Kage Berg.
Combien de jour pour y arriver ? C’était même plus la peine de compter : nous avions été véritablement mauvais pour débarquer ici, tant ça nous avait semblé un périple sans nom, sans instant de répit. Un Ersatz d’Enfer. Bee et moi y avions posé pied après plus de trois mois d’expédition, à zigzaguer d’un endroit à l’autre, à chercher des informations sur la direction à prendre pour rejoindre l’île en question, à se retrouver sur des terres vierges de toutes civilisations mais pas d’affreux animaux dangereux et affamés, d’autres pleines de malfrats en tout genre qui avaient songé, en me voyant, à me revendre au plus offrant.
Bon dieu, ce que j’en avais bavé.
La vraie question était de savoir à quel moment est-ce que j’avais le plus risqué ma peau. Unanimement, moi, moi et moi-même étions d’accord pour affirmer que c’était après la rencontre avec une tribu d’indigène qui avait tenté de faire cuir Bee à la broche et me dévorer cru. Fort heureusement, ils n’avaient réussi ni l’un ni l’autre grâce à une ruse de la part de mon coéquipier, nous permettant de nous sauver de l'endroit, et en vitesse.
J’avais frôlé la mort à maintes reprises, mais le plaisir d’être enfin arrivé était plus fort que les mauvais souvenirs de ce parcours.
Alors voilà.
Ça faisait trois mois que j’avais quitté les jupons de Papi Harry.
Parfois en me disant que j’avais eu raison. Souvent à regret. La vie n’avait rien à voir avec ce que je m’étais imaginée. L’aventure n’était pas une partie de plaisir, pas tout le temps. Je n’étais tombée que sur des rustres, des crétins, des arrogants, des menteurs, des voleurs, des abrutis, des ratés, j’en passe et des meilleurs. A croire que j’avais un don pour choisir mes relations et que dans ce vaste monde, je n’attirais que ceux qui me cherchaient des noises.
La poisse.
Voilà pourquoi j’avais eu envie de revenir sur mes pas, de rentrer au pays et de ne plus jamais en partir, de ne plus tenter l’expérience. Puis, l’image de moi, mère au foyer, femme de Jerronimo, suffisait à me faire immédiatement changer d’avis et me pousser à continuer pour ne pas me réduire à cette fichue bonne fille. Ça, c’était l’enfer et la facilité. Ce que je vivais actuellement était autre chose, d’autrement plus énorme. Alors pas question de rentrer, pas question d’abandonner. J’avais réussi la plus terrible des épreuves : m’orienter dans les mers du monde, et arriver quelque part, à bon port. Si ça, ce n’était pas merveilleux ! Certes, j’avais mis trois mois, mais lorsqu’on savait que j’étais capable de me perdre dans quatre mètres carrés, on me félicitait.
Voilà l’histoire. Voilà, tout.
J’avais dix-huit ans, un compagnon immense et jaune, un sens de l’orientation déplorable, mais j’étais à Kage Berg. Donc, j’avais réussi.
Je me tournai et regardai la barque qui venait se fondre sur le rivage. Celle-ci était pas mal endommagée, elle avait bien vécu. De quoi prendre un repos mérité dans un coin aussi paisible.
Devant nous, la mer. Derrière nous, une clairière et quelques habitations qui montraient le sommet de leurs toits.
Pas de doute, c’était le bon port. Je fis un clin d’œil à Bee et lui demandai d’une voix ferme de me suivre jusqu’au village le plus proche. Il n’était qu’à deux kilomètres à pied, vraisemblablement. Avec un peu de chance nous y serions bientôt, pour peu que je ne tombe pas dans un trou, sur une vache ou que je ne perde pas dans le champ qui s’étendait sous mes yeux (ce qui pouvait sembler improbable mais tout à fait possible).
Lorsque nous arrivâmes dans la ville, l’agitation était palpable, à un tel point ou je faillis percuter à plusieurs reprises des gens qui courraient à gauche à droite.
Des moustiques, partout. Des moustiques bleus.
