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Aube rouge

Le 19 octobre 1620

Bon gré, mal gré, tu avais fini par quitter Patland. Difficile de te détacher du lieu que tu avais si durement défendu, et dont tu avais su conquérir les cœurs... un peu malgré toi, d'ailleurs. Les traumatismes des premiers jours passés, tu étais peu à peu entré dans l'intimité de ceux que tu avais pris pour de modestes paysans. Tes semblables, c'est ce que tu croyais. Mais à-travers des petits clins d'œil, des signes discrets, tu avais fini par comprendre que le rôle de chacun dans ce qui était advenu avec Nina Reyson et l'agent Red n'avait peut-être pas compté pour nul. Quelque chose ne tournait pas rond.

En attendant que ta blessure à l'épaule se remette, tu avait régalé Patlin et ses environs de tes chansons et de mille et une histoires. Deux mois, deux longs mois passés avec des hommes doubles. C'était la mère Kalva qui avait fini par avouer, par pure sympathie à ton égard : oui, l'île était un refuge pour les révolutionnaires, et ce n'était pas nouveau. Oh, au début, une simple cohabitation pacifique. Mais avec le temps, le voisinage s'était fait réseau d'entraide, certaines personnalités pleines d'entrain aidant. De bons bougres, avec des rêves qui dépassaient les étoiles. Non, non, rien à voir avec ces fauteurs de troubles et ces tueurs de mômes dont parlait le gouvernement... Mais bien sûr, il n'y avait pas grand monde à Patland qui en était vraiment. Simplement, l'on s'accommodait bien d'une présence perçue comme rafraichissante et, le plus souvent, protectrice. Car cela faisait une éternité que l'île n'était plus protégée par la marine, et avant l'installation révolutionnaire, les attaques pirates étaient fréquentes.

Toi, tu étais resté sceptique, car blessé dans ta fierté. Sans le vouloir, tu avais menti au lieutenant Alec de Manshon, que tu connaissais depuis longtemps et qui avait souvent constitué pour toi un soutien solide. Glacial, mais solide.
Puis tu t'étais questionné. Qu'étaient donc ces hommes exactement, pour qu'une île entière puisse choisir le silence jusque dans la bataille, jusque dans le sacrifice ? L'indignation avait peu à peu laissé la place à l'admiration. Parce que définitivement, ces hommes et ces femmes avaient su agir avec une entente parfaite et une sagesse peu communes. Oui, il y avait eu des prisonniers du côté révolutionnaire. Kalva ne se l'était pas pardonné, comme bien d'autres. Mais l'information avait été transmise aussitôt à Inu Town, et les derniers échos racontaient que le navire carcéral avait été intercepté pendant le transfert au QG de North Blue. Un parfait calcul de paysan, pour un minimum de pertes.

Et par-dessus tout, qui étaient vraiment ces révolutionnaires qui faisaient tant parler d'eux ? La question t'embrouillait. Par prudence, tu n'avais jamais convoité un pouvoir quelconque. Tu te tenais en-deçà, ou peut-être au-delà de toute idée politique. Tu vivais pour vivre, tu chassais pour être libre, tu voyageais et menait une existence de chat vagabond pour lutter contre ta propre force d'inertie. Qu'y avait-il de plus important qu'une révolution menée à l'intérieur de soi ? Tu avais toujours cru davantage au travail qu'en une force rédemptrice capable de tout changer.

Enfin. Tu t'étais fait à ces idées nouvelles. Tu étais resté encore un peu, avait juré sur ma tête (ou sur la tienne, dur de faire la différence parfois...) que tu garderais le silence. Il n'empêchait qu'en arrivant sur Hinu Town, d'où tu pensais rechercher de nouvelles informations avant de repartir traquer le gagne-pain, tu n'avais pas l'esprit en paix.
Et alors, il y a eu cette clameur :


-Et c'est pourquoi notre devoir, camarades, consiste à faire bloc. R.E.S.I.S.T.A.N.C.E. Nous en avons assez du monopole capitaliste sur le marché des esclaves ! Assez de l'escroquerie internationale en ce qui concerne la suprématie bourgeoise !

Debout sur une estrade bricolée à la va-vite se tient le personnage le plus insolite que tu aies rencontré de toute ton existence. Oui, le plus insolite, il n'y a pas à en douter. Car il s'agit d'une curieuse silhouette plus ou moins humanoïdes qui brandit ses bras vers le ciel tout en jetant des mots sur un ton qui sent la sueur et le travail. La chose parle avec le timbre enroué d'un mineur ou d'un employé de scierie...

