Raison sociale : John Doe, Joe Age : 31 ans Sexe : Mâle Race : Humaine Métier : Chasseur de Têtes But : Manger. Équipement : Un tricorne. DC : Tahar Tahgel, avec accord d’Unwin. |
>> Physique
John ? Celui de la chambre 32 ? Ben écoutez je voudrais bien vous le décrire vraiment mais ce gars-là a autant d’apparences que j’ai de dents. Et à part celle-là, là, je les ai toutes… vous pouvez vérifier si vous voulez. Non, vous êtes sûr ? Bon. Mais sinon, je disais, moi je suis pas la bonne personne pour vous le décrire. Quand il a réservé la chambre pour le mois il avait le visage d’un centenaire, un vieux bouc blanchi à la chaux et des cheveux longs jusque dans le dos, le lendemain matin il était devenu roux et bossu, le surlendemain c’étaient des tresses blondes et il avait pris trois têtes, et ainsi de suite. Même ses yeux sont jamais de la même couleur, même sa voix c’est jamais la même ! Comme s’il en prenait une pour la journée et qu’une fois qu’il l’a choisie, il la garde jusqu’à la nuit… Comment je sais que c’est toujours lui? Ah, ça, il m’a prévenu dès la première fois : « je n’aurai jamais la même tête, mais cette cicatrice-là elle ne disparaîtra pas ». Et il a montré son poignet droit en remontant sa manche, l’intérieur vous savez, et y avait une estafilade noire qui remontait jusque plus loin que le coude je suis sûr. Je sais pas comment il a eu ça mais c’est pas joli. Et après il a payé, et il est monté. Et tous les soirs il me remontre ça et je le laisse passer.
Non, si vous en voulez plus, en fait, le mieux ce serait encore que vous demandiez à Demetra… Demetra c’est ma fille, et elle l’a aperçu une fois au naturel en faisant la chambre. On croyait qu’il était parti en chasse… Mais en fait non, vous savez comme ils sont les chasseurs de primes : on les entend pas rentrer. Deme ! Viens là ! Raconte au monsieur la fois où t’as vu M’sieur Doe… Allez ! Excusez-la, hein, elle est pas très futée. Elle tient de sa mère, héhé. Allez, raconte donc, simplette !
… Bon, je vais le faire à sa place. Retourne bosser, toi ! Ouste ! Donc, quand elle est rentrée, il paraît que la chambre était toute chamboulée. Ca lui a paru bizarre, forcément, parce qu’au matin quand elle y a fait un tour rapide pour vérifier après que M’sieur Doe nous avait laissé la clef, c’était tout propre, mais comme je vous ai dit elle est limitée et donc elle a continué comme s’il était pas là. Et en fait si. Elle avait pas remis deux meubles en place qu’il est sorti de la salle de bains. Je saurais pas vous dire si c’était vraiment vraiment sa vraie apparence, mais vu qu’il était tout coupé de partout et qu’il avait l’air de sortir d’un bain, je suppose que oui, quoi. La petite a crié et puis elle est sortie, mais elle en avait vu assez pour nous raconter. Et quand on est arrivés, nous, pour aller voir, il était habillé et la chambre était rangée. Si c’était pas ma fille, je la croirais pas. Bref.
Apparemment il est grand comme vous, à peu près dans la moyenne mais un peu moins peut-être. Il avait un reste de barbe et la peau blanche, et cette fois-ci il était châtain, châtain clair. Les cheveux mi-longs, des cicatrices partout et du sang qui coulait encore de certaines. M’étonne pas vu le mode de vie qu’il doit avoir. Musclé hein, mais pas une brute non plus. Musclé par besoin, quoi, comme ces gars qu’ont fait l’armée et qui sont revenus à la vie civile en cours de carrière. Et puis, surtout, un tatouage dans le dos, elle l’a aperçu quand il s’est retourné pour prendre sa serviette. Oui parce qu’il était pas habillé quand elle l’a surpris. Vous imaginez la panique pour elle qui sait rien de la vie ? Un gros tatouage. Répétez rien à personne mais vu ce qu’elle en a dit je crois que c’est une patte de dragon. Je crois, hein. Rien de sûr. Mais ça irait bien avec le personnage je trouve.
Elle a pas eu le temps de voir ses yeux, elle est pas restée assez. Elle lui donne entre l’âge de Tom et le mien. Tom c’est mon demi-frère, il a vingt-cinq ans, il est encore jeune. Moi comme vous voyez je le suis plus tellement, héhé. Mais c’est un sacré larron ce Joe quand même… Oui, je l’appelle Joe mais ça c’est entre ma femme et moi. C’est plus court que John Doe, vous comprenez, pour le service et tout c’est plus facile.
>> Psychologie
John Doe ? Ah ça mon gars si j’sors d’ici j’peux te promettre qu’on l’verra enfin au grand jour ce fumier. D’puis qu’y m’a envoyé dans ce trou à rats je te jure qu’y s’passe pas une putain d’journée sans qu’jpense à comment jvais me faire un plaisir à lui retourner chaque pouce carré d’sa putain d’peau jusqu’à c’qu’il en crève. Si c’est un gars tordu ? Nan, nan… ça jdois lui concéder qu’il a même été plutôt réglo quand y m’a r’mis à la garde. M’a jamais frappé plus que nécessaire, m’a jamais torturé pour qu’jbalance mes potes, rien d’ça. S’est démerdé comme un grand pour les choper. M’a juste complètement enculé jusqu’à l’os, moi, moi qu’étais réputé pour sentir les doubles jeux à cent mètres. Putain, c’était pour ça qu’le patron m’avait engagé, merde ! Et maint’nant j’ai même plus ma réputation pour m’sentir moi-même, quoi. Dans cinq ans jvais sortir et j’aurai même pas ça pour m’refaire. C’pour ça que jlui en veux comme à sa mère pour l’avoir foutu au monde, quoi.
