Lune noire, souffles courts.
D’une ruelle encore grise d’Edge Town, deux individus encagoulés sortent de l’ombre. L’un est gros, imposant. Le tour de ses yeux est lisse et reflète les étoiles comme si sa peau était en caoutchouc. L’autre est plus petit, serait imposant si son compagnon ne faisait pas deux fois sa taille. N’était le couvre-chef qui n’est là que pour faire genre, ils sont trop bien vêtus pour le quartier. Cravate pour l’un, nœud papillon pour l’autre, costumes sombres tous les deux, ils n’ont pas leur place ici.
Pstt. Pstt. Hé !
Moins fort bordel…
Toujours de l’ombre, une main sans corps sort de sous un porche louche auquel sont parvenus les deux endimanchés. Dans la paume, deux papiers qui disparaissent bien vite dans une poche intérieure, puis tout rentre dans l’ordre. Le bras sans corps se replie et disparaît derrière un judas noirci au charbon, les deux silhouettes en costume de soirée quittent la basse ville pour passer dans Town Center puis dans High Town, et enfin arriver à l’entrée du palais où ils sont mieux à leur place.
Jeux de lumière, rires forcés ou non, fumets délicats de la sueur nerveuse des invités levant les bras.
Au garde qui les leur demande, les deux ombres devenus hauts citoyens ordinaires et respectables exhibent de leurs intérieurs en cachemire les cartons d’invitation. Pas suspicieuse pour deux ronds, la sentinelle les laisse passer. Il faudrait être fou pour forger une invitation à la réception donnée en l’honneur du Saint venu tout droit de Marie-Joa pour resserrer une semaine durant les liens avec la famille régnante. Fou ou avide du plus grand des gains. Alors que les couloirs succèdent au hall, quatre pupilles presque lubriques voient, notent et convoitent les splendeurs déployées en l’occasion.
Par là ?
Tête qui se hoche, escaliers qui grimpent et… Et loupé, les voilà en plein dans la salle de bal. Bien vite happés par le tourbillon des traditions érigées en seul bouclier face aux fantaisies imprévisibles d’un saint pour l’instant encore invisible, ils sont séparés, accaparés, discutés par des dizaines de visages qu’ils ne connaissent pas et qui n’appartiennent, bien loin s’en faut, pas vraiment au même cercle social. Mais dans de tels endroits se connaître réellement n’est pas important, l’illusion et le faire-semblant sont maîtresse et maître. Faire croire et croire un peu soi-même pour mieux faire croire aux autres. Oui, nous dirigeons une affaire d’import-export en étroite collaboration avec la Translinéenne de Marc Trans… Ce cher bon Marc, n’est-ce pas… Et vous ? Grande Cuillère en Argent du Prince Héritier ? Comme c’est exquis, et ça consiste en quoi exactem… Oh, mais qui vois-je là-bas, ne serait-ce pas ? Mais si ! Excusez-moi très chère, je dois aller présenter mes homm-
Putain quelle plaie ! T’as quelque chose ? Prends un verre, mec, on te remarquera moins.
Tahar a rejoint Ishii près d’une table où des mets coûtant chacun son salaire mensuel par portion d’une livre feraient saliver n’importe quel agent triple. La marine, le lunetteux de LogueTown, et maintenant la noblesse de l’île de Dawn… Et dire que certains en font leur vie, foutus corbeaux.
Prochains objectifs : sortir de la salle, trouver la clef des caves, trouver les caves, raccorder avec les dizaines de sous-traitants à trop sale gueule pour endosser les rôles dont ils ont écopés, faire diversion, évacuer la came, charger les navires, quitter la ville. La nuit va être longue, et ça c’est seulement pour l’ami cachalot. Lui a bien d’autres raccords à faire, bien d’autres signaux à lancer, et ce sans que ses plus proches alliés du soir ne s’en rendent compte. Dure vie.
Brouhaha, brouhaha, brouhaha.
Eh mer…
Prends un verre, mec, prends un putain de verre. Et fais-toi petit, fais-toi tout petit comme un humain.
Dure ? Qui a dit qu’elle était dure jusqu’à maintenant ? Une piece of cake, que c’était. Mais maintenant que tous les murmures se sont tus, mais maintenant que le rideau là-bas s’ouvre alors que tout le monde, même leurs très excellentes royautés, baisse les yeux en signe de soumission au Dragon maître de céans pour la semaine… Maintenant un nouvel objectif se dessine, plus pressant, plus primal que tous les autres : survivre aux inénarrables tares de cette race dégénérée.
