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[Q] Quatrième chapitre ; Elargir les horizons (2)


24 heures s’étaient écoulées après mon sauvetage digne d’un vaillant justicier de la marine. L’affaire s’était répandue comme une trainée de poudre dans la ville de Suna Land. Si elle m’avait couverte de gloire, elle avait également jeté le discrédit sur la marine qui fut bien obligée de renforcer les patrouilles, même de jour où les touristes n’étaient censés craindre grand-chose. Avec ce qui venait de se passer, il y avait des chances pour qu’un colonel du même acabit soit dépêché sur cette île. Le tout était donc de vite trouver comment plumer Aymeric et repartir avec tout le pactole qu’il avait engrangé dans le coin. Par chance, il était devenu encore plus dépendant de ma personne et son majordome moins farouche à mon encontre, vu comment j’avais mis ma vie en jeu pour sauver son maitre et toute une clientèle fortunée ! J’étais un peu déçu de n’avoir pas reçu de « dons » de tous ces rescapés d’ailleurs, mais au moins, j’avais reçu les honneurs de la marines, un article sur moi qui était passé sur la une des gazettes des Blues et aussi un séjour désormais gratuit dans l’hôtel où je logeais. La cerise sur le gâteau restait l’escargophone que j’avais réussi à récupérer au milieu des débris du restaurant dans lequel tout s’était déroulé…

J’avais donc attendu de me faire soigner et que mon nouveau pot de colle daigne se retirer dans sa suite avec son majordome pour ouvrir l’un de mes tiroirs et récupérer le gastéropode téléphonique. Il devait sans doute appartenir au jeune rappeur, dont la seule pensée m’arracha un fou rire. Ensuite, comme à mon habitude, je m’étais mis à vérifier toute ma chambre pour m’assurer qu’il n’y avait aucun enregistreur planqué quelque part. Ces réflexes étaient des restes de mon temps passé au Cipher Pol qui n’avait finalement pas été vain. Puis, lorsque je fus assuré d’être isolé, je sautai sur mon lit, avant d’activer la petite bestiole et de composer le numéro pré-enregistré. La bête sonna à plusieurs reprises lors de ma première tentative, mais personne ne décrocha. J’essayai une deuxième fois d’appeler, mais rien à faire. Alors que je soupirai et voulut jeter l’objet loin de moi, je haussai les épaules en me laissant une dernière chance. Jamais deux sans trois, comme le dit l’adage. Et cette fois, comme par magie, la gueule de l’escargophone changea pour prendre celle de mon interlocuteur : Jobby Larmon en personne ! Le mec devait avoir la même chose chez lui, tiens. Ma sale tronche souriante à l’autre bout du fil…

- « Toi… T’es culotté d’m’appeler. T’es une mouette ou un Cipher Pol, c’est ça ?! »

- « Bahaha, tu m’as reconnu d’entrée de jeu ! Félicitations ! »

- « Difficile d’oublier la tronche de l’enfoiré qui a gâché mon coup. Si tu crois que t’vas remonter mon appel et nous vendre à la marine, c’est râpé, trou du cul ! J’te jure Nihil, que j’vais te retrouver et t’encul- »

- « Si tu connais mon nom… »
Coupais-je aussitôt, « C’est que tu es toujours sur l’île en fait, puisque y'a qu'ici qu'on vante mes exploits depuis quelques heures. J’imagine que t’as des éclaireurs qui se sont promenés en ville pour sonder un peu l’atmosphère et tâter une nouvelle fois le terrain ? »

Un blanc s’installa, tandis que je vis le den-den-mushi blêmir. J’avais visé juste.

- « N’aie crainte, j’suis pas là pour te tromp- »

- « TA GUEULE, SALE FILS DE PUTE ! J’AI DES PUTAINS D’ACOUPHENES A CAUSE DE TOI DEPUIS HIER, J’AI LOUPÉ UN BEAU PACTOLE ET J’AI DU MAL A TROUVER MA DOSE !!!! J’TE JURE QUE J’VAIS TE BUTER ! J’METS MA JAMBE A COUPER QUE J’VAIS TE FRACASSER ! »

- « Ta jambe en bois, là ? C’est pas très équitable comme pari… »

- « … On dirait que le tact, tu connais pas, hein. T’es vraiment qu’un chien, en fait… »

- « Un chien qui a un putain d’flair ! Justement, j’ai un deal à t’proposer, Jobby. 200 millions à se partager en deux. T’es partant ? »

- « Qu’est-ce que t’es entrain d’me chanter, toi ? D’où est-ce que tu m’sors une proposition du genre ? J’devrais faire confiance à un fils de pute comme toi ?! »

- « RACCROCHEZ PATRON, YOOO ! C’EST SUREMENT UN COUP D’PUTE DES MOUETTES, YO ! »


J’eus un p’tit rire en entendant son second plus loin. C’était vraiment un comique, celui-là !