Je sais toujours pas comment j’me suis fait avoir en fait. Mais tu veux qu’te dise ? Ouais, ça m’vient là maintenant pendant qu’j’t’en cause en fait… Ben. Ce mec était bien avec tout l’monde. Qu’ce soit moi qui suis pas né dans un palais ou le boss, qui lui était d’la haute avant qu’on la lui coupe, il était bien, à l’aise, chez lui. Je sais pas comme il fait : il rit toujours au bon moment, y dit toujours c’que tu veux entendre, ou c’que tu crois qu’tu veux entendre, ou c’que tu crois qu’tu voulais entendre… pile au bon moment, pile avec l’bon ton, pile comme y faut pour qu’ça passe, quoi. Un genre d’caméléon, ouais, stu veux… Mais je sais même pas si c’est packil est manipulateur, tu vois.
’fin, si, il l’est clair’ment, jvais pas t’dire le contraire, forcément, mais bon… Il a pas mauvais fond, quoi. Arrêté, j’l’ai été deux ou trois fois avant d’bosser pour le chef, tsais. Et les gars qui m’ont coffré, à chaque fois c’tait des connards finis. Marine ou chasseurs, hein, tous les mêmes : des fumiers qui f’saient semblant d’faire le bien, mais qu’en profitaient pour faire la même chose que nous. Trucider les mecs et farcir les dames. Le genre de trucs, tu vois, qui m’fait penser qu’c’est nous les honnêtes gars. Nous au moins on sait qu’on est pas des gentils… Alors que eux, ben, ils font semblant, quoi. Gouvernement, armée, tous les mêmes !
Mais pas lui. Lui non. Jt’ai dit, une fois qu’il m’a eu encordé les palmes, ben c’était fini les beignes. Y m’a foutu dans un coin, m’a filé à bouffer et à boire, et puis il s’est occupé du reste de la bande. Même quand j’y ai dit d’aller traire sa mère quand y m’a posé deux-trois questions, il m’a pas frappé. Il l’avait fait avant, ça lui suffisait, jcrois. Là, m’a juste foutu un foulard dans la gueule et l’est passé à la suite. Jcrois qu’y s’contente de faire son boulot en fait. L’boulot qui lui donnera à bouffer. Et que l’reste y s’en branle tant qu’ça menace pas ses plans. S’en fout au point qu’quand y m’a conduit au poste, il m’a oublié. Oublié, ouais. La façon dont m’traitaient les gardes, s’en foutait. C’qu’y voulait c’était son pognon, et quand il l’a eu récupéré y s’est barré. Même pas un regard pour moi.
Et c’est pour ça aussi que jveux le choper. Pour voir si au moins y se souvient d’moi. Jsuis même pas sûr qu’ce soit le cas en fait malgré les jours qu’j’ai passés avec lui. Une tête sur une affiche, j’étais.
C’gars-là, ça doit être un solitaire de première. Jdis ça alors que j’l’ai pas vu seul une seule fois. Soit des gars à nous, soit d’la galante, mais il était toujours accompagné. Mais pour ça jcrois pas m’tromper vu c’que jviens d’te dire. A toujours faire c’qu’on attend d’lui pour s’intégrer partout où il peut récupérer du pèze, ben jsais pas s’il a même une once d’considération pour l’genre humain, tvois, au fond d’lui. C’est triste, hein ? Pourtant on dirait pas… jcrois y a pas deux fois où j’l’ai vu s’lamenter sur son sort, c’type. Ptet une fois, une seule fois, un soir où on f’sait encore ami-ami.
Il avait pas encore pénétré l’noyau dur du clan alors fallait bien qu’y compagnonne avec nous. Et on a passé la nuit à picoler comme des sagouins comme on f’sait à l’époque. Putain, rien qu’à y r’penser j’ai l’gosier qui s’assèche. Bref, à un moment ça a causé révolution, tsais. Comment ils recrutaient sur l’île et tout. Là l’gaillard y s’est tendu un peu. On s’est pas méfiés, note bien… On a tous un morceau d’vie qu’on a pas envie d’étaler, un truc un peu plus reluisant qu’le reste d’notre misère, en général. Et donc on a laissé filer. Et puis une chope plus tard ça avait disparu et on a fini par terre.
Et l’lendemain soir on était tous en taule, ouais. Ah on l’a pas vu venir, celle-là…
>> Biographie
John ? Si je me souviens de lui… Bien sûr que je me souviens de lui. C’est toute mon enfance que vous me faites revenir, là. Pendant toute notre jeunesse on s’est fréquentés. On avait le même professeur particulier, vous savez ? A Hinutown, oui. Quel âge il a ? Oh… Moi je suis né en fin d’année en 1591 et lui… mh, je crois que c’était vers les premiers mois de celle d’après. Je vous laisse faire le calcul. Oui, lui, moi, les autres du groupe, on était des enfants ordinaires, oui. Non, non, pas de problèmes familiaux, rien. Ses parents étaient des amis du maire de l’époque, comme les miens, donc ça nous a assuré une bonne croissance, et les deux ou trois bêtises qu’on a pu faire n’ont jamais été notées nulle part. Si ses parents sont morts ? Ah non, je ne crois pas, non. Ils ont déménagé mais on a encore des nouvelles assez régulièrement… Quand est-il parti ? Mh… On devait avoir… vingt ans ? Dix-neuf ? Je ne sais plus exactement, nos centres d’intérêt nous avaient déjà un peu séparés à l’époque, vous savez comme est la vie. Moi je me préparais à reprendre l’affaire familiale, lui était plus tourné vers les armes et ce genre de choses que je n’aime pas trop… Non, je ne sais pas ce qu’il est devenu… Probablement officier dans l’armée. Non, ce n’est pas ça ?