-...assez du règne sans partage des classes supérieures ! Osons franchir le pas, et osons enfin le dire : c'est la lutte finaaaaale !

Mmrrr... Il aurait peut-être du falloir préciser qu'il était cinq heures du matin, que les jours étaient ceux d'octobre, et que chacun cherchait à profiter d'un sommeil bien mérité. En clair, la créature déblatérait toute seule au milieu de rien. Il y eut un silence. Puis une pluie de chaussures jaillissant de chaque fenêtre s'abattit sur elle comme une averse soudaine et violente.

-Oui ! Le peuple se réveeeeille ! La mort de la dictature est proche !
-Mais ta gueule !
-On va t'en coller, de la lutte !
-En tous les cas, t'as foutu un point final à notre nuit !
-... Impel Down ! Le minimum syndical pour ces brigands du sommeil, c'est moi qui vous le dit !

Mais sous la grêle battante, la chose ne cillait pas. En rebondissant sur elle, les objets émettaient un bruit curieux de ferraille percutée. Au contraire, elle sembla réagir aux derniers mots de ses agresseurs, ce qui se traduisit par une drôle de petite larme qui coula de ce qui avait l'air de lui servir d'œil.

Lutte ! Finale ! Syndicat ! Vous êtes bien mes frères de révolte ! Descendez dans la rue, allez-y ! Laissez parler votre colère, et marchons ensemble vers un nouveau printemps... vers une... AUBE ROUGE !

Toi, devant le spectacle de certains qui sortent le tromblon, tu hésites un moment, puis tu interviens. Bras écartés en signe de paix, avec ta gouaille pleine de chaleur et de franchise.

-Arrêtez ! Laissez-moi passer. L'gars a trop bu, j'vais l'prendre 'vec moi. Désolé pour lui. Y va décuver tranquille sur les docks, une p'tite balade lui f'ra du bien.
-Mais enfin, je...
-La ferme !
-La liberté d'expression...
-Tu l'auras, mais laisse dormir un peu les gens. Viens, que j'te dis.
-J'ai justement le devoir de les réveiller !
-Dans cinq minutes si on s'est pas barrés, y'a la marine qui va débouler et te jeter dans une cellule tellement bien isolée que plus personne t'entendra de toute la semaine. Alors, tu viens ?
-Tu...es très convainquant, camarade. Soit. Allons sur les docks... c'est plein de travailleurs honnêtes qui ne demandent qu'à être récompensés de leur dur labeur !


Dernière édition par Sören Hurlevent le Ven 4 Jan 2013 - 23:48, édité 1 fois
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Purupurupuru... Purupurupuru...

L'escagorphone... Peu importe l'heure qu'il fait, il sonne sans arrêt... Et c'est toujours pour des missions plus ennuyeuses les unes que les autres. Joseph allez protéger tel noble de pacotille. Agent Patchett, récupérez le document top-secret volé par les rebelles, etc, etc, etc... D'ailleurs plus le temps passait moins les formalités étaient respectées. Déjà qu'on lui donnait jamais du "Monsieur" ou de "l'Agent", il fallait en plus qu'il supporte les familiarités malvenues de ses supérieurs. Ah... Pourquoi est ce qu'il ne pouvait pas continuer à dormir ? S'il se retournait dans son lit la mission serait sans doute confier à quelqu'un d'autre ? Oui, ça c'était un bon plan. Il n'en avait rien à cirer du gentil licorne-man, de ces crevures de coordinateurs ou même de ce salopard de Séparou. A cet instant précis, Joseph Patchett, la "crème" du CP5 n'était pas franchement près à faire quoi que ce soit. Il avait la gueule de bois, une sévère en plus, et son seul désir était de continuer à dormir.