- « Vas-y, raconte-moi l’histoire pour voir, que j’me marre… »

Et voilà qu’en dix minutes même pas, je lui expliquai toute ma situation en dressant un profil complet de mon p’tit blond qui était ma cible depuis quelques semaines maintenant. Ce qui était bien avec les bourges d’son genre, c’est qu’ils faisaient bien parler d’eux et pas qu’un peu ! Aymeric était un joueur pro bien connu de tous les casinos des blues. Ses prouesses en casino étaient donc passés dans les journaux, puisque là encore, Mina Hable confirma ce que je disais à son capitaine. C’est aussi à cet instant que je me fis la réflexion qu’ils étaient plutôt dégourdis pour des forbans de bas-étage. Ce Jobby était comme j’le pensais un vieux d’la vieille. Le genre de type qu’il valait mieux avoir comme alliés, dans un coin de la poche. La situation relevait d’une chance de cocu et notre discussion avait été assez abracadabrantesque dans le genre, mais c’était un pari inespéré que je faisais. La chance sourit aux audacieux, non ? Y’avait plus qu’à prier pour que la bonne étoile soit toujours de mon côté, tranquillement. Un blanc s’installa alors tandis que j’observais les traits réfléchis de l’escargophone. Le briscard faisait fi de son manque pour cogiter sur ce que je venais de lui filer comme infos. Puis, après cinq minutes, je repris parole :

- « Tu sembles douter. C’est normal. Rencontrons-nous. »

- « Ben voyons… »

- « Je viendrai avec un peu d’came. J’ai vu des vendeurs dans les recoins de la ville. J’pourrais t’en fournir. Et pour te montrer ma bonne foi, j’ramènerais aussi avec la cible en question. »


- « QUOI ?! » Qu’ils crièrent tous à l’unisson !

- « Faut bien que j’prouve ma bonne foi. Ma venue sera à tes conditions. Prends toutes les précautions que tu veux, je m’y plie. »

Une minute passa alors, avant qu’il ne murmure…

- « T’es un taré, toi… Mais j’aime bien les tarés d’ton genre, bahahahaha ! »

- « Vu ton second, j’en doute pas une seule seconde… »


Jobby raccrocha brusquement ! Certainement froissé par ce que j’venais de dire. Mais qu’importe. J’avais instillé le doute dans son esprit.

Et j’étais persuadé qu’il me rappellerait.
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Moins de 12 heures après notre première conversation, Jobby m’avait rappelé et donné quelques consignes. Ce soir, je devais attendre à la lisière de la forêt située tout au nord de l’île. C’était l’une des seules parties de l’ile qui n’avait pas souffert de l’urbanisation galopante de Suna Land. La planque parfaite pour le camé et ses pirates. Encore une énième preuve qu’ils étaient bel et bien là et que la marine locale était réellement impuissante. Sans effectif adéquat et sans leader pour les gérer, il y avait de quoi. Si une personne normale aurait compati, je préférai hausser les épaules pour ma part. C’était tout bénéf pour bibi, après tout. Puis, tranquillement, je pris mon den-den-mushi pour appeler Aymeric. Ce dernier décrocha tout guilleret et fut encore plus satisfait lorsque je l’invitai à sortir le soir, loin des regards. Facétieux comme il pouvait l’être parfois, il me promit sans aucun souci qu’il saurait esquiver ses gardes et son majordome pour me rejoindre. L’idée d’une escapade nocturne avec moi le réjouissait complètement. Parfait ! Je n’étais pas certain qu’il réussisse totalement, mais il pouvait toujours essayer. Au pire, j’aviserais au moment voulu. Pas besoin de tout planifier à l’avance comme un parano…