…
Eh, Bill, tu te souviens de Joe ? Ouais, le jeune qu’était sur le bateau avec nous quand on s’est fait vendre à Las Camp. C’ui qu’le marchand avait laissé pour mort quand il s’est rebellé et à qui il a tranché les veines jusqu’à l’épaule. Et qu’on était tous sur le cul quand il s’est relevé. Et que du coup il l’a revendu à prix d’or au Saint qui l’a acheté. Ouais, ben j’ai rêvé d’lui cette nuit. Ouais, ouais, sûr qu’c’était lui. Impossible de le confondre avec ses yeux… Tu t’souviens ? Putain, ça fait bizarre n’empêche, tu sais, dix ans après. Pauvre gosse, pour nous c’était déjà la fin mais lui jme demande où il est maint’nant, tu crois qu’il est encore vivant ?
…
Maîtresse, vous m’avez fait demander ? … Les dernières nouvelles à propos du chasseur de primes John Doe ? Bien Maîtresse, tout de suite Maîtresse.
…
Putain, chier ! Non, cherche pas le môme, c’est impossible de rentrer avec ces quinze sentinelles à l’entrée. Ahhhh, si seulement on avait un John Doe avec nous ! Rah, pourquoi il a pas voulu rester avec nous ce gars… Il serait déjà passé et dans la sainte-barbe à placer les charges, là. Et hop, plus de poste de garde de la marine, boum boum ! Quoi, tu sais pas qui c’est ? Inculte. C’est le grand chef de la section qui l’a trouvé alors qu’il raidait un navire sur lequel se trouvait un Dragon Céleste. Non, il le savait pas avant de le raider. Mais bref. Ils s’en sont sortis et dans le butin se trouvaient une douzaine d’esclaves. Dont lui. Un caméléon ce mec. Le gars que tu veux envoyer dans chaque mission de reconnaissance, dans chaque infiltration. Je suis sûr qu’ils ont pas mieux au CP… Ce qu’il est devenu ? Ben il est parti, un matin comme ça. Sans raison apparemment… Non, le chef a pas voulu le tuer, il disait qu’il savait rien, qu’il avait jamais servi que d’homme de main… Dommage. Allez, remballe ton matériel, on rentre maintenant. On verra demain avec les frères ce qu’on fait.
…
Monsieur Doe, au nom du Gouvernement Mondial je tiens à vous remercier pour avoir évacué la menace que représentait le ci-présent Han Ybalecter. Et voici la récompense que je n’en doute pas vous espériez. Bonne route Monsieur Doe, puisse-t-elle longtemps encore croiser la route des criminels qui ravagent ce monde.
…
Salut mec ! Eh, tu connais pas la meilleure ? Je l’ai vu hier ! Vu qui ? John Doe, tiens. John Doe, ouais ! LE John Doe. Haha, t’aurais dû voir comment il a fait manger la poussière à c’type, là. Russel jsais pas trop quoi, le gars qu’a sa tête partout depuis deux mois, tsais. Ah mon vieux… C’était encore meilleur qu’un match de cage. Ouais. L’fait que ce soit en pleine rue jpense, d’vant tout l’monde. Ah il a pas fait dans la tendresse, dis. « Monsieur Russel ? » « Qui t’es toi ? Dégage ! » « Je vous arrête, veuillez me suivre s’il vous plaît. » « Hahaha, toi ? M’arrêter ? » Et bim ils se sont frittés. Pas longtemps mais c’était épique. Non je peux pas vraiment te raconter, c’est allé trop vite et c’était trop intense, mais attends, y aura sûrement un truc dans le journal… Ouais, y avait un journaliste qu’interviewait tout le monde à la fin, même moi ! Tiens, là, ils en vendent ! T’as pas les cinquante Berries par hasard ?
>> RP
Neil Hanna. C’est terrible, je n’ai même plus besoin de me présenter pour qu’on me reconnaisse. Je me demande s’il y a un endroit au monde où on ne saura pas qui je suis. Et pourtant je n’ai pas fait grand-chose. Un peu de ci, un peu de ça. Et ce dernier coup avec Ulster. Je savais que c’était en trop, cette banque. Mais il le fallait, Ellyn et la petite doivent bien manger si j’arrête le business. Mais huit chiffres pour ce garçon qui s’est mis en travers de la sortie, c’est vraiment trop… Le serveur prolonge son regard puis consent à me servir le verre avec lequel j’attendrai mon assiette. Qui sait, peut-être qu’il n’y aura pas d’incident ce soir. A part lui à qui j’ai montré mon visage, personne n’a paru remarquer mon entrée. Certainement pas ce groupe de manœuvres là-bas, peut-être ces trois putains au fond, et ce jeune homme à l’entrée qui me regarde. Ah non, il attendait son ami. Bonne soirée.
Les six ouvriers portent un toast quand arrive mon plat. Je leur réponds en levant mon verre presque vide. Six, ils étaient six. Alors pourquoi ne sont-ils plus que cinq. La question n’a pas le temps de résonner comme telle dans mon esprit que je sens le chaînon manquant s’asseoir à côté de moi. Grassouillet comme ces hommes d’effort savent l’être, la trentaine vague, un début de calvitie sur les tempes. Les mains presque plus crasseuses, les poils des avant-bras encore encombrés des échardes perdues par les caisses qu’ils ont dû passer leur journée à décharger.
B’soir ! Héhéhé ! Va bien l’mi ?!
Il a la voix de sa physionomie. Profonde, un peu grasse, le r qui traîne sans accrocher.
T’pris quoi ? Mar’nade de thon ? Borf, d’mmage, t’vais l’veau d’mer qu’tait m’lleur.
Je le regarde sans comprendre. Mais ses paupières rieuses me trompent encore. Il a les pommettes rosées de l’homme devenu l’ami de tout le monde pour la soirée, les rides aux coins des yeux de celui qui a déjà commencé à mourir un peu. Ses collègues le rappellent à eux soudain.
Hé, Joe ! R’viens donc ici ! T’vois pas qu’le gars veut être seul, dis ?
On m’appelle. Bon appétit Neil. Je serai dehors quand tu auras fini.