*Ah... Pourquoi je me suis laissé aller moi... Je le savais pourtant qu'ils allaient m'appeler pour le boulot... Aaah... J'aurais pas du la laisser me convaincre de boire... Je suis foutu... Aah... J'espère au moins que j'ai bien planqué son corps... Aaah j'ai mal au crâne...*

Purupurupuru... Purupurupuru

L'escargophone ne s'arrêtait pas. Qui que soit la personne à l'autre bout de la ligne, elle semblait désireuse de parler à Crack Joe. Les sonneries vrillaient dans sa tête, résonnaient à l'intérieur de son crâne. Tout son être semblait atteint par le mal de mer. Même la chambre d'hôte miteuse dans laquelle il résidait depuis son arrivée à Inu Town. Quelle ville à la con franchement... Il avait été envoyé sur place pour assurer ce que les Coordinateurs appelaient le SAR : Service Après Red. L'agent Red était passé un peu plus tôt dans l'année par North Blue à la poursuite de la révolutionnaire Nina Reyzon. Suite à son passage la moitié de l'île de Patland avait été dévastée. Du beau boulot, du Red tout craché, on tue d'abord, on pose les questions ensuite. Et si on a des problèmes, on balance de la grenade. Pas de pitié avec la vermine révolutionnaire, tel était son crédo. C'était un vrai modèle pour l'Agent Patchett, quand il était sobre à tout le moins. Bref, passer derrière Red pour nettoyer la poussière, ramasser les révolutionnaires oubliés et recoller avec la Marine, c'était du grand classique. Et c'était surtout très chiant... surtout à Inu Town.

Purupurupuru... Purupurupuru

Rien à faire, l'escargophone ne s'arrêtait pas. Il n'avait pas d'autre choix, il allait devoir le faire. Avec une lenteur calculée, Joseph tendit la main en direction de l'escargophone. Soulevant le récepteur tout doucement.

Gotcha.

"Hey Patchett ! Debout là dedans espèce de demeuré ! Tu comptes roupiller longtemps ou quoi ? Non mais franchement ces agents de terrain j'vous jure... Ils se croient tout permis. T'en as pas marre de rien glander Patchett hein ?"

A peine le combiné relevé que la douce voix de l'Agent Mc Yavel se fait entendre. Le coordinateur attitré de Crack Joe avait toujours su faire preuve de tact et de diplomatie avec son poulain. Des insultes du matin au soir et une saine dose de mépris. Telle était le management selon Mc Yavel. C'est d'une voix pleine de force, et rendue pâteuse par l'alcool, que Joe répondit à son supérieur.

"B'jour à vous Agent Mc Yaval. Joe Patchett à l'appareil, qu'est ce que j'peux faire pour vous ?"

"Arrêtes tes conneries Patchett ! J'essaye de te joindre depuis plus d'une heure ! Lâches tout ce que t'étais en train de faire. J'ai une mission tout pile dans tes cordes à Inu Town. Tu vas aimer j'te le dis."

"Mais l'est à peine cinq heures... Ca peut pas attendre ?"

"Ta gueule Patchett ! Un pacifista modèle 0.9 a été vu sur Inu Town. Il s'agit de Marvin, un cyborg créé par le Docteur Vegapunk lui même ! Et après un foutu siècle d'errance, ce tas de ferraille est ici, à Inu Town, en train de prêcher la désobéissance face à l'autorité supérieure du Gouvernement Mondial ! Ta mission est simple Patchett. Tu retrouves Marvin et tu le fais taire... discrètement ! Si tu peux le capturer et le ramener c'est mieux..."

"Et j'dois vraiment faire ça maintenant ?"

L'escargophone est connu pour prendre les traits de la personne à l'autre bout du fil. Vu l'expression de fureur pure qu'affichait celui dans la main de l'agent Patchett, il était sûr et certain que Mc Yavel était en train de péter un câble en bonne et due forme.

"Vas y tout de suite crétin ou j'te fais pendre ! Marvin a été vu dans la grande rue y'a même pas une heure. Alors bouges toi abruti !"


Quand faut y aller, faut y aller. C'est fort de cette volonté et avec la grâce d'un pachyderme que Joseph quitta le confort de son lit pour aller se noyer sous la douche. Dix minutes plus tard, un Patchett métamorphosé sortit de la salle d'eau. Le costume était impeccable, le borsalino parfaitement posé sur sa tête. Il était fin prêt à partir en mission. Mc Yaval pouvait bien attendre, il se planquait à Marie Joa après tout, pour lui qui était sur le terrain ce serait une partie de plaisir. Pensez donc, un Pacifista ! Bon... Vieux de 100 ans certes mais quand même c'était pas rien !