C’est donc prudemment que je rejoignis notre lieu de rencontre. Il était situé derrière une brocante, dans une artère marchande un peu isolée du centre-ville. Un endroit où j’avais remarqué que peu de rondes étaient effectuées. Vêtu d’une simple chemise blanche et d’un jeans, je consultai ma montre et vit qu’il était un peu moins de 21 heures. Les derniers commerces allaient bientôt fermer et les touristes se faisaient déjà très rares. Les patrouilles de la marine allaient sans aucun doute s’intensifier. Mais alors que je pensai à appeler Aymeric, je vis sa petite tête blonde craintive à l’autre bout de la rue. Il me vit rapidement lui faire de grands signes de mains, puis il regarda dans toutes les directions avant de s’élancer dans une course en ma direction. Une minute plus tard, il était à mes côtés, un peu essoufflé, mais tout sourire. Le pauvre n’imaginait pas qu’il venait de s’offrir à une vie de misère que personne ne lui envirait. « J’ai le cœur qui bat la chamade ! Ce n’est pas la première fois que je m’éclipse de la sorte, mais cela faisait longtemps ! » Qu’il me dit en redressant sa bouille vers la mienne, les yeux pétillants. Etait-ce de l’admiration ? De l’amour ? Un mélange des deux ? Va savoir… Mais toujours est-il que je lui fis un beau sourire :

- « Alors ? Qu’est-ce qu’on fait ? Je suis persuadé que tu as prévu quelque chose d’intéressant ! »

- « Intéressant, c’est clairement le mot, Aymeric ! Maintenant, fais un somme pour moi, s’il te plait. ♪ »


D’abord hébété devant ma parole hypnotique, Aymeric battit plusieurs fois des paupières avant de tomber immédiatement dans un sommeil profond. J’rattrapai rapidement son corps, avant de passer une main sur l’une de ses joues, paisiblement, sourire aux lèvres. Comme beaucoup d’autres, il n’était rien de plus qu’un pion dans un jeu dont il ne connaissait même pas l’existence et qui le dépassait en tous points. Mais, avec un peu de chances, il pourrait s’en sortir vivant. Après tout, je ne souhaitais que sa fortune. Sa mort ne m’apporterait rien de plus, après tout. Mais alors que je sombrais dans mes réflexions, une voix me sortit de ma torpeur : « Hey vous, qu’est-ce que vous faites là ? » Et bien avant que la torche du marine n’éclaire mon visage, c’est d’un mouvement rapide que j’m’étais dérobé ! C’est dans ce genre de cas que j’étais on ne peut plus fier de ma grande vitesse, qui me permettait de taper des sprints d’une seule impulsion ; au point que le commun des mortels pensait généralement que je me téléportais ! Une fois éloigné du groupe de marines qui avaient failli me griller, je hissai la belle au bois dormant sur l’une de mes épaules, façon sac à patates, avant de recommencer à sprinter comme un dératé vers le nord.

30 minutes me suffirent à arriver à la lisière de la forêt, plus précisément au point indiqué où m’attendaient déjà les hommes de Jobby, dont Mina Hable.

- « C’est pas trop tôt, yo ! Par contre, t’as vraiment ramené le bourge, c’est incroyable… »

- « T’as vu ? J’suis pas un putain d’menteur, yo ! »


Surpris par le fait que j’le mime avec la gestuelle qui allait avec, Mina Hable eut un sourire sincère.

J’venais de gagner sa sympathie.
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- « C’était dans le deal, donc faudrait t’y faire, yo. »

- « Pas de souci. Je vous suis. »


Telle avait été ma réponse quinze minutes plus tôt. Oui, parce que maintenant, je ne savais pas du tout où est-ce qu’on se dirigeait, si ce n’est qu’on rejoignait le nord encore un peu plus et qu’on traversait la forêt, compte tenu des sons qui me parvenaient et des fourrées qui chatouillaient ma peau à chaque fois qu’on en traversait. La raison était simple : les pirates m’avaient bandé les yeux en plus de m’avoir ligoté les poignets comme il se doit. Mina Hable se chargeait lui-même de tirer tranquillement la corde qui me ceignait les mains pour me diriger. J’avais parfois des instructions orales, comme faire un bond en avant, me baisser pour éviter une branche trop basse… Ce qui me facilitait plus ou moins le trajet. Puis, nous arrivâmes à un point x où me fit grimper à cheval, toujours derrière le rappeur qui préférait lui-même gérer mon cas. C’est donc ainsi que nous cavalâmes pendant une bonne quinzaine de minutes supplémentaires. Durant le trajet, nous avions échangé principalement sur sa passion pour le rap. Je fis semblant de m’y intéresser uniquement dans le but de m’attirer encore plus sa sympathie et surtout pour le cerner encore un tout petit peu. Puis, après une bonne heure, nous arrivâmes en bordure de mer.