Cette fois j’ai compris. Le tenancier n’a pas pu entendre les mots chuchotés à mon oreille mais lui aussi a compris, à l’expression qui est probablement passée sur mon visage. Mots chuchotés par une autre personne, par une autre âme. Je regarde les épaules solides qui s’en retournent joyeusement à la tablée des compères tandis que le plat froid arrive, accompagné de l’interrogation inquiète et silencieuse du patron. En retour je lui demande la fourchette qu’il n’a pas fournie. La chose semble le détendre un peu. Moi c’est différent. Les doutes sur ce qu’est ce Joe sont balayés mais, savoir qui il est vraiment, c’est une autre question. Chaque bouchée qu’il me laisse ingurgiter tout en buvant là-bas dans le coin avec ses compagnons fait gonfler mon mauvais pressentiment. Le fait qu’il m’ignore superbement aussi ne me laisse pas tranquille. Comme si je n’étais qu’un client comme un autre, comme s’il était vraiment venu me parler sous l’effet unique de l’alcool qui rend sociable… Comme s’il ne me laissait pas la possibilité de m’enfuir, là, maintenant, tout de suite, sans finir mon repas.
Un instant j’ai eu cette tentation. L’instinct. Et puis je me suis dit que soit j’avais rêvé soit je n’avais pas rêvé. Que dans la première hypothèse il était ridicule de partir, que dans la seconde c’était inutile. Et maintenant j’ai fini ma dernière bouchée, ma dernière gorgée. Je laisse à la maison une poignée de pièces et remets mon pardessus. Ce faisant j’avise la place laissée vacante par l’inconnu auprès des autres. J’aurais juré l’y avoir vu riant et criant une fraction de moment auparavant.
Alors, bien mangé ? Je te l’ai dit, le veau de mer était un meilleur choix.
N’étaient les circonstances, je ne l’aurais pas reconnu. De ses frusques à sa tête, il a changé du tout au tout. La rue est dans la pénombre mais je devine désormais des traits plus fins, une silhouette plus haute, une stature plus athlétique. Le chasseur s’est révélé.
Si ça peut te consoler je n’étais pas là pour toi ce soir. D’où la tenue. Mais qui dédaignerait les dix millions qu’on offre pour Neil Hanna en sachant qu’il ne les vaut pas ?
Comment sais-tu que je ne les vaux pas ?
Ulster a le type de celui qui sait faire porter aux autres les casquettes dont il ne veut pas. Pas très malin cela dit d’avoir tué ce gamin, là-bas…
Une bête erreur. Ils vont me pendre si tu m’arrêtes, tu sais ?
Ce sont des choses qui arrivent quand on braque une banque. Tu me suis ?
Aucune agressivité, une totale inflexibilité, mais une patience que j’ai du mal même à réaliser. Je pourrais dire oui comme je pourrais dire non. Le choix est mien. Les deux options, il les a prévues. Je vois le visage de la petite et derrière la voix de Ellyn qui me dit de rentrer sans tarder. C’est mauvais signe mais, né homme, je reste homme… Sans répondre je fais gicler la poussière du sol et tâche de m’enfuir. Evidemment, c’est peine perdue. Je n’ai pas passé deux porches qu’un poids vient se briser sur mon dos. Un pot en terre. Je reprends mon souffle tandis qu’il se rapproche sans se presser.
J’ai une femme et une fille…
Et tu y tiens assez pour les mentionner ? Tu es un bon mari et un bon père, c’est rare.
Mais ça ne changera rien. Il m’attend, me laisse encore choisir. L’attaquer ou me rendre, cette fois. Me rendre c’est ne pas pouvoir transmettre ma part à mes femmes…
Il esquive le premier coup sans problème comme je m’y attendais. Le deuxième le manque de peu, le troisième l’atteint. Il est moins rapide qu’il n’y paraissait. Je me méfie encore quand la quatrième et la cinquième frappe le touchent. A la sixième, je ne veux plus que l’assommer. A la huitième il titube comme un homme qui va tomber. Je relâche ma garde pour le laisser s’écrouler.
« Dix de perdus, un de gagné », je l’ai appelée.
Le sang lui masque un œil mais il ne s’écroule pas. Au contraire, même, il me contourne avec une telle vitesse que c’est comme si je ne lui avais pas touché les jambes une seule fois. Par réflexe je cherche à l’atteindre d’un nouveau direct du droit… C’était la pire chose à faire. Dans son mouvement rotatif il m’attrape le poignet et me replie le bras dans le dos. Je sens mon coude lâcher mais mon cri n’y fera rien. Un pied me fait fléchir le genou gauche, puis l’autre. C’est à peine si je peux lutter quand il se saisit de mon autre bras et qu’il les attache tous deux dans mon dos. Une cagoule me tombe sur les yeux, et une nouvelle poterie s’approche.
Ca va faire un peu mal.
Je me réveille dans une cellule avec un bon mal de crâne. J’en ai déjà fréquenté, je sais qu’il n’y a pas grand-chose à y chercher. Au loin j’entends une voix qui compte. Quatre millions cinq cents, quatre millions six cents, quatre millions sept cents… Je suis toujours ligoté mais au moins je suis seul, c’est un bon point. La fente qui sert de fenêtre n’a même pas besoin de barreau pour la sécuriser. Cinq millions huit cents, cinq millions neuf cents… La jambe gauche me lance, je me lève pour la détendre, le bras droit s’y met. Je grogne. Le compte s’arrête un moment comme si j’avais crié puis reprend. Sept millions cent, sept millions deux cents… Alors que je marche en rond je sens quelque chose qui me gratte l’arrière du mollet dans ma botte.
Taper du talon par terre ne change rien, il faut que j’enlève ça. Difficile avec les mains dans le dos, trois chutes m’abîment l’épaule avant que je n’arrive à déloger du bout des doigts ce qui me gênait.
Et dix millions. Voici, Monsieur Doe. Une petite signature ici je vous prie. Et une autre là, voilà, merci.
