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Pour une poignée de Whiskas...

Y a de ces jours où t'es en droit de te demander si le destin c'est pas un peu foutu de ta gueule quand il t'a mis sur la voie de l'aventure. T'as beau être mauvais, tu peux pas t'empêcher de continuer à avancer. T'as ça dans la peau, et c'est pas ce qu'il y a de mieux.

Je fais partie de ces types qui se pose la question. Pourquoi ? Parce que je me dis qu'au bout de quatre naufrages en six mois, je suis peut-être pas trop fait pour naviguer sur les mers. Du moins, pas tout seul.

J'ai perdu ma pauvre petite embarcation à cinquante mètre du port de l'île. Foutu brouillard, pas moyen de voir quelque chose. Le récif en a profité pour bien se planquer, le saligaud. Crac, vas-y que je t'éventre la coque. J'ai fini le trajet à la nage. J'suis quelqu'un de relativement optimiste, mais je dois bien vous avouer que j'ai galéré pour trouver un point positif à ce naufrage. J'ai pas à payer ma place de quai, c'est déjà ça.
Mais si j'peux plus repartir...

Je regarde l'intérieur de ma bourse pendu à ma ceinture. Mouais... A la rigueur, je peux m'acheter une vieille rame... J'vais pas aller loin, avec ça.

Comme cela m'est déjà arrivé, je sens l'affreuse conséquence venir : et oui, j'vais devoir faire mon larbin dans les auberges pour me trouver un peu d'blé. Quelle vie.

Je commence à faire le tour des quartiers du coin. Bien sûr, comme sur toute bonne île qui se respecte, y a des bars avec leur quotas de types bourrés sur, voir sous, les tables. Quelques restos... Et à chaque fois que je rentre pour demander du boulot, j'me fais jeter comme un malpropre. C'est la crise, vous pouvez plus embaucher ? Hein ? J'ai pas le profil ? Vas-y, dis tout d'suite que c'est à cause de mes cheveux blancs !

Ha... Trop jeune... Okay, ben j'vais aller voir ailleurs, alors. Je perds pas mon temps à essayer de m'expliquer : qui me croira si je dis que je souffre d'une terrible maladie qui me fait passer pour plus jeune que je ne le suis ? Personne, c'est ça, t'as le doigt dessus. Pas moyen de prouver que j'ai dix-sept ans.

Téméraire, je vais quand même jeter un coup d’œil dans les quartiers bourgeois. Peut-être besoin d'un cuistot pour pas cher, qui sait ?
Nan, j'ai beau chercher, pas la moindre pancarte du genre : "cherche cuisinier compétent". Bordel, de nos jours, même les riches ont plus besoin de larbins ! Où va le monde ?

Ah ! Au bout d'une demie-heure de marche, ça devait bien finir par arriver, quand même !
Sur un portail de fer forgé, l'écriteau salutaire : "cherche domestique". Okay, c'est pas un job de cuistot, mais c'est toujours mieux que rien !

Je sonne la cloche...

___________________________________

Petit mouton, viens par là, s'il te plaît... Aller, fais moi plaisir, je commence à avoir mal, là. Cinq minutes que j'essaie de t'attraper, le bras tendu, perché au sommet d'une étagère. J'ai déjà connu plus confortable comme position.

J'agite un peu le plumeau... Ah ? Yes ! Ce foutu tas de poussière tombe enfin du meuble, et je me laisse choir sur le plancher de la pièce.
Je ramasse le mouton que j'ai déloger et le colle direct dans la corbeille. Je regarde autour de moi et pousse un long soupir. La vache, j'ai encore du boulot ! C'est dégueulasse, ici !

Moi, quand on me dit "domestique", je m'attends à devoir répondre aux exigences des propriétaires des lieux, leur amener leur repas, des trucs dans l'genre... J'imaginais pas une seconde finir femme de ménage !

Oui, j'ai bien dit "femme". C'est le seul mot que je trouve quand je vois le costume qu'on m'a filé...

