Je suis Nor’Ysse, Tcheuk Nor’Ysse, fils de tu sais qui. Et toi, qui es-tu ?
Tahgel. Tahar Tahgel, fils de…
Fils de pute !
Euh, boss… On avait dit pas les mamans… Même pas faut en parler, ça fait toujours tout foirer.
Mh… Et les papas, on peut les papas ?
Ouais, ouais, les papas pas d’problème.
Okay, donc on reprend : Tahgel, gnagnagna, fils de… Fils de chien ! Hahaha !
Rire de grand méchant prépubère et poing dans la face. Dans ma face. C’est moi le Tahar. Première mission en solo, premier échec si ça continue comme c’est parti. Je commence bien. Mon sang aussi commence bien. A couler. Le Tcheuk a eu la main lourde. Une de mes molaires danse la samba dans son logement. La salope. La barbe de cinq jours et demi du rouquin frétille pendant qu’il se masse les phalanges. Il aime rougir le sable. La salope. Ah je suis bien, moi. A genoux, mains liées dans le dos, entouré par trois brutes… Dedans. Jusqu’à l’os.
Où on est ? Un sous-sol, du sable, pas de fenêtre, pas de bruit. Formidable. Des amateurs qui s’y connaissent. Oui, oui : des amateurs. Ah bah écoute, quand même oui. Tiens, regarde ça : le schéma me repasse devant les yeux en un secouage de crâne. Ca résonne mais peu importe. En haut, le boss : Tcheuk, mon âge, fils de notable. A droite en dessous, le revendeur : Bob, un an de moins, le frère. A gauche même ligne, le voleur : Frank, le voisin, trente ans et moins d’intelligence que d’agilité. Et voilà, fini. Non non, y a même pas de quatrième larron. Tu vois que c’est des cons.
Je sais bien que dans tous les manuels de banditisme on incite à commencer petit, mais bon. Les cons, quoi. Monter et maintenir un réseau de contrebande à trois, sérieusement ? Dans une ville militarisée comme Saint-Urea ? Et puis ce nom, ce nom pour leur groupuscule à la noix… L’Ordre du Phénix. Pour trois rebelles pelés dans une cave sombre et du rhum coupé à la poudre, vraiment ? Je me souviens encore du rire retenu par le commandant quand il m’a expliqué le dossier. Pourquoi pas l’Ordre du Dragon ou l’Ordre de l’Hydre, tant qu’on y est ? … Bref, me sortir de là.
Tu sais c’qu’on va faire de toi, Tahgel ?
J’pense que j’en ai une idée, ouais. Nor’Ysse.
Ah ?
Vous excuser, m’détacher, m’donner à bouffer.
Haha, t’es un dur toi, hein ? Z’avez vu les gars ? C’t’un dur qu’on a chopé cette fois !
Ben jdis ça c’pour vous, hein. Si vous caressez l’espoir que j’plaide votre cause à mes supérieurs pour qu’on vous envoie pas au gibet, ça m’paraît un bon début.
Hn, imbécile. Tu crois vraiment que quelqu’un va venir te sauver ? Bien un soldat, tiens…
Non, non. Tout seul. Jvais m’en sortir tout seul. Et je te botterai le cul tout seul aussi. Prépare-toi.
Bam. Je mords la poussière et j’ai une autre molaire qui tangue. Toutes des salopes, les molaires : grosses et branlantes. Suis sur le dos, accessoirement. Tiens, essaie donc, toi qui me lis. Mets-toi sur le dos, sur le plancher, la moquette ou le carrelage de là où t’es assis pour me lire. Mains comme si tu les avais liées en bas de la colonne, au dessus des fesses. Replie tes jambes comme tu les mets quand tu t’accroupis. Genoux au menton, ouais. Eh ben tu verras que, sans problème si t’es souple comme moi, en te déboîtant presque les coudes, les épaules et les poignets si t’es pas souple, tu peux arriver à repasser les mains devant. T’as essayé ? Bien. T’as vu donc.