Un bout de terre cuite ? Comment un aussi gros… a-t-il pu… tomber dans m… pendant qu… ?
John ? Celui de la chambre 32 ? Ben écoutez je voudrais bien vous le décrire vraiment mais ce gars-là a autant d’apparences que j’ai de dents. Et à part celle-là, là, je les ai toutes… vous pouvez vérifier si vous voulez. Non, vous êtes sûr ? Bon. Mais sinon, je disais, moi je suis pas la bonne personne pour vous le décrire. Quand il a réservé la chambre pour le mois il avait le visage d’un centenaire, un vieux bouc blanchi à la chaux et des cheveux longs jusque dans le dos, le lendemain matin il était devenu roux et bossu, le surlendemain c’étaient des tresses blondes et il avait pris trois têtes, et ainsi de suite. Même ses yeux sont jamais de la même couleur, même sa voix c’est jamais la même ! Comme s’il en prenait une pour la journée et qu’une fois qu’il l’a choisie, il la garde jusqu’à la nuit… Comment je sais que c’est toujours lui? Ah, ça, il m’a prévenu dès la première fois : « je n’aurai jamais la même tête, mais cette cicatrice-là elle ne disparaîtra pas ». Et il a montré son poignet droit en remontant sa manche, l’intérieur vous savez, et y avait une estafilade noire qui remontait jusque plus loin que le coude je suis sûr. Je sais pas comment il a eu ça mais c’est pas joli. Et après il a payé, et il est monté. Et tous les soirs il me remontre ça et je le laisse passer.
Non, si vous en voulez plus, en fait, le mieux ce serait encore que vous demandiez à Demetra… Demetra c’est ma fille, et elle l’a aperçu une fois au naturel en faisant la chambre. On croyait qu’il était parti en chasse… Mais en fait non, vous savez comme ils sont les chasseurs de primes : on les entend pas rentrer. Deme ! Viens là ! Raconte au monsieur la fois où t’as vu M’sieur Doe… Allez ! Excusez-la, hein, elle est pas très futée. Elle tient de sa mère, héhé. Allez, raconte donc, simplette !
… Bon, je vais le faire à sa place. Retourne bosser, toi ! Ouste ! Donc, quand elle est rentrée, il paraît que la chambre était toute chamboulée. Ca lui a paru bizarre, forcément, parce qu’au matin quand elle y a fait un tour rapide pour vérifier après que M’sieur Doe nous avait laissé la clef, c’était tout propre, mais comme je vous ai dit elle est limitée et donc elle a continué comme s’il était pas là. Et en fait si. Elle avait pas remis deux meubles en place qu’il est sorti de la salle de bains. Je saurais pas vous dire si c’était vraiment vraiment sa vraie apparence, mais vu qu’il était tout coupé de partout et qu’il avait l’air de sortir d’un bain, je suppose que oui, quoi. La petite a crié et puis elle est sortie, mais elle en avait vu assez pour nous raconter. Et quand on est arrivés, nous, pour aller voir, il était habillé et la chambre était rangée. Si c’était pas ma fille, je la croirais pas. Bref.
Apparemment il est grand comme vous, à peu près dans la moyenne mais un peu moins peut-être. Il avait un reste de barbe et la peau blanche, et cette fois-ci il était châtain, châtain clair. Les cheveux mi-longs, des cicatrices partout et du sang qui coulait encore de certaines. M’étonne pas vu le mode de vie qu’il doit avoir. Musclé hein, mais pas une brute non plus. Musclé par besoin, quoi, comme ces gars qu’ont fait l’armée et qui sont revenus à la vie civile en cours de carrière. Et puis, surtout, un tatouage dans le dos, elle l’a aperçu quand il s’est retourné pour prendre sa serviette. Oui parce qu’il était pas habillé quand elle l’a surpris. Vous imaginez la panique pour elle qui sait rien de la vie ? Un gros tatouage. Répétez rien à personne mais vu ce qu’elle en a dit je crois que c’est une patte de dragon. Je crois, hein. Rien de sûr. Mais ça irait bien avec le personnage je trouve.
Elle a pas eu le temps de voir ses yeux, elle est pas restée assez. Elle lui donne entre l’âge de Tom et le mien. Tom c’est mon demi-frère, il a vingt-cinq ans, il est encore jeune. Moi comme vous voyez je le suis plus tellement, héhé. Mais c’est un sacré larron ce Joe quand même… Oui, je l’appelle Joe mais ça c’est entre ma femme et moi. C’est plus court que John Doe, vous comprenez, pour le service et tout c’est plus facile.
>> Psychologie
John Doe ? Ah ça mon gars si j’sors d’ici j’peux te promettre qu’on l’verra enfin au grand jour ce fumier. D’puis qu’y m’a envoyé dans ce trou à rats je te jure qu’y s’passe pas une putain d’journée sans qu’jpense à comment jvais me faire un plaisir à lui retourner chaque pouce carré d’sa putain d’peau jusqu’à c’qu’il en crève. Si c’est un gars tordu ? Nan, nan… ça jdois lui concéder qu’il a même été plutôt réglo quand y m’a r’mis à la garde. M’a jamais frappé plus que nécessaire, m’a jamais torturé pour qu’jbalance mes potes, rien d’ça. S’est démerdé comme un grand pour les choper. M’a juste complètement enculé jusqu’à l’os, moi, moi qu’étais réputé pour sentir les doubles jeux à cent mètres. Putain, c’était pour ça qu’le patron m’avait engagé, merde ! Et maint’nant j’ai même plus ma réputation pour m’sentir moi-même, quoi. Dans cinq ans jvais sortir et j’aurai même pas ça pour m’refaire. C’pour ça que jlui en veux comme à sa mère pour l’avoir foutu au monde, quoi.