Là, le second du camé me fit rapidement monter dans un canot, puis nous traversâmes une mer plutôt calme ce soir-là. Notre traversée ne fit que dix petites minutes, mais je profitai du calme pour faire de l’ordre dans mes pensées. Sans écarter la possibilité qu’ils puissent m’la faire à l’envers, j’étais plutôt calme et pensai à la suite de l’opération. C’est donc docilement que je suivis une énième fois mon guide qui tira sur ma corde une fois que nous débarquâmes. Là, j’entendis plusieurs voix, de la musique et plusieurs feux qui crépitaient doucement. Une ambiance de pirates quoi ! C’est d’ailleurs sur cette pensée qu’ils daignèrent retirer le foulard qui m’obstruait la vue. Je clignai plusieurs fois des yeux, avant de constater en les ouvrant définitivement que nous étions dans une grande crique dont les flancs étaient protégés par d’immenses rochers. La plage sur laquelle nous étions était assez large ! Un spot idéal pou se planquer. J’avais compris pourquoi on m’avait bandé les yeux, mais je le concevais mieux encore. Puis, de loin, je vis Jobby descendre d’un hamac et se diriger vers nous, bouteille en main. La musique s’arrêta dès lors qu’il posa son derche sur un caisson avant de s’autoriser une bonne lampée de son breuvage !

- « J’vois que t’as tenu à moitié parole… » Qu’il me dit en faisant un signe de tête vers le corps inerte d’Aymeric que ses hommes éloignaient vers un abri de fortune construit un peu plus loin. « Mais t’avais prévu un p’tit cadeau pour moi, non ? »

- « Dans ma poche arrière gauche. »

Mina Hable se chargea de venir me fouiller la poche pour en extirper un petit paquet noir bien emballé. Il se dirigea ensuite vers son chef qui récupéra le paquet non sans me lâcher du regard pendant une bonne poignée de secondes ! Puis, il sortit de l’intérieur de son manteau noir, un canif qu’il utilisa pour sectionner un bout du paquet. Une poudre blanche jaillit, avant qu’il n’y porte son index droit, ne goutte à l’affaire, avant d’en mettre un peu sur le plat de son canif pour la sniffer bien fort. Et là ! « BORDEL OUI ! D’LA PURE ! D’LA PURE QU’ON PEUT MEME PAS TROUVER A NORTH ! LA, TU ME PARLES ! LA, TU ME CAUSES, ENFOIRÉ ! » Aussitôt, les mines crispées autour de nous se réjouirent ! Ils avaient tous le sourire ! Si leur capitaine était content et avait sa dose, cela signifiait qu’ils seraient un peu tranquilles ! Tout bénef, donc ! Il se traça encore une grosse ligne sur son canif et s’envoya en l’air avec la substance, tandis que Mina Hable vint me délivrer de mes liens, enfin. Pour ma part, je me mis à me masser les poignets en soufflant avant de remarquer que malgré tout, des regards haineux étaient braqués vers moi. Fait normal. Il fallait s’y attendre ! Je les avais tabassés à moi tout seul, quasiment.

- « J’vois que t’as pas menti, ma couille ! Bon allez, maintenant dis-moi, comment t’as fait pour l’avoir et l’envoyer jusqu’à la forêt... »

- « C’est simple. Vu qu’il me mangeait dans la main après notre combat, j’ai juste eu à fixer un rendez-vous secret dans un recoin de la ville et je l’ai assommé une fois qu’il s’est rameuté. T’as pu voir ma vitesse en plein combat, non ? Me déplacer avec lui sur l’une de mes épaules, c’était pas le plus compliqué à faire… »