Armé de mon terrible plumeau, je m'en vais vers le bureau et engage un duel épique contre la couche grise recouvrant le bois de la table de travail. Faudrait en faire une chanson, des exploits que j'accomplis ici.

Trois jours que je suis coincé ici... Payé une misère pour faire les tâches ingrates, j'ai un peu les nerfs à vif. Je me contiens, néanmoins : pas trop envie de me faire virer avant d'avoir récupéré la somme nécessaire pour me payer une barque. Et vu c'que je gagne, ça risque d'être long...

Mais passe encore les corvées de nettoyage, le costume de soubrette, le salaire minable... J'crois que le truc qui me tape vraiment sur le système, c'est ce foutu chat.

Le Chat, avec un "C" majuscule, c'est le matou adoré de la maîtresse de maison, Miss Karyll. Une affreuse créature sans poil, avec une peau rose affreuse et un regard vert malsain et vicieux...

Euh... Pas de confusion, je parle du Chat, pas de sa maîtresse.

Cette sale bête te suit de ses yeux qui reflètent la méchanceté. Elle t'épie, elle est partout. Je suis peut-être parano, mais j'ai l'impression que dès que j'arrête mon boulot un peu trop tôt, cette saleté va cafter à la gouvernante qui me choppe toujours dans la minute... Je hais ce chat.

Et puis, faut être au petit soin pour lui... Faut lui faire sa pâté "en faisant bien cuire les carottes, la pauvre bête ne les digère pas, sinon", lui servir ça dans une gamelle en argent tellement luxueuse que si j'la volais, j'aurais plus à me soucier de mon salaire. Ah oui, il faut toujours qu'il ait du lait tout frais à portée de son panier. Mais quand je dis frais, c'est frais, hein : c'est qui qui doit se traverser toute la cambrousse pour aller acheter au vieux paysan du coin un pichet de lait tout droit sorti du pis de la vache ? C'est bibi.

Tout en nettoyant, j'établis divers plan qui me permettrait d'éliminer cette foutue bestiole sans attirer les soupçons sur moi. Bien que je sache pertinemment que jamais je ne les appliquerai : ici, tu touches au Chat, t'es considéré comme un homme mort.

Pfouh... Vivement ce soir, que j'puisse aller dormir sur ma paillasse moisie dans le grenier...
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And so when man and horse go down
Beneath a saber keen, …


Mer d’huile, matin calme et brumeux. Silencieuse, la barque avance seule sur le plateau translucide. Translucide, oui, pas transparent. Cinq pouces sous la surface, c’est à peu près ce que je vois. Assez pour repérer les récifs qui risqueraient de défoncer le bois, trop peu pour vraiment savoir où je suis et où je vais. Un coup de rame par encablure, le courant me souffle qu’on s’approche d’une côte.

Or in a roaring charge of fierce melee
You stop a bullet clean, …


Je dis "on". Je parle de moi et de la gueuse qui se réveille à mes pieds entre les bancs. Récupérée après le passage sur les LSD avec le Saru Suiji. Bonne compagnie mais dispensable et épuisée, une terre me permettra de la jeter en bon gentilhomme. Je tire une latte, me suis allumé un clope le temps de passer une des rameuses sur la dame de nage arrière, en mode navigation de précision.

And the hostiles come to get your scalp,
Just empty your canteen, …


La rosière ouvre un œil, me voit en mode godille et se croit dans une scène romantique à me faire des sourires entendus sous son fardage qui prend l’eau. Je hausse les épaules, besoin de se concentrer car les pierres noires et humides se densifient et j’aime pas trop beaucoup ça. La conne se prend à me parler par-dessus le marché, ça me fait foirer mon rythme et je grogne.

And put your pistool to your heead,
Mh…


Elle sait qu’elle a merdé, me regarde avec des yeux de tanche et se fait petite, toute petite sous la rame inutile que je lui assène sur la tête. De l’autre, celle qui gouverne, je fends l’eau et la brume et ma rage subite et enfin la ligne noire du littoral se dessine pendant que je retrouve mon calme. Pas le choix face à tant de désolation. Un roc d’ombre, à la pierre humide et glissante comme l’eau.

