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[U]n poing. Mais un mot avant.

La longue moustache du monstre n'est à cette époque qu'un fin duvet, quant à son oreille meurtrie, elle est encore immondément grosse et intacte. Mais rien n'empêche, le monstre fait déjà peur. Lorsqu'il sort son horrible face des entrailles, les gens s'effraient. Crient. Fuient.

Mais lui, jeune et horrible créature, fait déjà fit. Ses longues et lourdes jambes le promènent là où les regards de haine sont les mêmes pour chaque être. Là où la laideur est partout. Le crime. Le sang. La drogue et le sexe. Mais pas pour lui, oh non. Rien que la violence et le sang. Sa grosse carcasse s'avance lentement dans une ruelle mal éclairée remplie d'une odeur immonde d' excréments, de pourriture, de transpiration et de moisissure. Là, dans un coin, caché entre deux poubelles débordant depuis plusieurs semaines de déchets, un homme se cache. Le visage enfoui sous une casquette, les bras cachés dans de larges poches, le cul sur un carton, l'homme attend. Son vieux haut de laine tout sali vient cacher le revolver six coups bloqué à la ceinture.

Mais ça, le monstre se fiche.

_Hmm... quelque chose pour moi ?

Le monstre a compris. Il a compris qu'ici, chaque mot est un danger, que les phrases courtes sont les préférées. Que les discussions inutiles sont intolérables. Que les preuves sont détruites. Alors lorsque la bête saisit le minuscule papier griffonné tendu vers lui et que ses minuscules yeux finissent de lire l'écriture difforme, l’allumette se frotte. Le feu s'éclaire.

Et la feuille brûle.

La main se retend et l'enveloppe s’empoche. L'avance.

Puis ses pas lui font quitter cet endroit, cette ruelle mal éclairée, protégée du soleil par les immenses bâtiments défraîchis qui la surplombent de chaque côté. Ces immenses murs de pierres qui font qu'à toute heure, ici, c'est la nuit.

Continuant sa route comme si de rien, longeant la longue et étroite allée jusqu'à enfin ré apercevoir la lumière, le monstre bourre sa tête dans son col, replie ses jambes, contorsionne ses épaules comme pour paraître plus petit. Plus homme. Mais rien y fait les gens s'écartent, fuient.

Sa route continue ainsi jusqu'au grand Hôtel Byubay. Sa longue carcasse se plie pour passer entre les deux montants de la porte pourtant loin d'être petie. Son gros nez se rétrousse à enfin sentir du propre et alors que ses pieds s'essuient sur le paillasson tout luisant, c'est sa grosse voix grave qui vient le présenter.

_Hmmm... Yumen ?

_Cha...Chambre 404...

Les étages se montent. Les gens se cachent, et la porte se toque. Pour faire apparaître un homme. Immense. A la carcasse boursouflée de muscle, à la longue tignasse blonde et au regard froid de celui qui frappe avant de parler. Mais le monstre, lui, ne recule pas loin de là, car c'est toujours lui le plus grand. Le plus terrifiant.

_Yumen ? Hmm... Ishii Môsh. Je tiens à vous inviter. Chez moi. Demain soir. Voici mon adresse.

Et le monstre repart. Comme il est venu.
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Elle était là, collée à la fenêtre en regardant le monde passait sous ses yeux. Des yeux d’enfants, des yeux émerveillés par ce qu’ils voyaient. Curieux et plein de questions sur cette terre. Yumen la fixa un instant, alors qu’elle grimpait sur le rebord en bois en se collant la joue contre la vitre froide, pour mieux admirer. Elle voulait être au plus proche, elle voulait en apprendre plus. Mais il ne savait pas comment lui donner tout ça. Il ne l’avait jamais vu ainsi, jamais de cette manière. Elle s’extasiait à chaque fois de ce qu’il pouvait lui ramener de voyage, et pour le coup, il ne regrettait pas de l’avoir mise dans ses valises en partant cette fois-ci. Son air émerveillé valait bien toutes les merveilles du monde. Et ça, pour un gros rustre comme lui, c’était dur à admettre.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? Hurla-t-elle en désignant du doigt un objet quelconque dans la rue. Oh ! Et ça ? Yumen ! Il y a un chien ! Je n’en avais jamais vu des comme ça ! »

Il voulut la calmer, mais ça aurait été difficile de faire redescendre une fille comme elle de son nuage. Alors, il resta silencieux et attendit en la regardant toujours. Et puis, l’on frappa à la porte. La Gamine se retourna, les yeux brillant d’une malice adorable. Elle voulut se précipiter à la porte, comme elle le faisait dans la vieille maison où il vivait. Mais l’homme l’arrêta d’un geste de main. Il mit son doigt sur sa bouche pour l’intimer à se taire et à ne pas faire de bruit. Elle hocha la tête, les yeux ronds de curiosité, les lèvres retroussées et impatientes. Alors, il ouvrit la porte et se mit devant, pour faire face à un drole de type. La Gamine devina sa silhouette. Elle alla jusqu’aux jambes de son père adoptif et regarda. Elle n’était pas bien grande, passant facilement entre celles-ci. Et, d’en bas, elle vit cet homme immense, musclé, avec un visage si bizarre ; elle le dévisagea sans qu’il ne la remarque, toujours caché derrière les cuisses de Yumen. Mais la rencontre fut d’une brièveté désarçonnante, l’homme tendit un papier ou était noté quelque chose, puis dit :

« Yumen ? Hmm... Ishii Môsh. Je tiens à vous inviter. Chez moi. Demain soir. Voici mon adresse. »

Il tourna les talons. Elle s’éclipsa dans le centre de la pièce, regardant son père avec les yeux toujours aussi ronds. Jamais, elle n’avait vu un homme comme lui. Et cet homme n’était pas un homme.

« Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qu’il veut ? Demanda-t-elle avec la voix tremblante d’impatience. »

Yumen, comme toute réponse, haussa les épaules.

« Je… je pourrais venir avec vous ? »

Et là, il hocha la tête, lui répondant par l’affirmative.