Direction la grande rue de la cité de Karnutes. Un robot qui parle de renverser le Gouvernement Mondial c'était pas quelque chose de banal. Pas moyen que ça soit passé inaperçu un truc pareil. Il y aurait forcément des indices, des traces à suivre.
Niveau traces Marvin avait fait du bon boulot. Même dans ses rêves les plus fous Joseph n'aurait pu souhaiter pareille trainée enchantée. Au milieu d'une des places trônaient des dizaines de chaussures qui avaient tout l'air d'avoir été jetées depuis les fenêtres alentour. Mieux encore, les-dites chaussures dessinaient une piste qui partait en direction des docks. Le pacifista n'était pas loin !


"Camarade dockers, unissez vous ! N'acceptez plus les conditions de travail que les nobles vous imposent. Ensemble, battez vous pour un dock juste ! Les honnêtes travailleurs doivent voir leur labeur récompensé ! Pendons les patrons à des crocs de boucher et disons le bien fort, c'est la lutte finaleeeee !"

La voix, légèrement métallique comme s'il s'agissait d'un individu enroué, était d'une puissance supérieure à la normale. Le pacifista se tenait au milieu des docks et débitait son discours sans se ficher de savoir s'il était écouté ou pas. A cette heure de la matinée, les dockers et autres pêcheurs étaient tous affairés et ne semblaient pas avoir de temps à lui consacrer. Il ne restait à ses côtés qu'une sorte de vagabond. Un vagabond appartenant à n'en pas douter à la sous espèce des manouches comme le prouvait l'instrument de musique qu'il portait dans son dos. Un manouche ce n'était pas grand chose certes mais ça faisait un témoin potentiel. Il allait falloir la jouer subtile ! Avec son beau costume noir et son borsalino il ne faisait pas du tout tâche dans le décor et il ne risquait pas le moins du monde d'être pris pour un agent du Gouvernement Mondial. Fort de cette confiance en son allure, Joseph se rapprocha du cyborg et de son disciple en guenilles tout sourire. Il leur adressa même un petit coucou de la main, supposément amical mais un poil déstabilisant. Marvin n'en avait que faire. Imperturbable, il continuait son harangue.

"Oui à la semaine des deux dimanche ! Non à la domination du capitalisme sur Inu Town ! Peuple des blues, unissez vous ! Le Grand Soir est pour bientôt !"
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Les docks étaient assez éloignés du village. Deux bonnes lieues de marche par temps frisquet, voilà qui aurait du calmer les ardeurs populaires de l'étrange compagnon de Sören. Mais celui-ci, avec sa gouaille militante et son ton rauque, n'avait pas arrêté son étrange monologue de tout le chemin. Et ce malgré les interventions répétées du paysan qui désespérait de voir la créature se taire, ou répondre à ses questions.
Si au terme d'une demie-heure passée en cette étrange compagnie il avait les oreilles rabattues de dizaines de concepts concernant des sujets tels que l'économie, la lutte ouvrière et la politique éclairée, il ignorait encore tout de ce qu'était la créature. Son nom (je ne suis que l'instrument de la révolution !), son origine (les lieux de naissance et l'apparence ne doivent pas compter dans une nation démocratique !), ce qu'elle faisait là (militer ! Le seul contre-pouvoir est celui de la rue !).

Et maintenant, il était là à regarder la chose qui s'était retrouvé une estrade (en l'occurrence, un caisson de sardines). Au moins, elle ne gênait pas grand monde. Les pochards étaient nombreux à venir décuver le vin de la nuit dans le secteur, et les travailleurs y étaient habitués. Et tandis qu'elle pensait haranguer la foule, celle-ci entonnait sa chanson matinale qui accompagnait la dernière pause casse-croûte de la nuit.


Merci patron merci patron
Quel plaisir de travailler pour vous
On est heureux comme des fous
Merci patron merci patron
Ce que vous faites ici bas
Un jour Dieu vous le rendra !


Soudain, Sören devina une variation dans le comportement de son étrange acolyte. Il avait relevé les poings, et les agitait désespérément. Comme une marionnette prise dans ses propres fils. Visiblement, il ne connaissait pas la fin de la chanson.