And put your pistol to your head,

Aux crêts acérés, taillés par les vents qui concentrent les nuages sur l’endroit. Ciel de guerre et bruits d’agonie. Je sens que je vais encore me plaire ici. Décidément South Blue a bien changé depuis que j’en suis parti pour Grand Line… Le nez de la barque fait un blonk ! assez mat alors que j’achève mon couplet final, signe que nous sommes arrivés. La coordination est parfaite, c’est déjà ça.

And go to Fiddlers' Green…


… Fiddler’s Green, je sais pas si c’est là qu’on est mais à part le côté verdoyant qu’est pas trop réussi ça pourrait bien. Un ramassis de marins plus poisseux qu’une mouette, plus crasseux que toute Loque Town réunie, et plus avinés qu’une soirée chez Saint Emilion le maître des vignes de Marie-Joa. Le destin du paquet que je dépose sur le porche de la maison la moins crade de la ville est scellé. Bonne chance marguerite, mais fallait bien que nos routes se séparent un jour tu comprends.

Le rade dans lequel je tombe fait frémir mon amour-propre. Y avait longtemps que j’avais pas foutu les pattes dans un gourbi pareil. Mais on m’y sert la tambouille qui réchauffe le corps et on m’alimente des derniers ragots du coin. La ville où les bourges vivent en consanguins au sud, le manoir de la folle à l’est. La folle ? J’aime bien les folles que je dis, alors on développe. Elle est pleine aux as et bien foutue, mais radine comme un harpagon. L’harpagon c’est un poisson local, paraît-il. Je comprends pas le rapport entre une donzelle et une rascasse, mais j’insiste pas faute d’envie de carnage.

Plutôt de repos dont j’ai besoin, et comme j’aime mes aises, me dis que je vais pas crever du scorbut dans une chambre minable, et qu’on va plutôt aller voir du côté de là-haut si j’y suis pas. Et plus je m’y rends, plus j’ai la nette impression que je vais y être. Pas plein d’allant et fantasmes de nuit confortable à gogo. C’est à peine si je comprends ce qui m’arrive quand un truc rose m’agresse toutes griffes dehors alors qu’enfin je suis arrivé aux grilles de la résidence de sa majesté Karyll et que je viens d’appuyer sur le dendensonnette pour m’annoncer comme les gens bien le font. Sans défoncer la porte ni prendre possession des lieux comme de la dame.

C’est à peine si la chose rose comprend ce qui lui arrive alors que mon fidèle Narnak l’empêche de piailler et de m’atteindre la peau en lui arrachant l’âme en même temps qu’un feulement éteint. Un coup d’œil sur le cadavre de Ronron Premier suffit à me dire qu’une bête lustrée comme ça l’est pas pour rien… Oups ? Je balance le corps dans un fourré de la pointe de la botte avant que le comité d’accueil ne sorte du manoir.


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Vous êtes ?
Moi.
Vos titres ?
Saigneur de céans si pas invité de bonnes grâces et bon ami de l’amiral Shiro Fuuryuko et de la Dame de Pierre.
Ah ?
Oui. Et toi ?
Non, je ne puis pas affirmer avoir jamais eu personnellement affaire à eux. Vous venez de ?
Ailleurs.
Vous restez ?
Longtemps.
Vous mangez ?
Du steak.
Vous entrez ?
Voilà.
Je vous annonce ?
Vais m’introduire tout seul, t’occupe et prends mes valises.

La porte de prison cesse son interrogatoire insensé et s’efface pour me laisser passer, puis se sort les mains des poches de son veston et ramasse mes bagages invisibles pour m’accompagner à bonne distance jusqu’au manoir qu’il est en haut de la colline. Sûrement des fois que je me perde, mais tant mieux. Ca m’évite d’avoir à justifier de la mort de Miaou et à payer ma chambre dans le sang des uns et le stupre des autres. Chaque chose en son temps…