*

La nuit tombée, le lendemain, comme prévu. La Gamine restait près des jambes de son père, avançant à un rythme soutenu. Yumen était grand, il avalait la distance sans peine. Elle, plus petite, plus chétive, moins endurante, avait plus de mal à suivre la cadence en restant près de lui. Le jour les avait quittés quelques heures auparavant, donnant un autre aspect à la ville de Logue Town. Ses yeux s’aventuraient partout, encore une fois, terrifiée et totalement captivée en même temps. Elle ne savait plus où donner de la tête. Ni quoi dire. Ni quoi faire. Yumen la rappelait à l’ordre de temps en temps, pour ne pas la perdre. Mais elle était complètement dépaysée, comme dans un rêve. Il fit un petit sourire, observant son comportement avec un intérêt particulier.

Puis, ils arrivèrent rapidement à l’adresse donnée. Yumen avertit la Gamine : Pas un bruit, pas un mot. Laisser parler les grands. Elle fit « oui » de la tête, les yeux ronds et impatients de revoir ce grand bonhomme de la veille. Il tapa fort sur la porte, si fort qu’elle crut que les gonds allaient sauter. Il n’en fut rien, et rapidement, le grand homme à la tête si bizarre vint leurs ouvrir. Yumen baissa la tête pour rentrer, Lilou sur ses talons avec une discrétion à toute épreuve. Son père se planta au milieu de la pièce et fixa son interlocuteur sans piper mot. La gamine le suivit. Elle, plus timide, aux aguets d’un quelconque quelque chose, fixa toute son attention sur ce grand homme.

Tellement plus petite, elle était prête à s’en faire tomber la tête, rien que pour le regarder. Et puis, tirant sur le manteau de son père, elle chuchota assez fort pour que les deux entendent :

« Il ressemble à un gros animal qu’on voit au fond de l’eau. Comme dans le livre que vous m’avez ramené. Mais je ne comprends pas… S’il ressemble à un animal de la mer… Comment qu’il fait pour parler et pour respirer, alors ? »

Yumen n’était pas du genre à s’enquiquiner avec des politesses, ni avec la bienséance usuelle. Il fit un bref signe à la gamine, signifiant qu’il n’en savait rien, et reporta son attention vers l’homme :

« Bon, qu’est-ce que tu veux, Ishii Môsh ? »
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La veille, le Monstre était parti sans mot dire. Perturbé. Son immense et lisse crâne s'était fait gratté par ses aussi grandes mains noirâtres. Sa démarche s'était presque faite boiteuse et tout son esprit s'était posé la même question.

Que fait un si petit enfant ici ? Au milieu de ces crapules ?

Mais la réponse n'est pas venu, la nuit a coulé son grand drap étoilé et le jour s'est levé. Pour commencer comme les autres.

___

La porte cogne. Trois coups de sommations brutaux auxquels le Monstre répond le plus délicatement possible. Un gros tablier blanc encercle sa taille donnant à son corps déjà laid un air risible à souhait. Sans plus qu'un salut à peine aimable aux invités, le cachalot retourne dans sa minuscule cuisine.

Car ici l'éléphant est au pays de porcelaine. Sa maison n'est qu'une petite pièce, pas plus grande qu'un vingtaine de mètres carrés et son immense carcasse doit se voûter pour ne pas se cogner au plafond. Un lit, une table et quatre chaises. Un four, un placard et un évier. Voilà le mobilier.

« Bon, qu’est-ce que tu veux, Ishii Môsh ? »

Yumen balance ça, de sa grosse voix caverneuse. Le monstre répond par un mouvement de bras comme pour les inviter à rentrer, un mouvement ample suivi d'une grimace qui se veut sourire. Mais qui restera grimace pour les deux inconnus.

« Hmm... Asseyez vous... Asseyez vous... J'ai prévu une assiette pour l'enfant... J’espère que vous ne m'en voudrez pas... Et si vous pouviez fermer la porte, les courants d'air vont faire tomber mon flan d'algues.»

Sans même attendre de réponse, le Grand Monstre retourne à son immense poêle où cuisent d'étranges mets verdâtres à l'odeur de fruits de mer plus qu'étranges. Tout concentré par sa préparation il ne remarque pas la curiosité enfantine de Lilou, la moue dubitative du géant blond, les deux chaises qui se raclent sur le sol de carrelage incroyablement blanc. Puis le feu s'éteint. La poêle se saisit, le repas se sert et le silence s'installe. Alors à ce moment, où le Monstre est assis depuis quelques secondes, les mains jointes et les yeux fermés. Ce moment où il les ré ouvre et observe ces hôtes. La réponse est donnée.

« Lorsque je combats quelqu'un pour de l'argent. Hmm... Lorsque mon poings vole vers son visage, j'aime savoir à qui j'ai affaire. Voilà pourquoi je t'ai invité. »

L'invité bronche, la fillette lance son regard de chaque côté comme pour comprendre. Ce qu'il se passe. Ce qu'il va se passer.

« Hmm... Tu ne m'as pas l'air d'un grand bavard, mais ce n'est rien. Je veux juste savoir. Pourquoi ce travail ? Tu ne m'as pas l'air bête. Hmm...Tu dois savoir te servir de tes deux mains pour autre chose que frapper. Alors pourquoi ? »
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« Hinhin, il est mignon. »

Yumen dit cela en tirant une cigarette de son paquet. Il la porta à ses lèvres et l’alluma, ne lâchant pas son futur adversaire du regard. Elle trouva sa déclaration absurde, car à bien regarder le dénommé Ishii Môsh, à ce qu’elle avait compris, était loin d’être foncièrement mignon. Elle le trouvait difforme, disproportionné, sérieusement bizarre. Jamais, dans sa courte vie, elle n’avait eu l’occasion de voir ça. Jamais. Même pas dans les quelques bouquins qu’elle avait feuilleté pour le plaisir, les dévorant en quelques heures. Le souci, c’est qu’il parlait. Donc, il était humain. Mais il ne ressemblait pas à un humain, plutôt à un poisson. Et qu’importait comment elle prenait la chose : pour elle, les poissons, ça ne parlait pas. Elle n’arrivait pas à s’y faire, d’autant plus de le voir aussi sympathique, avenant et accueillant. Elle le remercia à mi-voix lorsqu’il lui servit son plat, sans jamais pourtant pouvoir le quitter des yeux. Elle n’écoutait qu’à peine ce qu’ils se disaient, trop fascinée par ce qu’elle voyait en face. Ishii Môsh était un gars bizarre.

