« Toi, tu peux. Lui, non. »
Euh ? Ok. Le gaillard devant moi me regardait avec des yeux noirs, le genre de gars à qui on disait « Oui, tu as raison » lorsqu’il nous affirmait haut et fort que « 2 + 2 font 5 », même avec une armure vivante derrière soi. Je lui fis un sourire, acquiesçant timidement. Je n’avais vraiment pas envie de m’attirer des ennuis maintenant, pas dans ce coin. Depuis les évènements de Kage Berg, je me faisais petite. J’évitai d’attirer l’attention, de me faire des ennemis. Je disais oui à toutes les questions qu’on me posait, au cas où. J’étais prudente, sûrement trop prudente.
Et malgré tout, toujours aussi naïve.
Car j’avais, plusieurs fois, dit oui à des choses sans sens. Et la seule raison qui m’avait sauvé la vie, c’était que niveau « fuite », Bee et moi-même avions gagné un beau niveau d’expérience. C’était toujours ça de pris, n’est-ce pas.
Ainsi donc, je fis un sourire au videur, me tournant vers Bee pour lui demander de rester en retrait et de m’attendre ici, que je n’en aurais normalement pas pour très longtemps. Je n’hésitai pas non plus à ajouter que si je n’étais pas sortie dans une heure, il devrait remuer ciel et terre pour me retrouver, quitte même à exploser la tronche à ce videur pour rentrer dans ce bar. Il hocha la tête et fit les cents pas devant l’entrée, sous les yeux agacé du vigile.
L’homme ouvrit la porte et m’invita à entrer d’un mouvement de tête. Je passai le porche et pénétrai à l’intérieur. Immédiatement, je fus assaillie par une fumée dense qui pénétra dans mes poumons et me coupa la respiration. Elle me brula par la même occasion la gorge et les narines. Aie.
Enfonçant la tête dans mon écharpe, j’avançai en tâtonnant, les yeux piquaient par la vapeur opaque. Il y avait des escaliers en colimaçon qui menait vers la salle. L’endroit était donc en sous-sol, pour isolé le bruit. J’empruntai les marches, descendant avec une prudence non dissimulée. Est-ce que ça valait le coup de s’aventurer là-dedans ? Je n’en savais vraiment rien. Parait-il que oui. Je n’en étais plus si sûre.
J’arrivai en bas, n’y voyant rien à plus de deux mètres devant moi. Peu de lumières, si ce n’est vers les scènes et les bars qui étaient, disons, intimistes et au bar. Des fauteuils en velours, confortables mais usés par le temps, des serveuses en petites tenues qui faisaient le tour des clients, des vigils qui regardaient attentivement que les dits clients n’aillent pas trop loin et un show sur scène. Je m’avançai vers le bar, attrapant un siège pour m’y asseoir. La Barmaid vint vers moi : une jolie blondinette déguisée en écolière qui me fit un sourire angélique. Elle posa sa main sur mon épaule et m’attira à elle pour susurrer à mon oreille :
« Alors jolie rouquine, je te sers un verre ? »
Etait-il bon de consommer ? Non, pas prudent. On ne savait jamais c’qu’on pourrait mettre dans mon verre. La blonde posa un baiser dans mon cou. Je m’éloignai en vitesse, rendant son sourire à l’employée et fis non de la tête. Elle se pencha vers moi pour me montrer un peu plus son décolleté plongeant, me jetant un regard papillonnant et teinté d’un désir palpable :
« Tu es peut-être là pour autre chose ?
- Maintenant que vous abordez le sujet ! »
Paf, sauter sur l’occasion !
« Est-ce que Savanah est là ? »
La blonde perdit son sourire, se pencha vers mon oreille et me répondit avec une petite voix :
« Tu es intéressée par les vieilles peaux, alors, c’est si dommage... Elle ne va pas tarder à rentrer en scène. Dans un bon quart d’heure logiquement. »
Elle posa sa main sur la mienne et me fit un clin d’œil appuyé, reprenant sa tentative de séduction. Je retirai mes doigts d’où ils étaient, me penchai vers son oreille et lui dis :
« Je ne marche pas à ça, désolée ! »
Elle haussa les épaules et partit vers l’un de ses clients, me laissant seule au bar. Sa compagnie n’était pas désagréable, mais si on commençait à jouer sur ce terrain, on n’était pas sorti. Et personnellement, je n’étais pas du genre à vouloir sérieusement m’amuser avec une écolière. Pas mon genre.