La Karyll se trouble quand je fais feu de mes armes dans son salon à peine princier. Mes armes phéromonales, hein, pourquoi tant de violence dans ton esprit étriqué ? Elle blanchit de surprise parce que non-invité oblige et puis elle rosit de nouveau quand elle découvre que je m’appelle Tahar et que je suis venu pour pioncer mais également capable de refaire sa plomberie défaillante pour payer ma nuit. Et quand enfin elle s’aperçoit que mon ego monte au moins aussi haut que ses plafonds démesurés et inchauffables et que son amour-propre ne pourra rien face à mes arguments au moins aussi solides que le manteau de sa cheminée en un truc qui pourrait bien être de la pierre de rosette massive, avec les inscriptions et tout…

Quand enfin elle s’aperçoit de ça, elle s’excuse pour son indélicatesse et sonne un coursier albinos pour qu’il aille me chercher de quoi me désinfecter les papilles dans le salon rose, oui celui tout là-bas c’est ça et active-toi c’est pas la porte à côté c’est pour ça que je t’y envoie. Le garçon s’exécute, et effectivement la maisonnée est assez grande pour que je puisse conter un ou deux de mes exploits d’avec ce bon vieux Furyuuko dans l’intervalle de temps où il nous laisse seuls.

Ah, je me souviens, alors qu’il n’était encore que Vice-Amiral…
Merveilleux, merveilleux ! dit-elle en frappant pimbêchement dans ses mains comme si j’avais déjà touché un point sensible.
Lui vice-amiral et moi jeune et fringuant commandant, je nous vois…
Mais c’était il y a si longtemps, non ? m’interrompt-elle avant de mettre une main devant sa bouche comme si c’était grave.
A peine dix ans très chère… A peine dix ans…
Oh, je vois, opine-t-elle sans quitter son sourire ingénu de fille à trois dizaines d’âge max.
Et donc, la défense de Navarone face à Wilf-Reid Tchong-a, c’était nous. Ah, il aurait fallu que vous le voyiez, lui, et puis moi surtout. L’un à côté de l’autre bataillant sur le front… Nous avons le même âge vous savez ?
Ah oui ? s’esbaudit-elle.
Oui, à quelques mois près… Mais qui démarre plus haut monte plus vite, c’est une règle.
Scandaleux ! Je suis sûre que vous feriez bien mieux que lui à son poste…
Hinhinhin.

Mon rire retourne chaque parcelle de son âme blanche comme une colombe alors j’enchaîne pour ne pas capoter plus.

Sans doute sans doute. Et donc, Karyll, est-ce que vous b

Le nain à crinière blanche et joues rebondies par l’effort m’interrompt à son tour par un retour fracassant et essouflé dans la pièce qui sa mère l’hippopète se réchauffait pourtant de degré en degré jusque si ça trouve à la plus haute chaleur mais, même si j’aime pas trop beaucoup ça je dis rien parce que mon objectif premier c’est certes enrouler la donzelle affriolante et pas si proche de ses biftons que ça dans la promesse de mon matelas. Donc je reçois mon dû en faux silence révélateur de toutes choses de la vie et sirote langoureusement le fluide éthylique d’un coup d’un seul pour bien montrer que le commodore Tahgel rigole pas avec la boisson bordel de sagouine. Et pendant que le jeune Yukitruc est recongédié dans l’arrière-boutique afin de rapatrier le reste de la bibine, nous regardons chacun depuis notre fauteuil le feu qui lèche, langoureusement lui aussi, les bûches dans l’âtre. Et pas un mot de plus parce que je suis crevé j’ai dit et parce que comme ça le bruit de la nuit qui tombe dehors a plus de chance d’être entendu.

AHHHHHHHHHHHHHHHHH


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Silhouettes éclairées par des torches dégoulinantes de résine qui pique les poils dans la nuit, avec un cri qui court dans la nuit après écho sur les troncs environnants. Serrée contre moi, l’avare qui ne l’est pas me titille l’émotion.

