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Vivre, n'est-ce pas toujours se remettre en question ?

Éléonore“Vivre, n'est-ce pas toujours se remettre en question ?”
Éléonore marchait d’un pas lent et mesuré dans les couloirs froids et imposants de la base G-5. Le bruissement léger de son manteau contre ses jambes était le seul son qui la suivait dans ces galeries silencieuses de la base, la nuit aillant envoyer tout le monde au lit. Une semaine s’était écoulée depuis la capture de Lyra, la femme qui avait créé le virus du Shinaru, l’ancienne scientifique de la Marine devenue une grande menace pour les siens. Le souvenir de leur confrontation était encore vif dans l'esprit d'Éléonore, tout comme la douleur lancinante de ses blessures qui disparaissait. Mais son esprit n’oubliait pas, il avait besoin de ce souvenir de la douleur pour vivre et apprendre.

La base G-5, gigantesque forteresse militaire perdue dans le Nouveau Monde, semblait être un monde à part. Sa structure, avec ses murs recouverts de plaques de métal et ses tours armées, dominait l’horizon. Chaque coin portait la marque d’une puissance brute, conçue pour faire face à des ennemis bien plus grands que ceux qu’Éléonore avait l’habitude de combattre. Pourtant, cette même force qu’elle admirait n’arrivait pas à faire taire le tourbillon de pensées qui l’assaillait. Ses traits fatigués reflétaient aujourd'hui la fatigue et la lassitude accumulée au cours des derniers jours. Malgré le lieu sécuritaire, l’insomnie ne la quittait pas, à moins qu’elle ne s’épuise à la tâche… Une action que Kyllan adorait faire à travers des entrainements légers.

Sous ses ordres, Lyra avait été capturée et ramenée à la base. La Cipher Pol avait immédiatement communiqué avec Gideon, exigeant le transfert rapide de la dissidente. Éléonore savait que des interrogatoires sévères attendaient Lyra. La haute hiérarchie de la Marine craignait que cette femme ne soit que le sommet d’un iceberg bien plus dangereux. Qu’avait-elle découvert lors de ses recherches scientifiques ? Quels secrets pourrait-elle encore révéler ? Ce mystère laissait une ombre planer sur la base, et même sur Éléonore, qui, malgré son repos forcé, ne pouvait chasser cette idée de son esprit.

L'infection qui avait rongé ses yeux était presque guérie, mais les brûlures du virus de Lyra laissaient encore des traces sur son corps. On l’avait placée en convalescence, un ordre direct de Kolt, son médecin en chef. Il l’avait même dénoncée dans un rapport, détaillant l’impact de la maladie artificielle sur elle et la vitesse avec laquelle elle aurait pu l’emporter s’il n’avait pas été de son métabolisme spécial. Pour la première fois depuis longtemps, elle s'était retrouvée impuissante, incapable de riposter comme elle l’aurait voulu. C’était une expérience humiliante, mais elle reconnaissait la nécessité de ce repos forcé.

Une âme errante, voilà ce qu’elle était devenue au fil des jours. Chaque pas résonnait comme un rappel de son isolement. Son équipage, lui aussi en convalescence, se reposait dans les dortoirs de la base, épuisé par cette mission. Les murs épais de G-5 semblaient l’écraser, alors que son esprit s’égarait, revisitant chaque moment de la bataille contre Lyra, chaque décision prise, chaque coup porté.

Les bruits sourds des trains blindés circulant autour de la base lui parvenaient parfois à travers les tunnels. Cette symphonie métallique et incessante était un écho lointain du monde extérieur. Elle avait l’impression d’être emprisonnée dans une cage dorée, où les enjeux dépassaient les simples batailles physiques. Ici, à G-5, tout semblait avoir un poids politique, un enjeu caché derrière chaque ordre donné. Lyra, malgré sa capture, hantait encore Éléonore. Ses yeux étaient souvent perdus dans le vide, réfléchissant à ce que la dissidente avait pu cacher, à ce qu’elle n’avait pas encore révélé.

Peut-être que ce repos forcé était une bénédiction déguisée. Pour la première fois depuis longtemps, elle avait le temps de penser non seulement à son passé, mais aussi à son avenir. Les échos de ses combats intérieurs résonnaient aussi fort que les défenses massives de la base. Seul le temps dirait si Lyra avait réellement été le début d’une menace bien plus grande. Mais une chose était sûre : ce repos n'était qu'une pause avant la prochaine tempête.