« Tu veux savoir à qui t’as à faire ? T’as en face un mec qu’aime bien flanquer des dérouillées à des types comme toi, pour le plaisir. Et pour l’argent. Et si j’ai fait le voyage jusqu’à Logue Town, c’est pas pour jouer à la dinette. »

Il l’a sorti de sa torpeur en déclarant la chose. Et les connections se refirent progressivement dans son cerveau. Dérouillée ? Pourquoi parlait-il de « dérouillée » ? D’ailleurs, pourquoi est-ce qu’Ishii Môsh avait dit « lorsque mon poing vole vers son visage » ? Et qu’est-ce que c’était qu’un « flan d’algues » ? Pouvait-on sérieusement faire des flans avec de l’algue ? Mais l’algue, ça ne se mangeait pas ! La Gamine se perdait en questionnement, incapable de comprendre le comment qu’on pouvait manger des algues. Mais enfin, elle revint au sujet principal, à savoir qu’Ishii Môsh et Yumen allaient probablement se taper dessus, sans raisons particulières. Elle fronça les sourcils, cherchant une réponse dans le regard de son paternel. Mais celui-ci ne quittait pas des yeux son adversaire du prochain soir, ajoutant d’une voix grave :

« Je pige pas c’que tu cherches, toi. Mais un jour, tu vas t’attirer des emmerdes. Quand tu tapes, pas besoin de faire dans le sentiment. Pas besoin de savoir pourquoi l’autre tape. Y’a rien d’autres à comprendre que deux mecs qui se mettent sur la gueule. Et le reste, t’en as rien à cirer. Conseil de pas-ami : Abandonne le repas avant, ça branche personne de taper la discut’ avec un phoque. »

Il tira sur sa cigarette, baissant les yeux vers le repas qu’on lui avait généreusement servi. Les mots de Yumen étaient durs. Et comme toutes réponses, la Gamine prit sa fourchette et la planta dans mon assiette, faisant un grand sourire à son hôte, pour lui remonter le moral. Avalant sa bouchée, elle n’en apprécia pas le gout mais fit mine que si. Yumen se leva, poussant sa chaise, manquant de se cogner contre le plafond trop bas pour les deux hommes de la pièce. Il fit demi-tour et se dirigea vers la porte, près à partir.

« Merci pour la perte de temps. Gamine, ramène-toi. »

La Gamine fit un sourire et se leva à son tour. Son père prit de l’avance, s’enfonça dans la nuit noire. Elle, elle resta un instant plantée devant la porte, regardant son vis-à-vis avec toujours autant de curiosité. Elle ne savait pas quoi lui dire, ni par quoi commencer. Merci pour le repas ? Votre maison est très jolie ? C’était bon, j’ai bien mangé, même si je mens très mal ? Non, les yeux ronds et pétillants, les mains dans le dos en se balançant doucement sur ses appuis, elle lui demanda d’une voix claire :

« Vous êtes quoi, vous ? Et pourquoi vous allez vous taper avec Yumen ? Vous avez parlé d’argents… Mais pourquoi vous vous tapez dessus pour de l’argent ? Y’a vraiment des gens qui sont payés à se cogner et à faire mal ? »

Elle ne comprenait pas le monde des adultes. Il y avait quelque chose pour elle, et pour son esprit encore jeune, qui n’avait pas de sens. Payer pour subir la douleur. Elle qui la connaissait mieux que personne, elle ne comprenait pas. Un pincement au cœur, et parce qu’elle était autant fascinée par son interlocuteur que par son père, elle n’avait pas envie que ces deux hommes se battent, surtout pour de l’argent. Elle savait que Yumen et elle en avaient besoin pour acheter une pièce spécifique pour le robot qu’ils construisaient ensemble, mais de là à devoir en arriver à se faire mal, elle était prête à changer ses plans pour les épargner. La Gamine était pourtant capable de comprendre plein de choses. Lorsque l’on parlait de douleur et de violence, mieux que les autres. Mais le concept même de cette idée lui semblait totalement absurde, il lui fallait vérifier. Elle l’écouta avec toute l’attention du monde…

Pendant un moment.

Mais le temps pressait, et Yumen, de sa grosse voix autoritaire, la rappela vite à l’ordre.



Dernière édition par Lilou B. Jacob le Lun 26 Nov 2012 - 23:33, édité 1 fois
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Tout immobile, le grand monstre observe les grands yeux curieux de la toute petite enfant. La barbe hirsute et le regard presque haineux de ce qui ressemble à un père. Les plats verdâtres encore pleins. Son repas gâché et la porte qui claque. Dans un grand BAM mais l'instinct animal agit et l'immense main vient se perdre sur la poignée. C'est pourtant le genre de moment où le monstre décide d'habitude de s’asseoir sur l'une des chaises et de fumer un long cigare. Éteindre son cerveau pour oublier sa vie. Les combats sanglants, les vols. L'illégal et le racisme. L'incompris. Mais là, la poignée s'ouvre et les yeux plats avec. Pour voir ce qu'il ne voulait pas voir. Le grand Yumen est encore plus nerveux, presque immobile avec la main sur le paumeau d'un couteau à la ceinture. Ses lèvres tremblent. L'énervement et la haine sont si visibles qu'ils effraient presque le monstre, mais ce qui l'effraie le plus, c'est ce qu'il voit en tournant la tête sur le coté gauche de la porte. trois paires d'yeux sont braquées sur lui. Celui de la pauvre gosse dont des larmes commencent à perler le long des joues. Et deux autres. Un gros homme, bide à bière et crane chauve, qui dépasse allègrement le mètre quatre vingt; un autre plus chétif, la tête enfouie sous une cagoule qui ne cache rien; et avec une lamelle, qui finit sous le cou de la gosse. Ils étaient là pour Ishii.

La gosse était au mauvais endroit, au mauvais moment.

_Hmm... On règle ça comment?

Mais l'Ishii n'a pas le temps et à peine sa phrase se termine qu'un couteau vole vers sa gueule. Violemment. Sa carcasse sa cramponne et gicle sur le coté. La lame passe à gauche. La gosse va pour se faire tailler le cou par le plus gros mais le poing du Yumen est plus rapide et vient s'écraser entre les yeux du méchant ne s'y attendant pas. Pendant ce temps, le plus gringalet fonce déjà vers le monstre avec en main, un cran d'arrêt. Ses gestes sont rapides. Trop. La poiscaille ne peut éviter le premier coup qui vole, dans son abdomen. Mais son pas entamé en arrière le sauve et l'entaille se fait peu profonde; alors la bête va pour réagir; mais encore une fois elle n'est pas assez rapide. Yumen s'en est déjà occupé. Son poing a resurgi et encore frappé. Aussi fort, aussi vite et aussi efficace que la première fois. C'est déjà fini. Alors l'Ishii panique. Un peu.