On dirait que je vais devoir rester plus longtemps que prévu…
Oh Commodore, vous feriez ça pour moi ? C’est vrai ?
Mais oui très chère, bien évidemment. Un haut-officier comme moi peut prendre vacance comme il le désire pour s’assurer de la protection d’une civile reculée comme vous l’êtes en cette région désertique qui n’a pas d’intérêt stratégique.
Oh Commodore, vous êtes si aimable, comment pourrais-je…

Elle est complètement éperdue et vachement plus charmante encore à la lumière de la pleine lune qui mord, avec ses cheveux blonds en bataille à force de les triturer comme si ça allait revivifier le cadavre de son chaton adoré sur lequel on est penchés, et ça me travaille vachement en certaines zones. Mais je reste professionnel et profiteur circonstanciel de la situation ; puisque le gamin a trouvé la dépouille pas belle de la chose hideuse sur laquelle elle avait jeté son dévolu avant moi, eh bien, allons, je n’écoute que mon courage et m’impose comme protecteur de céans jusqu’à ce que lumière soit faite en la matière.

Il ne sert à rien de courir, tout peut partir à point. Allons nous coucher, une dure journée nous attend demain.

Elle sanglote encore un peu pour les éventuels témoins qui guetteraient sa réaction dans les fourrés alentour, mais je vois bien que déjà elle a fait son deuil, je me demande en me flattant la veste quel corps plus désirable que celui sans poil du miaou elle a pu trouver pour combler ses fantasmes ces derniers heures. Et, enfin, après un verre ou deux à la mémoire du cloporte rose qui nous en font voir des plus gros dans les murs, nous allons nous pieuter, chacun de mon côté mais rien ne se passant. Rien ne se passant parce que là je suis vraiment mort d’avoir ramé toute la sainte nuitée de la veille et que bourgeoise éplorée n’a pas d’appétit pour ces choses-là, ou si peu. Je le regrette un temps à la sentir si tiède contre moi si chaud mais n’est-ce pas, j’aimerais t’y voir après une nuit blanche faite d’efforts comme j’en ai vécu, j’aimerais et puis je m’en fous, mon œil et ma main se ferment bientôt sur une courbe ou une autre dans la pénombre et c’est très bien ainsi, j’aurai toutes les heures du monde pour en revenir aux vieilles habitudes demain. C’est pas comme si la Sublime qui m’attend sur West était à une ou deux infidélités près. La sublime sans majuscule, elle, gémit sous l’assaut puis s’endort aussi, mais ça c’est pas intéressant.


On se réveille le lendemain, normal vu que c’est le jour d’après, avec tisane et tartines sur un plateau. Rien de cochon, ça c’est pour plus tard. Raison à ça ? La dame a fait sa dame, et chez les dames on se réveille la première pour rentrer dans ses appartements avant eux pour permettre aux domestiques de garder la face en prétendant n’être au courant de rien alors que ce sont eux qui font tourner la baraque. On va pas faire pleurer à la bourgeoisie tous ses atavismes dès aujourd’hui, je dis rien même à recroiser la bougresse pas encore complètement confite dans la salle de réception où y a un couvert que pour un, je présume que c’est pour moi et je mange comme quatre pour faire honneur au Machinsame qui tient lieu de bougre à tout faire, relève-toi donc petit fils du peuple prolétaire et arrête de t’écraser tu me fais de la peine. Succulent tes petits plats dans les grands, tu as de l’avenir mon vieux. Mais bon, y se relève pas, tant pis pour lui et son échine.

Moi, j’ai des trucs à faire alors je lui laisse à nettoyer la vaisselle en argent, pour pas qu’on m’accuse de vouloir la voler.

Bon, comtesse, qui était présent à ton domicile hier soir ?

Je l’appelle comtesse alors qu’elle l’est pas, ça fait au moins autant effet que le tutoiement et déjà elle chavire.

Commodore… sussure-t-elle avant de se reprendre. Moi, vous, lui (poitant du doigt vers le petit au crin blanc), et mon majordome que vous avez déjà rencontré hier.
Ah, l’individu fort aimable.
Oui, c’est mon père qui me l’a envoyé quand j’avais quatorze ans et que déjà je ne pouvais pas me débrouiller seule. Depuis il veille sur moi comme sur la prunelle de ses yeux…
Prunelle plus très propre, si je puis me permettre, j’ai cru y déceler un début de cataracte, il va falloir commencer à te méfier de lui ma douce et belle.
Ah, assez, je meurs ! se pâme-t-elle face à mon arrogance retrouvée.
Donc, le tueur est l’un d’entre vous trois, ça ne fait pas de doute.