Et puis, la musique changea. La lumière baissa aussi. Avant de revenir, plus violente et agressive qu’avant. Tellement que ça me piqua les yeux. Je les fermai, attendant que cela se calme. Puis, une silhouette féminine se dessina, à contre-jour. L’intensité de la lumière baissa pour laisser voir cette femme, belle comme une déesse, des cheveux noirs tombant sur ses épaules dénudés, avec une robe aux motifs de Tigre faire un clin d’œil à la foule.
Des applaudissements. Un attroupement autour de la scène. Des billets qui se tendaient aux creux des mains de ces fans hystériques.
J’avais trouvé Savanah.
Horny Savanah.
La sauvage qu’on l’appelait ici. D’où le costume de scène.
Stripteaseuse. Ingénieure à ses heures.
C’était une véritable tigresse, et même si je n’étais pas du genre à apprécier ce genre de spectacle, je reconnaissais volontiers qu’il y avait en elle une fougue insolente et captivante. Elle saisissait les foules d’un simple regard, d’un simple geste, d’un simple déshabillé…
Oh mon dieu.
Je ne voulais pas perdre mon innocence, ni avoir à faire à la nudité d’une autre personne. Vous savez, la pudeur, tout ça... Me raclant la gorge, je plaçai mes mains sur mes yeux en attendant que les cris bestiaux de ses admirateurs cessent. Et ça mit plus de vingt minutes. J’enlevai mes mains lorsqu’elle attrapa ses affaires et qu’elle fit demi-tour sur ses talons hauts. Ni une ni deux, je bondis de mon tabouret et fonçai vers la porte qui donnait sur les coulisses. Mais à la volée, un vigil m’attrapa par la taille et me pria de me calmer. Je m’agitai dans tous les sens :
« Non mais laissez-moi passer ! il faut que je lui parle !
- Bah voyons ! On ne laisse pas approcher les clients ici, c’est clair ?
- Non mais je ne suis pas une cliente ! C’est dégueulasse !
- Toi, t’es dégueulasse gamine !
- Mais qu’est-ce que vous allez vous imaginer ??!
- La ferme ! »
Il m’amena dans une salle adjacente et vide, coupé du reste de la pièce. L’endroit était étroit et plutôt sordide. Il se planta devant la porte et attendit que l’incident remonte jusqu’aux oreilles de ses patrons. Je bougeai de long en large, comme un tigre en cage, essayant de convaincre le vigil que je n’avais rien fait de condamnable :
« Je dois voir Savanah, j’ai une demande importante à lui faire !
- …
- Sérieusement, elle doit pouvoir m’aider !
- …
- Non mais, vous m’écoutez au moins ?
- ….
- Hé ? Héhé ?
- Qu’est-ce qui se passe ici ? »
Un homme trapus passa la porte et pria son garde de sortir d’ici. Je reculai, retournant vers le mur du fond. L’homme n’avait pas l’air spécialement agréable. Sa voix avait un accent slovaque, ses cheveux grisonnants étaient brushingués, il avait des bagues à chacun de ses doigts. Il me tendit la main et m’ordonna du regard de s’en saisir. Je m’exécutai mais relâchai celui-ci quelques secondes plus tard, de peur qu’il ne me brise une phalange ou deux.
« On m’a appelé, parait que tu fais du bruit, petite.
- Euh… Excusez-moi, ce n’était pas mon but.
- Alors, qu’est-ce que tu veux ?
- Je… Je… euh… Non rien.
- Tu ne veux rien ? »
Son regard était pesant. J’avais des yeux ronds, une goutte de sueur perla dans mon cou. C’était horrible comme ambiance. L’homme était impressionnant, mais il ne semblait pas me vouloir du mal :
« Écoute Gamine, les vrais voyou, je les connais, on sait les reconnaitre maintenant ceux qui veulent du mal à nos filles. Et tu n’en as pas la carrure, ni l’allure. Et en plus, tu es une fille. Je sais que tu ne veux pas de problème. Bill m’a dit que tu voulais voir Savanah. Faut pas être impressionné par le costume, compris ? »
Euh ?
« Compris ?
- Oui, oui !
- Alors suis-moi petite. »
Il m’ouvrit la porte et m’intima de prendre le pas vers l’extérieur. Docile, je le fis. Puis, il m’invita à le suivre dans les coulisses et m’amena jusqu’à un accès. Il prit la poignée et dévoila une loge dans laquelle se trouvait la jolie brune de tout à l’heure.
« Savanah, y’a quelqu’un pour toi.
- Mh ? »
Elle leva ses yeux verts, les plongea dans les miens, fronça un sourcil et lâcha d’une voix tendre :
« Tiens, tiens. Regardez qui voilà. »
Dernière édition par Lilou B. Jacob le Mar 6 Mar 2012 - 20:24, édité 1 fois