Et c’est ce que je fais en pas une seconde, là. Au passage je me détruis la peau des poignets à cause de la corde, mais surtout je récupère une poignée de la poussière du sol, et quand je me redresse ils ont à peine commencé à réagir. Je me prends un violent coup de latte dans les tripes quand même, mais à part me faire cracher mes poumons et reculer de trois mètres pour récupérer un semblant de respiration, ça change rien à la situation : je suis debout, et j’ai une arme entre les doigts. Oui, le sable c’est une arme redoutable en close-combat. C’est Bob qui se dévoue pour tout prendre dans ses yeux à lui quand je lui fonce dessus, que je lui coupe la respiration de ma tête dure comme le roc, et que je lui vide mes mains sur les paupières en appuyant bien pour que des grains passent entre les cils.
Il gémit, il s’écroule, il se frotte en empirant la chose : il est out. Reste Frank et Tcheuk. Frank m’intéresse pas mais il tente quand même de faire obstacle entre moi et son cousin chéri. Chopage de tête entre mes deux bras toujours reliés au niveau de mes poignets meurtris par l’effort de la figure acrobatique de tout à l’heure, coup de genou une fois, coup de genou deux fois, coup de genou trois fois, adjugé, il est out aussi. Reste le boss de fin.
Tcheuk Nor’Ysse versus Tahar Tahgel. Le combat du siècle dans ma petite tête de sous-lieutenant muté depuis deux semaines sur South Blue. Je dois faire mes preuves, faire oublier ma cour martiale que même ici ils ont en entendu parler alors que ça s’est passé sur West, blah blah blah. Et ding, le round commence. Je sais que je vais gagner, alors bon joueur je garde mon handicap des mains liées, et en prime j’ai laissé à mon adversaire le temps de récupérer une batte qui traînait par là et avec laquelle il avait sans doute prévu de me finir quand j’étais encore inoffensif, moi le nuisible envoyé par la Marine pour enquêter sur son business de gros truand.
Bring it on, mon pote. Que je lui fais.
Ouais, j’vais t’entrer le dragon, moi ! Qu’y me répond. J’ai aucune idée de ce que ça veut dire, note bien. Mais ça a l’air important pour lui alors je laisse faire. Bonne âme, le Tahar. Et il fonce, donc. Batte au vent.
Le problème pour lui c’est qu’une batte instinctivement ça se manie à deux mains, et que du coup il a les mêmes limites de mouvement que moi qu’ai pas les mains libres. Après deux ou trois moulinets pour de rire avec une seule palme, le voilà donc parti dans ces grands enchaînements du base-ball, avec le corps tout entier projeté vers la cible, les grands élans inarrêtables qui suivent les grands cercles amples des coups qu’il cherche à me porter, étécéra étécéra. En gros c’est une espèce de danseur étoile en beaucoup moins fin et en beaucoup plus menaçant, mais dont je n’ai qu’à éviter les attaques et trouver le bon moment pour lui foirer sa routine et lui casser son jouet. Et sa gueule. C’en est presque plus drôle.
D’ailleurs ça me lasse assez vite. Y a à peine une fois où le danger me menace un peu, et ça c’est quand je me retrouve acculé dans un coin du sous-sol. Mais une poutre me sauve la mise alors que Tcheuk tente la chose la plus stupide qui soit à ce moment-là : une taille de haut en bas. Bien sûr, le plafond arrête alors son geste, avec un bruit qui sonne à mes oreilles comme un "quel con, mais quel con…". Et en prime le bon rouquin se trouve un instant surpris de ce qui se passe. Et évidemment, c’est l’ouverture que j’attendais et je m’engouffre. L’efficacité, c’est mon dada, faut dire. Et donc d’un coup de botte bien placé entre les deux jambes, je casse les roustons du petit gangster de mes deux. Qui s’écroule.
Tcheuk Nor’Ysse est un amateur, Tahar Tahgel lui pète la gueule quand y veut.