Je sais toujours pas comment j’me suis fait avoir en fait. Mais tu veux qu’te dise ? Ouais, ça m’vient là maintenant pendant qu’j’t’en cause en fait… Ben. Ce mec était bien avec tout l’monde. Qu’ce soit moi qui suis pas né dans un palais ou le boss, qui lui était d’la haute avant qu’on la lui coupe, il était bien, à l’aise, chez lui. Je sais pas comme il fait : il rit toujours au bon moment, y dit toujours c’que tu veux entendre, ou c’que tu crois qu’tu veux entendre, ou c’que tu crois qu’tu voulais entendre… pile au bon moment, pile avec l’bon ton, pile comme y faut pour qu’ça passe, quoi. Un genre d’caméléon, ouais, stu veux… Mais je sais même pas si c’est packil est manipulateur, tu vois.
’fin, si, il l’est clair’ment, jvais pas t’dire le contraire, forcément, mais bon… Il a pas mauvais fond, quoi. Arrêté, j’l’ai été deux ou trois fois avant d’bosser pour le chef, tsais. Et les gars qui m’ont coffré, à chaque fois c’tait des connards finis. Marine ou chasseurs, hein, tous les mêmes : des fumiers qui f’saient semblant d’faire le bien, mais qu’en profitaient pour faire la même chose que nous. Trucider les mecs et farcir les dames. Le genre de trucs, tu vois, qui m’fait penser qu’c’est nous les honnêtes gars. Nous au moins on sait qu’on est pas des gentils… Alors que eux, ben, ils font semblant, quoi. Gouvernement, armée, tous les mêmes !
Mais pas lui. Lui non. Jt’ai dit, une fois qu’il m’a eu encordé les palmes, ben c’était fini les beignes. Y m’a foutu dans un coin, m’a filé à bouffer et à boire, et puis il s’est occupé du reste de la bande. Même quand j’y ai dit d’aller traire sa mère quand y m’a posé deux-trois questions, il m’a pas frappé. Il l’avait fait avant, ça lui suffisait, jcrois. Là, m’a juste foutu un foulard dans la gueule et l’est passé à la suite. Jcrois qu’y s’contente de faire son boulot en fait. L’boulot qui lui donnera à bouffer. Et que l’reste y s’en branle tant qu’ça menace pas ses plans. S’en fout au point qu’quand y m’a conduit au poste, il m’a oublié. Oublié, ouais. La façon dont m’traitaient les gardes, s’en foutait. C’qu’y voulait c’était son pognon, et quand il l’a eu récupéré y s’est barré. Même pas un regard pour moi.
Et c’est pour ça aussi que jveux le choper. Pour voir si au moins y se souvient d’moi. Jsuis même pas sûr qu’ce soit le cas en fait malgré les jours qu’j’ai passés avec lui. Une tête sur une affiche, j’étais.
C’gars-là, ça doit être un solitaire de première. Jdis ça alors que j’l’ai pas vu seul une seule fois. Soit des gars à nous, soit d’la galante, mais il était toujours accompagné. Mais pour ça jcrois pas m’tromper vu c’que jviens d’te dire. A toujours faire c’qu’on attend d’lui pour s’intégrer partout où il peut récupérer du pèze, ben jsais pas s’il a même une once d’considération pour l’genre humain, tvois, au fond d’lui. C’est triste, hein ? Pourtant on dirait pas… jcrois y a pas deux fois où j’l’ai vu s’lamenter sur son sort, c’type. Ptet une fois, une seule fois, un soir où on f’sait encore ami-ami.
Il avait pas encore pénétré l’noyau dur du clan alors fallait bien qu’y compagnonne avec nous. Et on a passé la nuit à picoler comme des sagouins comme on f’sait à l’époque. Putain, rien qu’à y r’penser j’ai l’gosier qui s’assèche. Bref, à un moment ça a causé révolution, tsais. Comment ils recrutaient sur l’île et tout. Là l’gaillard y s’est tendu un peu. On s’est pas méfiés, note bien… On a tous un morceau d’vie qu’on a pas envie d’étaler, un truc un peu plus reluisant qu’le reste d’notre misère, en général. Et donc on a laissé filer. Et puis une chope plus tard ça avait disparu et on a fini par terre.
Et l’lendemain soir on était tous en taule, ouais. Ah on l’a pas vu venir, celle-là…
>> Biographie
John ? Si je me souviens de lui… Bien sûr que je me souviens de lui. C’est toute mon enfance que vous me faites revenir, là. Pendant toute notre jeunesse on s’est fréquentés. On avait le même professeur particulier, vous savez ? A Hinutown, oui. Quel âge il a ? Oh… Moi je suis né en fin d’année en 1591 et lui… mh, je crois que c’était vers les premiers mois de celle d’après. Je vous laisse faire le calcul. Oui, lui, moi, les autres du groupe, on était des enfants ordinaires, oui. Non, non, pas de problèmes familiaux, rien. Ses parents étaient des amis du maire de l’époque, comme les miens, donc ça nous a assuré une bonne croissance, et les deux ou trois bêtises qu’on a pu faire n’ont jamais été notées nulle part. Si ses parents sont morts ? Ah non, je ne crois pas, non. Ils ont déménagé mais on a encore des nouvelles assez régulièrement… Quand est-il parti ? Mh… On devait avoir… vingt ans ? Dix-neuf ? Je ne sais plus exactement, nos centres d’intérêt nous avaient déjà un peu séparés à l’époque, vous savez comme est la vie. Moi je me préparais à reprendre l’affaire familiale, lui était plus tourné vers les armes et ce genre de choses que je n’aime pas trop… Non, je ne sais pas ce qu’il est devenu… Probablement officier dans l’armée. Non, ce n’est pas ça ?
…
Eh, Bill, tu te souviens de Joe ? Ouais, le jeune qu’était sur le bateau avec nous quand on s’est fait vendre à Las Camp. C’ui qu’le marchand avait laissé pour mort quand il s’est rebellé et à qui il a tranché les veines jusqu’à l’épaule. Et qu’on était tous sur le cul quand il s’est relevé. Et que du coup il l’a revendu à prix d’or au Saint qui l’a acheté. Ouais, ben j’ai rêvé d’lui cette nuit. Ouais, ouais, sûr qu’c’était lui. Impossible de le confondre avec ses yeux… Tu t’souviens ? Putain, ça fait bizarre n’empêche, tu sais, dix ans après. Pauvre gosse, pour nous c’était déjà la fin mais lui jme demande où il est maint’nant, tu crois qu’il est encore vivant ?
