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[C]haud business et Dernier Round.


L'ambiance surchauffée était de toute évidence de mon fait. Déjà qu'à la base, l'endroit prêtait à se mettre sur la gueule bien plus facilement qu'ailleurs, à n'en pas douter que j'avais été l'allumette, l'accélérateur et la charge explosive qui avait fait dégénérer la situation en une bagarre générale. Pas un ne pouvait échapper à la bataille qui faisait rage et il se lançait à travers la pièce des chaises, des verres, des couteaux, des gens et d'autres objets non identifiés. Comment en étions-nous arrivés-là ? C'était bien la question à se poser. Autant revenir quelques heures en arrière...

J'étais arrivée sur l'île il y a quelques jours avec l'intention de retrouver Haru, surnommé aussi le maitre de musique. Il était l'un de nombreux noms sur la liste des amis de Yumen, de ceux que je souhaitais connaitre et rencontrer. De ceux qui avaient quelques choses à m'apporter. Mes recherches m'avaient donc amené jusqu'à North Blue et les quelques informations que j'avais tirées du personnage m'avait amené jusqu'à une cave, gardée et surveillée. Haru était, parait-il, un joueur et parieur compulsif, qui se ruinait nuit et jour dans l'espoir de gagner quelque chose. Indéniablement, il était aussi un ingénieur de talent.
J'avais obtenu un lieu de rendez-vous pour pouvoir le rencontrer : l'endroit où il allait parier ce soir. J'avais une photo de lui et de quoi ne pas me faire remarquer. J'avais donc aussi trouvé de quoi habiller Bee pour qu'il puisse m'accompagner : pas question de me retrouver au milieu de 50 pervers assoiffés d'argent, de sexe et de meurtre sans pouvoir me défendre. Il était vêtu d'un long manteau ainsi que d'un chapeau qui cachait sa tête d'acier. Moi, j'avais fait l'effort de ne rien mettre d'aguicheur pour l'occasion : jean, T-shirt simple, petit gilet, une écharpe et un chapeau pour couronner le tout.
Nous avançâmes Bee et moi jusqu'au lieu qui m'avait été indiqué (et par chance, nous ne nous étions pas perdus). Il perçait un petit bruit de fond, des cris, des acclamations, à peine camouflés par la porte farouchement gardée. Deux hommes me regardaient de leur hauteur, allant de ma carrure chétive à celle imposante de Bee derrière moi. En parlant de Bee, il était plutôt méfiant, prêt à distribuer à tour de bras dès que l'occasion se présenterait. Le plus grand des deux gardes m'adressa la parole, tandis que l'autre (plus trapus) me regardait attentivement :

« Vous êtes qui, vous ? »

Ils nous fixèrent tous les deux, essayant d'apercevoir mon visage sous mon chapeau baissé, ou encore à quoi pouvait bien ressembler le géant à mes côtés sous sa grande veste. Rien ne laissait voir Bee (qui tentait tant bien que mal, du haut ses 4mètres, d'être le plus prudent et délicat possible), mais de moi, l'on discernait mon sourire aimable, accessoire de mon fabuleux jeu d'actrice de la soirée. Nous devions rentrer pour parler à l'autre joueur compulsif et en tirer un enseignement. Après les histoires sur la Chèvre à Shell Town, nous essayions d'assurer nos arrières, cout que cout, évitant soigneusement de nous remettre dans un pétrin informe. Pour le coup, nous voulions être discrets et soigneux pour ne plus repartir dans des aventures sans nom : L'histoire avec Alh' m'avait largement suffit en matière de déboire fâcheux et je ne pensais pas m'embarquer dans un merdier bien au-dessus du précédent. Si l'endroit prêtait à être plus que mesuré dans nos investigations, nous ne nous doutions pas que les choses allaient dégénérer jusqu'à ce point...

« C'est Bob qui nous a donné rendez-vous ici, dis-je doucement.
- Bob ? »

Le trapus fit mine de réfléchir, regardant son acolyte avec l'air sérieux. Qui était Bob ? Je n'en avais, moi-même, pas la moindre idée, faut dire qu'j'avais sorti ce nom complètement au hasard. Bob, c'était plutôt un joli sobriquet-passe-partout : c'est bien connu, on a tous un Bob dans son entourage.

« O-Ok... Vous pouvez passer. »

Je fis un signe de tête, rabattant un peu plus mon chapeau sur mon visage. La sécurité ici, c'n'était pas vraiment ça... Ou alors, y'avait vraiment un Bob qui attendait quelqu'un. Je pénétrai dans l'enceinte, empruntant les escaliers en colimaçon qui devait mener jusqu'au lieu du carnage. Les combats se situaient cette fois-ci dans une cave, très spacieuse pour le coup. On n'a pas idée de laisser des salles immenses comme celle-ci sous terre, à croire qu'elles avaient été creusées pour accueillir des évènements d'ce genre. Arrivant au milieu de la foule, je ne voyais même pas le ring et les gens qui pouvaient s'y trouver.
Je me fondis rapidement au centre de tout le monde, cherchant du regard le bonhomme qui m'intéressait. On me l'avait décrit comme mélancolique avec un visage très doux, les cheveux tirés vers l'arrière et un costume souvent froissé. Un poète, presque. Et pas de poète en ligne de mire. Surtout des gros bras, des petits nerveux et des grands mollassons. Aussi, une odeur de tabac, d'alcool et de transpiration. Me retirant pour aller jusqu'au bout de la salle, contre le mur, en cherchant à avoir une vue dégagée, grand mal m'en prit de lever le regard vers un type plutôt louche.
Il était fin, entouré de deux acolytes avec des mimiques de gros rustres. Le plus "chef" me regarda, fronçant ses sourcils finement tracés. Il avait un grand sourire, sûrement surpris et satisfait de voir une fille ici. C'est clair que les filles, ça ne courait pas dans le coin. Et c'était plutôt logique, au vu de l'endroit. Je me raclai la gorge et tentai de ne pas prêter attention à lui. Cherchant à l'éviter en tournant les talons, il s'approcha de moi et me parla directement : il semblait confiant, légèrement obsédé, narcissique, certain de ses atouts de gros bobo à la mord-moi-le-nœud (tout ce que j'aime chez un homme, donc).

« Reste pas toute seule, ma jolie !
- Euh... Non mais, je cherche quelqu'un !
- Qui doooonc ? On peut t'aider ! »

Vu sa tronche, je n'avais vraiment pas envie qu'il m'aide, c'gus. Non parce que sérieusement, il n'avait vraiment pas l'air commode et son sourire pervers suffisait à me faire comprendre qu'il valait mieux me tirer en vitesse.

« Non, mais,... Non, je vais m'en sortir toute seule, merci. »

Je fis volte-face mais fus aussitôt contrainte de l'écouter : Il n'avait pas l'air de comprendre ce qu'était qu'un refus pressant. Il me héla à nouveau avec son grand sourire carnassier :

« Quand j'te demande de rester avec nous, tu restes avec nous. »

Cet ordre s'accompagna d'un mouvement qu'il aurait mieux valu éviter. Sa main rencontra mes fesses, provoquant alors une réaction en chaîne : je me tournai telle une furie pour faire face à mon agresseur, celui-ci surenchérit son geste par un rire gras qui me mit un peu plus en rogne, j'envoyai donc (naturellement) mon poing à la rencontre de son nez, qui sans ménagement, s'écrasa sur celui-ci. Sous mon coup se brisa la ligne de sa truffe, le sang se mit à couler sur son beau costume, ses compagnons s'affolèrent autour de lui, tandis qu'il tomba par terre en se tenant fermement le pif et en pleurant sa maman.
Bee, attiré par le grabuge, revint sur ses pas et se pencha vers moi pour m'interroger sur les choses à faire. Partir, s'enfuir, ou se fondre dans la masse : qu'importait, le but était de se tirer d'ici et en vitesse. Mais lorsque je voulus mettre ce plan à exécution, je fus bien aise de remarquer qu'à peu près la totalité de la salle nous regardait. Il y eut quelques chuchotements, des yeux posés sur moi qui en disaient long sur ce que je venais de faire. Qu'importait le pourquoi du comment, j'étais de toute évidence dans la merde. Je gênais, j'avais fait quelque chose de gênant, j'avais frappé un gars qui n'avait pas que des copains sympathiques.

« Cette truie a frappé Ichimaru-sama ! Hurla l'un des gardes du corps de l'autre abruti en me montrant du doigt. »

Une veine se mit à palpiter sur ma tempe. « Truie » ? Mais j'allai lui casser la gueule à c'lui là ! Enfin, j'aurais bien voulu, mais un grand dada, derrière le garde, lui assena un grand coup derrière la tête et hurla :

« Parle mieux d'la demoiselle toi ! »

Nouvelle réaction en chaine : un autre gars vint assommer le premier en hurlant une injure bien grasse que je préfère censurer. Bientôt, des coups se distribuèrent de gauche à droite, certain dans ma direction. Lorsqu'ils s'avancèrent vers moi, Bee enleva son long manteau et s'interposa entre eux et moi. Immédiatement, ils arrêtèrent leurs progressions. Défier un robot avec le fruit du canard ? Non, c'n'était pas jouable. Lorsqu'il s'agissait de me protéger, Bee était à peu près capable de n'importe quoi et je ne donnais pas cher de leurs peaux s'ils continuaient dans cette direction.
S'attaquer à un robot d'acier de quatre mètres n'était donc pas l'idée la plus fraiche qu'on puisse avoir dans cette situation. Bee les retint quelques peu, tandis que je me frayais un chemin à travers la foule pour me tirer de cette fichue cave. Seule sortie possible ? L'escalier en colimaçon que j'avais emprunté en entrant, mais il y avait un bon tas d'gars qui s'amassait en s'en mettant plein la gueule. J'espérai, dans cette fuite discrète, n'avoir attiré l'attention de personne... Mais les quelques regards assassins que certains me lançaient me laisser penser le contraire... ça allait encore très mal finir, c't'histoire.

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Putain, ce con vient d’renverser mon rhum. J’me fâche, lui éclate la gueule sur le comptoir et m’barre. Foutus animaux.

J’suis complétement bourré. J’sais pas à combien était ce rhum, mais il m’a mit cher.
La nuit m’paraît plus froide, les sons et les odeurs m’parviennent avec un temps de latence pas croyable. Un peu comme si j’venais d’me manger une patate trop violente, et que mon monde n’évoluait plus que dans une bulle. Je marche presque droit. J’arrive à maintenir un équilibre précaire en m’concentrant sur les lignes que font les pavés sous moi. Je lève les yeux, j’vois le monde en bleu gris assez clair, et la lumière des lampadaires tabasse ma rétine.
J’dois combattre ce soir, et franchement, j’suis lessivé. On fera avec, c’pas la première fois que je bois plus que raison. Je me sens d’humeur massacrante. Voilà, sa monte, sa y’est… Doucement mais surement, j’vais devenir la pire ordure. La pire saloperie. Coup bas, vicieux et puant vont être de la partie. Sa va voler en ras motte, sa va pas taper dans le haut d’gamme. Quand j’me pointe à l’entrée de la cave ou s’tiens le tournoi de cette semaine, je me fais arrêter par un des videurs. Quoi ? Moi, trop fatigué ?! Connard ! Je lui lance une claque qui lui donne envie de réfléchir sur la taille de ces rotules, et j’pousse la porte avec assez de force pour qu’elle claque contre le mur. La foule s’retourne vers moi, mais elle pipe pas un mot. Tant mieux. J’me serais pas retenue vous coller une branlée, à tous. Et tous en même temps s’il le fallait.

Je m’installe sur le comptoir de la buvette. Un pied sur la barre qui fait le tour du bar, les coudes sur la planche de bois massive. Je lève deux doigts en direction du serveur. Il m’remarque pas tout d’suite, alors je le siffle. Il se calme de suite quand ses yeux s’pose sur la carrure du client qui lui manque de respect.

« Rhum, et crache pas dans mon verre. » J’réussis à articuler convenablement. C’est bon, j’peux continuer à picoler.