_Hmm... La petite va bien?

Il pose la question mais déjà, sa main a saisi le plus gros des hommes et l'emmène à l'interieur de l'appartement. Il le pose sur une chaise avant de partir dans la cuisine, ouvrir un placard, y trouver un rouleau et corde, et revenir attacher le bougre qui n'avait pas compris à qui il avait à faire. Un sceau d'eau se vide sur sa tête. Manière rapide, permettant de refroidir tout son corps, et donc de bloquer en partie la reflexion.

_Hmm... Qui vous envoie?
_ Ta mère !
PAF. Une première claque vole.
_Je répète... Qui t'envoie.
Comme seule réponse, le gros homme crache à la gueule du monstre. Les choses sont dites.
_Je n'aime vraiment pas ce que je vais faire.

Une demi heure plus tard. Bien des cris et des agonies et des injures après le crachat, le monstre apprendra où l'histoire continue. La carcasse sanguinolente du gros homme s'effondrera sur le parquet plus tout à fait blanc du monstre et son ami le gringalet mourra d'une balle entre les deux yeux.

Les deux bouts d'homme finiront dans un trou et leurs noms se feront rayer d'une vie qui ne les aura que peu connue.


Dernière édition par Ishii Môsh le Mar 27 Nov 2012 - 23:11, édité 2 fois
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Yumen était en colère.

Mais pas en colère comme d’habitude. C’était une autre forme de rage que la Gamine n’avait jamais eu l’occasion de voir avant. Elle essuya ses larmes d’un revers de main, ravalant péniblement la peur qui l’avait tenue au ventre. Elle fit disparaitre par la même occasion les quelques gouttes de sang qui avait giclées sur son front lors qu’un coup de poing un peu trop fort. Et puis, elle observa Yumen qui s’était plongé dans un mutisme violent. Silence qui lui fit froid dans le dos. Elle avait peur, à présent, qu’il ne soit en colère contre elle. Crainte enfantine, mais qui l’avait tant fait souffrir l’an passé.
Après toutes ses émotions, les liaisons ne se faisaient plus vraiment dans son cerveau, elle avait du mal à voir ce qui se tramait. La violence était presque insignifiante dans son esprit, comme les cris et les coups, car elle était dans une transe, la plongeant dans un état secondaire très étrange pour celui qui pouvait la regarder. Yumen l’avait remarqué, mais n’avait pas osé prendre les devants pour la rassurer. Il ne savait pas comment faire. Après tout, lui était trop en colère pour savoir la détendre. Il avait du mal à faire avec ses propres sentiments, il n’avait donc pas la capacité de s’encombrer de ceux d’une gamine.
Lorsque le carnage fut fini, qu’Ishii repassa la porte après une bonne heure sans que le père adoptif et la gamine n’aient bougé de devant chez lui, Yumen attrapa le monstre par le col de sa chemise avant de le plaquer contre le mur de sa petite maison. Ses sourcils et ses traits étaient marqués par la colère. Sur ses poings restaient le sang séché d’un de ses adversaires, sang toujours visible sur ses phalanges. En réalité, il ne savait pas quoi dire. Encore moins comment le menacer. Mais il était tellement en colère qu’il lui fallait réagir.

« La prochaine fois… Je te jure que je te tue, espèce de… »

Yumen fut interrompu en sentant une pression sur sa cuisse. La gamine s’était relevée pour l’empêcher de faire du mal. Il s’arrêta net en la regardant vaguement, lâchant avec un dédain marqué le grand monstre. Il songea qu’elle devait être fatiguée, qu’il était temps de rentrer pour tous les deux, mais surtout, de ne plus revoir le grand Môsh avant le lendemain.

Et ensuite, ne plus jamais recroiser sa route.

« Mh. On se voit plus tard. »

Il dit cela d’une voix grave et froide, avant de tourner les talons, une certaine crainte en tête. Il avait peur que la même scène de tantôt ne recommence, que ça se termine mal, cette-fois. Il dut se rendre à l’évidence : ses agresseurs ne lui feraient plus rien. Il attrapa l’enfant par l’épaule et l’obligea ainsi à le suivre, à ne surtout pas s’attarder plus longtemps avec l’homme-poisson. Cette dernière retourna la tête pour voir l’autre monstre et le saluai d’un petit signe de main. Ses yeux rougis passaient inaperçu dans la nuit sombre.

Une fois plus loin, elle demanda à son père :

« On le reverra bientôt ?
- Mh.
- J’aimerai bien gouter le flan d’algues.
- Demain. »
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Deux trous béants ont été creusés. Loin par delà la campagne de Logue Town au milieu d'un champs de terre. Sans croix ni rien. Juste deux amas de boue où les corps se feront manger par les fourmis et bouffer par la pourriture. Le costume tout sali du monstre se fait violement frotter par ses grosses mains avant que celles cis ne viennent se perdre sur son noeud papillon. Et qu'il ne se remette en place. Le monstre repart alors comme il est venu, avec juste deux corps en moins à porter. Sa pelle boueuse se laisse aller sur son épaule à remuer au gré des pas le ramenant chez lui. Le chemin de terre, puis les pavés.

Au dessus, le ciel rosé se laisse peu à peu engloutir par le grand drap étoilé. Alors le monstre se dit qu'il est temps. De coucher son gros corps sur un matelas et d'attendre le lendemain.

---
Le nez du monstre se fait reveiller. Une drôle d'odeur. Piquante, nauséabonde qui envahit toute la pièce. Les yeux plats s'ouvrent, ses mains toutes endolories par le sommeil tatent sur la gauche du lit, pour enfin trouver la boite d'allumette. Puis la lampe. Et c'est là que tout s'éclaire. Le sang d'hier. Coagulé. Bouffé par les mouches. Sucé par les insectes. Son carrelage rougi. Sa chaise tailladée.

_Hmm... Et merde...

Alors le grand monstre lève son lourd corps. Ouvre les fenêtres, fait chauffer l'eau et lorsqu'enfin son carrelage retrouve une blancheur opaque, l'odeur de savon fait place à celle du sang, le soleil est déjà bien haut. Il est l'heure.

