Gangsta Paradise

_ Dans cette putain de Marine, y'a pas mal de salopes... Tous des soldats peu dignes, c'est vraiment pas le top...  

Wouah ! On en tient une sacrée couche dans ce patelin, on dirait. En tout cas, c'est ce que j'en conclus après avoir entendu ces foutues paroles de chanson, pour euh... la quatrième ou cinquième fois de la journée, je crois bien.

Ca fait peu de temps que j'ai débarqué sur cette île, et à peine en train d'errer dans les premières rues du coin, que déjà mes tympans se voient chatouillés par ce genre de speech. Hmmm... une coutume locale, peut-être ?
En tant que touriste, j'ai l'air d'être le seul dans les parages qui a l'air choqué, lorsque je coupe net à ma marche pour regarder l'enfoiré d'impoli : un jeune adolescent. Encore un, décidément ! Quant aux autres proches riverains, plus agés, personne ne joue à l'étonné, par exemple.

Après quoi, dès que je me remets en route, je finis par tomber sur l'affiche d'un petit concert organisé. Une publicité collée sur le mur d'un coin de rue. A vrai dire, je n'y avais pas prêté attention, mais depuis le début, on remarque que ce bout de papier semble avoir été installé un peu partout, ici et là. Et bien sûr, il y est écrit que tel groupe de musiciens est de passage, notamment pour jouer son célèbre tube : Gangsta Paradise.
Mouais, bof ! Si c'est pour écouter des clampins qui cherchent à divertir des jeunes spectateurs, avec du simple texte vulgaire... Non merci, pas pour moi !

Mais au fil de ma promenade, je continue d'avoir droit à quelques bouts de conversation qui me mettent une certaine intrigue dans la tête. A force, une vieille histoire refait surface. Celle où un mec s'était justement lancé dans la musique, et avait cartonné avec un titre qui vantait, par contre, les mérites des soldats de la Marine.
Sauf que, manque de bol, parait-il que lors d'un concert, le gars avait trouvé le moyen d'oublier de prononcer une négation dans une phrase, ce qui en a chamboulé tout son sens, du coup. Résultat, en enfonçant de la sorte les forces de la Justice, le succès du bonhomme avait également pris un violent tournant. La grosse chute, quoi !

_ Ouais, c'est bien ce que je pensais... je me dis, toujours coincé dans mes souvenirs.

Grossomodo, si je suis sur la bonne piste, le chanteur en question avait été repéré depuis par les pirates. Et pour cela, il avait même gagné une prime. Car, à cause de cette nouvelle carrière, il incitait ses fans à se lancer dans la piraterie, d'une certaine manière.

Bref, je vais d'abord m'empresser de retomber sur les infos qui concernent cet individu. Et une fois que ce détail sera réglé, je me rendrai sans doute au point de rendez-vous mentionné sur les affiches.
Bah oui ! Je ne crache pas sur le fric qu'on peut facilement se faire au sujet de ce glandu... encore faut-il que ce soit le bon ! Donc si l'affiche de la prime montre la même tronche et le même nom, bingo !

Voili voilou ! Les dernières vérifications étant faites, je me suis donc rendu devant l'endroit où la soirée musicale a lieu. Et donc, le mec en question s'avère bien être ce satané chanteur vulgaire. Conclusion : des sous dans la popoche, ça voudrait dire aussi. Super !

_ Comment je vais faire pour rentrer ? murmuré-je dans les profondeurs de ma capuche, en me mordillant les lèvres.

En effet, le spectacle est prévu pour de la racaille d'ado. Et même si ma petite carrure peut m'aider à jouer au jeunot, je n'ai pas le ticket d'entrée pour qu'on me laisse passer. D'ailleurs, quand je surveille les contrôles réalisés devant la porte de la salle, le personnel de sécurité ne semble pas s'intéresser à des bouts de papier.
J'avais aussi pensé à me présenter comme chasseur de primes, mais ce serait un coup facile pour sonner l'alerte dans la seconde qui suit. Alors, non !