C’est la morale de cette histoire. Moi je la trouve chouette. Pas vous ? Ah bon.
Tahgel. Tahar Tahgel, fils de…
Fils de pute !
Euh, boss… On avait dit pas les mamans… Même pas faut en parler, ça fait toujours tout foirer.
Mh… Et les papas, on peut les papas ?
Ouais, ouais, les papas pas d’problème.
Okay, donc on reprend : Tahgel, gnagnagna, fils de… Fils de chien ! Hahaha !
Rire de grand méchant prépubère et poing dans la face. Dans ma face. C’est moi le Tahar. Première mission en solo, premier échec si ça continue comme c’est parti. Je commence bien. Mon sang aussi commence bien. A couler. Le Tcheuk a eu la main lourde. Une de mes molaires danse la samba dans son logement. La salope. La barbe de cinq jours et demi du rouquin frétille pendant qu’il se masse les phalanges. Il aime rougir le sable. La salope. Ah je suis bien, moi. A genoux, mains liées dans le dos, entouré par trois brutes… Dedans. Jusqu’à l’os.
Où on est ? Un sous-sol, du sable, pas de fenêtre, pas de bruit. Formidable. Des amateurs qui s’y connaissent. Oui, oui : des amateurs. Ah bah écoute, quand même oui. Tiens, regarde ça : le schéma me repasse devant les yeux en un secouage de crâne. Ca résonne mais peu importe. En haut, le boss : Tcheuk, mon âge, fils de notable. A droite en dessous, le revendeur : Bob, un an de moins, le frère. A gauche même ligne, le voleur : Frank, le voisin, trente ans et moins d’intelligence que d’agilité. Et voilà, fini. Non non, y a même pas de quatrième larron. Tu vois que c’est des cons.
Je sais bien que dans tous les manuels de banditisme on incite à commencer petit, mais bon. Les cons, quoi. Monter et maintenir un réseau de contrebande à trois, sérieusement ? Dans une ville militarisée comme Saint-Urea ? Et puis ce nom, ce nom pour leur groupuscule à la noix… L’Ordre du Phénix. Pour trois rebelles pelés dans une cave sombre et du rhum coupé à la poudre, vraiment ? Je me souviens encore du rire retenu par le commandant quand il m’a expliqué le dossier. Pourquoi pas l’Ordre du Dragon ou l’Ordre de l’Hydre, tant qu’on y est ? … Bref, me sortir de là.
Tu sais c’qu’on va faire de toi, Tahgel ?
J’pense que j’en ai une idée, ouais. Nor’Ysse.
Ah ?
Vous excuser, m’détacher, m’donner à bouffer.
Haha, t’es un dur toi, hein ? Z’avez vu les gars ? C’t’un dur qu’on a chopé cette fois !
Ben jdis ça c’pour vous, hein. Si vous caressez l’espoir que j’plaide votre cause à mes supérieurs pour qu’on vous envoie pas au gibet, ça m’paraît un bon début.
Hn, imbécile. Tu crois vraiment que quelqu’un va venir te sauver ? Bien un soldat, tiens…
Non, non. Tout seul. Jvais m’en sortir tout seul. Et je te botterai le cul tout seul aussi. Prépare-toi.
Bam. Je mords la poussière et j’ai une autre molaire qui tangue. Toutes des salopes, les molaires : grosses et branlantes. Suis sur le dos, accessoirement. Tiens, essaie donc, toi qui me lis. Mets-toi sur le dos, sur le plancher, la moquette ou le carrelage de là où t’es assis pour me lire. Mains comme si tu les avais liées en bas de la colonne, au dessus des fesses. Replie tes jambes comme tu les mets quand tu t’accroupis. Genoux au menton, ouais. Eh ben tu verras que, sans problème si t’es souple comme moi, en te déboîtant presque les coudes, les épaules et les poignets si t’es pas souple, tu peux arriver à repasser les mains devant. T’as essayé ? Bien. T’as vu donc.