Il me sort la chope version XXL, et m’la tends, alors que j’pose un billet de 100 dans sa mimine. Le sourire qu’il me fait m’indique que le montant lui plait. Tant mieux, j’aurais été mal de m’rendre compte que j’étais son genre. Je m’enfile le verre en trois gorgées, en recommande un autre. Ce soir, j’dois combattre c’lui qui m’a précédé dans la cage de Manshon Town. Un certain « Sanglant », plutôt costaud dans son genre. C’pour ça que je bois. Histoire de m’enivrer la jugeote, et pas m’casser de ce bled pour retourner couper du bois. Ce travail m’plait pas. Je n’aime pas utiliser ces mains pour dévisser des cervicale et enfoncer des boites crâniennes. Et tout ça pour le spectacle, pour la gagne et l’argent. Pour de foutues raclures qu’ont aucun respect de la vie humaine.

C’la que vient la gamine. Celle qui chamboule tout c’qu’elle touche, et pas franchement en bien. Elle entre dans l’bazar, presque déguisée en jeune con venu profiter du spectacle. C’pas franchement réussit, et le premier connard avec des yeux aura vite fait de remarquer les lignes pas commodes qu’elle se trimballe. Bon, c’clair qu’avec le gros mec qu’elle se traine derrière, la fille à pas beaucoup d’chance de s’faire emmerder mais bon… C’pas très judicieux de venir ici pour toi petiote.
Tiens, qu’est-ce que je disais, t’as un mec qui te colle au basque depuis que t’es entré. Il galère à te mettre la mains dessus parce que la foule est compacte, mais t’inquiète que ça va venir.

Il l’alpague, et c’est le bordel. Je termine mon verre d’un trait. Suivant la progression de la demoiselle en sens inverse, alors que tout l’monde commence à s’taper dessus. Sacrés amateurs, toujours les premiers au concours d’celui qu’a la plus grosse. Le serveur revient vers moi, un verre dans une main, un sourire sur son visage.

« Cadeau de la maison ! Bonne dégustation » qu’il me dit, d’une voix presque suave. Bordel, j’supporte pas les taffioles, du vent connard !

J’vais pour porter la chope à ma bouche, un mec me tombe dessus. Le rhum arrose le sol. Mon poing termine dans son estomac quand il s’retourne vers moi. Ma main gauche lui attrape la tignasse grasse et sale qu’il porte en catogan. Sa tête termine sur le coin du bar, plusieurs fois. L’sang imbibe le bois. J’suis de mauvaise humeur. Je m’en vais éclater de la raclure. Parce que le mec que la jeune femme vient d’envoyer saluer le paradis des castrés, c’est un type connu. Un genre de nobliau à la manque, qui s’prend pour un caïd. Il connaît la milice qui traine dans Manshon, et pas mal de mauvais bougres capable de vous dépecer une gonzesse, de la jeter dans l’océan, et sans l'ombre d'un remord.

Alors quand un de ces types qu’il côtoie va pour attraper la brune, tout près de l’escalier, posant ses sales pattes sur son épaule, j’vois rouge. J’presse le pas, pose mon battoir sur sa clavicule et lui brise l’os d’une pression adéquate. A genoux, c’le miens qui rencontre son nez. V’la que la baston générale dégénère encore. On sorte des couteaux, des fusils et autres armes improvisées. J’attrape la main de la gamine. Je colle des pains à tire la rigot, défonce du type pas clair et nous taille une sortie jusqu'à l’extérieur.

Une fois à l’extérieur, j’respire un grand coup, salue la donzelle et m’prépare à écumer quelques tavernes pour calmer le lion qui s’déchaine dans ma poitrine.
    On peut le dire, toi, t’es pas un rigolo. Et tu frappes fort. Tu m’as montré de quel bois tu te chauffais, et je ne sais pas pourquoi est-ce que tu me tires cette épine du pied, mais c’est clair que je te dois une fière chandelle. Pour la suite, tu me sors de là avec tellement de facilité, tu distribues des pains plus vite que Lucky Luke dégaine son pistolet, je ne sais pas encore comment te remercier. Moi, je jette un regard en arrière, je zieute pour voir si le maitre de musique n’est pas dans le coin. Il me semble voir sa dégaine près du bar : il rit, il évite un coup, rattrape la tête du gars pour l’exploser sur le bar. Lui non plus ce n’est pas un rigolo mais il a l’air de très bonne humeur : l’ambiance l’inspire. Je crois que le pire, c’est encore le pauvre type à qui j’ai décroché une droite, qui tire à tout va avec son 9mm et qui a bien envie de me faire la peau pour le coup. J’ai encore frappé celui qu’il ne fallait pas frapper, c’est peut être bien pour ça que tu me sors de là. J’ai fait une bourde, c’est ça ? J’aimerai tirer l'histoire au clair, mais tu me fais comprendre que je ne peux pas trainer ici plus longtemps. Ça sort les pistolets, les couteaux, y’a du sang et quelques blessés, de quoi dire qu’il faut vraiment qu’on se tire. On se faufile (si le verbe « faufiler » te va bien. Dans ton cas, je dirais plus que tu passes en force) et on sort. Et voilà : l’air frais, la nuit sombre, toi et moi.

    Le gars qui m’a sorti du bar, je n’ai pas le souvenir de l’avoir vu avant. Bien que sa taille dépassait largement les deux mètres, que sa carrure en imposait pas mal, je ne l’avais pas remarqué. Faut dire qu’avec le bordel à l’intérieur (que j’avais provoqué par inadvertance, bien entendu), j’avais d’autres chats à fouetter. Mais maintenant qu’il était là, devant moi, qu’il me saluait enfin, je ne pouvais plus le manquer. J’avais peut être une tendance à attirer les « sauveurs de demoiselles en détresse » et pourtant, le gus avait vraiment pas le faciès pour (et je n’avais pas la tête de la demoiselle en détresse mais plutôt de « l’attire emmerde de première ») ! On pouvait même dire qu’il faisait plus « gros rustre qui tape avant de penser ». Une chose était sûre, j’avais une sacrée veine d’être tombée sur un bon samaritain dans son genre, à se demander pourquoi est-ce qu’il m’avait tiré de là.

    « Merci mec ! Je ne sais pas pourquoi t’as fait ça, mais c’est sympa ! »

    Je lui fis un sourire en le regardant intensément. C’était vraiment cool de sa part, mais ça ne m’avançait pas plus dans mon histoire. Bon certes, j’y gardai la vie sauve et ne risquai plus de me faire importuner par l’autre pervers de tout à l’heure, mais le gars que je recherchai n’était toujours pas trouvé. Je devais probablement retourner à l’intérieur pour tenter de mettre la main dessus, mais vu le Bronx qui régnait dans la cave (et qu’on entendait de la rue), j’avais tout bonnement intérêt à rester collée aux basques du grand brun, de ne pas le lâcher avant qu’on n’oublie mon existence et tout ce qui allait avec (ce qui ne risquait pas d’arriver de sitôt).
    Enfin, le gars n’avait pas l’air franchement loquasse dans son genre, peut-être du style à se contenter du minimum syndical. Je pourrais probablement lui payer un verre pour le remercier de ses bons et loyaux services, quoique, je devais aussi retrouver celui pour qui j’étais venue. Peut-être pourrait-il m’aider encore une fois, restait qu’à lui poser la question. Après tout, il pouvait bien savoir quelques trucs et me les dire. Je n’étais pas là pour chercher les emmerdes, et clairement, plus vite j’étais tirée de cette île, mieux ça serait pour tout le monde. Alors autant lui expliquer ma situation, non ?

    « Je comprends bien que t’as peut être d’autres choses à faire, mais si tu veux bien, je te paye un verre pour te remercier et me faire pardonner d’avoir gâché ta soirée. Je suis à la recherche de quelqu’un, et je pense que tu peux m’aider. T’accepte –au moins le verre- ? Comme ç-
    - COIIIIIINNNNNNNN !!!! »

    Ce caquètement perça au milieu des hurlements dans la vieille cave que nous venions tout juste de fuir. Il transcendait avec le reste, étant cent fois plus bruyant, violent, emplit de colère et d’une haine palpable. D’autres bruits se mêlaient à lui, de ferrailles, quelques coups de feu, des cris d’agonies, de quoi nous faire penser que quelque chose de terrible se tramait à l’intérieur et que nous échappions au pire. C’est alors que les bruits avancèrent progressivement vers la sortie. Terribles et porteurs de malheurs. La porte qui avait claqué quelques minutes plus tôt se rouvrit en un fracas immense, tandis que surgit de l’ombre une boule jaune de plus d’un mètre, bondissant droit sur le bon samaritain.

    « Bee ?!
    - COIN COIIIIIN !! »

    Ah oui, Bee. Je l’avais complètement oublié à l’intérieur. Moi qui le pensais sur mes talons, le pauvre avait dû se retrouver encerclé par une bande de pirates assoiffée de meurtre, de sang et de canard. Mais pire encore pour l’homme qui m’avait tiré d’affaire : si Bee avait assisté, de loin, à ce sauvetage inespéré, sûrement avait-il dû le prendre pour un kidnapping fait dans les règles de l’art. Et le connaissant, il devait être dans une colère noire, prêt à mettre à mort le premier qui oserait me faire du mal. Sans aucun doute terrifié, pris au dépourvu au milieu de la bataille en sous-sol, il avait dû se faire un sang d’encre pour moi... Et maintenant, il évacuait sa rage sous sa forme de canard (en proie à ses instincts d’animaux les plus profonds), sur les épaules du gars en battant des ailes sauvagement, le bec pinçant sa joue en braillant à vous en exploser les tympans. La scène, ne perdant pas son potentiel comique, me fit bondir :

    « Noooon Bee ! »

    Je sautai à mon tour sur l’autre gars, qui se dépatouillait de ce canard comme il le pouvait, malgré l’agressivité de l’animal. Une main autour du cou du samaritain pour me tenir, ainsi que mes jambes enserrant ses hanches (car oui, sinon impossible d’attraper Bee et de le calmer au vu de la différence de taille), l’autre bras tenant la bête pour la garder un peu immobile et la calmer, le décor avait tout de burlesque, de quoi faire plier de rire le premier gus qui passait dans le coin. Rien n’aurait pu nous sortir de notre torpeur tant nous étions concentrés pour essayer de calmer Bee. Il ne semblait pas vouloir être raisonné, trop en proie à ses tourments pour oser lâcher le gars qui m’avait sauvé la mise pour ce soir.
    Il était véritablement furieux et, accroché comme je l’étais à mon sauveur, je le suspectai d’avoir du mal à se contenir lui aussi. Enfin, lorsque je disais que RIEN n’aurait pu nous arrêter dans cette représentation absurde, c’est qu’au moment où il se déroulait ce petit show, le pervers de tout à l’heure surgit de la cave à son tour en pointant son arme sur nous avec le nez tuméfié, suivis de quatre de ses gardes. Il nous regarda avec l’envie de nous faire sauter la cervelle sans pour autant oser nous interrompre. Tous étaient choqués par ce qu’ils voyaient, choqués et amusés. Mais le petit nerveux perdit vite patience et nous héla :

    « Hé ! »

    Bee stoppa ses caquètements, ne daignant pas pour autant lâcher la joue du bon samaritain dans son bec. Il jeta un regard assassin vers le pervers. Moi, je levai juste le minois vers lui en fronçant les sourcils : il n’était pas assommé ? Et il avait encore la force de se relever après la patate que je lui avais mise dans le nez ? Il avait du cran. Lorsque ses yeux se posèrent sur moi, il me pointa du doigt et hurla :

    « TOI ! Tu vas comprendre sniiiirf c’que c’est qu’d’avoir sniiiirf du plomb dans la tête ! sniiiirf sniiiirf sniiiirf
    - Et merde. »

