison pour laquelle il n’arrivait pas à reprendre le dessus. Du bout des doigts, l’assassin caressa celle de son frère puis tout ne fut qu’une volute insaisissable. La salle était alors pleine de cette fumée grisâtre, tandis que Rafaelo se sentait tiraillé de tous les côtés de son être … sauf que cette fois la douleur était de mise. Il ne pouvait imposer sa volonté pour maintenir la cohésion de ce maudit corps inconstant, ainsi chacune de ses cellules vaporisées lui signalait qu’elle ne pouvait se plier à sa demande. Ressentirait-il la même douleur s’il était blessé par du granit marin ? Etait-ce là la limite de ce maudit fruit ? Non, c’était sa propre limite. Maîtriser cette capacité hors du commun demandait une force hors du commun. Mais il n’était encore qu’un simple homme. Bientôt il s’affranchirait de cet état … et il sauverait son frère ! À nouveau, l’assassin voulut tendre une main vers son jumeau qui oscillait entre le conscient et le sommeil. Il sentait son cœur s’emballer, sans pour autant qu’il soit là. Il percevait tout comme un homme dont les perceptions étaient étendues, mais curieusement ses émotions se logeaient au même endroit qu’auparavant. D’ailleurs, sa pensée émanait du nuage dans son ensemble, et pas seulement d’un point précis. C’était inhabituel, pour ainsi dire.

        Des hommes en noirs posèrent soudainement leurs bottes à l’intérieur de l’être de Rafaelo. Il ressentit cela comme une violation de sa personne mais il y était impuissant. Il n’entendait plus que ce mugissement entêtant, ce vent qui cherchait à le cueillir au bord du précipice, où il s’écoulait petit à petit. Il voulut crier à ces soldats de laisser là son frère, il les menaça de tous les supplices mais aucun mot ne vint à sa bouche. Il n’était plus que fumée, et un instant il se prit pour un fantôme, versé ainsi aux bords de la conscience de son frère. Il tendit la main, mais seule sa volonté réagit. Il se sentait perdre en force au fur et à mesure, comme si le simple fait de penser lui pompait toutes ses forces. Voilà un bien lourd tribu, que son fruit lui demandait : un pouvoir incommensurable certes, mais impossible à juguler face à ce coup du destin ! Il retrouvait tout le même jour, et fatalement, sa soif de puissance l’avait conduit à perdre son frère, encore. Mais au moins maintenant, il savait qui il était, il savait qu’il pourrait le retrouver ! La Marine avait réussi à le briser, à lui faire perdre le souvenir même de son frère mais cela ne s’arrêterait pas ainsi ! Il lancerait toute l’Union à sa traquer et détruirait ceux qui avaient osé porter la main sur lui ! Ce sabre était une hérésie au nom des Auditore, et il détruirait ces enfoirés ! Les Borgias aussi … Tous autant qu’ils étaient ! Il essaya de planter ses mains dans les rainures de la pierre, de se ficher là où les pavés se séparaient mais son corps n’était plus ce qu’il était. Il s’étendait maintenant à cette chape impénétrable et volatile. Le vent puissant de la salle le chassait petit à petit de ce domaine, en punition de sa présomption. L’assassin hurla, encore et encore mais rien ne pouvait y faire. Il en avait trop fait, avait trop demandé de faveurs pour aujourd’hui. Son corps, Logia ou non, était à bout de forces et il y avait une limite à toute chose. C’est alors qu’il tenta le tout pour le tout et se laissa emmener un instant. Il rassembla ses esprits dans ce qu’il prit pour un coin de sa personne et se projeta une dernière fois au milieu de l’esplanade. Une forme floue de lui-même apparut alors, et se dressa devant Césare. Les couleurs ne prirent pas forme et la silhouette partait en fumée, mais il était là ! Il inspira autant qu’il put, et l’illusion qu’il maintenait à grand peine de son propre corps lâcha ses derniers mots avec une voix grave venue d’outre tombe.

        « N’oublie pas … qui tu es ! »


        Puis ce fut tout. Il se dissémina aux quatre vents, et la fumée fut avalée par le gouffre. L’assassin eut l’impression d’être douloureusement balloté dans tous les sens mais il n’y pouvait plus rien à présent. Son endurance avait atteint ses limites, et il sentait peu à peu sa conscience fuir par tous les pores de sa peau. La dernière vision qu’il garda avant de sombrer fût celle de son frère, allongé et habillé de blanc. Il était entouré de dix hommes en noir, qui semblaient le protéger. Il aurait tant voulu lui dire plus, mais il était exténué. Mais cette fois il savait, il savait où chercher et que faire pour reprendre son frère ! Il abattrait ces dix corbeaux qui lui tournaient autour et planterait sur une pique la tête de celui qui avait commandité tout ça. Et pour la première fois depuis longtemps, il avait une raison tangible pour se répandre en meurtres et en massacres ! Sa vengeance prenait une toute autre ampleur, et sa haine une dimension encore plus effarante. Sa dernière pensée fut pour la sauvegarde de son frère, et l’amour qu’il lui portait … ainsi que la mort de tous ceux qui avaient osé le museler ainsi. Il ferait tout pour rendre sa liberté à Césare. Et il le jurait sur sa propre vie !
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