La porte claque. La veste se met et les manches retroussées recouvrent de nouveau les avants bras musclés. Il fait beau ce jour là. Les quelques cotons blancs se laissent bronzer par les rayons. Même la ruelle d'habitude si sombre se laisse aller à s'éclairer. Les sacs de déchets encombrant le chemin, chauffés par le soleil, délectent leur sale odeur dans toute la rue. Les quelques badauds toujours occupés à leurs mauvaises affaires, peu habitués à tant de lumière, protègent leurs yeux du mieux qu'ils peuvent. Le jeune rasta avec ses dreadlocks arrivant aux fesses porte de vieilles lunettes de soleil toutes rayées.

Mais l'Ishii n'y fais pas attention. Il continue sa route. Traverse les endroits mal famés. Ne réagit pas aux appels d'offre. Aux couteaux tirés comme mise en garde. Aux gueules qui se ferment sur son passage. Il passe la Rue Desjoies, les femmes ouvrant leurs manteaux, aux autres qu'il répugne. Il coupe par devant le vieux fleuriste avec son mégot toujours éteint au coin des lèvres. Puis l'Hotel Buybay apparaît. Puis la chambre 404. Son poing toque. La gueule énervée ouvre.

_Hmm... Je crois que je vous dois des excuses... Pour hier... Je vais chercher les responsables. J'ai pensé que vous pourriez vouloir venir avec moi. On ne traumatise pas un enfant sans en payer les conséquences. Nous avons quatre heure avant le combat.

L'offre est faite. Reste à Yumen d'accepter ou non. La miss apparaît alors, son minuscule visage interrogateur venant perdre ses yeux dans ceux du monstre.
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Il ne savait pas quoi lui dire. Ni par quoi commencer. Evidemment, il désirait par-dessus tout lui coller son poing sur le coin de la figure. Par simple colère. Par simple envie. Mais il ne le ferait pas. Il sentait la petite main de la Gamine se pressait sur son genou, toute proche et accrochée à lui, méfiante mais curieuse, pour voir le type qui lui faisait face, pour voir à qui elle avait à faire. Elle fit un sourire en voyant le monstre devant sa porte, un sourire bienveillant et doux, comme elle lui donnait lorsqu’il partait des jours entiers. Il la repoussa de sa grande main, la faisant s’écarter du chemin, puis, il invita l’homme-poisson à entrer dans cette chambre.

Quatre heures.

Quatre heures avant qu’il n’ait officiellement le droit de lui bourrer la tronche. Quatre heures durant lesquels il avait fermement l’intention de démêler tout ce bordel. Enfin, non. Il hésitait. Intérieurement, il n’était pas sûr de vouloir savoir. Après tout, ils ne devaient rester que quelques jours. Après le combat,… après la victoire, il n’y aurait plus de trace de la Gamine, ou même de lui. Pourtant, une fureur monstrueuse frappée à ses tempes, monstrueuse et destructrice, qui n’attendait que le moment M pour se déchaîner. Il regardait droit devant lui, toujours, puis droit dans les yeux de son vis-à-vis qu’il fixait avec un mépris profond et marqué. Il ne pouvait lâcher prise, il ne pouvait se permettre de se détourner de lui un seul instant. Il craignait par-dessus tout que ses yeux ne se posent sur l’égratignure dans le cou de l’enfant, qu’il avait pris la peine de soigner en rentrant la veille. Et cette simple vision suffisait pour le refaire sortir de ses gonds, ruminer, ruminer, encore et toujours, jusqu’à finir par se créer soi-même un ulcère de la taille d’un ballon de foot.

La Gamine s’installa sur son lit, fraichement fait, juste en face d’Ishii Môsh. Elle le regardait de ses grands yeux noisette, assez contente de le revoir. Il ne comprenait pas pourquoi elle s’était prise d’affection pour ce type. Peut-être parce qu’elle n’en savait pas assez pour se rendre compte de qui elle avait en face.
Ishii Môsh.
Une petite frappe montante sur les mers de l’Est, travaillant plus ou moins dans le coin et dans plusieurs domaines. Alcool, cambriolage, combats illégaux. Le tableau n’était pas des plus beaux, mais Yumen ne pouvait se permettre de juger. Il n’était pas mieux. Ça… Non. Il avait plus de sang sur les mains que n’importe qui d’autre, le sang de sa propre chair, de sa propre vie, qu’il avait pris soin de détruire dix ans auparavant. Il avait aussi celui de la Gamine. Quelques éclats. Mais surtout des os brisés. Alors, oui, il ne pouvait pas juger, encore moins souligner à la rouquine que le type qu’elle avait en face n’était qu’une foutue raclure. De toute évidence, s’il était cette foutue raclure comme il préférait se le dire, Yumen ne valait pas plus.

« On a un ennemi commun. »

Il lâcha ça, comme une évidence. Qui n’était pas aussi évidente qu’il le pensait lorsqu’on n’avait pas toutes les informations. Il avait réfléchit une bonne partie de la nuit pour comprendre les motifs de l’agression. Racisme, envie, paris truqués. Puis, il s’était dit que, peut-être, Ishii Môsh n’était qu’un dégât collatéral. Ou peut-être qu’ils en avaient après eux deux. Que pour l’atteindre lui, il fallait passer par le Cachalot. Il s’était levé, dévalé les escaliers, et avait joint l’un de ses collègues : Jörge. Presque un ami, pour lui. Que la Gamine aimait bien aussi, principalement parce qu’il était petit. Très petit. Et même si pète-sec, bonne âme. Malin. Intelligent. Rusé. Bref, un type qu’il vaut mieux avec soi que contre soi. Bien sûr, un de ceux qui en savent plus que ce qu’il devrait. Et un nom était sorti du lot :

« Vassilii Tchempo. »

La déclaration résonna dans la pièce silencieuse. Mais très vite, le calme s’interrompit quand la Gamine demanda spontanément de sa petite voix d’enfant « C’est qui ? ». Yumen l’ignora, reprenant aussi tôt :

« J’ai refusé une de ses propositions, y’a pas mal de temps, j’lui ai aussi écrasé mon mégot sur le coin de sa sale gueule. L’a pas apprécié. Et toi… T’empiètes sur ses plates-bandes. »

En parlant de mégot, Yumen attrapa une cigarette dans le paquet sur la table. Il la mit entre ses lèvres et l’alluma :

« Vassilii a commandité tout ça. Mais Vassilii, l’est pas là pour ramasser les claques. Par contre, il a des copains. Qu’apprécient pas forcément qu’on crible de plomb leurs frères, ou leurs cousins. Et qui seront là, ce soir.
- ça veut dire quoi « commanditer » ? »