    Boarf, pas la peine d’enquiquiner le samaritain une seconde fois. Bee avait l’air plutôt motivé pour lui faire la peau (je suspectai que ce n’était pas parce qu’il voulait s’en prendre à moi, mais parce qu’il l’interrompait dans son caprice). Pour le coup, j’espérai m’en sortir toute seule… Bon, pour ou c’est qu’on prend la fuite ?
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    J’suis content d’moi. J’ai fait ma BA du mois, j’peux retourner tranquillement à mes petites occupations, et à mes grands verres. En parlant de ça, une sale soif, un truc qui me taraude et m’caillasse la gorge, m’prend tout d’un coup. Et si j’allais picoler un peu, histoire de vider mon trop plein dans un verre d’rhum bon marché ? T’façon, qu’importe le flacon tant qu’on a l’ivresse il paraît.
    Du coup, j’fouille ma mémoire, à la recherche d’un endroit bien glauque qui pourrait éteindre mes soifs. Autant de boisson que de traquenard. Peut-être le Flying Joe… Ou le Porkipik – surnommé affectueusement "la crasse" par les clients réguliers. Sauf que la gamine a décidé d’me coller au basques, et v’la qu’elle tape la conversation. Oh, parle pas si vite ! J’ai le palpitant qui tambourine rien qu’à t’voir t’agiter… et ton flot de parole m’donne envie de t’encastrer la tête contre un mur, juste pour t’montrer ce que ça fait. Ce serait dommage, j’me serais fait chier pour rien. Sauf qu’elle prononce le mot magique, et que tout s’éclaire dans la caboche du soulard qu’je suis ce soir. Une poche à vinasse n’aurait pas eu un sourire plus délicat que l’miens, à l’annonce d’un verre gratis. Je vais pour lui dire que sa proposition m’intéresse, quand y’a un truc qui vient tout foutre à l’eau. Un truc qu’a décidé de m’voler dans les plumes. L’truc, c’est une boule jaune, au bec orange. M’fonce dessus, m’attrape la joue et pince super fort. Ok bidule, je suis sensé avoir mal et m’rouler par terre ? Dommage pour toi, j’vais t’éclater l’coin du bec… Pof. Comment ça pof ??! La gamine vient d’me sauter dessus ?! J’sais pas c’qu'elle essaye de faire, mais l’délire commence sérieusement à m’gonfler. Entre l’abruti qui renverse mon rhum, et un espèce de… Mais t’es quoi toi d’abords ? Un canard géant ? Putain c’que c’est ridicule mec. Bref, entre ça et le duo de guignol que j’me trimballe sur la dorsale, j’vois rouge.

    "TOI ! Tu vas comprendre sniiiirf c’que c’est qu’d’avoir sniiiirf du plomb dans la tête ! sniiiirf sniiiirf sniiiirf"

    Encore un connard ? Mais c’est la soirée de rassemblement des chieurs ma parole ou j’rêve ! Oui c’doit être ça Judas. T’es tout seul, dans ton lit, et tu rêve… Argh, pince moi tu veux ? L’idée est conne, il est d’ja entrain de le faire l’animal ! Bref, y’a le petit guss de toute à l’heure qui ramène sa fraise. Il choisit très mal son moment. Il commence sérieux à me les briser lui.
    Jamais casser les couilles à un ivrogne en colère, règle numéro une. Surtout quand l’ivrogne, c’est moi. J’attrape l’oreille du canard en folie, tire un grand coup. Passe ma main dans la maigre ouverture entre son bec et ma joue. Enfonce mon gros poing dans sa petite trachée. A moitié étouffé, l’animal lâche enfin prise. Tiens… Pendant que je t’ai sous la main.

    Je lance l’truc jaunâtre de toutes mes forces. Un joli vol plané de dix mètre et des poussières, qui s’termine par une réception parfaite. En plein dans la tronche du roquet qui s’prend pour un big boy.

    « D’ja, si tu veux pas avoir l’air crédible, est la décence d’pas t’humilier tout seul… » Que j’commence, me lançant vers lui, alors que deux types de son entourage sortent d’une ruelle adjacente. Je ne m’arrête pas, on s’percute. Et c’pas moi qui perd l’plus de plumage ou de ramage dans l’affaire. J’attrape l’ptit blond par les chevilles et l’fait tourner, terminant ma sentence d’un joyeux.

    « … Parce que ça, c’est mon job ! »

    Et lâchant prise, moi la tête tournant un peu. La sienne terminant encastré dans un maigre panneau de bois, percutant une petite table constellée de cadavre de bouteille. Ayant la gentillesse de finir dans un bassin d’eau de mer, prévu pour les écrevisses.

    J’me frotte une main contre l’autre. Je regarde la gamine. Et j’me casse. Terminé les embrouilles, place à la boisson.
        Jure que je suis encore dans la panade. J’te dis que ça n’arrive qu’à moi, ça. T’as peut-être pas l’habitude, mais maintenant que je te suis tombée sur le coin de la gueule, je peux t’assurer que t’es sacrément mal barré. Je ne sais pas, j’ai comme un don pour attirer tous les petites fouilles-merdes du pays. Plus qu’un don : un pouvoir magique. Je n’ai pas pour habitude de m’en vanter, mais ce n’est franchement pas courant des cas comme moi. Je m’en rends compte, j’te jure que je m’en rends compte. Et je ne sais pas comment me défaire de cette poisse que je trimbale. C’est un peu comme si on m’avait jeté un sortilège, ou je m’étais attirée le mauvais œil. Pire que si j’avais cassé une boule à facettes. Tu vois le genre, non ? Bah bon courage, gars.


      Encore une fois, le bon samaritain prit les choses en main. Je n’avais pas à m’en plaindre, je n’avais même pas à prendre les jambes à mon cou. Et ça m’arrangeait clairement : Moins j’en faisais, mieux je me portais. Dans l’histoire, j’étais gagnante sur tous les points : pas à me battre contre des guignols, pas à fuir (et de ce fait, à me couvrir de ridicule) non plus, pas d’os cassés (enfin si, mais pas les miens !)… Tout bénef’.

      Le seul bémol dans l’histoire, Ce fut quand il utilisa Bee comme arme (remarquez, il faisait d’une pierre deux coups : d’un côté, il se débarrassait de ce canard-un-peu-envahissant et il faisait un magnifique Strike avec le gus qui me harcelait). Moi, j’avais eu à peine le temps d’éviter de me casser la figure en passant dans son dos, toujours fermement accroché à son cou et à sa taille. Le Samaritain avait de la force et il n’avait pas l’air de capter ma présence. A la fois une aubaine et une frustration sans nom : c’était fou comme on oubliait mon existence en si peu de chose (suffit de quelques kilos et voilà). Bee roula sur plusieurs mètres avant de reprendre sa forme hybride. Une chose était sûre, il n’était pas content du tout. Je crois bien qu’il avait plutôt envie de faire bouffer sa légèreté au Samaritain.
      L’altercation ne s’arrêta pas là : il s’élança vers l’ersatz de yakusa (si, le pervers là !), se prit deux de ses copains dans le mille sans sourciller, attrapa l’autre gars par les chevilles et le balança au loin, le regardant terminer sa course dans le bassin à écrevisses. Moi, j’avais la tête qui tournait, ayant subi le manège de tout à l’heure sans même qu’il ne me remarque : Il ne m’avait pas calculé, et j’avais à peine bougé de ma place pour finir dans son dos et ne pas me casser la figure. Bee l’observait du coin de l’œil, mi-étonné mi-blasé par son comportement : il ne pouvait pas le piffer. Une chose qui se voyait et qui se sentait : la boisson avait actuellement une sacrée influence sur lui.
      Je commençai, en plus, à avoir le vertige : ce n’était pas qu’il faisait sa taille, le bougre, mais je n’avais vraiment pas l’habitude de rester trôner à deux mètres du sol (enfin si, mais Bee, ce n’était pas la même chose. En fait, tout était parfaitement différent avec Bee. J’avais pris l’habitude d’être avec lui, et même si parfois j’étais un peu tendue à l’idée de lui grimper dessus, c’était de toute façon cent fois mieux avec lui). Et puis, je n’étais pas certaine qu’il appréciait que je l’utilise comme moyen de transport (et n’ayant ni l’envie ni le temps de me faire encastrer dans un mur après l’avoir fait sortir –finalement- de ses gonds), valait mieux que je descende de là.

      Je posais pied à terre, manquant de me casser la figure avec le manège qui me tournait toujours dans la tête. J’eus même du mal à retrouver un équilibre respectable. Puis, le Samaritain me regarda et tourna purement et simplement les talons. J’arquai un sourcil, lâchant avant de me mettre à ses trousses :

      « Quel guerrier. Non mais franchement ! Et ta boisson ? »

      Haha. Possible même qu’il n’en veuille plus. J’étais presque sûre d’avoir gâché complètement sa soirée avec mes frasques, même si toutes n’étaient pas de mon ressort. Bee, sur mes talons (qui était plus grand que le samaritain et plus massif aussi), fixait ce dernier du coin de l’œil. Il n’avait pas l’air en confiance avec ce gars-là, prêt à tout pour ne pas rester trop longtemps en sa compagnie. Pour le coup, je ne comprenais pas vraiment pourquoi : il m’avait l’air sympathique, me plaisant bien. Et pour ne rien gâcher, il avait une classe à vous en faire tomber à la renverse. On ne rencontrait pas tous les jours des gus dans son genre, si vous voyez ce que je veux dire ! Il puait la virilité et… alcool (ce qui était, entendons-nous bien, beaucoup moins charismatique).

      « Et va pas si vite ! »

      Une de ses enjambées valait trois des miennes. Essayait-il de me semer ? Sans doute que oui, mais je préférais faire semblant de ne pas comprendre. Dans ma tête, c’était simple : plus longtemps j’étais avec ce type (même en passant pour un parasite de la pire espèce), moins j’étais exposée au danger. Nous passâmes tous devant un bar, dont le néon brillait difficilement : ça avait l’air d’être un bar-concert, mais l’affluence n’y était pas grande.

      « Tiens, on va là-dedans ! »

      Lui laissais-je seulement le choix ? Non. Je poussais de toutes mes forces pour faire rentrer cette masse à l’intérieur. Ça avait tout l’air d’un bar bien chouette… enfin dans l’idée, hein, parce que je ne connaissais pas du tout le coin. Et pour tout dire, je n’étais sûre de rien. Lorsque nous rentrâmes, des visages se tournèrent vers nous pour nous regarder : j’étais quand même entourée d’une masse de plus de 400 kilos, ainsi que d’un gus de 2 mètres. Au milieu, je faisais lilliputienne. La femme derrière le bar (une rouquine bien en chair, un peu trop maquillée à mon goût) nous regarda et demanda notre commande. A moi de lancer, en joie, qu’il nous fallait un bon gros rhum (quitte à nous donner la bouteille) ainsi qu’un jus de fruit. Cela fit rire quelques-uns, mais pas pour très longtemps, surtout lorsque Bee lança un regard meurtrier à ceux qui osaient se moquer de moi.

      « T’es assez en forme et patient pour répondre à mes questions ? Promis qu’après, j’te fiche la paix ! »

      Et une promesse est une promesse. J’avais personnellement eu mon lot d’aventure pour la soirée, mais connaissant très bien ma malchance habituelle et le talent particulier que j’avais pour m’attirer les problèmes, je pouvais quasiment être sûr que tous ne l’entendaient pas de cette oreille.
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      « Quel guerrier. Non mais franchement ! Et ta boisson ? Eh, va pas si vite ! »

      Pot d’colle. Définition : Personne décidée à te suivre par tout les moyens, même les plus odieux, afin d’te pourrir la soirée. C’que je savais pas en l’aidant, c’qu’elle me collerait aux basques comme mon ombre. En pire. Mon ombre n’a pas l’don incroyable d’m’attirer les emmerdes. Elle, si, et même d’une façon remarquable. J’crois être clair en pressant l’pas, mais elle accélère encore, un espèce d’robot d’quatre mètres étendant sa masse et sa hauteur derrière moi. Menace ? En tout cas ça y ressemble et c’est mastoc.
      J’préfère n’pas en tenir rigueur et pipe pas un mot. J’économise ma langue, c’que mon palais à b’soin d’être délié. On passe d’vant un club miteux à la réput’ aussi trouble que sa flotte : L’Xcutioneur. C’la que la gamine m’surprend, en poussant d’toutes ses forces – et y’en a dans son p’tit corps, m’entrainant à l’intérieur. C’est rappé pour ta tranquillité Judas, tant pis pour toi… Fallait pas aider l’premier v’nu, tu l’sais bien pourtant ! Rendre service t’as jamais réussis.