Et c’est ce que je fais en pas une seconde, là. Au passage je me détruis la peau des poignets à cause de la corde, mais surtout je récupère une poignée de la poussière du sol, et quand je me redresse ils ont à peine commencé à réagir. Je me prends un violent coup de latte dans les tripes quand même, mais à part me faire cracher mes poumons et reculer de trois mètres pour récupérer un semblant de respiration, ça change rien à la situation : je suis debout, et j’ai une arme entre les doigts. Oui, le sable c’est une arme redoutable en close-combat. C’est Bob qui se dévoue pour tout prendre dans ses yeux à lui quand je lui fonce dessus, que je lui coupe la respiration de ma tête dure comme le roc, et que je lui vide mes mains sur les paupières en appuyant bien pour que des grains passent entre les cils.
Il gémit, il s’écroule, il se frotte en empirant la chose : il est out. Reste Frank et Tcheuk. Frank m’intéresse pas mais il tente quand même de faire obstacle entre moi et son cousin chéri. Chopage de tête entre mes deux bras toujours reliés au niveau de mes poignets meurtris par l’effort de la figure acrobatique de tout à l’heure, coup de genou une fois, coup de genou deux fois, coup de genou trois fois, adjugé, il est out aussi. Reste le boss de fin.
Tcheuk Nor’Ysse versus Tahar Tahgel. Le combat du siècle dans ma petite tête de sous-lieutenant muté depuis deux semaines sur South Blue. Je dois faire mes preuves, faire oublier ma cour martiale que même ici ils ont en entendu parler alors que ça s’est passé sur West, blah blah blah. Et ding, le round commence. Je sais que je vais gagner, alors bon joueur je garde mon handicap des mains liées, et en prime j’ai laissé à mon adversaire le temps de récupérer une batte qui traînait par là et avec laquelle il avait sans doute prévu de me finir quand j’étais encore inoffensif, moi le nuisible envoyé par la Marine pour enquêter sur son business de gros truand.
Bring it on, mon pote. Que je lui fais.
Ouais, j’vais t’entrer le dragon, moi ! Qu’y me répond. J’ai aucune idée de ce que ça veut dire, note bien. Mais ça a l’air important pour lui alors je laisse faire. Bonne âme, le Tahar. Et il fonce, donc. Batte au vent.
Le problème pour lui c’est qu’une batte instinctivement ça se manie à deux mains, et que du coup il a les mêmes limites de mouvement que moi qu’ai pas les mains libres. Après deux ou trois moulinets pour de rire avec une seule palme, le voilà donc parti dans ces grands enchaînements du base-ball, avec le corps tout entier projeté vers la cible, les grands élans inarrêtables qui suivent les grands cercles amples des coups qu’il cherche à me porter, étécéra étécéra. En gros c’est une espèce de danseur étoile en beaucoup moins fin et en beaucoup plus menaçant, mais dont je n’ai qu’à éviter les attaques et trouver le bon moment pour lui foirer sa routine et lui casser son jouet. Et sa gueule. C’en est presque plus drôle.
D’ailleurs ça me lasse assez vite. Y a à peine une fois où le danger me menace un peu, et ça c’est quand je me retrouve acculé dans un coin du sous-sol. Mais une poutre me sauve la mise alors que Tcheuk tente la chose la plus stupide qui soit à ce moment-là : une taille de haut en bas. Bien sûr, le plafond arrête alors son geste, avec un bruit qui sonne à mes oreilles comme un "quel con, mais quel con…". Et en prime le bon rouquin se trouve un instant surpris de ce qui se passe. Et évidemment, c’est l’ouverture que j’attendais et je m’engouffre. L’efficacité, c’est mon dada, faut dire. Et donc d’un coup de botte bien placé entre les deux jambes, je casse les roustons du petit gangster de mes deux. Qui s’écroule.
Tcheuk Nor’Ysse est un amateur, Tahar Tahgel lui pète la gueule quand y veut.
C’est la morale de cette histoire. Moi je la trouve chouette. Pas vous ? Ah bon.