L’Homme affichait un rictus méprisant. Il ignora encore la jeune fille, qui, sans réponse, retourna sans se vexer à ses affaires. Affaire qui était de fixer l’invité avec des yeux toujours aussi ronds et un sourire. Elle songeait. A pas grand-chose d’intéressant, mais elle songeait que les Hommes-poissons étaient bien étranges, mais bien amusants. Et puis, elle se demanda si les Femmes-poissons existaient. Elle garda la question en mémoire, ne manquerait pas de la poser à Ishii lorsque le moment serait venu.
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« Vassilii Tchempo. » 

Le nom se fait un espace dans l’esprit du Monstre, dans ses souvenirs, dans les échanges faits avec d'autres gens qu'il n'est pas bon de connaître. Il sonne comme un mot interdit, défendu, intouchable. Il sonne surtout comme un vengeance impossible. Mais les sentiments, ici, n'ont aucune place. Le Monstre ne veut pas se venger, ne veut en rien faire payer les crimes commis car il sait, que lui même en a fait de trop. Non, il veut juste faire comprendre à ces hommes d'en haut tout bien costumés, tout grands et richissimes qu'on ne touche pas à Ishii.

Cette ruelle lugubre, ces vendeurs d'interdits, promoteurs de violences, le Monstre sait qu'ils n'attendent qu'une chose, qu'un seul faux pas pour pouvoir l'égorger, lui voler le peu qu'il a amassé, la minuscule place qu'il s'est créée. Et cette faute se fera si l’Étranger ne réagit pas. S'il ne rend pas ce que l'on a tenté de lui faire. Et ça, le grand Yumen doit aussi bien le savoir que lui. Ce grand Yumen si arrogant, si sur de lui, doit savoir autant de choses que lui sur ce milieu de la pègre où la moindre erreur se paye par la mort.

Alors un papier se fait sortir de son veston. Dessus, une adresse. Les derniers mots du gros homme d'hier soir qui pourrit maintenant dans la terre.

« Vassilii a commandité tout ça. Mais Vassilii, l’est pas là pour ramasser les claques. Par contre, il a des copains. Qu’apprécient pas forcément qu’on crible de plomb leurs frères, ou leurs cousins. Et qui seront là, ce soir. »

« Hmm... Je ne veux pas les voir ce soir. Je veux les voir maintenant. »

Comme pour illustrer ses propos, il tend son immense et grosse main noirâtre avec le papier vers celles aussi imposantes de Yumen.

« Si tu ne veux pas venir, tant pis. Moi j'y vais. Hmm... »

Le monstre n'en dit pas plus. Observe de ses deux minuscules yeux, renifle bruyamment comme pour sentir la réponse du monstrueux Yumen. Le regard de la petite se perd entre le calme de l'étrange inconnu et la colère à peine maîtrisée de ce qui doit lui servir de père.

« Commanditer Hmm... C'est un peu comme organiser... »

Sur ces mots, le monstre recule d'un pas, tourne le dos et repart de cet endroit trop riche pour lui. Au profit d'une rue plus petite, plus lugubre. Plus dangereuse.

3 Rue de la Fin.

Une rue portant bien son nom.


Dernière édition par Ishii Môsh le Mar 14 Mai 2013 - 20:15, édité 1 fois
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« Parfait, faisons comme ça. »

Ishii tourna les talons et sortit de la pièce. Yumen n’eut même pas le temps de saluer, de signer ce bref contrat. Lilou regardait toujours, calme, assise, ses petites jambes se balançant dans le vide. L’ingénieur suivit les traces de l’homme poisson, ne daignant pas adresser un regard à sa fille adoptive. En réalité, il n’aimait pas ça. Il n’aimait pas se précipiter dans la gueule du loup. Il ne savait pas sur quoi il allait tomber. Il n’avait pas peur, non. Un homme comme lui n’avait peur de rien. Il était juste… méfiant.

« Je peux venir ? »

La rouquine se releva en sautant sur ses deux jambes, à la suite de son propriétaire légitime. Celui-ci la fixa, soupira un coup, avant de se passer la main sur le visage :

« Non.
- Mais… Je…
- Non.
- Sur le chemin, il y a une boutique de pièces détachées !
- Nous n’avons pas d’argent, gamine…
- Mais si Ishii Môsh est là, ils nous feront des réductions ! »

Il fronça les sourcils, cherchant la logique de cette association d’idées. Un soupir plus tard, il se souvint de la liste qui les attendait… Il y pensait. A la liste. Aux pièces détachées. Une liste longue comme son bras, plus grande que sa propre gosse. Il s’amusait de voir la rouquine tenir la liste et rayer les pièces qu’ils avaient. Pour s’en amuser encore, il haussa les épaules :

« Ok, viens. »

Elle se rua vers la valise la plus proche et sortit une très longue feuille qu’elle roula difficilement avant de la glisser sous son bras. Elle sautilla ensuite vers l’extérieur pour rattraper l’homme poisson qui avançait d’un pas lent et lourd. Elle arriva très vite à son niveau, le bouscula pour attirer son attention. Elle lui fit un grand sourire, sans savoir s’il pouvait le voir ou non, croisant les bras dans son dos en gardant fièrement cette très longue liste qui l'encombrait plus qu'autre chose. Yumen la suivait de près, tirant une cigarette de son paquet pour se l’allumer :

« Vous avez vu ! Moi aussi je viens ! Vous m’aiderez après, dites ? Vous êtes grand ! Vous pourrez faire en sorte que les marchands ne me demandent pas trop cher pour les pièces que je veux ! Vous avez vu ce chat ! Il est tout mignon ! Ah... Et vous savez, je construis un énorme robot avec Lui ! On a besoin de beaucoup de choses, c’est pour ça qu’on est à Logue Town ! Et si Yumen gagne ce soir, on pourra tout acheter et continuer à le construire ! Il est trèèèèès grand ! 3 Rue de la Fin ? Ce n’est pas très joyeux comme nom. Et donc, je disais, il est très grand, plus grand que vous un peu ! Mais pas aussi balaise, la structure n’est pas encore recouverte ! Vous savez ce que c’est qu’une structure ? C’est comme la peau ! C’est mon médecin qui me l’a dit ! Et on a pensé que…
- Gamine, tu vas te taire.
- D’accord, mais vous m’aiderez, hein, vous m’aiderez ? »