      Bon, tant qu’a passé une soirée d’merde, autant picoler un peu. J’m’assois à un table et laisse la brunette commander un bouteille : Bon reflexe, j’commencerais presque à être d’bon poil. J’attrape la chope que m’tends la tenancière, vérifie qu’elle glaviote pas, et m’vide un quart de la bouteille dans l’récipient. J’la regarde, elle m’regarde, on s’regarde. Elle ouvre la bouche, hésite, et finalement s’lance :

      « T’es assez en forme et patient pour répondre à mes questions ? Promis qu’après, j’te fiche la paix ! »

      Une nouvelle gorgée de rhum, j’repose mon verre sur la table en bois. Mon regard parcours l’ensemble du club, assez miteux. A mi chemin des murs, l’bois est arraché, et la pierre repeinte en noir. Suinte des fissures un liquide entre l’grisâtre et l’vert moisi. L’sol est si poussiéreux que ça fait comme une couche molletonnée sous le panard. La tenancière –une espèce de grosse truie en robe noire à dentelles rouges, s’tient derrière un bar qui fait tout l’mur du fond. Si tu veux mon avis, c’pas le genre d’endroit ou t’viens prendre ta collation du soir.

      Bref, j’me décide à lui répondre.

      « D’ja, comme tu t’appelle gamine ? » que j’lui lance, la politesse c’pas ce qui l’étouffe faut dire.

      - Lilou ! Et toi, d'ailleurs ?

      « T’peux m’appeler Judas… C’quoi que tu cherche?» j’termine ma phrase en finissant mon verre, et en rempilant pour une deuxième fournée.

      - Ce que je cherche ? C'est un homme : Le maitre de musique. Je sais que ce n'est pas très précis, mais je n'ai pas plus d'information le concernant, ni comment le trouver ou l'approcher. J'ai bien tenté vaguement tout à l'heure mais tu as vu comme j'attire les embrouilles. Bref, je suppose que t'es du genre à connaitre des gens qui connaissent d'autres gens alors euh... Bref.

      « J’sais pas d’qui tu m’causes, mais un gars d’ma connaissance saura surement t’rencarder . » qu’je fais, en terminant la bouteille et en m’levant prompt’ment. L’monde tangue un peu autour d’moi mais j’ai l’habitude. Les r’bord d’ma vision sont un peu flous, mais c’pas grave, on f’ra avec. J’bouge un mec qui nous gâche l’paysage et bouche l’passage et m’casse d’ce trou puant, repère des soulards les plus infâmes. J’me retourne et par la porte encore ouverte j’lance : « Bah alors tu t’magnes ou quoi ? ».
      Direction ? Le Byzance, un café autrement plus chicos.

      On s’dirige vers l’quartier est d’la ville, c’est un peu mon favoris, les gens y sont simples et honnêtes, sans être pour autant d'parfaits citoyens. Pas d’riche qui pète plus haut que leur cul, rien que des ouvriers et des artisans sur-qualifiés, des bon mecs du nord quoi. En marchant, j’fais pas la conversation, mais j’pense que Lilou peut la faire toute seule. Intrigante gamine, surexcitée, gentille mais d’un chiant… Et surtout toujours à s’attirer et à t’attirer des emmerdes.
      J’vois la petite place du Trafalgar s’dessiner d’vant moi, c’la que le café s’trouve. Au centre de la place, y’a une p’tite fontaine, celle des « innocents » où l’poissard vient jeter un berrys ou deux pour que la chance revienne. J’la conseillerai bien à ma partenaire d’ce soir, mais on a d’autres priorités. A notre gauche, un p’tit édifice blanc est coincé entre une boulangerie et un maroquinier. Plus haut que large, une sorte de terrasse assez spacieuse, en prend toute la face à partir du deuxième étage. J’siffle un coup et v’la un compère qui en sort la tête. C’est tony, mon indic’ perso. C’est Tnt qui m’la refilé après notre coup d’éclat contre son frangin.

      « Eh Tony, tu m’offre un verre l’ami ? » Que j’lui dis, sympathique. J’ai c’type en horreur, il parle trop, et pour c’qu’il a dans le froc… L’intéressé sourit, un peu mal à l’aise –j’le comprends, et m’donne son approbation d’un signe de la main.

      « Il est pas méchant, mais qu’est-ce qu’il est con… »

      J’entre, et j’laisse découvrir l’cadre de l’endroit à ma partenaire. Il est chouette ce bar. Une petite entrée lumineuse tapissée de Kafekas directement importés South Blue au sol. Des jarres pendues par des chaines plantées au plafond, florissantes d’eucalyptus et embaumant la place. Des petites trouées faites dans les murs, laisse entrevoir une multitude de bougies éteintes. A l’intérieur, les Kakekas sont toujours là, le bar à notre droite est de marbre, et y fleurissent un nombre presque obscène de bouteilles. Les tables sont en noisetier, les chaises recouvertes de coussins confortables. Au fond du bar, des tables basses, rondes, sont encerclées de fauteuils et de poufs. Séparés par des battant en bois mince, pour plus de discrétion
      .
      « Eh, Pat’ ! Je prends cinq minutes de pause tu veux me remplacer ? » Lâche une voix à notre droite. Tony est grand, brun, les yeux sombres et l’teint pâle. Il a la gueule du beau gosse. Sauf qu’il l’est pas. Un beau parleur de plus sur not’terre.

      On s’installe dans un des boxes à droit, bien isolé. Et j’lui annonce la couleur directe : « On veut des infos sur un type qui s’fait appeler le « Maître de musique » et j’lui pose une liasse de biftons sur la table. 10 000 berrys pour l’info juteuse et croustillante, tarif préférentiel.

      Tony attrape un attaché case planqué dans l’mur, et en sort un dossier pas plus large que mon p’tit doigt. Il en sort un deuxième, aussi large que mon poignet et m’fait : « Haru c’est ça ? Un sacré ingénieur, mais aussi un foutue parieur qui a la poisse. Il s’est attiré des ennuis avec « Red Bull »… Tiens, j’te file son dossier avec. »

      J’prends le dossier cartonné, l’ouvre et entreprends de lire grossièrement l’histoire d’notre taureau. Ca sent pas bon. Un putain d’prêteur sur gage qui fait pas dans la finesse. Un nouveau venu… Un concurrent ? En tout cas, il est pas bon, autant pour les affaires d’la petiote, que celles d’mon employeur du moment : Timuthé. Va falloir qu’on s’en débarrasse si on veut faire sortir le lapin d’son terrier.

      « T’sais ou j’peux l’trouver ? »

      Il griffonne une adresse sur un p’tit bout d’papelard, et m’file ça, que j’fourre dans ma poche arrière. J’le remercie et j’invite Lilou à filer sans d’mander notre reste. Une fois dehors, après avoir rejoint sa carcasse métallique d’un jaune douteux, j’lui explique la situation.

      A elle de décider c’qu’on va faire, c’pas vraiment mon affaire.

      Kafkas : Tapis d'un coin reculé de South Blue, le Turkiban, souvent rouges, à motifs verts et ors.
        J'avoue, je n'ai pas choisi le meilleur coin possible pour t'exposer mon problème. L'endroit est lugubre, voire carrément sinistre. Tu n'as pas l'air en confiance, à un tel point que tu regardes même dans ton verre pour voir si on n'y a pas mis quelque chose. Moi, je suis trop naïve pour me méfier des gens, même à Manshon. Et je ne pensais pas l'endroit aussi malfamé qu'il ne l'était en réalité. De toutes, je n'ai jamais été doué pour trouver les endroits appropriés à des gens comme nous. Ça n'avait pas l'air désagréable sur le papier, mais à l'intérieur, c'était une toute autre paire de manche. Tu me regardes, dépité, probablement agacé par mon comportement. Mais je rattrape mon coup et t'offre ta consommation (qui me coute un bras, au passage). Et voilà, j'enchaîne, je parle, je parle (et c'est que je parle beaucoup)... et avant même que je puisse t'expliquer clairement les choses, tu me coupes dans mon élan. T'es du genre à savoir ce que tu veux et où tu vas. C'est chouette, ça n'a jamais été mon cas.

        Il me demanda mon nom (me faisant passer au passage pour une grognasse irrespectueuse et impolie. Et à vrai dire, dans notre situation et au vu des circonstances passées, notre instinct de survie ne nous portait pas à nous présenter l'un à l'autre). C'était simple, concis et rapide : voilà qui était fait, en bonne et due forme. Notre identité dévoilée, il ne nous restait plus qu'à nous mettre au point sur ce que j'attendais. Etrangement, le Samaritain, appelé Judas selon ses dires (nom étrange, mais soit !), se faisait attentif à mes dires probablement prêt à tout pour se débarrasser de moi. Je lui fis un sourire et expliquai où j'en étais dans ma recherche. Pour faire clair : il me fallait mettre la main sur le Maitre de Musique et en tirer l'enseignement tant désiré et pour ce faire, il me fallait surtout l'aide d'une personne connaissant les coins et recoins de Manshon.
        Son entrain à me filer un coup de main me fit encore plus sourire : il avait l'air bien motivé à se défaire de ma poisse légendaire, certainement blasé par les mésaventures que je lui avais faites subir jusqu'ici. C'était tout à mon avantage et j'avais bien pioché le gus. Finalement, les péripéties de la soirée m'avaient amené sur un plateau d'argent LE gars qu'il me fallait. Je m'en frottai les mains d'avance, lui ne savait probablement pas qu'il avait devant les yeux une future grande ingénieure compétente (enfin... je l'espère). Mais sa première déclaration me laissa sur ma faim. Le maitre de musique ? Il ne connaissait pas. Par contre, la suite piqua mon intérêt : il avait des sources, des indics, qui pourraient nous rencarder.
        Je n'eus pas le temps de réagir que déjà, Judas était levé, virant du passage un gars qui se trouvait là, poussant ce qui le gênait sans ménagement, me hélant de me bouger les miches si je voulais vraiment avoir ce que je voulais. Je bondis de ma chaise, la renversant au passage, sortant de ma poche les quelques berrys que coutaient la consommation. Je filai comme une flèche dans sa direction, Bee sur mes talons (qui lui, n'avait pas l'air autant en joie que moi, comme si savoir qu'on devrait suivre le Samaritain le pompait sérieusement). Il ne nous restait plus qu'à suivre Judas, sans même remettre en question ses intentions.

        Et il me traîna dans les rues de Manshon, dans lesquelles j'étais probablement passée dans la journée, mais où je ne saurais jamais me repérer. Il connaissait la route, sans même ciller un instant ou douter du chemin à prendre. Comme quoi : écumer les bars pouvait servir, un jour ou l'autre. Bee fixait le gars sans le lâcher du regard, aux aguets, prêt à s'interposer à tout instant ou à lui foncer dans le tas. Le robot n'arrivait vraiment pas à l'encadrer, par jalousie ou pour l'humiliation qu'il avait subi un peu plus tôt par sa faute (comme quoi, servir comme missile pour le compte d'un alcoolique bagarreur notoire n'avait rien de spécialement valorisant ou plaisant).
        La route ne fut pas bien longue et nous arrivâmes donc devant le Byzance, situé sur une immense place, plutôt coquette et agréable, une fontaine trônait au milieu de celle-ci, faisant s'écouler son flot dans un tintement uniforme et reposant. L'endroit semble presque paisible, plutôt bien fréquenté, du genre dans lequel n'importe qui peut passer sans se faire agresser. A l'inverse de cette foutue cave, ou même du café dans lequel je nous avais traîné et d'où nous venions. Le café se trouvait entre deux commerces, une bâtisse bien présentée d'un blanc parfait, une terrasse, avec de l'animation à l'intérieur. Un sifflement me sortit de ma torpeur : Judas fit signe à un gars. Ce dernier nous regarda avec l'air surpris.

        Un verre ? Encore ? Le Samaritain ne perdait pas le nord, dis-donc. A moins que ce soit juste lui que nous venions voir. Je ne posai pas de question, préférant cent fois me taire au lieu de l'assaillir d'interrogation. La silhouette du Tony s'efface progressivement après nous avoir fait signe de la main.