-Non, mais... Eh, camarades, êtes-vous à ce point endormis ? …

Un abattement se lisait dans la voix éraillée, lorsqu'un homme avait fait son apparition. Le genre belle gueule, avec borsalino et costume. Un matinal, un amant éconduit par la belle de la nuit, un insomniaque ? Ou ledit patron des dockers ? Sören n'eut pas le temps de le savoir. Car le prédicateur était descendu de son estrade, son œil électronique pivotant dans son orbite métallique. Il balayait le nouveau venu de haut en bas et de bas en haut, avec une circonspection qui n'avait plus grand chose à voir avec la chaleur (quoique un peu inquiétante) de ses discours de révolutionnaire.
Révolutionnaire ? Oui, bien sûr. C'était évident, il devait être de leur bord... Décidément, le secteur en était véritablement infesté. Sauf que celui-ci n'était ni humain, ni... « normal ». La plupart d'entre eux opéraient dans le secret, et recrutaient des adeptes à couvert. Le barde restait pensif. Mais pas longtemps. Car le militant s'était jeté sur le nouveau venu, tâchant d'huile son beau costume. Ses bras puissants le plaquèrent contre le sol, tandis qu'il beuglait :


-Eh, mes frères ! Plus besoin de faire semblant ! Je le tiens, le tyran ! Le fourbe ! Allez-y digne armée de métèques ! Lâchez vos outils, exigez des conditions plus justes ! Un meilleur salaire ! L'égalité pour tous ! Une rotation à la place de chef !

Cette fois-ci, quelques dockers s'étaient approchés en même temps que Sören, qui essayait de séparer la créature de sa proie. Mais sa poigne était terrible, et la force du vigneron n'était rien en comparaison. Cependant, les hommes prirent le relais et bientôt, l'encostumé fut de nouveau capable de respirer.

-Mec, t'es refait. On l'connait pas, lui.
-Puis d'abord, ça s'peut pas qu'ce soit not' patron... Des patrons, on en a pas. On en change selon les arrivages.
-Ouai, et ce sont plus souvent de grands types avec une ancre marine tatouée sur l'avant bras que des petits jeunots matinaux...
-... Relax, d'ailleurs, les zigues. Réglo, payent bien, tout ça.
-Mais... Mais...
-Bon, t'as compris ? Lâche-le, bon sang ! Lâche !

L'emprise du géant se desserra, et l'inconnu put se relever. Son agresseur passa une main sur sa nuque, dans un mime de gêne. Mais il riait. Une vraie toux caverneuse, en fait, plus proche du jappement de molosse que du rire humain.

-AH AH AH. Autant pour moi, camarade. On peut faire des erreurs, tout le monde le peut. Même le Grand Timonier ! AH AH AH.
-Gars, 'suis désolé pour lui. 'Sais pas ben pourquoi y fait tout ça, moi, j'l'ai juste baladé ailleurs que dans l'bourg. Tombé dessus par hasard, quoi... Hé. Dis, j'ai pas envie d'le laisser seul, tant qu'y fait nuit. Y pourrait rev'nir sur ses pas, toqué comme il est, et r'commencer à tirer les gens du pieu. Et puis, rien à foutre avant qu'y fasse jour. Toi non plus ? Bon. Ça te dit, un café ? C'est moi qu'invite. Ouai, juré. J'paye pas d'mine, mais pour une fois que j'peux...
-Un... café ? Oh ! Les bistrots ! Les tavernes ! Bien sûr ! Les hauts-lieux de réunion du peuple en colère ! Qu'attendons-nous, camarades ? Allons porter la lumière dans ces bouges merveilleux !
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La tactique dis de "l'arrivée discrète" avait totalement échouée. A peine l'Agent Patchett s'était il approché du pacifista communiste que celui-ci commença à le reluquer d'une façon pas agréable du tout avec son oeil électronique. En même temps il n’existait sûrement pas de façon sympathique de regarder quelqu'un quand on était un Cyborg centenaire doté d'une conscience de classe très poussée. Visiblement le résultat de son inspection n'avait pas plu à Marvin, l'agent du Cipher Pol avait il déjà été démasqué ? Si c'était le cas il était bien parti pour remporter le Navet d'Or du plus mauvais agent en activité de tout le Cipher Pol. Se faire repérer en moi de deux minutes par une machine à moitié rouillée, ça se mettait là point de vue réussite.

*Décidément le ciel d'Inu Town ressemble à que dal' ce matin... C'est gris, c'est laid. Un peu comme Marvin en fait... D'ailleurs pourquoi je suis plaqué au sol moi ? J’entrave rien à ce qu’il raconte…*

« Eh, mes frères ! Plus besoin de faire semblant ! Je le tiens, le tyran ! Le fourbe ! Allez-y digne armée de métèques ! Lâchez vos outils, exigez des conditions plus justes ! Un meilleur salaire ! L'égalité pour tous ! Une rotation à la place de chef !