Les interrogations auxquelles elle avait assisté récemment l’avaient hantée. Écoutant la scientifique folle, elle réalisait que ses propres actions lui semblaient parfois dictées par une main invisible. La facilité avec laquelle Lyra avait disparu après sa désertion la troublait profondément. Qui l’avait aidée à effacer ses traces ? Quels autres secrets scientifiques se cachaient dans l’obscurité ? Éléonore avait vu l'horreur causée par le virus et avait juré de ne jamais laisser une telle calamité se reproduire. Sa détermination à comprendre et à prévenir le mal était devenue sa seule boussole dans ce vaste océan d'incertitudes.
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Éléonore“Vivre, n'est-ce pas toujours se remettre en question ?”
Ses pas la guidèrent finalement vers un petit salon, où un balcon l’attendait. Elle sortit dans la nuit, appréciant la froideur du vent marin. Tandis qu’elle prenait place sur un fauteuil laissé là, elle sortit une cigarette et son briquet argenté. Son pouce passa un moment sur la gravure qui ornait celui-ci, la même qui décorait désormais le haut de son dos. D’un geste, elle ouvrit l’objet métallique et sentit la brise sur son visage au moment d’allumer sa cigarette. Elle tira lentement dessus, croisant les jambes, tout en continuant à caresser son briquet. Ses pensées vagabondèrent un instant vers une scène antérieure…


Éléonore se tenait immobile derrière la vitre réfléchissante, observant l’interrogatoire de Lyra. Dans cette pièce sombre, à peine éclairée par la lueur crue d'une unique lampe au-dessus de la table d’interrogation, l’ancienne leader était assise, le regard fiévreux et le corps tendu, secoué de spasmes nerveux. Son apparence était celle d'une femme brisée, égarée dans son propre esprit. Ses cheveux en bataille et ses yeux cernés trahissaient des nuits sans sommeil, rongée par sa folie grandissante, mais surtout le travail acharnée des agent du gouvernement. Elle semblait à la fois accablée et exaltée, oscillant entre des éclats de rire nerveux et des monologues désordonnés.

Le Cipher Pol menait l'interrogatoire avec une froideur impassible, mais Lyra, perdue dans son délire, ne répondait que rarement aux questions de manière directe. Au lieu de cela, elle s’engouffrait dans des tirades enflammées, déversant sa haine viscérale contre la Marine et le Gouvernement Mondial.

« Vous ne comprenez rien ! » crachait-elle, les yeux étincelants de rage. « Ils sont les véritables monstres ! La Marine, le Gouvernement, ils ont toujours utilisé des armes chimiques ! J'ai simplement… simplement retourné leur propre arme contre eux. Je l'ai fait pour nous sauver, pour les sauver tous ! Vous ne voyez donc pas ? Ils manipulent tout, contrôlent tout. Ils ne veulent pas la paix, ils veulent la domination. »

Éléonore sentit un frisson glacial parcourir sa colonne vertébrale. Ces mots, ces accusations… si Lyra disait vrai, alors qu'est-ce que cela signifiait pour tout ce qu'elle avait défendu, pour tout ce en quoi elle croyait ? Elle serra les poings, ses ongles s’enfonçant dans sa paume, mais son regard restait fixé sur Lyra. Elle savait que le Gouvernement n’était pas blanc comme neige, mais de telle accusation… Était tout simplement impensable pour la Commandante d’élite. Lyra riait maintenant, un rire aigre et désespéré.

« Vous me traitez de folle, mais je ne suis pas la seule. Il y en a d'autres… nous sommes nombreux… une organisation… des gens comme moi, qui voient la vérité, qui savent ce qu'il faut faire pour échapper à leurs chaînes. »

Les agents du Cipher Pol s'échangèrent des regards, tentant d’extraire davantage d'informations, mais Lyra n'en disait pas plus. Les bribes de vérité semblaient se noyer dans le flot de ses paroles chaotiques.

Éléonore, de l’autre côté de la vitre, se sentait envahie par un tourbillon d’émotions. D’abord, il y avait la surprise. Jamais elle n'aurait cru que Lyra, cette ancienne scientifique respectée, pouvait être capable de retourner une arme chimique contre des civils innocents. Ensuite, le choc. Les accusations portées contre le Gouvernement Mondial étaient dures à entendre, même si Éléonore savait que certains secrets sombres existaient sans doute dans les profondeurs du pouvoir.