        « Il est pas méchant, mais qu'est-ce qu'il est con... »

        J'arquai un sourire, ajoutant du tac-au-tac :

        « Tu n'as l'air de l'apprécier, dis-donc. »

        Ironie, quand tu nous tiens.
        Pas le temps d'en rajouter plus, nous pénétrâmes à l'intérieur du café. Judas me laissa passer et moi, je demandai à Bee de rester à l'extérieur (l'endroit n'était pas assez haut pour l'accueillir), de ne pas faire de bêtises en mon absence (sait-on jamais) et de nous attendre sagement. L'endroit était tout aussi agréable que l'extérieur : garni, coloré, organisé avec quelques coins plus intimes que d'autres. En fait, les lieux réchauffaient instantanément celui qui y entrait. Je m'y sentais à l'aise, transportée. Il y avait dans l'air une odeur envoutante, du genre à vous déboucher les naseaux en moins de temps qu'il en fallait pour le dire. Et puis, revoilà l'autre gars de tout à l'heure, prenant sa pause auprès d'une jeune femme, il se tourna vers nous avec un regard mystérieux et pénétrant qui, sur une autre personne que lui, aurait fait tomber toutes les donzelles de la salle. Je restais de marbre devant lui, jetant un regard en biais à Judas en me demandant s'il ne rigolait pas sur la marchandise en question.
        Pas le temps d'en dire plus, on nous traîna jusqu'à une table dans un coin. Je tombai lourdement sur la chaise, les mains sur la table en écoutant calmement la conversation en cours. Judas sortit de sa poche une liasse de billets. Alors, l'info valait tant d'or que ça ? Apparemment. Le marché avait l'air de convenir au gars : l'instant d'après, il nous sortit du mur une malle, de laquelle il prit deux dossiers. Le plus mince, je m'en saisis simplement en zieutant rapidement les informations notées dedans. Comment était-ce possible de rassembler autant de choses sur un seul gars ? Tenait-il un répertoire de tous les gens de l'île ? Et Judas, était-il dans ses dossiers ?

        « Haru c'est ça ? Un sacré ingénieur, mais aussi un foutu parieur qui a la poisse. Il s'est attiré des ennuis avec « Red Bull »... Tiens, j'te file son dossier avec. »

        Sacré ingénieur ? J'aurais plutôt dit « un putain de bon ingénieur, mec ! ». Mais ça faisait nettement moins classe. Concernant ce gars, c'était clair qu'il était bon. J'avais moi-même eu la chance de tester une de ses armes. Bilan ? Trois cotes cassés, un bras en miette, une partie de la hanche fêlée et bien entendu, une escapade monumentale la minute d'après. Au sujet de l'escapade, je ne m'en souvenais plus du tout, mais il était clair que les armes qu'il confectionnait était, et de loin, des merveilles de technologies. Et il m'en fallait une, pour Bee.

        La conversation se termina rapidement, le Samaritain me tira dehors sans même chercher à comprendre la suite. Il m'expliqua alors rapidement la situation : Red Bull, c'était un gars pas commode du tout, qui tenait sous sa coupe quelques gars de l'ile. Sous sa coupe, c'était un grand mot : autant dire qu'il les tenait en laisse et malheureusement, le maitre de musique (par son addiction) en faisait partie. Et pour accéder au type que je cherchai, il valait largement mieux en finir avec l'autre type. Pour moi, c'était tout vu : j'étais prête à lui péter les dents. Mais seule, c'était probablement pas jouable et il devait avoir pas mal de gros bras à son service.

        « T'avais l'air contrarié d'apprendre l'existence de ce Red Bull. Il t'a fait quelque chose ? »

        Moi ? Curieuse ? Si peu. C'était juste un fait, parce que même si Judas n'était pas un gars vachement expressif, il communiquait pas mal sur son faciès (genre le sourire béat de quand on l'invite à boire un verre, voyez). Et pour le coup, il ne semblait pas ravi de constater les activités du dit « Red Bull ». Je lui fis un sourire, croisant mes bras sous ma poitrine avant d'ajouter calmement :

        « Je sais bien que ce n'est pas mes affaires, mais si tu as un problème avec lui, pourquoi ne pas en profiter pour le régler ? Je vais supposer que tu n'as pas pris son adresse pour rien. Je vais supposer aussi que ce Red Bull serait probablement apte à t'apporter tout un tas d'ennuis, pire que moi probablement. Pour terminer dans mes suppositions, je dirais qu'en se débarrassant de ce type, ça pourrait t'apporter tout plein de choses vachement positives. Tu m'aides ? Allez, en route ! »

        Etait-ce vraiment une question ? Non. Je ne lui laissais pas le choix. Quoi ? Quoi je ne suis qu'une vile manipulatrice, étout étout ? Non, juste opportuniste. Ce qui n'était pas vraiment un crime, en soi. Bee, à côté de moi, leva ses mirettes au ciel en tentant de garder son calme et son sérieux. Il savait déjà qu'au vu de comment je parlais à Judas, ce dernier devrait nous suivre encore un moment. Il devait, de toute façon, me conduire jusqu'à sa baraque. Et s'il ne voulait pas se mêler plus de mes affaires, je n'aurais plus qu'à m'occuper personnellement de ce type.

        En même pas un quart d'heure, Judas nous mena tous jusqu'à l'adresse indiquée par Tony. Sur le bord de mer, longeant la côte lentement, la vue sur l'océan était imprenable. Red Bull vivait dans une villa vraiment magnifique. Pourquoi fallait-il que tous les escrocs soient assez péter de thunes pour s'offrir des merveilles de ce genre. Il ne nous fallut pas plus longtemps pour longer les haies de sa maison et nous retrouver devant un immense portail. La maison était à quelques mètres : une villa sur deux étages avec un balcon. Cossue, imposante, gardée, on savait déjà que pour passer dans les mailles du filet, on allait franchement galérer. J'haussai les épaules, regardant le long mur qui entourait la maison. Il faisait plus de trois mètres et avait des prises conséquentes : escalader était d'une facilité déconcertante.

        « Vous passez par devant, moi par derrière. Laissez-moi cinq bonnes minutes avant d'entrée. On se retrouvera bien quelque part. »

        Et hop, me voilà enfuit. Bee tenta bien de me retenir, mais j'avais filé à une vitesse peu commune, longeant de nouveau les murs de l'enceinte, je trouvai rapidement une paroi ou les prises étaient encore plus apparentes qu'ailleurs. Ni une ni deux, j'entrepris l'ascension avec facilité. De l'autre côté ? Des gardes, par dizaine, qui faisait le tour du jardin en regardant de gauche à droite. Devant moi, un arbre qui pourrait largement supporter mon poids. Je sautai à la branche la plus proche et m'y accrochai fermement, glissant de celle-ci pour attraper le tronc et me fondre dans ses feuilles. Un garde passa près de moi sans me remarquer. Discrètement, je touchai l'herbe et partis me planquer dans un buisson proche. Il me fallait faire le tour de la maison pour repérer une fenêtre ouverte et m'y faufiler.
        Pas de bol, la seule qui l'était et qui semblait donner sur une pièce vide était au second étage. Bee m'aurait été ici d'un grand secours, mais n'ayant pas le temps de m'attarder sur ce détail. Heureusement, une grande colonne de marbre soutenait le balcon à l'étage. Les gravures sur la colonne était visible et laissait de quoi monter avec, certes, des difficultés. Un bruissement me sortit de ma torpeur : un garde passait non loin. Il était seul, bien bâti, mais pas effrayant pour deux sous. Alors qu'il regarda dans ma direction, je lui bondis dessus telle une furie et l'assommai d'un coup de poing bien porté. Paf, le corps tomba mollement sur le sol, tandis que je le traînai sur plusieurs mètres pour le planquer dans un buisson non loin.

        L'ascension reprit. Je grimpai de nouveau avec difficultés le long de la colonne, avant d'enfin réussir à me glisser sur le balcon, puis dans la pièce. L'endroit en question était un petit salon, ou une petite bibliothèque. Pas le temps d'allumer la lumière pour vérifier. Doucement, j'avançai jusqu'à la porte et l'ouvrit lentement, jetant un oeil dans le couloir. Des bruits de pas et de conversation se portèrent à mes oreilles, me forçant à me faire plus discrète encore. Près de la porte se trouvait une statuette et au vu de son poids, je la jugeai en fer. Je m'en saisis et avançai progressivement vers les deux gars. Et d'un coup, un énorme bruit se fit entendre en dessous de nous. Il me surprit aussi, pour tout dire, mais je savais de quoi est-ce qu'il venait.

        « Qu'est-ce que c'est qu'ce bordel ?! Fit l'un en entendant le fracas au rée-de-chaussé.
        - Allons voir ! Renchérit l'autre en s'adressant à son coéquipier
        - Pas si vite ! Coupai-je avec un sourire. »

        Tiens, mange ! Quoi, t'en veux aussi ? Tiens, cadeau ! Haha. Hum... En bref, les voilà tous les deux à terre, l'un avec l'arcade refaite et l'autre avec des dents en moins. Je terminai mon oeuvre promptement et filai droit vers la prochaine pièce.
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        « Les mecs qui profitent de la misère des autres m’débectent… » que j’lui réponds, crachant sur le taureau et sur l’sol.

        J’regarde le ciel nocturne d’un œil perçant et acéré, pensif aussi. Il faut croire qu’la gamine m’laissera jamais tranquille ; D’un autre côté c’pas le genre d’animal qui m’fout en rogne, elle a juste l’art d’attirer la merde, mais ça tu connais bien. C’serait pas la première fois qu’tu réglerais l’bizness d’un autre par charité. Tu l’sais bien pourtant : Jamais s’mêler des affaires des autres c’est rester peinard. Sauf que l’danger c’est ma vie, la violence ma passion : La castagne c’tout ce que je connais – à peu d’autres choses près. On m’a apprit la vie à coup d’main dans l’crachoir, on m’a apprit l’erreur à coup d’beigne dans l’menton. J’écoute même pas son monologue et j’suis d’ja en marche. Elle a toujours pas compris que j’fais pas dans la fioriture ni l’sociale, juste qu’une foutue maladie m’pousse à la destruction, juste qu’un putain de syndrome m’pousse à détester c’qui est injuste.
        L’type habite dans un coin pommé d’Manshon, du genre calme, tranquille, riche. Une p’tite résidence pour malfrat fortuné, maniaque et paranoïaque : C’que j’avais lu sur son CV. Il pousse l’vice à s’entourer des meilleurs, à n’laisser personne s’échapper de ses filets et à n’jamais les rencontrer en personne. Il menait sa barque d’une main sûre et avait l’pied marin, jamais personne n’avait pu l’coincer ni l’déloger. Son bizness voguait tranquille. Jusqu'à présent. Maintenant j’suis là avec la gamine : Et j’sais pas qui des deux s’ra la pire des turbulences. C’que je sais c’est qu’on va lui mettre la voile en berne et lui crée d’sacrées secousses, d’sacrées vagues. L’ouragan approche “Red Bull“, prend bien garde à toi et savoure tes derniers instants d’tranquillité.
        J’prends l’chemin par l’maquis, pas la campagne mais un dédales d’ptits coins secret et d’passages inconnues : En gros j’ai un sacré raccourcis pour nous m’ner jusqu'à chez lui. Le quart d’une heure et nous v’la trois d’vant le portail.

        - Vous passez par devant, moi par derrière. Laissez-moi cinq bonnes minutes avant d'entrée. On se retrouvera bien quelque part.

        Et la v’la partie avant qu’je puisse ouvrir la bouche et baver mon avertissement : On va avoir droit au grand jeu. Ca sent l’professionnel jusque dans l’pécore qui fait sa ronde d’un pas sûr et droit. Y’a qu’la conscience du travail bien fait qui pousse un homme à sortir l’soir pour veiller sur l’jardin d’un autre. Bref, j’regarde l’robot et j’articule bien, histoire d’être clair.

        « Ouai, j’sais, moi non plus j’taime pas. T’as commencé par v’nir m’chercher les embrouilles et ça mon p’tit pote, c’est un mauvais choix d’vie. J’en ai démonté et recyclé pour moins qu’ça.