Le temps s'écoule, alors que je ne trouve toujours pas de réponse à mon dilemme. Je soupire et je croise les bras, histoire de changer un minimum de position. Car adossé au mur d'en face, je suppose que je ne dois pas forcément passer inaperçu, malgré l'obscurité qui s'est installée depuis dans la rue.
Puis quand j'en ai marre de poireauter, je me décide à foncer dans le tas. Au pire, je n'aurai qu'à jouer au con, au moins déjà pour comprendre comment leur connerie d'adhésion fonctionne. Et si jamais les choses s'enveniment, on corsera un peu plus le jeu... avec plus de répondant, par exemple.

Mais finalement, il faut croire que la chance me sourit. A peine ai-je fait mes premiers pas vers la file d'attente, qu'un début de bordel est en train de se créer. Le petit groupe de personnes devant faire face à la vérification de routine, se retrouve apparemment bien emmerdé pour aller plus loin... Ce qui a pour effet de rendre les clients suivants assez colériques, et ainsi de suite.
Génial ! Du beau bordel de ce genre, je ne pouvais pas rêver mieux, haha ! Oui, car il ne me reste plus qu'à trouver le moyen de me glisser entre tous les bouffons de cette meute fâchée, et de rajouter quelques bousculades ici et là. Du coup, à force de rebondir un peu partout, et d'entraîner d'autres guignols dans ce foutoir, les gardiens à l'entrée finissent par être débordés, en quelque sorte.

Bref, comme une saucisse prise dans un sandwich, je réussis tout de même par me libérer et me faufiler vers l'intérieur du bâtiment, sans qu'on m'accuse de quoi que ce soit. Malgré tout ce chahut, même mon visage de poiscaille aura su rester dissimulé pendant toute cette manoeuvre.
J'avoue que ça a du bon, un corps maigrichon... tout ça mélangé à mes qualités d'homme-poisson, évidemment. Enfin, on se vante avec ce qu'on peut, hein !

Après quoi, nouvelle épreuve qui m'attend sous peu ! Je vais devoir trouver une meilleure place que le fin fond de la salle. Et là, je ne suis pas sûr que de simuler le mec qui veut simplement slalommer parmi toutes les bébêtes d'un troupeau, ce soit le cadeau qu'on m'accorde sans râler avant tout.
J'essaie même de piailler plusieurs petits cris joyeux, grâce à ma belle voix de femelle en manque, mais au milieu d'un vacarme de tarés en rut qui attendent après leur star chérie, je comprends vite que je peux aller me faire foutre.

Ca devient rapidement invivable. Après plusieurs négociations infructueuses, tout ce que j'ai pu bouffer, c'est des puissants aboiements dans les oreilles, des nombreuses secousses dans tout le corps, des odeurs nauséabondes d'alcool, et de la fumée de clopes dans le nez !
Par-dessus le marché, pour le peu que j'ai pu gagner quelques mètres au milieu des spectateurs excités, me voilà encore plus malmené dans tous les sens. Je finis même souvent par me demander si tous ces déglingos du bocal n'en profitent pas pour essayer de me fouiller, tellement beaucoup de mains ressentent le besoin de me caresser non-stop !

Je résiste alors comme je peux, car je veux surtout rester concentré. D'ailleurs, le célèbre groupe de musique tant attendu ne tarde pas à surgir enfin sur le bout de scène qui leur est réservée. Car oui, le local a beau paraître assez grand, on est ni plus ni moins dans un restaurant. C'est juste que le ménage a été fait pour accueillir toute la population à l'événement.
Sur ce, la fiesta, déjà pourtant bien lancée et magique pour tous ses ploucs d'invités, monte encore d'un niveau, tout à coup. A croire que ces soi-disants pros de la chanson sont des génies, dans les yeux des ados. Pouah ! Le drôle de frisson que ça me procure aussi ! Je ne m'y attendais vraiment pas. Teu, teu, teu ! Pas pour les mêmes raisons, je vous rassure !

_ Ouaiiis !!! beugle tout le public, soudain. Allez, Coolio !!! On est tous avec toi !!! T'es trop cool !!!

Obligé de me boucher les oreilles comme je peux, sans baffer mes voisins. La plupart d'entre eux a beau être plus grand que moi... si je peux éviter de les provoquer gratuitement...