Mais plus que tout, une haine grandissante commençait à éclipser tout le reste. La folie de Lyra n'était pas seulement celle d'une femme qui avait perdu pied, mais celle d’une criminelle qui osait justifier ses actions abjectes en prétendant combattre un mal encore plus grand. La blanche bouillait de l’intérieur. Elle revoyait les images des victimes du virus, leurs corps déchiquetés, pourrissant sous l’effet de l’arme biologique. Et voilà que Lyra osait se poser en sauveuse, renversant les responsabilités sur le Gouvernement Mondial.

Chaque mot que l’es-leader alimentait ce feu naissant dans le cœur d'Éléonore. Elle détestait cette femme pour la douleur qu’elle avait causée, pour les innocents qu’elle avait tués. Mais ce n’était pas tout. Éléonore se haïssait aussi d’avoir été, ne serait-ce qu’un instant, tentée de douter de sa cause, d’avoir écouté ces accusations contre le Gouvernement Mondial avec une once d’attention. La loyauté d'Éléonore à la Marine, bien que jamais aveugle, était gravée dans son âme. Mais Lyra, par ses mots venimeux, plantait les graines du doute. Et cela, Éléonore ne pouvait le supporter. Elle inspira profondément, son souffle tremblant sous l’effet de la rage contenue. Elle voyait Lyra gesticuler frénétiquement, évoquant vaguement une ‘organisation’, mais chaque information potentielle se noyait dans le torrent de paroles délirantes.

*Cette femme…* pensa Éléonore, en se mordant la lèvre. *Elle ne mérite pas la pitié.*

Elle s’obligea à garder son calme, ses émotions bouillonnant sous la surface. Mais intérieurement, elle savait que la seule chose qui la tenait encore en place était la vitre qui la séparait de ce monstre. Un mur physique et symbolique. Si elle avait été dans cette pièce, face à elle, elle n’aurait peut-être pas pu contenir son envie de la confronter, de lui faire payer pour tout ce qu’elle avait fait. Une telle personne ne méritait pas de vivre.


Alors qu'Éléonore sentait la colère monter en elle, comme une vague prête à tout submerger, elle réussit cette fois à la repousser, son esprit refusant de céder à l'émotion. Son briquet tournait toujours entre ses doigts, un tic nerveux qui trahissait son agitation intérieure. Une grande main se posa doucement sur son épaule, et elle tourna la tête pour voir Kyllan se pencher à ses côtés. L'odeur musquée de son compagnon l'envahit, un parfum familier qui apaisa quelque peu ses tensions. Sans un mot, il retira la cigarette de ses lèvres et la porta aux siennes, tirant dessus avant de l’attraper délicatement comme si elle ne pesait rien.

« Je peux savoir ce que tu fais ? » demanda-t-elle, un sourcil levé, essayant de masquer l’incrédulité dans sa voix.
« Je te ramène à ta chambre pour que tu dormes, » répondit Kyllan, calmement.
« Sans me demander ma permission ? »
« Yep, » fit-il en tirant une nouvelle fois sur la cigarette. « Je te rappelle que j'ai la permission de ton médecin pour m'assurer que tu récupères bien et que tu as suffisamment d'heures de sommeil. »
« Tu ne prendrais pas trop ton travail au sérieux ? » grogna Éléonore doucement, mais une partie d’elle trouvait un réconfort inattendu dans cette attention.

Un léger sourire joua sur les lèvres de Kyllan. « Avec toi ? Jamais. Et puis, ne fais pas l'offensée, tu adores quand je prends les commandes. »

Elle détourna la tête, cachant le sourire qui commençait à percer. « J'ignore de quoi tu parles... » marmonna-t-elle, presque pour elle-même.

« Bien sûr, » répondit-il en soufflant la fumée. « J'ai pas besoin de ton approbation pour le savoir. »

Un silence s’installa entre eux, mais elle savait qu’il avait raison. Kyllan avait ce don de la comprendre sans qu’elle ait besoin de parler.

« J'arrive pas à dormir... » finit-elle par souffler, presque honteuse de l’admettre.
« Je sais, c'est pour ça que je suis là, » dit-il doucement, son ton devenant plus sérieux.
« Pfff, que ferais-je sans toi ? » commença Éléonore avant de soupirer.
« Tu serais une femme forte et indépendante, » répondit-il avec humour, son sourire presque audible dans sa voix.
« Je le suis déjà ! » rétorqua-t-elle, piquée.
« Bien sûr, dans la journée devant tout le monde, mais une fois la nuit tombée, quand il n'y a... »
« Kyllan, tu es à deux doigts de te manger une claque, » grogna-t-elle, ses joues rougissant légèrement face à ses taquineries.
« Bien sûr, maîtresse, désolé, maîtresse, » murmura-t-il à son oreille, avec un ton qui ne pouvait être que pure provocation.