        J’le mire pour voir s’il a compris et j’continue Maintenant faut aider la gonz’, alors j’ai b’soin de toi. Défonce moi c’portail et fais toi plaiz’ : Éclates les tous. »

        V’la, ma tirade est terminée. J’attrape le mur d’ma paluche et me hisse dans la propriété. On a pas idée d’être parano' et d’avoir un mur aussi bas. Ah, l’malfrat d’nos jours c’plus ce que c’était. J’passe dans l’dos de trois gardes quand l’portail cède sous l’coup d’butoir du robot d’quatre mètres. Z’ont à peine l’temps d’se rendre compte c’qui se passe, qu’les v’la prier l’ciel pour comprendre : Un bon gros tacle après élan et les v’la à terre. J’prends pas l’temps d’men occuper, j’en ai la dizaine qui m’court après. J’cours en zig puis en zag, j’esquive des balles, m’fout à couvert, pratique la roulade. Les arbres sont mes amis. En clair, je les embrouille et j’gagne du temps : J’attends que l’réservoir soit vide. Au premier cliquetis, j’suis sur eux et j’commence mon œuvre, la destruction.
        Pendant que j’en envois deux valser dans la pente douce, j’mire le robot entrain d’manger des balles sans broncher. Pendant qu’mon high kick fait presque sauter une tête, et qu’mon poing disloque une mâchoire, j’le vois répliquer d’sa grosse masse. Ah bah ça c’du maous robot bien sympa. J’en attendais pas autant d’la part d’une boîte d’conserve : la gamine sait s’entourer. J’tourne sur moi même et r’monte en uppercut. Résultat ? J’en embarque deux, en assomme trois et termine l’mouvement sur un quatrième qui chiale. C’sa mec, continue d’prier et d’crier après ta mère, t’seras plus utile.
        Pendant qu’Bee –c’est son nom si j’ai bien compris, pendant que Bee défonce l’reste des troupes, j’fais la même sur une serrure d’un chassé. J’rentre par la grande porte. J’suis réçus par quinze canons tremblant et prêt à gicler leurs plombs. Roulade vers l’escalier qui s’enfonce dans les sous sols. Les balles pleuvent au d’ssus d’moi. Y’en a même une qui m’glisse sur l'biceps, m’l’esquintant. J’arrive toujours à l’bouger et passe à l’attaque. J’monte les escaliers – non l’autre, c’lui qui monte au premier étage, pendant qu’ils rechargent. J’saute vers l'homologue d'mon escalier et m’propulse contre le mur, les percutant comme des dominos. Y’a Bee qui arrive, les yeux tout rouge : J’les lui laisse.
        Direction l’étage supérieur ou j’pense trouver mon paquet.

          Qu’est-ce que ça représentait à ce moment-là ? Rien du tout, rien de plus que des inconnus qui rentraient en contacts par le biais du hasard. C’était dingue, n’est-ce pas ? Ça rend dingue, surtout. Ne pas savoir de quoi l’avenir est fait, ce qu’il veut, ou il va. Je pense encore aujourd’hui que c’est cela même qui rend les gens fous, c’est la crainte de l’avenir. Il reste à découvrir, à changer, à deviner. Il est dans un mouvement constant, par rapport à nos actes présents. Est-ce qu’il peut choir ? Ou voler ? Ou parler ? Est-ce qu’il bouge ? Est-ce qu’il tangue ? Se renverse-t-il ? S’échappe-t-il ? Fuit-il ? Meurt-il ? Cesse-t-il ? A n’en pas douter que notre futur, à ce moment-là, n’était pas fait d’autant de question qu’aujourd’hui. A n’en pas douter que si nous avions su combien nous pourrions souffrir de cette rencontre, sûrement aurions-nous décidé de ne jamais nous suivre, nous parler. Nous aurions choisi la facilité, l’ignorance, l’indélicatesse de ne pas nous répondre à cet instant. Nous aurions fait l’erreur de ne pas rattraper la balle avant qu’elle ne sorte du terrain. Nous aurions pu continuer notre route sans jamais s’intéresser à l’autre et l’oublier au croisement suivant, nous aurions pu simplement échanger un sourire ou une insulte, et nous contenter de rien. En finalité, nous avons choisi l’aventure de cet échange, nous jetant dans la gueule du loup, les yeux fermés, heureux comme pas deux en songeant au futur.

          J’avais foncé vers la porte qui suivait, l’ouvrant à la volée ; et la surprise fut grande : L’on me regardait. Et puis un petit rire perça le silence pesant de la pièce. Si un bordel immense régnait à l’étage du dessous, il était sûr qu’ici, on pouvait entendre les mouches voler. L’endroit était une sorte de petit salon, plutôt coquet, une porte en fond qui était férocement gardé.

          « Aie… »

          C’était au moins le minimum à dire face à ma situation. J’avais choisis la mauvaise pièce, certainement la plus gardée de toute. Probablement que je me rapprochai de l’épicentre du problème. Et c’est pourquoi ça devenait particulièrement dangereux. Devant moi se tenait quatre hommes, qui me regardaient fixement en croisant les bras sur leur torse, l’air ferme, peu avenant, prêt à me sortir d’ici. Le plus à droite faisait presque deux fois ma taille, filiforme, élancé, une moustache tracé, un costume coupé à sa taille. D’ailleurs, tous portaient des costumes, avec cravate. Le second était chauve, plus petit mais aussi plus massif que son voisin. Son crâne luisant éclairait presque son coéquipier (celui qui me faisait face, donc) et qui tenait dans sa main un magnum prêt à l’emploi. Il avait une longue queue de cheval, ainsi que des sourcils finement tracés. Enfin, le dernier était trapu, les cheveux coiffés en arrière pour lui donner un style mwachuitrodangereuhtavu.

          La plus mauvaise rencontre de ma vie, au moins. J’allai probablement y laisser des plumes (ou des os, dans mon cas). En réponse à ce que j’avais dit (et qui était très concis, il faut le préciser), celui en face de moi me scruta un instant et ajouta d’une voix froide :

          « Tu n’auras pas le temps d’avoir mal, gamine… »

          Le gars me regardait de toute sa hauteur en pressant son poing contre l’autre. Ses phalanges craquèrent sous la pression, son air semblait de plus en plus menaçant. Une chose était sûre : il avait très envie de me faire la peau. Aussi que les trois autres qui l’entouraient été persuadés qu’il ne suffirait que de lui pour me briser tous les os. Et pour finir : face à ces quatre masses, j’avais peu de chance de faire le poids, surtout seule. Pour conclure : je doutais des affirmations qu’il faisait, principalement parce que j’avais l’impression qu’il souhaitait me casser la totalité de mon squelette, juste pour le plaisir de me voir souffrir.

          Et que j’allai vraiment avoir mal.

          « Allez-vous occupez de ceux en bas. J’en fais mon affaire… »

          Ni une ni deux, je pris mes jambes à mon cou, reculant et fermant la porte derrière moi. Quelques secondes plus tard, ils éclatèrent purement et simplement la porte tandis que je courrais en direction des escaliers. J’eu la chance de croiser le samaritain, qui avait l’air particulièrement remonté. Pour le coup, l’espoir m’envahit : ils avaient réussi à rentrer, Bee n’était donc pas loin et je pourrais échapper à une mort certaine et douloureuse.

          « Enfin te voilà ! »

          Personne n’aurait pu être aussi ravi de le voir que moi actuellement. Mais pas le temps de se réjouir un peu plus de ces retrouvailles, car le petit trapu aux cheveux tirés en arrière nous attaqua de front : rapide, brute, il écrasa son poing en ma direction, heurtant la barre des escaliers qui craqua purement et simplement. Je m’étais baissée pour éviter de ne me faire encastrer dans le mur, passant derrière les jambes de Judas pour me retrouver derrière lui :

          « J’dois te dire qu’y’en a trois autres comme lui, et j’fais pas l’poids ! héhé ! »

          Est-ce que cela voulait dire que je fuyais lâchement le combat ? Un peu. Je lui fis un sourire éclatant, levant un pouce pour l’encourager : il devait se faire à l’idée, je n’avais jamais été du genre à pouvoir me battre seule. Je ne pourrais de toute façon jamais le faire. J’avais besoin de Bee, de sa force, pour pouvoir l’aider. Et c’est justement lui que j’allai chercher ; Judas devrait tenir quelques minutes sans moi. J’arrivai au rez-de-chaussé rapidement, me tenant face à Bee. Celui-ci venait de finir de ranger la salle, balayant les derniers déchets qui lui tiraient dessus. Je lui fis un signe rapide : il m’attrapa et me posa sur son épaule avant de prendre la direction du l’extérieur : le but était de passer par le balcon, grimper jusqu’à celui-ci et entrer par la fenêtre qui mène au couloir ou se trouvait les quatre gros bras du Red bull. Judas devait « s’amuser » avec eux, et j’étais à peu près certaine que l’aide de Bee ne serait pas de trop.
          Il ne nous fallut que quelques secondes pour gravir le balcon (Bee mesurant près de quatre mètres, il n’eut aucun mal à se hisser jusqu’à celui-ci). Il enfonça purement et simplement la fenêtre en verre et rentra, avalant la distance entre le premier gus que l’on croisa (le chauve tout fin) qu’il saisit dans sa grande main d’acier avant de le coincer dans le mur le plus proche. Je sautai de l’épaule de mon ami jusqu’à son bras, descendant de celui-ci. Le gars à la queue de cheval se tourna vers moi avec le regard mauvais, tendant son magnum vers moi avant de tirer. Bee posa sa main d’acier entre lui et moi, encaissant le choc. Je passai par-dessous, attrapant une statuette en verre qui était tombée à terre, fonçant vers le gars, lui envoyant l’objet en plein dans sa pommette, s’en suivit un coup dans son genou si violent qu’il se plia dans le mauvais sens, puis dans sa glotte qui l’empêcha de déglutir et de respirer, j’enchainai par un dernier cours dans son diaphragme qui évacua l’air de ses poumons d’une façon si brutale qu’il s’étouffa et tomba à terre.

          Je me relevai, un sourire aux lèvres, consciente que je ne l’avais pas achevé et que ce n’était qu’une question de minute avant qu’il ne se relève, malgré son genou brisé. Mais on avait mieux à faire... Comme retrouver ce Red Bull qui ne faisait pas parti des convives, pour l’instant.
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          Et v’la que Lilou débarque avec un mec à ses trousses pendant qu’je monte. A peine l’temps d’admirer les boiserie et l’plafond qu’elle s’planque derrière moi. J’arrête ma course d’un coup, un poing passant d’vant moi et s’écrasant dans la rembarde d’un bruit sourd.
          La gamine semble prête à tout pour s’échapper. Finalement, ils restent tous comme ils sont. Instinctivement, j’lance un chassé dans sa rotule. Il déviera la plupart du choc en barrant l’chemin de sa pompe. Il s’degage d’mon cercle en reculant un peu. Enfilant une paire de gant renforcées, m’dévisageant avec un drôle d’sourire.
          Lilou m’annonce la couleur et j’capte mieux l’étroite bande qu’il s’obstine à gardé close. Il ménage l’effet d’surprise. Du coup j’sors les crocs, et mon atroce figure prend des atours qu’il n’aurait jamais cru apercevoir un jour. J’commençais à en avoir marre. L’alcool descend lentement et surement. La violence, elle au contraire n’fait qu’augmenter.
          J’me retourne vers la comparse, lâchant une phrase du style Va t’planquer papa doit s’amuser et je me vois enclencher la machine de guerre. Plus rien autours n’existe, et j’suis concentré. Sur ma survie si tu poses la question. Quatre contre un, pas mon chiffre porte bonheur.

          L’mec fonce sur moi quand j’fonce sur lui. Pour briser son élan, j’tends une main vers son épaule, pour l’faire bouger d’trajectoire. Sa marche et c’mon crochet droit qui lui tombe d’ssus. D’bas en haut, elle claque fort. Mais pas encore assez, j’ai du morceau choisi au menu. Son gant renforcé heurte mon menton quand ses copains l’rejoignent. Il a feinté à gauche et j’ai foncé à droite. Chacun son tours, on s’renvoi deux patates, avant que la compagnie débarque. J’prend conscience d’leur présence, et j’me jette en avant, roulant sur le coté. J’fauche l’un, un coup d’coude pour l’autre. J’me bat en zig zagant, en restant mobile. Une prise violente sur l’premier qui s’avance, j’lui vole sa garde, subtilise son équilibre et l’jette violemment contre un mur. J’m’économise en parant une matraque télescopique d’mon bras métallique. Ça ripe contre la surface polie, et mon gauche s’détend sur la joue qu’il m’offre.