Et décarrer.
D’une ruelle encore grise d’Edge Town, deux individus encagoulés sortent de l’ombre. L’un est gros, imposant. Le tour de ses yeux est lisse et reflète les étoiles comme si sa peau était en caoutchouc. L’autre est plus petit, serait imposant si son compagnon ne faisait pas deux fois sa taille. N’était le couvre-chef qui n’est là que pour faire genre, ils sont trop bien vêtus pour le quartier. Cravate pour l’un, nœud papillon pour l’autre, costumes sombres tous les deux, ils n’ont pas leur place ici.
Pstt. Pstt. Hé !
Moins fort bordel…
Toujours de l’ombre, une main sans corps sort de sous un porche louche auquel sont parvenus les deux endimanchés. Dans la paume, deux papiers qui disparaissent bien vite dans une poche intérieure, puis tout rentre dans l’ordre. Le bras sans corps se replie et disparaît derrière un judas noirci au charbon, les deux silhouettes en costume de soirée quittent la basse ville pour passer dans Town Center puis dans High Town, et enfin arriver à l’entrée du palais où ils sont mieux à leur place.
Jeux de lumière, rires forcés ou non, fumets délicats de la sueur nerveuse des invités levant les bras.
Au garde qui les leur demande, les deux ombres devenus hauts citoyens ordinaires et respectables exhibent de leurs intérieurs en cachemire les cartons d’invitation. Pas suspicieuse pour deux ronds, la sentinelle les laisse passer. Il faudrait être fou pour forger une invitation à la réception donnée en l’honneur du Saint venu tout droit de Marie-Joa pour resserrer une semaine durant les liens avec la famille régnante. Fou ou avide du plus grand des gains. Alors que les couloirs succèdent au hall, quatre pupilles presque lubriques voient, notent et convoitent les splendeurs déployées en l’occasion.
Par là ?
Tête qui se hoche, escaliers qui grimpent et… Et loupé, les voilà en plein dans la salle de bal. Bien vite happés par le tourbillon des traditions érigées en seul bouclier face aux fantaisies imprévisibles d’un saint pour l’instant encore invisible, ils sont séparés, accaparés, discutés par des dizaines de visages qu’ils ne connaissent pas et qui n’appartiennent, bien loin s’en faut, pas vraiment au même cercle social. Mais dans de tels endroits se connaître réellement n’est pas important, l’illusion et le faire-semblant sont maîtresse et maître. Faire croire et croire un peu soi-même pour mieux faire croire aux autres. Oui, nous dirigeons une affaire d’import-export en étroite collaboration avec la Translinéenne de Marc Trans… Ce cher bon Marc, n’est-ce pas… Et vous ? Grande Cuillère en Argent du Prince Héritier ? Comme c’est exquis, et ça consiste en quoi exactem… Oh, mais qui vois-je là-bas, ne serait-ce pas ? Mais si ! Excusez-moi très chère, je dois aller présenter mes homm-
Putain quelle plaie ! T’as quelque chose ? Prends un verre, mec, on te remarquera moins.
Tahar a rejoint Ishii près d’une table où des mets coûtant chacun son salaire mensuel par portion d’une livre feraient saliver n’importe quel agent triple. La marine, le lunetteux de LogueTown, et maintenant la noblesse de l’île de Dawn… Et dire que certains en font leur vie, foutus corbeaux.
Prochains objectifs : sortir de la salle, trouver la clef des caves, trouver les caves, raccorder avec les dizaines de sous-traitants à trop sale gueule pour endosser les rôles dont ils ont écopés, faire diversion, évacuer la came, charger les navires, quitter la ville. La nuit va être longue, et ça c’est seulement pour l’ami cachalot. Lui a bien d’autres raccords à faire, bien d’autres signaux à lancer, et ce sans que ses plus proches alliés du soir ne s’en rendent compte. Dure vie.
Brouhaha, brouhaha, brouhaha.
Eh mer…
Prends un verre, mec, prends un putain de verre. Et fais-toi petit, fais-toi tout petit comme un humain.
Dure ? Qui a dit qu’elle était dure jusqu’à maintenant ? Une piece of cake, que c’était. Mais maintenant que tous les murmures se sont tus, mais maintenant que le rideau là-bas s’ouvre alors que tout le monde, même leurs très excellentes royautés, baisse les yeux en signe de soumission au Dragon maître de céans pour la semaine… Maintenant un nouvel objectif se dessine, plus pressant, plus primal que tous les autres : survivre aux inénarrables tares de cette race dégénérée.
Et décarrer.