J’eus un sourire en plus de mes explications, bien que j’omettais sciemment de lui dire que je maitrisais l’hypnose. C’était ma carte maitresse après tout. Y’avait pas moyen que j’lui avoue ça… Ou tout du moins, pas pour le moment. Pas avant qu’on ait scellé une sorte de partenariat et encore. L’homme lui, me sonda du regard. Il était pas le type qu’on entubait facilement, mais pour le coup, il n’avait rien à redire. Tout concordait. Néanmoins, il finit par acquiescer silencieusement, avant de se faire un autre rail de coke et d’exulter comme un sauvage. Puis, il fit signe à l’un de ses hommes qui vint me palper dans tous les sens. Ce dernier ensuite lui fit signe que tout était ok et que je n’avais pas de mouchard sur moi. Sans doute avaient-ils fait de même avec le corps endormi d’Aymeric. Ensuite, un autre homme de main de Jobby m’amena une caisse où je pus poser tranquillement mon cul dessus. Face à face, j’avais la nette impression qu’il me traitait comme son égal et qu’il était définitivement disposé à discuter du deal que je voulais lui proposer. Entre son ouverture d’esprit et la sympathie de son second, j’devais avouer être satisfait. J’avais clairement passé le plus dur, moi qui m’attendais à pire… Plus qu’à bien exposer le reste du plan.

- « J’t’écoute l’tatoué. Dis-moi, tout maintenant. »
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- « Comme je te l’ai déjà expliqué, c’est son majordome qui a le code du coffre-fort. »

- « Ouais… Et donc l’idée, c’est de demander une rançon, c’est ça ? J’approuve… Mais comment on fait ça, mon pote ? »

- « Suffit que j’y aille moi-même. J’vais dire que vous nous êtes tombés dessus, que vous avez capturé l’blondinet et que vous avez demandé une rançon. Aussi simple que ça… »


Jobby resta interdit pendant quelques secondes. Même Mina Hable cligna plusieurs fois des yeux devant ma proposition. Ils étaient assez stupéfaits, pensant certainement que j’aurai suggéré un tout autre plan où ils auraient cette fois-ci mis la main à la patte. De quoi les renfrogner quelque peu. Pour eux, c’était beaucoup trop de générosités et ça cachait surement un truc. J’eus pour ma part un soupir amusé pendant qu’ils essayaient encore une fois de me sonder. Pas besoin d’un haut diplôme pour comprendre leur posture et plus ou moins deviner ce qui les tracassaient. Pas besoin d’être un expert en mentalisme non plus. Juste une question de bon sens, d’autant plus que j’avais le peu d’empathie qu’il fallait pour me mettre à leur place et capter ce qui se tramait dans leurs caboches respectives. J’aurai pu rouvrir la bouche et continuer de tchatcher, mais je préférai qu’ils le fassent eux-mêmes. Pour leur laisser l’ascendant dans la conversation. Leur laisser l’illusion qu’ils dictaient le tempo de ce qui se passait entre nous. Ils échangèrent un ou deux regards, puis Jobby sniffa encore un peu de sa poudre blanche, avant de renifler bruyamment et de secouer sa tête dans tous les sens. La substance faisait doucement effet…

- « Pourquoi t’irais à notre place ? »

- « Parce que si t’envoies un de tes hommes, y’a p’être moyen qu’il soit arrêté carrément voire suivi. J’sais que le lieutenant qui gère la garnison du coin est pas très futé, mais il saura au moins faire ça. Et puis, vu l’absence du blondinet, son majordome a dû certainement se diriger vers ma chambre et remarquer mon absence. Si j’repars comme une fleur tout en disant que j’sais pas où est le gamin, ils vont me cramer et sauront que y’a baleine sous graviers, parce qu’on est tout l’temps ensemble en plus du fait que j’ai une grosse influence sur lui. »