Mon éducation me poussait à me méfier de l’endroit, mais je revins très vite sur terre, en me disant que j’avais fait des progrès et que j’étais devenue, après toutes ses années en bonne compagnie, une personne respectable. Mais le trouble ambiant avait de quoi m’amener à me poser des questions. Autant de marin pour un concours ? Étrange. Autant de nervosité pour si peu ? Très étrange. J’avais des questions à poser, mais personne pour y répondre.
Un soupir. Prenant mon courage à deux mains, j’allai jusqu’à l’hôtel le plus proche. Le Village était minuscule, mais des gens y allaient et venaient. L’endroit était digne de ces petites villes de campagnes, reposante et agréable. Autre que tout ce que j’avais pu voir jusqu’ici. Pas énormément de mauvais bougres, quelques pochtrons (que tous les villages avaient) mais surtout des paysans et des gens souriants. Un régal.
Sur le porche de l’hôtel, je demandais à Bee de ne pas bouger, que j’allai réserver une chambre pour les trois nuits à venir. Pénétrant à l’intérieur, le gérant était près du comptoir et affichait une mine abattue. Son regard était vide, triste. Il renifla et se tourna vers l’horloge en coin.
Horloge qui ne marchait plus.
Puis, il releva le regard vers moi et afficha son plus beau sourire. Sa voix tonitruante perça le silence, voix qui pourtant était teinté d’une amertume saisissante :
« BIENVENUE MAD’MOISELLE ! UNE CHAMBRE VOUS F’REZ PLAISIR ?! »
Bon dieu, et quel coffre. Etait-il obligé de crier comme ça ? Je m’approchai et sortis ma bourse et les maigres économies qui me restaient.
« Oui, pour trois nuits. Serait-il possible d’être en bas ? Je suis avec un ami, mais ses quatre mètres l’empêchent de rentrer.
- Haha, pas de soucis ma p’tite dame !
- Dites, fis-je en me raclant timidement la gorge. Est-ce normal toute cette agitation ? »
L’homme se renfrogna immédiatement, perdant sa fausse mine réjouie. Il me fixa avec des yeux rougis par les larmes, avant de fondre en sanglot. J’ouvris des mirettes rondes, soudainement prise au dépourvu. Je ne m’attendais pas à un tel revirement de situation.
Entre deux sanglots, il lâcha :
« C’est pour protéger les filles du village snif… Depuis six mois, il y a des enlèvements. Snif… Deux filles disparaissent pendant chaque concours de la plus belle vache, snif…
- Oh.
- Le mois dernier, snif… C’était… C’était ma petite fille bouhouhou snif ! »
Le gros bonhomme s’effondra sur son comptoir. Sa femme surgit du couloir et se pencha vers lui avec une mine aussi attristée que celle de son mari, tapotant sur son épaule.
« Oh voyons, mon amour…
- Mon petit bébé ! Snif !
- Veillez nous excuser mademoiselle, je vais vous conduire à votre chambre. Si vous voulez bien me suivre. »
Elle attrapa les clefs et m’intima de l’accompagner. L’homme resta effondrer sur son bureau, sanglotant toujours. La femme tourna dans un couloir et m’ouvrit la porte en me tendant les clefs. Je lui fis un sourire timide et pénétrai dans les lieux. Elle m’arrêta en m’attrapant le coude :
« Soyez prudente mademoiselle. Cet homme qui enlève nos enfants est un monstre. Si mon mari est aussi triste, c’est parce que les autres jeunes filles ont été retrouvé morte… Nous… Nous craignions pour notre bébé, vous comprenez ? »
J’hochai la tête rapidement, regardant la femme me quitter après m’avoir souhaité une bonne journée. Je me précipitai vers la fenêtre et l’ouvris en grand, appelant Bee. Le robot ne tarda pas à se baisser vers moi et à regarder à l’intérieur. La chambre était plutôt étroite, vieillotte, mais confortable.
« Je sais pas trop ce qui se trame dans le coin, mais ça serait chouette de trouver Jamie Will. Très rapidement. »
Il haussa les épaules et approuva d’un caquètement puissant.
Dernière édition par Lilou B. Jacob le Dim 4 Mar 2012 - 0:27, édité 1 fois