Mais en vain ? On dirait bien ! Non pas que c'est de ma faute, hein... Mais tout le monde qui m'entoure, gesticule un peu plus violemment, à la vue de leur chanteur favori en train de les saluer. Et résultat, je déguste comme une balle de flipper, je pars faire un calin dans les bras d'une nana qui a déjà un mec, je m'écrase dans le dos d'un autre indésirable qui sait me propulser illico grâce à un majestueux coup de fesses, et ainsi de suite... Bim, bam, boum !
A la fin de ces furieux va-et-vient, je termine allongé par terre. J'ai besoin de quelques secondes pour me remettre de mes émotions, mais une chose est sûre : On a pensé à me faire de la place. Pas non plus le grand espace respirable, cela va de soi, mais c'est toujours bon à prendre.

Lot de consolation aussi, tout le monde m'a déjà oublié, mouarf ! C'était ça ou rater son chanteur adoré en train de jouer son morceau si attirant, j'imagine. Je découvre même que ma capuche s'est barrée, alors je m'empresse de la remettre comme il faut.

_ Génial ! je grogne en conclusion à tout ce foirage.

Toujours au sol, je commence à me demander si ce ne serait pas mieux de ramper tant bien que mal, entre toutes ces paires de jambes dansantes. Avec du bol, en étant suffisamment rapide, peut-être que je pourrais m'approcher de la scène sans être bousculé davantage ?

Mouaip, c'est une idée comme une autre, après tout.

En avant, toute ! C'est totalement différent que de nager au fond de la mer, mais j'arrive à m'engouffrer entre plusieurs paires de jambes, sans passer pour un tapis à l'entrée d'une maison. De nombreuses chaussures me tamponnent, certes, un peu partout, mais ce n'est pas du gros coup de sabot pour autant que l'on m'inflige inconsciemment.
De ce fait, j'arrive à ramper une bonne moitié du chemin, avant que la grosse surprise me tombe dessus malheureusement. Un bout de clope toujours bien chaud vient soudain se coller sur mon froc ! Je ne le devine pas tout de suite dans le feu de l'action, à vrai dire. Mais les premières flammes qui naissent dans la foulée, ont de quoi me faire envisager le pire.

Je gueule sans hésitation, même si tout le monde préfère continuer de s'épanouir dans son univers musical. Par contre, je cherche évidemment aussi à étouffer le mini barbecue qui me crame l'arrière-train. Alors pour ce faire, je gigote dans tous les sens autant que possible... et tant pis si quelques danseurs du dimanche autour de moi doivent en perdre l'équilibre, et se vautrer comme des ridicules ivrognes.
L'opération ne dure même pas une dizaine de secondes. Et en plus de ça, mes mouvements de panique me permettent de me frayer un passage bien plus ouvert, afin de rejoindre le devant de la scène, haha !
Moralité : si avoir la rondelle en feu vous permet ensuite d'accélérer comme un engin de course... foncez !

Lorsque je suis de nouveau sur pied, mon popotin garde une très forte chaleur. Ca me fait grimacer. Sinon, j'ai de quoi être fier de ma méthode toute pourrie. En effet, comme j'étais déjà allongé parmi d'autres clampins en train de chuter, j'ai vite été considéré comme l'un des leurs déjà rétamé. Donc, personne ne m'a désigné comme l'enfoiré de coupable dans cet accident étrange.
Je me retourne un instant vers les cobayes impliqués dans cette chute générale, pour constater les dégâts. Mais à part les entendre se rejeter la faute l'un sur l'autre, c'est comme si je n'existais plus. Chouette alors ! Il ne me reste plus qu'à faire face aux musiciens. Ces derniers hésitent un moment à couper court à leur prestation, puis dès qu'ils m'aperçoivent, on dirait qu'ils commencent à déchiffrer un truc.

Je les observe, bras croisés, tout en restant le plus stoïque possible. Ah oui, oups ! Et ma capuche s'est de nouveau barrée... de quoi donner encore plus de bizarrerie à ma façon de leur jeter un regard noir.

_ Salut à toi, espèce de pirate impoli ! j'hurle au chanteur, pour me faire entendre. Bobby Lapointe, chasseur de primes ! Je voulais savoir... quelle insulte tu oserais jacter pour des types comme moi, qui bossent dans cette branche ?