Mon ton la convainc, et ma main sur le pommeau de Narnak le vrai coupable n’y fait rien. Envoûtée, c’est le mot, vivent les hormones et à moi la crémière, à elle la crème (le matin me rend subtil), et à nous tous les petits Berries mignons tout pleins qui me permettront de m’acheminer si ça se trouve, ou pas, vers les mers occidentales que c’est les seules normales, blanches, si j’y suis né c’est pas pour rien crévindieu. Un autre tour de main plus tard, autour de sa hanche si délicate et si plein de trucs, la voilà qui se laisse dire que ça ne peut pas être elle, quand même, puisque nous étions ensemble au moment du méfait, si ça se trouve, va savoir. En tout cas au moment du cri, nous étions ensemble. Restent qui ? Restent le vieux vil et le jeune vil, comment les départager sapristi.

Ah, j’ai une idée qu’elle est bien bonne, va donc me chercher deux poteaux et deux fois douze pieds de cordes, tu veux bien, dis ?

Je crois pas qu’elle voulait bien vraiment, dis, mais en tout cas elle y est allée, et maintenant je l’attends avec les deux coupables rassemblés devant moi à appréhender mes prochaines paroles avec l’air du coupable idéal chacun sur le visage. Quand je m’exprime, preuve est faite qu’ils ont quelque chose à se reprocher puisqu’ils veulent fuir, mais je suis un adepte de l’injustice alors je les frappe là et là de façon à ce qu’ils ne puissent plus courir. Et la dame revient avec des rondins plus lourds qu’elle, un gros bras qui lui sert de monture venu du village je l’ai vu hier à la taverne, et des clous parce que, je cite, il y avait plus de cordes, je suis désolée mon bon ami. Désolée ou pas, je ne veux pas le savoir et on passe à l’ordalie.


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Ecoutez, c’est très simple les gars. Je vous cloue au poteau, vous levez les bras à l’horizontale, et le premier qui les laisse retomber a perdu, ou gagné selon si vous êtes un grand optimiste ou pas. Prêts ?

Ils me disent que non, preuve là encore s’il en était besoin qu’ils sont pas nets. Un innocent aurait tout de suite demandé à ce qu’on commence car, sûr de sa bonne foi il n’aurait pas douté de ses muscles, n’est-ce pas ma mie ? Oui mon mi, renchérit-elle, déjà perdue à bien des causes mais surtout à la mienne depuis la veille quand j’ai pénétré son grand salon. Et la cérémonie commence, sans grande pompe pour masquer leurs cris quand les clous les percent là et là, mais c’est pas de ma faute c’est la maîtresse qu’est un peu coconne, vous comprenez ? Non ? C’est bien dommage.

Un thé, comtesse ?
Oh, Commodore, vous êtes si prévenant… Volontiers, oui.
Argh, mais j’oubliais que tes domestiques étaient pris à leurs occupations, il va te falloir aller le chercher toi-même je le crains.
Oh… oui, en effet. Je vous ramène un petit quelque chose ?
Juste un d… Un whisky comme hier, ce sera très bien.

Et elle y va, et elle revient, et pendant ce temps j’observe les deux pas encore condamnés qui le sont déjà un peu. L’un plus que l’autre a l’air de se dégonfler comme une baudruche. Le jeune. Le vieux, lui, me regarde de son éternel courroucé, je dis éternel parce qu’il l’a pas quitté depuis deux jours, mais en fait j’en sais rien, peut-être que c’est juste moi qu’il aime pas bien. Moi qui lui offre une chance de se dédouaner de l’odieux méfait, si ça c’est pas être ingrat… Ah, Yukisame a l’air de flancher !

Comtesse, qu’est-ce que tu fous !? On y est bientôt…
Me voilà me voilà, j’arrive ! et de rentrer bouteille et tasse au vent comme la plus commune des soubrettes.

