Andrea, Agent du Cipher Pol

Le Major Miles soupira. Être responsable des ressources humaines du Cipher Pol impliquait de devoir composer avec des personnalités fades au cerveau lavé par la propagande étatique du gouvernement mondiale. Bien. En même temps, il ne voulait pas recruter dans les rangs de la justice de l’ombre des gens qui puissent remettre en doute l’institution quasi-millénaire qu’ils servaient.

Cependant, la lettre de recommandation qui se tenait sur son bureau lui faisait pressentir qu’il n’aurait pas à faire à un simple gamin nourrissant le rêve enfantin de devenir un agent secret.

Jamais l’Agent Tarentule ne s'abaisserait à recommander des personnalités aussi fades qu’un pet de mouche en plein été. Non, à tous les coups, ça devrait être une erreur de la nature ou l’un de ces électrons incapables de suivre les ordres dont la seule utilité se trouvait dans le combat. Si c’était le cas, il enverrait la candidature à la Marine. Qu’est-ce qu’ils ne comprennent pas dans “Agent Secret” ? Il lui fallait des éléments subtils et discrets ! Pas des bourrins voyons !

“Enfin bref, voyons ce que nous avons là…”

Le Major ouvrit le courrier et découvrit alors trois feuilles de papiers uniquement remplies sur le recto, sur lesquelles on pouvait y déceler une écriture riche et soignée, comme si son auteur s’était adonné à de la calligraphie.

“Cher Major,

J’ose espérer que vous vous portez bien mais contrairement à vous je manque de temps donc je vais entrer dans le vif du sujet. Cette lettre de recommandation que vous tenez entre vos mains concerne une connaissance personnelle qui m’est chère et qui souhaiterait rejoindre les rangs du Cipher Pol. Son nom est Andrea Corneliani, et il est originaire de Saint Urea, tout comme moi.

Si j’engage ma responsabilité sur sa candidature, c’est parce que j’ai l’intime conviction qu’il a le mental requis pour accomplir nos missions : résilience, adaptation, improvisation et forte intuition font partie des qualités qu’il possède et que j’ai pu observer chez lui à de nombreuse reprises et ce, depuis notre plus tendre enfance.

Je peux aussi ajouter qu’il s’agit d’un esprit brillant, fort d’un excellent parcours académique pour un roturier. Il a toujours eu un goût prononcé pour les livres et l’histoire en général. J’ai cru comprendre que ses parents étaient un couple de savants reconnus. Son amour de la connaissance lui vient sans doute de là. Son érudition est d’autant plus intéressante qu’il est tout à fait capable d’appliquer ce savoir dans des situations concrètes, rendant donc Andrea tout particulièrement versatile.

Sur le plan psychologique, il s’agit d’un individu fier et passionné qui obéit à un code moral qui lui est propre. Bien qu’il n'ait aucun souci à respecter la chaîne de commandement, il tient férocement à avoir le champ libre durant ses missions. N’essayez pas de le forcer à agir d’une façon qui lui déplaît, c’est le meilleur moyen pour qu’il se retourne contre vous. Il me semble que la défense d’esclavagistes soit le seul point ou il negocie pas. Ah et les enfants aussi.

La fierté dont il fait preuve est par ailleurs aussi son plus grand défaut : bien qu’il soit au courant de ses capacités, il a fortement tendance à se surestimer ainsi qu’à sous-estimer les personnes avec qui il travaille ainsi que ses adversaires. Ce qui peut donner lieu à des conséquences tragiques mais rassurez-vous, je serais la pour le tenir en laisse si ça arrive.

Par ailleurs, bien que je sois convaincu d’être son plus vieil ami, je ne suis pas en mesure de vous dire que je le connais sur le bout des doigts. Il ne m’a jamais parlé d’une ambition cachée ou d’un rêve, Andrea n’est pas vraiment un individu qui se confie. Et à vrai dire, je ne sais même pas ce qui le motive à rejoindre le Gouvernement Mondial, si ce n’est la lassitude ou l’envie d’un travail excitant, légal et bien rémunéré. De part son parcours, il a toujours eu une certaine proximité avec la Pègre et j’ai d’ailleurs cru qu’il allait finir dedans, vu le style qu’il renvoie. [...]”
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  “ […] Dos voûté, posture de racaille et toujours la clope au bec, la démarche d’Andrea contrastera fortement avec sa fonction d’agent du gouvernement. Faisant deux mètres et quinze centimètres de haut pour 95 kilos, son gabarit est adapté pour les efforts physiques qu’exigent son métier, comme tout bon agent du Cipher Pol qui se respecte.

