Tenir ou Mourir
La tension était à son comble dans le fort de la Grue Cendrée. Depuis près de dix heures, trois divisions de troupes impériales rongeaient leur frein sous le commandement de Feng Han et du général Zhang. Situé sur un des promontoires rocheux non loin de Fort Levant, ce point retranché permettait de verrouiller une partie de la baie de Jing et de la Grande Muraille. Et étant donné que la situation entre l’Empire et le Gouvernement Mondial s’était plus que dégradée ces derniers jours, l’Empereur avait jugé bon de « nourrir les garnisons avec un bon renfort d’hommes ». Traduction pour les gueux, la guerre n’allait pas tarder.
En bon officiel de l’Empire avide de gloire, Feng s’était porté volontaire pour représenter le gouverneur Yan sur le front. Aussi avait-il été affecté sur le fort de la Grue Cendrée pour superviser les troupes, débarquant l’avant-veille avec une garnison d’élite de soldats impériaux et assez de poudre pour faire sauter la moitié de l’île. La garnison qui y résidait était un ramassis de feignasses qui prenait généralement l’air en regardant les flots devant eux. Sauf que là, ils allaient devoir se remuer le cul. Remettant en place l’autorité nécessaire à la tenue du fort, le général Zhang avait rapidement établi le périmètre à défendre et affecté des hommes à des positions spécifiques. Il craignait un assaut de la Marine. Le fort était suffisamment résistant pour résister à un bombardement soutenu mais le principal objectif serait de repousser les assauts sur le rivage. En effet, si le Gouvernement Mondial parvenait à prendre pied sur cet ilot, ils pourraient lancer un blocus sur Fort Levant et, pour l’heure, la flotte Chinjao avait d’autres chats à fouetter.
« Commandant Han, vous vous placerez ici avec une trentaine d’hommes. Je veux que vous soyez paré à intervenir avec une charge bien sentie pour appuyer le sergent Ming si besoin.
- Oui général. Je suis en train de faire préparer les chevaux. Les hommes sont prêts.
- Bien. Avons-nous autre chose à prévoir ? »
La discussion dériva sur d’autres appréciations logistiques que le Han écouta avec attention. Appareillés en armure de combat, les seigneurs de guerre présents autour de la table avaient fière allure et un peintre aurait sans mal pu capter la ferveur qui se dégageait des échanges entre les hommes. Il se serait sans doute amusé des évènements qui suivirent. Au bout d’une dizaine de minutes d’échanges, un messager déboula d’une coursive du fort avec l’air fatigué et le teint cireux. Il avait visiblement couru et Feng reconnut sur son épaulette le ruban bleu désignant les troupes affectées à l’observation du flanc est, leur flanc le plus exposé. Entre deux halètements, le coureur délivra son message.
« Général, ils ont envoyé la 102ème. Navires en vue. »
Un froid glacial envahit la pièce tout aussi simplement que s’ils s’étaient téléportés dans les eaux de North Blue. Le général Zhang, réputé pour ses prouesses martiales, sembla tout de même marquer un temps d’arrêt avant de découvrir un sourire carnassier. Seul Feng semblait avoir perçu le scintillement d’humeur dans le masque de fer du vétéran. D’autres rusés également. Et leurs trognes se refermèrent tout aussi tôt pour se préparer à ce qui allait venir. Feng ne connaissait pas bien les troupes qu’ils allaient potentiellement affronter. La 102ème ne leur était cependant pas inconnue. Il s’agissait de la division qui avait exécuté Gol D. Roger le siècle précédent. Une sorte de faire-valoir des autorités qui l’employait pour des fonctions de représentation. Sur le papier, le niveau de cette troupe était potentiellement moins bon que celui des soldats que l’Empereur avait fait rajouter qui, eux, se coltinaient des joyeusetés de guerre civile et de conflits larvés depuis bien longtemps. Feng ne théorisa pas plus que cela. Il savait juste que quoi qu’il lui en coûterait ce jour, il repousserait l’ennemi. Empoignant sa guandao, il salua d’un signe de tête les officiers restants et se hâta de rejoindre ses hommes situés à environ deux cents mètres de là. Ils étaient tous à dos de cheval et Feng les imita. Son hongre, Oja, était une vieille carne d’une vingtaine d’années qui avait vu sa part de combats. Emmailloté dans une armure carapaçonnée noire, on aurait dit une bête de l’Apocalypse.
Que la Marine vienne. Ils sauraient les recevoir.
Dernière édition par Feng Han le Jeu 13 Juin 2024 - 14:57, édité 1 fois