J’aime la vue, elle aussi, nous nous aimons follement, surtout elle, et ça va bien finir pour nos deux partis, je suis confiant et elle aussi. Sans doute trop mais c’est ses oignons après tout, pas les miens. Moi je ne suis que de passage, à elle de garder ses arrières et protéger son argenterie. Quand les deux cloués jettent l’éponge en même temps, ça fout un blanc que je m’empresse, tout à mes projets pour l’avenir immédiatement proche du présent que nous vivons follement, de rompre.

Quoi, vous étiez donc de mèche ?! Hommes de peu de scrupules ! Et attendre qu’un étranger comme moi arrive pour me coller le méfait sur le dos, c’est pas très très gentilhomme tout ça. Repentez-vous et partez, si vous tenez à vos vies ! Marauds !
Encore, encore ! murmure le bras de la blanche colombe qui serre le mien.

Mais d’encore il n’y a point, les deux bougres se repentent de toute leur existence quand j’arrache de leurs chairs meurtris les bouts de métal et qu’ils peuvent reprendre leur souffle. Quant à partir, ils ne demandent pas leur reste après une malédiction ou deux de ma conjointe du moment. Et ne reparaissez plus jamais devant moi, vous entendez ! Pauvre chat. Encore une phrase qui ne vise que les éventuels journalistes venus jusqu’au fin fond de ce trou presque perdu pour glaner l’info people du moment.

Puis sur ce jugement sans appel des divinités de la chance, du hasard et de l’aléatoire, nous passons aux entrefaites et compromissions, mais là le point de vue externe se prend une porte pudique et pudibonde dans la face quand il cherche à s’approcher de nous. Seuls les murmures sauvages de nos subtilités lui parviennent, depuis à travers un peu toutes les cloisons du cabinet privé de madame, jusques et y compris la porte et son trou de serrure soigneusement occulté par un linge ou un autre, dommage mais on est pas des bêtes. Surtout elle.

Oh Commodore.

Surtout elle, oui.


La suite, c’est la classique, trois jours d’intense négociation avec mon amour-propre plus tard, je brise des cœurs et j’aime pas spécialement ça, alors je les brise sans laisser de note et en prenant la poudre d’escampette dans le placard du salon où y a de la belle vaisselle qui brille mais pas trop. Tu parles… Quand je redescends au bled de l’île voisine refourguer ça parce que sur l’île présente y a pas un pelé qu’aurait assez de thunes pour ce que je crois que ça vaut, y a pas un margoulin sur place pour me la racheter. Y en a même un qui me fait la démo de pourquoi ça vaut rien, en tordant le bitoniau avec ses lèvres sans dents. Du toc, juste du toc… Ce que je comprends pas bien si elle est fauchée c’est pourquoi tout le monde la croit encore richissime et avare, mais les voies de la plèbe sont impénétrables, on va abréger ça comme ça.

En tout cas à l’imaginer, en reprenant les rames vers mon destin formidable, éperdue toujours et transie d’amour malheureux et de froid parce qu’elle sait pas allumer un feu toute seule dans son manoir pour future morte-vivante, j’ai un petit sourire satisfait. Bien fait pour elle. D’ailleurs ça me rappelle d’autres vers qui dans la nuit presque noire me renvoient au début de cette histoire où rien ne se passe. La chanson a rien à voir, à part les chats morts peut être, mais la fin colle bien à la mer d’huile un peu moins sombre que la dernière fois. Juste un regret pour la chtiote rosière abandonnée et pas retrouvée quand me suis barré, qui ferait pas de mal, alanguie là sur le banc vide devant moi. Bah, déjà eu le bourdon, un coup de gnole et ça me pass… Merde, voilà ce que j’ai oublié de trouver. Bon…

And now the rains weep o'er her hall,
with no one there to hear.


Je prends cœur à ce que je dis, on vantera jamais assez les mérites du tambour qui sonne la cadence dans les galères.

Yes now the rains weep o'er her hall,
and not a soul to hear…


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