…
Maîtresse, vous m’avez fait demander ? … Les dernières nouvelles à propos du chasseur de primes John Doe ? Bien Maîtresse, tout de suite Maîtresse.
…
Putain, chier ! Non, cherche pas le môme, c’est impossible de rentrer avec ces quinze sentinelles à l’entrée. Ahhhh, si seulement on avait un John Doe avec nous ! Rah, pourquoi il a pas voulu rester avec nous ce gars… Il serait déjà passé et dans la sainte-barbe à placer les charges, là. Et hop, plus de poste de garde de la marine, boum boum ! Quoi, tu sais pas qui c’est ? Inculte. C’est le grand chef de la section qui l’a trouvé alors qu’il raidait un navire sur lequel se trouvait un Dragon Céleste. Non, il le savait pas avant de le raider. Mais bref. Ils s’en sont sortis et dans le butin se trouvaient une douzaine d’esclaves. Dont lui. Un caméléon ce mec. Le gars que tu veux envoyer dans chaque mission de reconnaissance, dans chaque infiltration. Je suis sûr qu’ils ont pas mieux au CP… Ce qu’il est devenu ? Ben il est parti, un matin comme ça. Sans raison apparemment… Non, le chef a pas voulu le tuer, il disait qu’il savait rien, qu’il avait jamais servi que d’homme de main… Dommage. Allez, remballe ton matériel, on rentre maintenant. On verra demain avec les frères ce qu’on fait.
…
Monsieur Doe, au nom du Gouvernement Mondial je tiens à vous remercier pour avoir évacué la menace que représentait le ci-présent Han Ybalecter. Et voici la récompense que je n’en doute pas vous espériez. Bonne route Monsieur Doe, puisse-t-elle longtemps encore croiser la route des criminels qui ravagent ce monde.
…
Salut mec ! Eh, tu connais pas la meilleure ? Je l’ai vu hier ! Vu qui ? John Doe, tiens. John Doe, ouais ! LE John Doe. Haha, t’aurais dû voir comment il a fait manger la poussière à c’type, là. Russel jsais pas trop quoi, le gars qu’a sa tête partout depuis deux mois, tsais. Ah mon vieux… C’était encore meilleur qu’un match de cage. Ouais. L’fait que ce soit en pleine rue jpense, d’vant tout l’monde. Ah il a pas fait dans la tendresse, dis. « Monsieur Russel ? » « Qui t’es toi ? Dégage ! » « Je vous arrête, veuillez me suivre s’il vous plaît. » « Hahaha, toi ? M’arrêter ? » Et bim ils se sont frittés. Pas longtemps mais c’était épique. Non je peux pas vraiment te raconter, c’est allé trop vite et c’était trop intense, mais attends, y aura sûrement un truc dans le journal… Ouais, y avait un journaliste qu’interviewait tout le monde à la fin, même moi ! Tiens, là, ils en vendent ! T’as pas les cinquante Berries par hasard ?
>> RP
Neil Hanna. C’est terrible, je n’ai même plus besoin de me présenter pour qu’on me reconnaisse. Je me demande s’il y a un endroit au monde où on ne saura pas qui je suis. Et pourtant je n’ai pas fait grand-chose. Un peu de ci, un peu de ça. Et ce dernier coup avec Ulster. Je savais que c’était en trop, cette banque. Mais il le fallait, Ellyn et la petite doivent bien manger si j’arrête le business. Mais huit chiffres pour ce garçon qui s’est mis en travers de la sortie, c’est vraiment trop… Le serveur prolonge son regard puis consent à me servir le verre avec lequel j’attendrai mon assiette. Qui sait, peut-être qu’il n’y aura pas d’incident ce soir. A part lui à qui j’ai montré mon visage, personne n’a paru remarquer mon entrée. Certainement pas ce groupe de manœuvres là-bas, peut-être ces trois putains au fond, et ce jeune homme à l’entrée qui me regarde. Ah non, il attendait son ami. Bonne soirée.
Les six ouvriers portent un toast quand arrive mon plat. Je leur réponds en levant mon verre presque vide. Six, ils étaient six. Alors pourquoi ne sont-ils plus que cinq. La question n’a pas le temps de résonner comme telle dans mon esprit que je sens le chaînon manquant s’asseoir à côté de moi. Grassouillet comme ces hommes d’effort savent l’être, la trentaine vague, un début de calvitie sur les tempes. Les mains presque plus crasseuses, les poils des avant-bras encore encombrés des échardes perdues par les caisses qu’ils ont dû passer leur journée à décharger.
B’soir ! Héhéhé ! Va bien l’mi ?!
Il a la voix de sa physionomie. Profonde, un peu grasse, le r qui traîne sans accrocher.
T’pris quoi ? Mar’nade de thon ? Borf, d’mmage, t’vais l’veau d’mer qu’tait m’lleur.
Je le regarde sans comprendre. Mais ses paupières rieuses me trompent encore. Il a les pommettes rosées de l’homme devenu l’ami de tout le monde pour la soirée, les rides aux coins des yeux de celui qui a déjà commencé à mourir un peu. Ses collègues le rappellent à eux soudain.
Hé, Joe ! R’viens donc ici ! T’vois pas qu’le gars veut être seul, dis ?
On m’appelle. Bon appétit Neil. Je serai dehors quand tu auras fini.