          A peine l’temps d’me redresser qu’je roule sous un canon. La balle passe au d’ssus d’moi, tandis qu’on roule avec son propriétaire. J’commence à faiblir. La fenetre à ma droite explose littéralement. L’mur projette des gravas dans tout l’couloir. Les particules m’aveuglent et j’lève un bras pour m’en protéger. D’ja une ombre géante fonce dans l’tas, Lilou entouré d’bee. Elle est d’bon augure et sans m’préoccuper du reste, j’termine mon office.
          J’en attrape un qui est à terre, son flingue sortit d’vant sa bouche. J’lance mon pied dans l’morceau de ferraille, qui lui déboite quelques dents. En geignant, il r’joint le trou à notre droite, et le jardin par l’balcon. Le désordre dure pas bien longtemps, mais j’laisse pas l’temps au troisième d’se relever. Lilou l’a foutu à terre, ce serait dommage d’gâcher l’effort.
          Il a peine sortit sa lame de botte, que j’suis sur lui. Il trace un mouvement incurvé dans l’air. J’passe sous la lame en r’sserant les épaules : Comme pour un manège, j’sors pas les bras de l’espace sécurisé. J’le repousse d’ma masse. J’arme mon bras en moissonneuse-batteuse. Demi-cercle très large qu’il esquive sans problème. J’continue l’mouvement, et r’voilà mon punch au d’ssus de sa garde. Cette fois il s’le mange en plein dans les bras. Sa heurte même son nez d’un craquement sinistre. J’lui laisse pas l’temps d’respirer, j’inspire et disparaît d’son champ de vision. Y’a pas d’nom pour ça, c’est instinctif : J’sais ou m’foutre pour surprendre la proie qui s’replie.
          Je fauche son genou droit –c’lui déjà bien entamé, d’un coup de pied qui finit d’briser sa rotule, l’explosant carrément.
            Ce n’est qu’un jeu. Un immense jeu qui jouit de coup de chance, de hasard, de poker ; pas de joker, mais c’est aux petites fortunes que l’on tourne. C’est ainsi que se mène le jeu, avec un grand n’importe quoi. Personne ne mène mais tout le monde mise. On bluff, on croit, on espère, on fait espérer et surtout, on perd. On perd gros. Et c’est peut-être parce que qu’on a quelque chose à perdre qu’on continue à jouer.

            Rien ne va plus, les jeux sont faits.

            Judas était une véritable machine à distribuer des coups (à en recevoir aussi, mais nettement moins, pour le coup). Son agilité, ainsi que son instinct était aiguisé, pointu, tranchant, plus fiable encore que celui d’un félin en chasse. C’était le genre d’homme qu’il valait mieux avoir dans ses alliés que l’inverse, car il ne faisait pas de quartier. A mon grand bonheur, c’était aujourd’hui le cas (même s’il avait envisagé plus d’une fois de m’encastrer la tête). Il se battait comme un lion, dévorant sa proie et la réduisant à un tas d’os rongés. Même s’il ne tenait pas la tête à quatre mecs expérimentés, il se débrouillait très bien. Et dans notre situation, nous arrivâmes ensemble à terrasser ces gus en deux temps trois mouvements, sans trop de pertes. Je me relevai, plutôt fière de ce que nous venions d’accomplir, me tournant vers mon acolyte avec un sourire ravi, comme prête à conquérir le monde.

            C’est à cet instant que je remarquai le sang qui perlait le long de son bras, surement la cause d’une blessure et d’une balle qu’il s’était pris avant de monter ici. L’avait-il remarqué ? Probablement pas, ou alors très peu, vu qu’il semblait se porter comme un charme. Peut-être que le fait de recevoir des coups à force avait grillé tous ses nerfs transmetteurs de douleur. Je m’enquis néanmoins de son état de santé, le doigt pointé vers son biceps amoché et prête à lui apporter les premiers soins s’il le désirait :

            « Hé, ça va aller ? »

            Il était blessé, mais pas aux portes de la mort, et c’était un bon point.

            Etrangement, et pour une fois, je n’avais rien de casser. Je m’en étais sortie comme une chef (et je ne vous autorise pas à dire « ouais mais t’as rien fait, en même temps ! »). Bee se tenait à côté de moi et attendait les instructions pour la suite. Il y avait dans la maison ravagée une sorte de calme étrange et pesant, qui contrastait totalement avec la vie qui y était habituellement. Même si des malfrats vivaient à l’intérieur tout au long de l’année, jamais l’antre n’avait été aussi silencieuse… et aussi salement amochée, il faut dire. Il y avait à terre des gravats, des débris, des bouts de verres qui jonchaient le sol un peu partout. Les tableaux et autres sculptures étaient tombés eux aussi, et les corps de nos ennemis étaient allongés, quasiment achevés, immobiles. Nous pouvions avancer et progresser encore jusqu’à ce Red Bull qui devait probablement se trouver derrière cette porte si bien gardée. Je ramassai l’arme du type que Judas venait de terrasser et que j’avais assommé une bonne fois pour toute, regardant si elle était chargée. Je me tournai ensuite vers Bee, parlant avec assurance :

            « Bee, reste ici et surveille la porte. Ne laisse passer personne. »

            Même si pour le coup et le bordel qu’on avait mis, il ne devait pas y avoir grand monde. Je ne doutais pas que Red Bull devait avoir encore quelques atouts dans sa manche, mais c’était risqué de parier ou de bluffer pour l’instant. Judas et moi-même avions sacrément bien joué notre partie et nous avions toujours une solution de repli, au cas où les choses s’envenimeraient par la suite (partir en courant, c'est une très bonne solution de repli). D’un bout à l’autre, le jeu était fermement tenu : nous menions la danse.

            « On y va ? Dis-je à Judas en tenant l’arme devant moi. »

            A force de trafiquer ces bidules, je savais parfaitement m’en servir. Je poussais la porte que j’avais franchis il y a peu en sens inverse. La salle était vide, toujours ce joli salon, un peu moins bien rangé pour le coup. J’avalai la distance qui nous séparait de l’autre pièce, avec Judas sur mes talons avant d’arriver jusqu’à cette porte que j’ouvris à la volée. Cette fois, pas le temps de réfléchir, je devais analyser et voir s’il n’y avait pas de danger. L’arme toujours braquée devant moi, l’air sérieux et concentré, je remarquai que la pièce était plutôt étroite mais bien aménagée, fournie de décor en tout genre. Un homme se tenait là, près de la fenêtre, une cigarette à la bouche et un verre de whisky dans la main.

            Le tableau aurait pu être chargé de classe, d’élégance, d’un charisme puissant, si le bonhomme n’avait pas arboré un crâne luisant, des lunettes à cul de bouteille, un sourire carnassier (quoiqu’un peu goy) et le charme d’un cloporte écrasé. Aussi grand que large, l’homme se tourna vers nous avec un air ravi. En pensant accueillir quelqu’un d’autre, il lâcha :

            « Vous en avez mis du temps… »

            Il nous remarqua, vit l’arme tendue vers lui et fit une moue contrariée. Un soupir désapprobateur se fit entendre et suivit un silence encore plus pesant.

            Les négociations pourraient commencer et pencher en notre faveur très rapidement (surtout au vu de l’arme, qui faisait un énorme poids dans la balance). Néanmoins, je sentais que quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire. Ne serait-ce que par l’allure du gars qui ne m’inspirait pas confiance. Je sentais l’entourloupe à des kilomètres, ou le coup bas à venir. En matière de bassesses, il devait probablement en tenir une couche. Quoique, il avait l’air réellement surpris de nous voir ici, être arriver aussi loin, sans que rien ne soit prévu à la base. C’est peut-être ce qui nous aida le plus : l’effet de surprise. Et une combinaison gagnante.
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            La scène éclate, se distords, la scène se pose. L’acte touche à sa fin. Les figurants écartés, les protagonistes dans l’droit chemin : Directe vers le taureau.

            - Ouaip’, une peccadille t’inquiètes, j’en ai vu d’autres

            Allons l’prendre par les cornes, c’que suggère la p’tite dame. J’suis d’accords et j’emboite le pas d’la brunette, un sourire goguenard sur la tronche. Les pièces sont sombres, et on s’dirige à la lueur des bougies qui brûlent dans les bougeoirs. On passe à travers un salon, puis une bibliothèque. On entre dans un bureau seyant, bien comme il faut. On pourrait croire au cabinet d’un notaire, ou d’un autre gratte papelard dans l’genre. Sauf que l’poisson qu’on a ferré et qui s’débat au bout d’la ligne, il a rien d’un tendre. Red Bull, ce soir, je t’règle tes comptes. On liquide tes affaires. Toi avec. Tu manqueras pas au monde, et surtout pas aux innocents qu’tu coules par l’fond.
            Aussi grand qu’large, une calvitie lui mange l’crâne. Des lunettes cache son visage, d’énorme lunettes. Lunettes de boutonneux. Il soupire, nous regarde et tends une main vers son bureau. Attrapant un cigare qui traine, il nous en propose un, tirant des allumettes d’une poche intérieures. Les choses sérieuses commencent.

            - Bon, je ne sais pas ce que vous voulez. Je ne sais pas ce que vous cherchez, mais j’crois que vous ne savez pas à qui vous vous attaquez. Personne ne vient faire chier le taureau sans s’en mordre les doigts –si je lui laisse.

            Il se retourne et ouvre un petit coffre derrière lui, tirant quelques liasses de billets.

            - Vous voulez quoi ? De l’argent peut-être*

            CRAC. J’ai shooté dans la table qu’est venu s’encastrer contre son énorme poitrail, l’écrasant d’sa masse. J’choppe son poignet en le lui brisant. Je m’allume le cigare et l’mire bien droit dans l’œil.

            - Écoute petit père. Écoute moi bien. J’suis pas v’nu négocier quelques billets, j’en ai plus c’qui m’en faut.

            Que j’commence, la tension vibrante dans ma voix envahit mes épaules. Le monde se transforme, se renverse. Tout n’est plus qu'noir, rien n’est plus blanc. Y’a que moi et un salopard. Au d’ssus d’ma tête, gronde un orage. Tinte la faux. J’lui ferme le bec d’un claque et continue mon monologue.

            - Je t’ai dis d’écouter. J’suis venu pour détruire ton biz’, et t’as le bonjour de Timuthé.

            J’attrape mon cigare après une longue bouffé, jarte ses lunettes et lui écrase sur la joue. Il crie. Demande ma pitié et celle du patron. Je ferme les yeux en soufflant. Je le mate, et lui fout une deuxième claque. Mon regard renvoi une lueur dure, impitoyable. J’attrape son menton dans mon battoir, lui fracturant la mâchoire.

            - Combien d’client t’as entendu t’dire ça ? Hein ? COMBIEN ?

            J’lui lâche le minois et attrape le cognac. J’bois une gorgée et m’gargarise quelques secondes avec. Jetant un regard dans le coffre, j’vois que des Berrys. Sourire féroce tandis que j’arrose de cognac sa p’tite cagnotte. Il m’regarde impuissant, la douleur lui clouant l’clapet. J’attrape une allumette et fou l’feu à son coffre. C’est sa regarde moi, regarde moi bien. J’vais foutre ton empire à mes pieds. J’vais le détruire, et il en restera plus rien. Tous ceux qui t’ressemblent s’appuis sur la paperasse pour t’nir les autres par les burnes. Regarde moi, r’garde moi bien. J’vais foutre l’feu à ton réseau, j’vais détruire jusqu’au fondement d’ton pouvoir.

            - Allez mec, bonne nuit.

            Que j’lui fais en m’tirant, enjoignant Lilou à m’suivre. J’vais dans la bibliothèque est en sort un dossier. J’parcours trois lignes. C’ce que je cherche. Sa bibliothèque contient pas d’bouquins. Juste des dettes. Des milliers de dettes. J’arrose le dossier de cognac et fais la même sur l’bois avec c’qui reste, je tire trois lattes sur l’cigare. Il est bon.