Sans avoir le temps d’écouter sa réponse, Yumen vint jusqu’à elle, l’attrapa par les flancs et la hissa sur un muret pour l’installer. Il écrasa ensuite la cigarette sous son talon et lui ordonna :

« Tu restes ici et tu ne bouges pas. Nous reviendrons vite.
- D’accord ! J’attends ! Après, on ira chercher les pièces, hein ! J’ai une autre idée pour le robot ! Tu veux que je te la dise ?
- Tout à l’heure, gamine.
- D’accord ! »

Ils s’éclipsèrent tous les deux, laissant la gamine balancer ses jambes dans le vide en chantonnant pour passer le temps.
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Rendre service à la môme. L'aider à trouver au moindre prix toutes ces pièces dont il n'a jamais entendu parler. Se rendre compte que derrière le masque et le corps de monstre du grand Yumen se cache un tout aussi grand ingénieur. Alors l'Ishii l'imagine, cet immense homme, suppuré de muscles et de testostérone, à apprendre à la petite fille toute maigrichonne comme visser un boulon, comment utiliser toutes ces machines dépassant le cachalot.

Le monstre sourit à imaginer cette scène hors du temps. Du sourire simple, sans joie, avec seulement ce sentiment d'une pensée amusante. Qui s'envole aussi vite qu'elle est venu.

3 Rue de la fin. Une rue portant bien son nom. Yumen ordonne à sa fille et pendant ce temps le cachalot continue d'avancer, lançant un petit mot dans le vent, à la petite, entre deux pas.

« Hmm... Je t'aiderai. Je tenterai. »

Et le monstre ouvre la porte d'une battisse lugubre, toute haute de sa dizaine d'étage, où les fenêtres brisés laissent souffler les rideaux au gré du vent. Où aucune lumière ne vient éclairer la nuit tombante. Où des cris lugubres jaillissent , de nul part et de partout à la fois pour venir flirter aux oreilles des monstres. Mais eux n'ont pas peur, non. Et juste avant que la porte ne se ferme sur Yumen, la petite entend une voix sortir du bâtiment. Toute grave et douce à la fois.

« Hmm... Bouche toi les oreilles, petite »

Et la porte claque.

Des bruits de pas vibrent en échos dans le bâtiment, des chaises se raclent sur un sol au quatrième, ou cinquième, et des cris, plus distincts, plus forts, arrivent aux oreilles de la petite dandinant tranquillement ses pieds contre le muret où elle attend, assise.

Et les cris viennent. Et les coups pleuvent. Rapides, aussi distincts aux oreilles de la petite que la voix du gros cachalot au summum de sa puissance, faisant écho aux quatre coins de la rue. Des râles de rages et de souffrances giclent de toute part, de métal contre métal, de coups sourds presque indistincts.

Et soudain. plus rien. Juste le bruits du vent effleurant les cheveux de l'enfant. Et le bruit des marches qui se redescendent.

La miss cligne des yeux, sort les doigts de ses oreilles étourdies par tant de violence et voit arriver le Monstre, mi homme mi poisson, et son acolyte d'un soir, ingénieur, bagarreur mais avant tout père d'une enfant. La miss pose des questions, veut tout savoir, où le Monstre les emmènera pour les pièces, qui il connaît de bon mécanicien, pourquoi il a une tête de poisson mais quand même une moustache... Et surtout... Qu'est ce qu'il est. L'Ishii esquive les questions comme il peut car il sait déjà, que ses demandes seront dures, qu'il ne connaît pas assez de monde, qu'il fait trop peur. Mais à la dernière, la réponse vient toute seule.

«Hmm... Qu'est ce que je suis ? Je suis Ishii.»

Et les monstres repartent, dans les ruelles maintenant toutes assombries par la nuit, dépassent les baraques sans vies, les magasins aux battants fermés de cadenas, arrivent près de là où quelques lumières éclairent les badauds, avant de s’arrêter devant une plaque de bois, à même le sol, au milieu d'une rue. Ses planches sont recouvertes de pourritures verdâtres, comme si elle n’avait pas été ouverte depuis des siècles. Les apparences, toujours. La cloison s'ouvre des grosses mains du monstre pour en laisser jaillirent un tumulte infernale. Des voix, des cris, des chants, des bruits de verres se choquant. Et les trois personnages entrent là où le vacarme gouverne, au milieu d'une bonne centaine de personnes redoublant de scandées en voyant les deux monstres apparaître. Au son des voix, ils comprennent vite de qui est le favori. Yumen. Le cachalot ne peut s'empêcher un sourire manquant de faire tomber son cigare.

«Hmm... On t'aime bien, ici.»
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La violence, elle connaissait. Bien. Peut-être trop bien pour son âge. Mais lorsque l’on grandissait dans un univers comme le sien, la violence était courante, sinon banale. Une claque, un cri, du sang,… Même si parfois, ça lui faisait peur, voir ça l’inquiétait, elle restait d’ordinaire totalement impassible face à ce genre de chose. L’habitude. C’était triste à dire, mais elle était habituée. Entendre les bruits d’un massacre plus ou moins gratuit ne lui faisait ni chaud ni froid. Entendre les cris de ces hommes assoiffés de sang qui réclament un combat ne l’inquiétait pas plus que ça. Elle savait qu’il était temps pour eux de faire ce pour quoi ils étaient là.

Frapper, cogner, se battre.

Pour de l’argent.

Elle se retira dans un coin et attendit à une table que ça passe. Elle ne pouvait faire que ça. L’on vint lui apporter un lait fraise, offert par le patron pour la fille à son papa. On lui adressa plusieurs fois la parole pour savoir ce qu’une enfant faisait ici. Et à elle de répondre fièrement qu’elle accompagnait les deux combattants du soir. Et que le favori, c’était son maitre. Que l’autre, c’était son ami. Et à eux d’en rire aux éclats, repartant à la suite dans cet affrontement en encourageant le préféré.
Ses jambes se balançaient toujours dans le vide. Elle évitait au mieux de regarder ce qui se passait. Quoiqu’on puisse en dire, la Gamine n’aimait pas ça, la violence. Elle n’arrivait pas à comprendre la passion qu’avaient les hommes pour détruire. Elle, elle aimait créer. Elle aimait chérir. Elle ne voulait pas que des gens se fassent du mal pour une poignée de billets. Mais ça faisait plus de trois ans qu’elle devait accepter cette condition. Au début, elle l’acceptait dans la douleur. Ensuite, dans le silence. Et elle se contentait de soigner les poings brisés de son père adoptif, de s’occuper de lui et de continuer à se noyer dans la création.