Ses longs cheveux roses, dont il est très fier, font l’objet d’un soin méticuleux tous les matins : en effet, son rituel de soin capillaire lui prend en général la moitié de sa matinée ainsi qu’une bouteille de shampoing entière afin que cette singulière couleur saumon constellé de pois noirs gardent leur éclat. A cela s’ajoute une intensive et tout aussi soigneuse séance de maquillage comprenant rouge à lèvre, eyeliner & mascara ainsi que vernis : pour Andrea, la véritable beauté se retrouve dans la fine limite qui sépare l’homme de la femme et c’est uniquement en embrassant cet aspect androgyne que l’on peut réellement se considérer comme “beau”. D’après lui, la véritable beauté transcende les codes et les normes pour directement toucher le cœur des gens. La beauté authentique est synonyme de liberté.

Cette liberté, on la retrouve dans la façon d’agir d’Andrea: tantôt grandiloquente et maniéré, il peut agir avec une grâce princière sans pour autant réclamer être le centre d’attention, chose qu’il abhorre. Cependant, il lui est tout aussi possible d’agir de manière brutale, imposant sa présence par la force qu’elle soit verbale ou physique, à la manière des criminels peu scrupuleux qu’il se fait un devoir de chasser. Parfois, il lui arrive de combiner les deux démarches pour donner naissance à un Andrea “brutalement grandiloquent”, qui est sans aucun doute sa façon d’agir originelle : Eros et Thanatos, plaisir et pulsions violentes, le gentilhomme et la brute ne sont pas des partis opposés chez lui ; elles sont complémentaires

Toujours habillé de façon sobre, il est rare de ne pas voir notre future agent sans un beau costume : qu’il soit blanc ou noir, chacun de ses costume est taillé sur mesure. Une délicate odeur de cologne l’accompagne constamment, masquant les senteurs belliqueuses et peu raffinées du fer et du sang. S’adossant constamment dès qu’il en a l’occasion, on a l’impression au premier abord que c’est un fainéant fini. Mais je vous assure que c’est un élément proactif totalement dévoué à la tâche qui lui sera confiée.

En espérant une issue favorable à cet entretien, je vous prierai d’agréer, Madame, Monsieur, à l’exacte mesure de mes sentiments distingués.”

La signature de Capulina Dubal, aussi connu sous le nom d’Agent Tarentule, ornait la fin de la lettre. Sa réputation le précédait, et il avait du mal à croire qu’elle pouvait être aussi élogieuse envers un seul individu. Il se souvient encore de sa rivalité avec Alcea quand elles étaient plus jeunes… Sale histoire. Mais si elle en est venu à écrire une lettre de recommandation, c’est que cet individu doit vraiment être exceptionnel. Et en plusieurs décennies de gestion des ressources humaines, il avait appris à faire confiance aux jugement des électrons libres comme Mme Dubal.

Un, deux puis trois coups retentirent à la porte.

“Entrez.”

Le port altier, une élégance princière et toujours la clope au bec, la démarche d’Andrea contraste fortement avec la description qu’il venait de lire.

“Yo. Alors, j’suis pris ?”
 

 Un autre soupir échappa des lèvres du Major.

“Eteignez cette cigarette et veuillez vous asseoir, je vous prie.”

Un rictus pour seule réponse, la future recrue écrasa la cigarette entre ses mains avant de la jeter à la poubelle, complètement éteinte. Puis, d’un pas lourd et paresseux, il se dirigea vers chez la chaise qui lui était destinée avant de s’avacher dessus et commença à se balancer, à la manière d’une chaise à bascule.

Le comportement de ce jeune homme commença à lui taper sur le système, mais pour sa défense, il avait été prévenu. Il décida de passer outre - pour cette fois du moins.

“Enchanté de faire ta connaissance, Monsieur Cornelianni. Je suis le Major Miles, l’un des nombreux responsables des ressources humaines du Cipher Pol. Vous avez été recommandé par l’une de nos agents, qui se trouve aussi être une de vos connaissances. Sans plus attendre, commençons cet entretien avec une première question : parlez-moi de vous.”

Andrea fixa son interlocuteur dans le blanc des yeux. Il ne comprenait pas. Si Capu l'avait recommandé, pourquoi se retrouvait-il à passer un entretien d’embauche comme l’épicier de la Rue des Mendiants ? Ne savait-il donc pas qui il était ? Que la pègre de Saint Urea lui obéissait au doigt et à l'œil ? Nan ? Peut-être qu’il ne savait pas. Dans ce cas là, c’est Capu qui a encore merdé. Elle avait toujours pué la merde pour introduire des gens proches d’elle. Il se souvient de la première fois qu’elle lui parla de sa famille. Un véritable cauchemar.