Éléonore soupira, se demandant comment elle pouvait à la fois l’adorer et le maudire dans le même souffle. « Que vais-je faire de toi... »

« Tout ce que tu... » Il ne termina jamais sa phrase, son commentaire coupé net par une tape derrière la tête.

Il éclata de rire, silencieusement, alors qu’ils s’approchaient des quartiers de la commandante, l’atmosphère légèrement plus détendue.
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Éléonore“Vivre, n'est-ce pas toujours se remettre en question ?”
La lumière froide et stérile de la clinique médicale baignait la pièce, créant un contraste frappant avec la chaleur discrète que Kyllan et Éléonore partageaient en silence. Assise sur la table d'examen, Éléonore sentait une légère tension dans ses épaules, bien qu'elle tente de la dissimuler. Kyllan, fidèle à lui-même, se tenait près d'elle, une présence rassurante, ses bras croisés, observant silencieusement. La pièce était immaculée, les instruments soigneusement rangés, chaque détail minutieusement contrôlé pour refléter l'expertise de Jane Vantis. Jane, toujours concentrée, approcha d’un pas mesuré, ajustant sa veste médical avant de se pencher pour examiner les cicatrices d’Éléonore.

« Eh bien, » commença-t-elle d’une voix ferme, « le repos forcé t'a fait plus de bien que tu ne veux bien l'admettre. Ton corps a réagi merveilleusement, les blessures guérissent bien. Mais… » Elle s’interrompit brièvement, son regard fixant les cicatrices qui marquaient la peau d’Éléonore. « Je crains que certaines de ces cicatrices resteront à vie. Des stigmates, peut-être, mais elles sont là pour te rappeler que tu as survécu. »

Éléonore acquiesça en silence. Elle avait accepté depuis longtemps que la guérison ne serait jamais complète, que son corps porterait toujours les traces des épreuves traversées. Jane poursuivit l’examen, ses doigts habiles effleurant les bords des plaies cicatrisées avec précaution.

« Tes orbites, cependant, » continua-t-elle en reculant légèrement pour observer de plus près, « ont parfaitement récupéré. L’infection est totalement disparue, et les tissus ont bien cicatrisé. » Jane se redressa et se dirigea vers une armoire métallique à proximité, ouvrant une boîte argentée qu’elle en sortit avec précaution. « Ce qui nous amène à la prochaine étape, » ajouta-t-elle avec un sourire neutre.

La boîte en métal s'ouvrit dans un léger clic, dévoilant une collection de demi-yeux de verre soigneusement rangés. Chacun d'eux était unique, de couleurs et de formes légèrement différentes, reflétant une gamme de teintes irisées, allant des verts profonds aux bleus lumineux, en passant par des nuances de gris, d'ambre et même des modèles personnalisés plus exotiques. Kyllan laissa un sifflement admiratif s’élever dans l’air.

« Ce sont les derniers modèles, » expliqua Jane, son ton professionnel habituel. « Ils sont si réalistes que si tu continues à bouger les muscles oculaires, on pourrait presque croire que tu as de vrais yeux. Tu pourrais même personnaliser leur couleur, voire en changer à volonté. »

Éléonore hocha la tête, étirant simplement la main vers la boite pour venir glisser sur les prothèse. Jane qui en offrir un, lui permettant de découvrir que derrière ceux-ci était gravé la couleur de la prothèse. Elle n’avait jamais imaginé qu’un jour, elle en viendrait à devoir choisir des yeux comme on choisirait un vêtement ou un accessoire. Elle passa ses doigts sur les bords de la boîte, légèrement distraite.

« Prends ton temps. Il n’y a aucune précipitation à faire ce choix. Mais je te promets, une fois posés, ils sembleront aussi naturels que tes yeux d’origine. »
« Quelle couleur tu prendrais, Kyllan ? » demanda Éléonore.
« Ce que tu veux », glissa Kyllan en haussant les épaules.
« Choisis pour moi. Je ne peux pas les voir alors... »
« Hmm... Bleu et gris. J'aime bien ce duo. »
« Allons-y avec ces couleurs-là. »

Éléonore sourit discrètement en entendant la réponse de Kyllan. Le bleu et le gris, deux couleurs qui portaient une signification bien plus profonde qu’un simple choix esthétique. Le bleu était la couleur de ses yeux d’origine, une part d’elle qu’elle avait perdue aux mains de Lucien. Le gris, en revanche, rappelait ceux de Kyllan, une manière subtile, presque possessive, qu’il avait choisie pour la marquer sienne. Elle ne put s’empêcher de trouver ce geste étrangement réconfortant, comme une ancre qui la maintenait solidement liée à lui malgré tout ce qu’ils avaient endurés. C’était probablement tout ceci qui faisait en sorte que leur lien était… Ainsi. Jane, toujours méticuleuse dans ses gestes, sélectionna les prothèses pointées par Kyllan. Ses mouvements étaient professionnels, tandis qu’elle manipulait avec soin les demi-yeux de verre.

