Si tu es pressé, fais un détour.
La brise matinale caressait la peau d'Hayato. Asanagi. C'était ainsi que son défunt père adoptif et mentor l'avait surnommé, après l'avoir vu contempler le lever du soleil, jour après jour. C'était une habitude qu'il avait prise depuis sa plus tendre enfance, dans les bas fonds de Las Camp. Se lever aux aurores, se tenir droit et fier face à la nature, pour en apprécier la beauté, au sein de ce monde tumultueux. Les années étaient passées mais, toujours, Hayato avait gardé ce rituel.
*Que de souvenirs...*, se rappela-t-il en pensée. *Que de chemin parcouru.*
En ce jour, l'épéiste se tenait à la proue d'un navire, en équilibre sur un sloop bravant les flots de North Blue. Il admirait un autre lever de soleil, bercé par les vagues et les vents marins. Le vent frais sifflait à ses oreilles, tandis que les embruns de la mer volaient en tous sens, lorsque le navire retombait sur les flots avec fracas. En ce jour, le vagabond marquait d'une pierre blanche une étape clé de son voyage. Le simple civil allait s'éteindre, pour laisser le chef de famille s'éveiller. En ce jour, Suisou Hayato terminait son long périple initiatique à travers les Blues.
En ce jour, il allait continuer son chemin auprès de son nouveau clan.
Les paroles de Jinro-san lui revinrent, aussi nettement qu'onze ans auparavant, lors de son dix huitième anniversaire. « Hayato, aujourd'hui tu deviens un homme. Loin d'être une sinécure, la route d'un homme est percluse d’embûches, de lourdes responsabilités, et doit être arpentée avec honneur. Alors, mon fils, je t'en conjure... Si tu es pressé, fais un détour ! ». Il lui avait alors lancé un de ses sourires espiègles qui amusaient tant Hayato. Trop jeune à cette époque, il n'avait pas saisi toute la portée des mots de son bienfaiteur. Fort heureusement, alors qu'il quittait Las Camp dans des circonstances tragiques, deux ans plus tard, l'épéiste avait mesuré l'ampleur du chemin qui lui restait à parcourir et, comme s'il l'avait aidé une dernière fois, ces mêmes paroles de Jinro-san lui étaient revenues.
Quel détour !
Neuf ans plus tard, il avait mûri. Assez pour le comprendre et, surtout, assez pour reconnaître que cette fameuse route s'ouvrait à peine devant lui. À présent qu'il avait su séduire et regrouper un groupe aussi hétéroclite que prometteur, Hayato souriait. Seul sur le ponton, le vagabond souriait à la vie, à la mer et au royaume de Luvneel, dont il apercevait la silhouette au loin. Son développement personnel l'avait reconduit jusqu'ici mais, à présent, ses plus grands défis l'attendaient : créer une famille soudée, puis rassembler, fédérer et guider des hommes et des femmes aux valeurs similaires, qui croiront en lui et l'épauleront, dans la dure tache qui l'attendait. Rendre fier son père adoptif signifiait se hisser au sommet du monde, mais aussi devenir un homme d'honneur.
« Le plus dur reste à faire. », s'amusa Hayato en pensée.
Comme toujours, Hayato était serein, malgré l'avenir incertain qui s'étendait devant lui. Ses compagnons avaient-ils réussi à rejoindre leur point de ralliement ? Allait-il réussir à trouver les mots justes, à réunir ces fortes personnalités sous sa bannière, à présents qu'ils étaient tous rassemblés au même endroit ? Car si leurs aventures en duo lui avaient permis d'attiser respect et considération chez chacun d'entre eux, encore fallait il qu'ils s'apprécient ou, à défaut, se tolèrent. Il gardait un cruel souvenir de son frère adoptif qui, par jalousie autant que par ambition, avait poussé le clan Suisou à la ruine. Des cendres de sa famille, le nouveau Oyabun auto proclamé entendait bien faire jaillir une flamme ardente. Ses questionnements n'avaient en rien entamé sa détermination. Il bravait donc les flots, aussi calme qu'au premier jour, en direction d'une nouvelle vie.
Alors que les autres voyageurs un peu moins matinaux que lui se réveillaient, il profitait encore du spectacle dans son îlot de paix. Bientôt, il entendit des bruits de pas retentir sur le ponton. Si l'équipage avait le pied sûr, en pleine mer, cette démarche-ci différait foncièrement de celle des marins. Comme tous les épéistes, Hayato avait appris à juger les hommes non seulement à leurs mots et à leur attitude, mais aussi à leur simple manière de se déplacer. De celle de l'ivrogne notoire, lourde, malaisée et titubante, à celle de l'artiste martial, souple, assurée et légère, il existait autant de démarches que d'hommes. Aussi, les sens aiguisés du bretteur surent reconnaître un pas étonnant, au milieu de ceux prestes mais stables de l'équipage. On aurait dit qu'une panthère s'approchait de lui. Toujours entouré d'une aura de calme, animé par cette détermination en ce jour si particulier, Hayato se retourna pour lancer un regard attentif au nouveau venu.
Seul l'équipage s'affairait autour de lui.
Il arqua un sourcil, ne sentant plus du tout cette présence si particulière. Malgré ses multiples tentatives, il ne put repérer quiconque sortant de l'ordinaire. Gardant cette situation déroutante en tête, il se concentra sur son environnement pour le reste du trajet. Une fois à terre, il retrouva un brin de sérénité, ne sentant plus du tout cette fameuse panthère. Il se tourna derechef vers le lever de soleil, lorsqu'il entendit de l'agitation derrière lui. Il repéra un homme dont la silhouette lui disait quelque chose, sans réussir à mettre un nom sur ce visage. Il inclina légèrement son buste, avant de lancer :
- Je pensais être le seul à me lever aussi tôt. Si le coeur vous en dit, joignez-vous à moi, le soleil commence à peine à se lever.
Dernière édition par Suisou Hayato le Mer 10 Jan 2024, 12:44, édité 1 fois