Mon discours se tenait. A vrai dire, je ne l’avais même pas préparé. C’était sorti tout seul. Totale improvisation. Et c’était peut-être ce qui convainquit Jobby qui détaillait ma gueule du regard puisque j’avais été assez naturel voire spontané dans mon argumentation. Il murmura un… « Ouais, c’est pas faux… » Et remua sa tête, comme pour avouer que j’avais fait mouche. Un regard vers le rappeur me conforta dans le fait que j’avais eu les bons mots. D’ailleurs, ce dernier vint me proposer une bière que j’avalais quasiment cul sec ! Dans le monde de la piraterie, c’était un peu la base. Refuser un breuvage renvoyait un mauvais signe. Le tout était de m’adapter et de faciliter mon "intégration" sur le coup. Sa vinasse était cependant dégueulasse, mais j’montrai rien. Pas de grimace de dégout, pas de plaintes, quedal. Hormis bien entendu la blague qui va bien : « Sérieux, ça arrache ton truc là ! » Et là, il eut des ricanements de toutes parts. Mina Hable devait être connu pour ses gouts affreux en la matière ! Pour c’qui était de l’empoisonnement ou tentative de drogues, j’craignais rien. Mithridatisé comme je l’étais, y’avait pas moyen qu’il puisse m’la faire à l’envers, sauf s’il s’agissait du poison que secrétait la terrible supernova Jeska Kamahlsson.

Peu de chances qu’ils aient les bras aussi longs, cependant…

- « On pourrait aussi t’la faire à l’envers, tu sais… » Que déclara nonchalamment Jobby. « 200 millions, c’est beaucoup, pourquoi partager ? »

Et là, ses hommes rigolèrent encore ! Enfin, une partie de ses gars. Ceux qui avaient encore la haine et qui s’remettaient toujours pas d’la bastonnade qu’ils avaient essuyée. C’est qu’ils avaient la rancune tenace, les gars. Mina Hable quant à lui, haussa ses épaules. S’il m’aimait bien dorénavant, il n’en demeurait pas moins qu’il était fidèle à son chef et qu’il ne le trahirait clairement pas pour moi. Si Jobby l’ordonnait, j’étais foutu ou presque. Mais plutôt que de lui rappeler que j’pouvais encore une fois rééditer l’exploit de les fracasser, ce qui serait assez pour m’enfuir, je préférai jouer le modeste pour flatter son égo, surtout qu’il était devant ses hommes et qu’une deuxième humiliation passerait surement pas. Les déceptions arrivaient vite et les mutineries suivaient tout aussi rapidement… « Bah dans ce cas, tu m’auras totalement eu. J’peux rien faire là. Vous connaissez mes points forts et vu comment vous avez isolé l’autre blond là… » Ouais. J’faisais mine qu’ils avaient l’avantage sur moi en insinuant le fait que prendre en otage Aymeric me foutrait carrément dans la panade. Là, Jobby me fixa pendant une bonne poignée de secondes et se mit à se bidonner comme une baleine, non sans déclarer d’une voix de stentor :

- « MAIS J’TE FAIS MARCHER, ABRUTI ! VA POUR TON PLAN MON POTE ! ON VA S’FAIRE D’LA THUNE C’EST MOI QUI VOUS L’DIS ! BAHAHAHAHA ! »

Et les autres se mirent à rigoler (ou le feignirent ?) pendant que le rappeur m’apportait une nouvelle pinte.

L’atmosphère fut joyeuse pendant encore une bonne dizaine de minutes supplémentaires, jusqu’à ce que j’reprenne parole :

- « Bon… Vous n’avez plus qu’à me tabasser pour rendre le tout encore plus crédible ! »

- « HEIN ?! »
Qu’ils crièrent presque tous à l’unisson.

C’était là le coup de grâce que je leur assenais pour m’les mettre dans la poche.

- « Ouaip. Fracassez-moi. Il faut qu’à mon retour, j’sois crédible quand j’raconterais que vous nous avez attaqué par surprise avant d’enlever l’autre là. »

Jobby fut immédiatement hilare, avant de recommencer à sniffer sa drogue.

Le reste de ses sbires échangèrent des regards hébétés… Avant d’finir par sourire et s’approcher d’moi avec des gueules sournoises et satisfaites.

Forcément, ils allaient souscrire à mon idée et pas qu’un peu même…
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30 minutes plus tard…

- « J’crois qu’on a un peu abusé hein… »

- « Ou-ouais… »