Coolio ne me répond pas, tandis que ses potes le rejoignent un peu plus près. Ils ne se mettent pas véritablement en garde, mais on devine qu'ils sont prêts à me balancer ce qu'ils ont dans les mains, si ça doit tourner mal. Avec leurs instruments, quoi (des guitares et des baguettes, mouarf).

Mon interlocuteur, sage et muet, est sans doute un peu trop ébahi de tomber sur un homme-poisson ? Ou alors c'est ma voix aigüe qui le choque autant ?
Je ne tarde pas à me sentir quelque peu gêné, moi aussi, en fait. Je vérifiais discrètement que mes différents couteaux se trouvaient bien rangés ici et là, dans mes fringues... Mais je n'en trouve aucun. Ouch, la boulette ! Avec le chahut précédent, il y a fort à parier qu'ils ont tous disparu pendant ce temps-là.

_ Bon, allez, tu vas bien sûr te rendre sans faire d'histoire, on est bien d'accord ? je tente tout de même d'ajouter, pour faire semblant d'allonger la discussion.

Par contre, ma discrétion ne fait plus trop son effet. Faire semblant de se gratter diverses parties du corps, esquisser quelques grands sourires, tourner la tête dans tous les sens... Mes opposants se doutent forcément que quelque chose cloche.

_ Ah, tu sais ce qu'on dit, hein ? Qui ne dit mot, consent !

_ Chez les chasseurs de primes, y'a pas mal de salopards ! me chantonne-t-il enfin, fier de sa nouvelle trouvaille improvisée. Tous des crétins qui friment, pour du fric et une bagarre !  

Mouais, bof ! Mignon, mais trop tard. Je rigole et je n'attends pas plus longtemps, sur ce. De toute façon, avec cette dernière réplique, j'ai lancé en quelque sorte le signal.

Donc c'est parti ! Avec un saut de grenouille, je bondis rapidement sur la scène. Le chanteur, d'abord surpris par ce revirement et ma petite taille, sursaute en arrière avant d'essayer de me baffer. Son coup de poing minable frappe dans le vide, parce que j'ai facilement glissé sur le côté. Il ne me reste déjà plus qu'à lui choper le bras pour le tordre, et le déséquilibrer. Ainsi, une fois ma proie au sol, un coup de godasse a tôt fait de l'endormir et lui faire baigner ses narines dans une flaque rouge.

Les autres musiciens terminent d'écarter grands leurs yeux et leur mâchoire inférieure. Ensuite de quoi, ils m'entourent comme ils peuvent, et les voilà prêts à me tabasser avec leurs armes musicales.
Comme ils ont l'air aussi expérimentés que leur chef, j'ai vite fait de m'accroupir et de glisser entre les jambes de l'un d'entre eux. Pendant qu'ils se cognent l'un sur l'autre, tels des chicons, moi je me dépêche d'aller piquer les cymbales de la batterie. Puis après un demi-tour joliment exécuté, sans plus attendre, je fais claquer tout ça dans les tronches de mes ennemis restants. Bref, un jeu d'enfant !

Quand j'ai fini mon petit massacre, je salue mon public qui suivait le combat sans broncher, carrément paralysé par la violence extrême du spectacle. Faut croire qu'une sale gueule d'homme-poisson, ça en traumatise plus d'un.
Je profite de ramasser au sol le micro dégueulasse du chanteur, et j'essaie d'expliquer pourquoi on en est arrivé là à tous ces adolescents perdus. Rendez-vous compte ! Une voix de gosse qui leur fait plus ou moins la leçon (comme maman), mais avec du physique bien crade de monstre (comme papa ?) !
Par chance, malgré toute cette pagaille provoquée, lorsque le personnel de cet événement accourt pour constater mon boulot, il préfère obéir docilement.

Quant à l'épisode final, ça reste de la bonne vieille routine, hein. En attendant de pouvoir débarrasser tous ces clowns de la salle, dans les règles de l'art, tous les autres habitants ont pu rentrer à la maison. En ce qui me concerne, j'ai pu empocher un petit pactole avant de remettre les voiles, en gros. C'est tout.