« Très bien, » dit-elle doucement en se plaçant devant Éléonore, « je vais installer la première pour que tu comprennes comment ça se fait, et ensuite tu essaieras avec la seconde. »

Éléonore hocha la tête, confiante en les compétences de Jane. La doctoresse inséra la première prothèse avec une facilité déconcertante, un geste fluide, presque indolore. Éléonore cligna des yeux, sentant l’espace dans son orbite soudainement comblé, le verre se fondant parfaitement avec les tissus cicatrisés. C’était une sensation étrange mais apaisante, comme si une part d’elle, qu’elle avait cru perdue à jamais, revenait enfin.

Lorsque Jane lui tendit la deuxième prothèse, Éléonore l’attrapa avec une volonté tranquille. Elle répéta le geste que Jane lui avait montré, insérant délicatement l’œil de verre gris dans l’orbite restante. Quelques gouttes oculaires vinrent apaiser la légère irritation, et après quelques clignements, elle s’habitua à cette nouvelle réalité. Kyllan, qui s’était installé juste en face d’elle, observait la scène avec un regard approbateur. Un grognement grave d’approbation lui échappa, suivi d’un commentaire à l’adresse de Jane.

« Du très bon travail, » murmura-t-il, ses yeux scrutant les nouveaux yeux d’Éléonore avec une lueur satisfaite. « On dirait presque les vrais. »

Jane hocha la tête, un sourire professionnel mais fier aux lèvres.

« Ce sont parmi les meilleurs modèles disponibles, réalistes et confortables. Mais l'important, c'est comment tu te sens, Éléonore. Tout va bien ? » demanda-t-elle, attentive.

Éléonore prit une inspiration profonde avant de répondre.

« Ça va... C'est étrange, mais ça va. » Elle cligna encore quelques fois, essayant de s’habituer à cette sensation nouvelle. « Je m’habituerai. »

Elle pouvait sentir le regard intense de Kyllan sur elle, presque possessif, et malgré tout, cela la réconfortait étrangement. Elle tourna lentement son visage vers lui, le fixant avec ses nouveaux yeux, mi-bleus, mi-gris. Une partie d’elle se sentait restaurée, prête à retourner sur le terrain.

« Quand pourrais-je retourner sur le terrain ? » demanda Éléonore, une pointe d'impatience perçant dans sa voix.

Elle se sentait prête, même si son corps n'était pas encore totalement rétabli. L'inactivité lui pesait. Jane, leva les yeux de son rapport en cours d’écriture et répondit calmement :

« Lundi prochain. Prenez encore ces trois derniers jours de repos pour tester les prothèses. Je vais finaliser les papiers et envoyer mon rapport. » Elle tendit la boîte à Kyllan, qui contenait les prothèses de rechange.

Kyllan, toujours attentif, s'interposa avant qu'Éléonore ne puisse protester.

« Est-ce qu'elle a le droit de s’entraîner ? » demanda-t-il en attrapant la boîte, un sourcil légèrement levé.

Il connaissait bien l’impatience de sa compagne, et il savait que le repos forcé la mettait à rude épreuve. Jane haussa les sourcils avec un sourire presque amusé, mais son ton resta ferme.

« Oui, mais rien de dangereux. Il serait dommage que toute cette progression soit compromise par un accident stupide. » Ses yeux croisèrent ceux de Kyllan avec un regard entendu, leur faisant comprendre qu’elle ne tolérerait aucune imprudence.

Éléonore serra les dents, mais hocha la tête en signe d'accord. Elle avait envie de retrouver son rythme, ses entraînements rigoureux, mais elle savait aussi que Jane avait raison. Sans un mot de plus, Kyllan posa sa main dans le dos d'Éléonore et la guida doucement hors de la clinique. Une fois dehors, ils reprirent leurs occupations, même si dans son esprit, Éléonore était déjà en train de planifier sa prochaine séance d'entraînement... sans "accident stupide", bien entendu.
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