Couché à même le sable, j’avais la gueule en sang, complètement tuméfiée et les vêtements salement déchirés un peu partout. C’est avec bon cœur qu’ils s’étaient amusés à me passer à tabac. Des coups de poings, coups de massue, de battes… Une boucherie, ou presque ! Qu’est-ce qu’il ne fallait pas faire pour l’argent, hein ? En tout cas, ce passage à tabac aura convaincu même les plus réticents. Jobby était déjà dans les vapes lorsqu’ils finirent de me faire saigner comme il faut. Vu qu’il avait donné son aval, il ne restait plus qu’à voir les derniers détails avec Mina Hable. Ce dernier eut un peu de peine pour moi et vint m’aider à me relever avec un autre de ses hommes. Malgré mes yeux sacrément gonflés, je remarquai que ce dernier était un homme-poisson. Pas commun qu’un poiscaille traine avec des humains, tiens. Faut croire que le camé avait d’la verve… A moins qu’il ne fût dans cet équipage par contrainte ? Bonne question. Toujours est-il qu’ils m’aidèrent à embarquer à bord du canot dans lequel je m’allongeai immédiatement. Bleus, boursoufflures, contusions, blessures, en plus d’une côte presque fêlée… Autant dire que j’m’en sortais pas mal. J’avais vu pire en tout cas. Et ça valait l’coup. Ils me soigneraient surement gratos et derrière, j’pourrais récupérer pas moins d’une centaine de millions. Toujours rester focus…

- « Tim est un homme-poisson mérou qui va tracter le canot et te faire faire le tour de l’île pour que tu puisses arriver plus rapidement. »

- « Cha march… » Que j’lui avais dit, ayant du mal à parler après m'être fait salement rosser. « Che fou rappwel dans djeux djours… »

- « Dans quelques jours, t'es sûr… ? Ok… On fait ça… »

Le pauvre second du junky était tellement désolé qu’il en oubliait ses rimes à base de "Yo". Il avait vraiment de l’empathie, ce gamin. Certainement plus aventurier que pirate, c’était à s’demander finalement ce qu’il faisait là. Cela dit, mon mal de crane ne me permit pas de trop réfléchir, d’autant plus que lorsque le canot se mit à tanguer un peu dans tous les sens, j’eus le tournis, puis la nausée… Avant que j’ne rende dans l’eau mon déjeuner. Pas de quoi arrêter le fameux homme-poisson mérou qui se déplaçait à vive allure en tractant l’embarcation avec une facilité des plus déconcertantes ! Allongé dans le canot, je peinais à dormir, si bien que j’regrettai un peu la tournante dont j’avais été la victime. J’aurai juste dû leur demander quelques marques çà et là sans plus. Cela aurait p’être été moins crédible, mais j’douillerais pas autant. Pendant tout le trajet, j’me mis à penser à ma terre natale… Puis à ma famille. Une certaine nostalgie s’empara de moi, avant qu’une larme ne roule le long de ma joue gauche gonflée et couverte de sang séché. Il m’arrivait également d’être proie à une certaine mélancolie et à m’faire la réflexion que les choses auraient pu être différentes. Un soupir m’échappa ensuite, puis je sombrai dans un sommeil profond… Mais court. Court parce qu’en seulement 30 minutes, j’étais arrivé à bon port…


***


- « Che chui vraiment djécholé Shebastian. Tchou tchest arriwé tchrè vitch… »

Une fois en bordure de mer, Tim m’avait aidé à rejoindre la côte, avant que je ne m’enfonce dans la ville et qu’un détachement de marines ne me voit dans mon pieux état. Serviables, ces mousses me transportèrent à l’hôpital le plus proche, avant d’aller en informer leur supérieur, mais aussi Sébastian. Ce dernier avait très rapidement accouru à mon chevet et eut un air horrifié lorsqu’il vit l’état dans lequel j’étais. Puis, il s’était mis à chialer comme un gosse pendant que je peinais à lui présenter mes excuses tout en lui expliquant laborieusement ce qui s’était (faussement) passé. C’était incroyable de constater que même dans mon état, j’pouvais être capable de raconter des salades ! Paniqué et dans tous ses états, le majordome ne put réellement remettre en question mes dires. Son esprit était trop confus et trop occupé à imaginer tous les sévices que subissaient son jeune maitre. C’est à ce moment précis que j’me rendis compte que je ne leur avais pas donné de consignes particulières concernant Aymeric. Là, j’me fis la réflexion que son sort n’importait que peu, dorénavant. Mort ou vif, Sébastian allait devoir aligner les billets, ce qui n’était pas pour me déplaire ! Intérieurement satisfait, je me laissai aller et sombrai dans l’inconscience en espérant que Jobby et ses hommes ne feraient rien de con. Après tout, rester planquer était la meilleure des solutions…
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