“Moi c’est Andrea. J’ai grandi à Saint Urea toute ma vie. Mes parents, avant leur disparition, étaient des membres estimés de notre communauté. Papa était un historien de renom, qui se plaisait à compiler les différentes guerres qui prenaient place dans le monde. Maman était une zoologiste qui développait une thèse sur les rois des mers et leur importance dans l’écosystème. Je voulais suivre leurs traces et devenir un chercheur comme eux, mais ils se sont volatilisés le jour de mon sixième anniversaire.”

Ce qu’il ne dit pas, c’est que ses parents étaient tous deux descendants des survivants de l’ancienne Ohara, détruite il y a 100 ans par le Gouvernement Mondial suite au Buster Call qui ravagea l'île et l’arbre de la connaissance. Le goût de l’histoire et la recherche de la vérité n’était pas le seul héritage qu’ils avaient laissé à leur fils : ils lui ont aussi appris à lire l’écriture la plus dangereuse du monde : celle des ponéglyphes. Dès son plus jeune âge, il était au courant du danger qu’un tel savoir lui faisait courir et cela constitue même aujourd’hui son plus grand secret.

“Comment avez-vous fait pour survivre ?”

“Capu. Avant même la disparition de mes parents, les Dubal et ma maisonnée étaient voisins. Elle avait de mauvais rapports avec sa famille, et moi j’était enfant unique. On est très vite devenu bons amis. Alors, quand mes parents ont disparu, elle s’est occupée de moi. Et quand elle fugua de chez elle, je suis alors devenu sa famille. La seule dont elle a besoin.”

Miles pouvait ressentir la reconnaissance et la gratitude qu’Andrea éprouvait pour la Tarentule. Il ne faisait nul doute qu’il arborait une féroce loyauté pour celle qui l’a recueilli lorsqu’il avait personne vers qui se tourner. Vu les déboires que la jeune Dubal traversait actuellement, ce ne serait pas du luxe que d’avoir au moins un allié dans ce monde contaminé par les bureaucrates véreux et agents peu scrupuleux.

“J’ai cru comprendre que vous aviez un certain antécédent… juridique. Pas assez grave pour que vous soyez qualifié de criminel, mais vous êtes déjà un solide délinquant. Le niez-vous ?”

Un rictus anima à nouveau le visage d’Andrea. Celui-ci était plus carnassier, plus animal que le précédent.

“Absolument pas. La conquête des rues de Saint Urea était jouissive. Capu et moi faisons la paire parfaite. Très vite, les gangs furent contraints de respecter notre autorité. Et surtout, cela a permis de mettre sous la lumière un réseau de trafic d’êtres humains qui ciblait les nombreux indigents et enfants du Royaume. Nous ne pouvions pas laisser ça passer sous notre nez.”

“Je vois”, conclut simplement le major. “En effet, l’Agent Tarentule ne s’est pas fourvoyé à votre sujet. Vous êtes exactement comme elle vous a décrit. Je pense donc émettre une opinion favorable pour votre candidature. Cela étant dit, sachez que Madame Dubal traverse une mauvaise passe en ce moment et que sa réputation n’est pas au beau fixe. Donc attendez vous à subir vous aussi un rude accueil, ainsi qu’à des railleries. Vous voila prévenu".

“Ils apprendront à me respecter moi et Capu. Je ne serais le paillasson de personne. Et s’il faut que je pète leur gueule, ça sera fait avec plaisir.”

Miles soupira encore une fois. Comment faire comprendre à cette tête brûlée que les conflits entre membres sont interdits ? Au pire, il comprendra bien par lui-même…

“Une dernière chose avant de clore cet entretien : quelles ambitions nourrissez vous ? Pourquoi rejoindre le Cipher Pol ?”

Cette question était un piège tendu. il ne pouvait pas dire que la réelle raison de sa candidature était de retrouver la trace de ses parents, car il était sûr que le Gouvernement Mondial était impliqué. Il ne pouvait pas non plus avouer qu’il était désireux de connaître la véritable histoire de ce monde sans pour autant éveiller le moindre soupçon.

Monde qu’il méprise, car il permet à des monstres prenant le nom de dragon d’asservir les autres sur la base de leur divinité factice.

Monde qu’il déteste car la seule méthode qu’il a d’assurer sa pérennité est par une falsification complète de l’histoire originelle. Une paix bati sur un mensonge n’est pas une paix.

Cependant, il y a bien une raison qui pousse Andrea à franchir le seuil du Cipher Pol. Et elle est si naturelle qu’il n’a même pas eu besoin d’hésiter un seul instant.

“Capulina. Elle m’a demandé. Je suis là. Je ferais tout pour elle. Après tout, c’est ma sœur.”

Un sourire sincère orna le visage du Major alors que l’entretien touchait à sa fin.