            - Maintenant gamine, on va r’trouver ton type.

            J’pose mon cigare sur l’dossier bleuté, et tout s’met à flamber, je le jette contre les rayonnages et attrape Lilou par le bras. Il est temps qu’on dégage.

            - J’aime la flambe, et toi ma grande ?
              Je ne pensais pas qu’un poignet pouvait se plier autant. Du moins, pas dans ce sens. Et ce craquement sec affirmait tout simplement que celui-ci était brisé. Aie. Rien que de regarder, j’ressentais la douleur, je savais que ça faisait mal. Combien de temps de convalescence pour récupérer sa main ? Des mois. Et ce n’était jamais vraiment acquis. J’étais bien au courant de ces choses-là. Et pour cause, c’était chose courante chez moi. Pas dit, par contre, que le gus ait l’habitude de se faire briser les os, lui. C’plutôt le contraire, pensai-je en fermant les yeux. Judas lui écrasa son cigare fraichement allumé sur la joue. Aie ! La brulure laissera probablement une marque visible et durable, une façon d’établir clairement son territoire. Le samaritain était un prédateur, de toute évidence. Un de ceux qu’on n’allait pas gratter sous le menton pour le faire ronronner.

              On n’a jamais transformé un tigre en chaton en lui faisant des caresses.

              Et de quoi bien le tenir en haleine, Judas se la jouait « flambeur ». Au sens propre du terme… C’était le tas de billet qui prit feu, aidé par l’alcool versé un peu plus tôt dessus. Instantanément, un brasier vif et puissant envahi la pièce, fumée noirâtre et compagnie. Je posai le pistolet à terre et mis mes mains sur mon nez. Judas me fit signe de le suivre rapidement. Allait-il laisser l’autre gus à l’intérieur de cette pièce ? Probable. Pas de pitié pour ceux qui n’en ont jamais eu, n’est-ce pas ? Je fis volte-face et sortis à sa suite. La fumée cherchait toutes les issues possibles pour s’enfuir à son tour. Nous passâmes dans le salon-bibliothèque adjacent, Judas attrapa un dossier et le feuilleta. Je parcourrai les étagères et attrapai un des bouquins contenant le nom de mon gus.
              Puis, il mit aussi le feu au bureau, m’attrapant par le bras sans ménagement. Je crus au début qu’il allait me le briser tant sa poigne était forte et franche. Je fus contrainte de le suivre, sur ses talons pour fuir les lieux du crime. Il n’y avait pas eu de négociation, ni de possibilités d’une moindre discussion. Judas avait pris les choses en main, brulant les traces de son passage, de son existence, et surtout, de la présence de milliers de dettes. Si ces bouquins contenaient en effet tous ces avoirs, et si tous partaient en fumée (comme prévu), Red Bull n’aurait plus rien pour poser sur bisness. C’était bien pensé, bien mené. Bien achevé surtout.

              La morale de cette histoire est qu’on ne négocie pas avec les terroristes.

              Je retirai mon bras de la prise de Judas, passant dans le couloir. Bee nous attendais toujours, inquiet en voyant la fumée qui s’amassait progressivement. Je lui fis signe, il m’attrapa à la volée et me posa sur son épaule, prenant la direction de la vitre brisée. Combien de temps faudrait-il pour que les flammes ravagent tout le bâtiment ? Peu. Très peu. Il avait de quoi carburer. Et la nouvelle irait aussi vite que le feu qui se propageait sous nos yeux. Red Bull, écroué, vaincu, sans rien. Dans les bas quartiers de Manshon, ça ferait l’esclandre, parce que le Taureau ne tenait plus personnes par les couilles, actuellement. Il était tenu, lui, en laisse, par ce qu’on avait bien daigné lui laisser. C’est-à-dire : rien.
              Finalement, l’attitude de Judas, sa façon d’intimider le taureau, avait de quoi laisser penser qu’il connaissait le milieu, qu’il y trainait et qu’il en savait tous les recoins. Bee avançait à grand pas et cherchait à tout prix à fuir la maison de Red Bull, que nous avions mis à sac. Les preuves nous reliant au crime allaient être effacé par l’incendie provoqué, de quoi nous disculper et nous éviter des représailles. Dans le fond, il était peu probable que Red Bull remette un jour la main sur nous pour nous faire payer ce qu’on lui avait enlevé. Fâcheux pour lui, n’est-ce pas ? Bref, la nuit nous aidait à nous camoufler. Déjà, les quelques pochtrons encore debout, attiré par la lueur des flammes au loin, avançaient vers la maison de leurs anciens geôliers.
              Nous venions de regagner rapidement le centre-ville sans dire un mot, nous faisant le plus discret possible (peu probable avec un gus de 2 mètres et un géant d’acier de 4 mètres). La soirée bien entamée et avancée laissait entrevoir des rues quasiment désertiques, ponctuées par instant par la présence des gens trop saouls pour se souvenir qu’ils étaient là. Qui aurait pu sérieusement nous identifier ? Quasiment personne. Mise à part celui qu’on avait braqué ce soir. En bref, cette aventure se terminait plutôt bien. J’avais presque le Happy End tant espérer. Il ne me manquait plus qu’une chose pour me mettre en joie :

              « Il n’y a plus qu’à aller le chercher dans sa tanière… »

              J’ouvris le dossier et regardai les trois adresses griffonnés sur un papier. Avançant toujours, j’en choisis une au hasard sur les trois à disposition, piochant la deuxième. Avec un peu de chance, nous aurons la bonne. Pas la patience d’en dire plus, je pris le pas vers la destination désiré, même pas le temps de communiquer à Judas l’adresse du bonhomme. Naturellement, il ne nous fallut que quelques minutes avant que je ne nous perde à Manshon, tournant en rond. Et puis, quelques temps plus tard, le Samaritain me conduisit jusqu’à la porte du Maitre de Musique. C’était une petite maison cossue, pas spécialement grande, ni trop petite. Du genre qui passait inaperçu dans le quartier. L’endroit n’était pas fameux, pas au bord de la ruine non plus. C’était presque coquet, arrangé avec des matériaux qu’il avait dû trouver lui-même. On sentait, émanant de la maison, une aura spirituelle, presque artistique. On savait d’ores et déjà qu’on ne s’était pas trompé d’adresse. Je frappai à la porte, décidée. Une voix fluette, légère, perça à travers le bois et un homme vint nous ouvrir. Il était grand, élancé, plutôt fin. Les joues creusées, les cernes marqués, il nous fit un sourire doux qui démontrait sa bonne humeur. Ses yeux se posèrent sur moi, puis sur Judas et sur Bee. Et immédiatement, son faciès changea :

              « Atsu ? dis-je doucement, comme pour prévenir un malheur. »

              L’homme s’emporta aussitôt, comme si je venais de lui annoncer la pire nouvelle de sa vie. Il était trop émotif, songeai-je en arquant les sourcils :

              « Miséricorde ! Comment avez-vous trouvé ma cachette ? Si vous, bougre que vous êtes, vous avez réussi à mettre la main sur moi, mes détracteurs n’auront aucune peine à venir me dénicher à leurs tours ! C’est une catastrophe ! Une catastrophe ! »

              L’homme s’affola et commença à fondre en larmes.

              « Ou alors, pire ! Vous êtes envoyé par Red Bull ! Ô grand dieu, non, je vous en supplie ! Je n’ai pas l’argent qu’il me réclame, mais je ne veux pas mourir !
              - Oula, non pas du tout ! Calmez-vous ! »

              Il se trainait à nos pieds, s’accrochant aux jambes de Judas en sanglotant, n’hésitant pas une seconde à se moucher dans son pantalon. Bee rigola doucement, camouflant à peine sa moquerie. Il leva des yeux embués vers moi :

              « Vous n’aurez plus aucun soucis avec Red Bull, je peux vous le certifiez… »

              Il se mit sur ses jambes, épousseta ses vêtements (un costume froissé avec une écharpe colorée), posa son chapeau sur sa tête et me fit son plus beau sourire :

              « Que me vaut cette annonce, donc ?
              - Vous trouver n’a pas été une mince affaire, et nous avons mis du temps avant de remonter jusqu’à vous. Disons que nous nous sommes débarrasser de tout ce qui pouvait vous gêner au passage et que vous n’aurez plus rien à craindre. Néanmoins…
              - Néanmoins … ?
              - Nous n’avons pas fait tout ça pour rien, vous vous en doutez…
              - En effet !
              - Pourriez-vous me prendre comme élève pour quelques temps ? »

              Il me fit un autre sourire, suivit une lueur étrange dans ses yeux qui ne m’inspirait pas confiance. Je devais me méfier, principalement parce qu’il connaissait Yumen, et que tous les gens qui connaissaient Yumen n’étaient pas fréquentables. Il se frotta doucement les mains et me proposa d’entrer, tournant les talons à la suite. Moi, je fis face à Judas et lui fis mon plus beau sourire, le remerciant à mi-voix avant de rentrer en trombe dans la maison. Bee se posta à l’entrée, croisa les bras, surplomba Judas de sa hauteur et le salua vaguement d’un mouvement de tête.

              Le Maitre de Musique accepta de m’enseigner ce qu’il savait, moyennant finance.

              Mais je ne négocie pas avec les terroristes. Et un bon Samaritain m’a appris à traiter avec ces gens-là.
              • https://www.onepiece-requiem.net/t3945-fiche-technique-de-lilou#4
              • https://www.onepiece-requiem.net/t2202-
              Le feu prend vite, l’bois traité laisse pas une chance à la baraque : Elle finira brûlé. Et ça m’dérange pas particulièrement. L’symbole de terreur d’milliers d’clients, et un concurrent d’mon boss hors lice, qui part en fumée. Une bonne grosse journée terminée, y’a plus qu’a boire un bon coup et à s’poser peinard pour transformer la soirée en mignardise. J’en dévorerais bien jusqu'à plus faim. Et je boirais bien jusqu’à plus soif après la chaleur qui m’étouffe dans la bicoque. C’plus qu’une ruine entrain de s’effondrer.
              On descend les escaliers rapidement, un géant d’acier nous talonnant, les marches branlantes sous nos pas. En bas, ils ont presque tous déguerpis, sauf deux trois inconscients. J'choppe un pied, attrape un avant bras, fourre un corps sur mon épaule. J’traine mon paquetage humain jusqu’à l’entrée. Nos silhouettes se découpant dans l’obscurité, sur fond d’enfer. J’aime cette atmosphère, l’odeur du bois qui flambe, l’odeur d’un travail bien fait quoi. Cette pourriture n’emmerdera plus personne, et la misère, il la laissera tranquille. S’il est pas défiguré. Ou pire encore. Pas mon problème, z’êtes pas d’accords ?

              - Ouaip’, et quelque chose m’dit que t’as trouvé ton bonheur !

              Je dépose mon p’tit paquet d’vant un Qg, en menant Lilou par les chemins de cambrousse. Une grosse claque sur une joue, tandis que ma main droit frape contre le métal. Un bruit d’tonnerre sur terre, à vous réveiller les morts. Un des mecs s’réveillent, et j’articule bien quand j’lui donne le conseil, du genre réfléchis à une reconversion, j’sais pas trop quoi, mais un truc plus pacifique, du gardiennage d’enfant, ça t’dit pas George ? Et j’me casse tandis que des silhouettes commencent à peupler les murailles.

              Arrivés d’vant la baraque, elle toque et j’me retrouve avec une loque qui s’traine à mes pieds. Il implore mon pardon, j’lui accorde pas un regard : C’largement l’temps pour moi de tirer révérence. C’plus mon affaire. Ça l’a jamais vraiment été.

              Fin des négociations, ou début, j’y prête pas attention. Lilou m’regarde dans l’blanc des yeux et me murmure un merci discret mais sincère. J’apprécie. Avant qu’elle ne passe la porte, j’lui glisse un mot : t’sais ou m’trouver maintenant.
              Et y’a même Bee qu’y va du respect des grands hommes, d’un hochement d’tête que j’lui rends. Il a été efficace l’bestiau.

              J’aurais préféré une bonne bière.