Cette fois j’ai compris. Le tenancier n’a pas pu entendre les mots chuchotés à mon oreille mais lui aussi a compris, à l’expression qui est probablement passée sur mon visage. Mots chuchotés par une autre personne, par une autre âme. Je regarde les épaules solides qui s’en retournent joyeusement à la tablée des compères tandis que le plat froid arrive, accompagné de l’interrogation inquiète et silencieuse du patron. En retour je lui demande la fourchette qu’il n’a pas fournie. La chose semble le détendre un peu. Moi c’est différent. Les doutes sur ce qu’est ce Joe sont balayés mais, savoir qui il est vraiment, c’est une autre question. Chaque bouchée qu’il me laisse ingurgiter tout en buvant là-bas dans le coin avec ses compagnons fait gonfler mon mauvais pressentiment. Le fait qu’il m’ignore superbement aussi ne me laisse pas tranquille. Comme si je n’étais qu’un client comme un autre, comme s’il était vraiment venu me parler sous l’effet unique de l’alcool qui rend sociable… Comme s’il ne me laissait pas la possibilité de m’enfuir, là, maintenant, tout de suite, sans finir mon repas.
Un instant j’ai eu cette tentation. L’instinct. Et puis je me suis dit que soit j’avais rêvé soit je n’avais pas rêvé. Que dans la première hypothèse il était ridicule de partir, que dans la seconde c’était inutile. Et maintenant j’ai fini ma dernière bouchée, ma dernière gorgée. Je laisse à la maison une poignée de pièces et remets mon pardessus. Ce faisant j’avise la place laissée vacante par l’inconnu auprès des autres. J’aurais juré l’y avoir vu riant et criant une fraction de moment auparavant.
Alors, bien mangé ? Je te l’ai dit, le veau de mer était un meilleur choix.
N’étaient les circonstances, je ne l’aurais pas reconnu. De ses frusques à sa tête, il a changé du tout au tout. La rue est dans la pénombre mais je devine désormais des traits plus fins, une silhouette plus haute, une stature plus athlétique. Le chasseur s’est révélé.
Si ça peut te consoler je n’étais pas là pour toi ce soir. D’où la tenue. Mais qui dédaignerait les dix millions qu’on offre pour Neil Hanna en sachant qu’il ne les vaut pas ?
Comment sais-tu que je ne les vaux pas ?
Ulster a le type de celui qui sait faire porter aux autres les casquettes dont il ne veut pas. Pas très malin cela dit d’avoir tué ce gamin, là-bas…
Une bête erreur. Ils vont me pendre si tu m’arrêtes, tu sais ?
Ce sont des choses qui arrivent quand on braque une banque. Tu me suis ?
Aucune agressivité, une totale inflexibilité, mais une patience que j’ai du mal même à réaliser. Je pourrais dire oui comme je pourrais dire non. Le choix est mien. Les deux options, il les a prévues. Je vois le visage de la petite et derrière la voix de Ellyn qui me dit de rentrer sans tarder. C’est mauvais signe mais, né homme, je reste homme… Sans répondre je fais gicler la poussière du sol et tâche de m’enfuir. Evidemment, c’est peine perdue. Je n’ai pas passé deux porches qu’un poids vient se briser sur mon dos. Un pot en terre. Je reprends mon souffle tandis qu’il se rapproche sans se presser.
J’ai une femme et une fille…
Et tu y tiens assez pour les mentionner ? Tu es un bon mari et un bon père, c’est rare.
Mais ça ne changera rien. Il m’attend, me laisse encore choisir. L’attaquer ou me rendre, cette fois. Me rendre c’est ne pas pouvoir transmettre ma part à mes femmes…
Il esquive le premier coup sans problème comme je m’y attendais. Le deuxième le manque de peu, le troisième l’atteint. Il est moins rapide qu’il n’y paraissait. Je me méfie encore quand la quatrième et la cinquième frappe le touchent. A la sixième, je ne veux plus que l’assommer. A la huitième il titube comme un homme qui va tomber. Je relâche ma garde pour le laisser s’écrouler.
« Dix de perdus, un de gagné », je l’ai appelée.
Le sang lui masque un œil mais il ne s’écroule pas. Au contraire, même, il me contourne avec une telle vitesse que c’est comme si je ne lui avais pas touché les jambes une seule fois. Par réflexe je cherche à l’atteindre d’un nouveau direct du droit… C’était la pire chose à faire. Dans son mouvement rotatif il m’attrape le poignet et me replie le bras dans le dos. Je sens mon coude lâcher mais mon cri n’y fera rien. Un pied me fait fléchir le genou gauche, puis l’autre. C’est à peine si je peux lutter quand il se saisit de mon autre bras et qu’il les attache tous deux dans mon dos. Une cagoule me tombe sur les yeux, et une nouvelle poterie s’approche.
Ca va faire un peu mal.
Je me réveille dans une cellule avec un bon mal de crâne. J’en ai déjà fréquenté, je sais qu’il n’y a pas grand-chose à y chercher. Au loin j’entends une voix qui compte. Quatre millions cinq cents, quatre millions six cents, quatre millions sept cents… Je suis toujours ligoté mais au moins je suis seul, c’est un bon point. La fente qui sert de fenêtre n’a même pas besoin de barreau pour la sécuriser. Cinq millions huit cents, cinq millions neuf cents… La jambe gauche me lance, je me lève pour la détendre, le bras droit s’y met. Je grogne. Le compte s’arrête un moment comme si j’avais crié puis reprend. Sept millions cent, sept millions deux cents… Alors que je marche en rond je sens quelque chose qui me gratte l’arrière du mollet dans ma botte.
Taper du talon par terre ne change rien, il faut que j’enlève ça. Difficile avec les mains dans le dos, trois chutes m’abîment l’épaule avant que je n’arrive à déloger du bout des doigts ce qui me gênait.
Et dix millions. Voici, Monsieur Doe. Une petite signature ici je vous prie. Et une autre là, voilà, merci.
Un bout de terre cuite ? Comment un aussi gros… a-t-il pu… tomber dans m… pendant qu… ?
Dernière édition par John Doe le Dim 20 Nov 2011 - 23:46, édité 6 fois