Et puis, un coup plus fort qu’un autre, l’un des deux hommes tomba et ne se releva pas.

L’on acclama le vainqueur. L’argent circula de main en main. Et en quelques minutes, la salle se vida.


« On peut adopter un chien ?
- Non.
- Un chat alors ?
- Non.
- Un poisson rouge ?
- Non.
- Ishii Môsh ?
- SUREMENT PAS ! »

Le visage de son père était particulièrement dur, faisant reculer la gamine sous le choc de cette déclaration. A coup sûr, Yumen avait un gros problème avec Ishii. Un sans doute beaucoup plus gros qu’avant ce combat. Elle qui pensait qu’après ça, il serait de plus ou moins bonne humeur, elle se trompait.

« Ce type m’a cassé deux molaires, le nez et trois côtes ! Tu penses sérieusement pas que j’vais le ramener à la maison ?!
- … Désolée… »

Elle disait cela en tenant toujours la bassine dans laquelle Yumen crachait sang et dents. Sans afficher un air de dégout, elle lui tendit une serviette pour qu’il éponge ce qu’il lui restait d’hémoglobine sur le bord des lèvres. Lorsqu’elle reposa la bassine, elle s’empara de la main de son père et commença à panser ses blessures à l’aide d’une bandelette. Le combat n’avait pas été de tout repos, pensa-t-elle pour elle-même.

« Toi, t’as donné ton quota de parole pour la semaine. T’as pas intérêt à l’ouvrir pour les trois prochaines.
- D’accord… »

Elle allait se faire gronder, en rentrant. Mais « qui ne tente rien n’a rien ». Elle voulait rester un peu plus sur Logue Town, visiter, profiter de ces petits jours de liberté. Découvrir d’autres choses qui ne venaient jamais sur son gros caillou qui lui servait d’île. Est-ce qu’Ishii pourrait y débarquer un jour ? Elle n’osa pas poser la question. Peut-être qu’un homme poisson n’avait rien à faire sur l’île des mercenaires. On ne voudrait pas de lui là-bas. Alors, elle balaya cette pensée d’un revers de main et remarqua devant son nez que Yumen lui tendait un énorme sac qui faisait au moins la taille de sa tête. Un vague signe de l’œil plus tard, la Gamine fit demi-tour et alla à l’autre bout du ring pour se pointer devant Ishii. Respectueuse, elle enchaina :

« Il dit que c’est pour toi. Il dit que c’est pour compenser que les gens ne t’aiment pas ici. Il dit qu’il veut te donner ça pour ce beau combat. »

De ses petits mains, elle tendit vers l’immense de l’homme-poisson un petit sac contenant la moitié des gains de la soirée. Elle lui fit un sourire sans aller plus loin, se releva et le salua en s’inclinant respectueusement. D’une voix douce, presque un chuchotement, elle lui lâcha :

« Moi, je crois que je t’aime bien. »
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Quand le Gong retentit, que les cris, hurlements, gesticulations, aboiements et autres redoublent de violence, le Monste n'est déjà plus de ce monde. Plutôt que l'homme en face de lui, qui part déjà pour le cogner, plutôt que ce gamin, tout devant le ring, les poings tendus dans un hurlement d'encouragement, l'Ishii voit la petite ; et son sourire simple et naif qu'elle garde malgré ces horreurs. Son calme en toute circonstance. Et toutes ces choses que lui, le gros monstre, aura appris d'un être si chétif le peu de temps qu'il aura passé auprès d'elle.

Mais déjà,la réflexion s’arrête, par un poings giclant sur son nez et par tout son lourd corps s'écrasant contre le sol ; sous les hurlements de protestation d'un public mécontent. Au match truqué, à la moquerie, au payé et à toutes ces autres insultes qui volent au visage du monstre. Il tente de se relever, son bras qui s'appuie sur le sol, ses muscles qui se crispent pour remettre d’aplomb un corps trop lourd. Et quand enfin, ses énormes jambes se retrouvent à supporter son corps, le monstre comprend, il comprend que ce combat sera son cadeau. Et cette fois, quand Yumen retente un coup de poings, le cachalot répond, pare, esquive puis contre attaque et c'est maintenant deux énormes créatures qui se pourfendent. Qui giclent avec la même force l'un vers l'autre, pour un combat où ni l'un ni l'autre ne fait de cadeau, où la mort encense chacun des coups donnés et pris, où le sang vole de partout sous les acclamations d'un public au summum de l’hystérie.
Et puis, au bout du cinquième round, où les deux monstres sont au bord de l'asphyxie, où chaque bouchée d'air prise sonne comme une délivrance, le cachalot tombe. Pour ne pas se relever.

Tout atour, les gens devenus fous crient au monstre de se relever, les secondes passent et pourtant, le cachalot, les yeux ouverts, ne bouge pas. Plus. Un sourire perdu au coin des lèvres, il pense à son cadeau. A la petite qui pourra le lendemain aller acheter ses pièces. A cet immense Yumen qui lui apprendra un peu plus de son métier, à son cœur qui s'ouvrira un peu plus à écouter la petite palabrer. Alors, lorsque les 10 secondes sonnent le glas du combat, lorsque l'Ishii part s'installer au coin du ring et qu'un cigare se sort, le monstre se dit qu'il a gagné sa journée.

Alors lorsque Lilou arrive, toute penaude, un sac remplie dans les bras, l'Ishii sourit encore. De cette simple déclaration d'une enfant qui dit ce qu'elle pense et ait ce qu'elle dit.

« Moi, je crois que je t’aime bien.
Hmm... On est ami ? 
Oui.»

Mais déjà, le monstre encore tout sanguinolent s'en va, le cigare fumant et la gueule saignante. Il ne se retourne pas, ne jette pas un regard vers la foule l’interpellant, vers le Yumen dédaignant ou la petite qui continue tout le long, à lui jeter un regard empli de curiosité.

Et le lendemain, alors que le jour commence à peine à se lever, la chambre 404 de l'hotel Byubay se fait réveiller par une sonnette. Devant, posés délicatement sur le paillasson, s'entassent d'étranges matériaux, des plaques de fer, des hélices, des moteurs. Le prix d'un combat à moitié gagné.

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