Plic... Ploc... Les gouttes d'huile tombaient l'une après l'autre sur le beau costume de l'agent. Le pauvre Joseph allait en être quitte pour une note de teinturier bien salée. Enfin ça c’était s’il parvenait à se relever. Parce que mine de rien le Marvin il serrait fort et surtout il pesait lourd. La force conjuguée de plusieurs dockers fut nécessaire pour libérer le pauvre Joseph de l’emprise du monstre de métal. Le pire c’était que le monstre ne semblait même pas s’en vouloir. Il avait ruiné un costume hors de prix et failli étouffer son porteur. Ce n’était tout de même pas rien et pourtant sa seule réaction fut un rire caverneux et totalement inhumain. Aucun être de chair et de sang ne pouvait rire de la sorte.

« AH AH AH. Autant pour moi, camarade. On peut faire des erreurs, tout le monde le peut. Même le Grand Timonier ! AH AH AH. »

*Génial… Maintenant il parle de lui comme du Grand Timonier… Je te hais Mc Yavel, je te hais. Pourquoi faut-il toujours que ce soit sur moi que tombent les missions foireuses ? Ah je veux retrouver mon lit… Et un costard neuf, celui là est ruiné. Ah pourquoi…*

Absorbé qu’il était par ses réflexions intimes ô combien intéressantes, il manqua le début de la tirade du fidèle suivant de Marvin. Bah oui, le type lui restait collé aux basques alors que tous les dockers étaient repartis s’occuper de leurs affaires. Concrètement il n’y avait que deux possibilités pour expliquer la présence du bouseux : il était assez timbré pour être d’accord avec ce que la machine racontait ou alors c’était un révolutionnaire. A la réflexion il pouvait même être les deux à la fois !

… rien à foutre avant qu'y fasse jour. Toi non plus ? Bon. Ça te dit, un café ? C'est moi qu'invite. Ouai, juré. J'paye pas d'mine, mais pour une fois que j'peux...

« Un café ? Avec plai… »

-Un... café ? Oh ! Les bistrots ! Les tavernes ! Bien sûr ! Les hauts-lieux de réunion du peuple en colère ! Qu'attendons-nous, camarades ? Allons porter la lumière dans ces bouges merveilleux !

Mais c’est qu’il en devenait carrément insupportable le Marvin. Après avoir essayé de l’étouffer voilà qu’il lui coupait la parole maintenant. Non mais ça devenait franchement désagréable. En plus s’il voulait accomplir sa mission il allait devoir capturer Marvin, discrètement, et pour ça il ne devait pas y avoir le moindre témoin. Déjà que ça n’allait pas être facile de capturer le monstre, il allait devoir recourir à la ruse, pas moyen qu’il ait l’avantage question force par rapport au cyborg.

*Allé Joseph, fais leur un grand sourire et suis les dans leur bistrot, taverne ou autre. Ouais c’est ça, sympatoche tout plein. A la première occasion je lâche le manouche et je me tire avec Marvin.*

« Hahaha, merci pour ta générosité mon gars. Je prendrais bien un p’tit café ouais. J’ai pas grand-chose à foutre non plus et je t’avoue que ce euuuh type là bah comment dire, y me titille bien. J’veux dire, pas tous les jours qu’on en croise un comme ça pas vrai ? Alors euuuuh direction les hauts lieux de réunion du peuple en colère !»


Sa tentative d’imitation de Marvin était quand même bien ridicule. Il fallait le voir brandir son poing dans un geste manquant tristement de toute crédibilité. Sans doute conscient du piteux spectacle qu’il offrait, Joseph s’engagea le premier dans les ruelles partant des docks. Ses camarades de fortune sur les talons, il tentait en vain de faire partir les traces d’huile de machine qui maculaient son costume. Le soleil commençait tout juste à pointer timidement sa tête à l’horizon que déjà la ville s’éveillait. Et qui sont les premiers à la tâche de bon matin ? Les boulangers ? Les dockers ? Que nenni ! Il s’agit des truands, racailles et autres rebuts de la société. L’hétéroclite trio attirait l’attention sur lui et il ne fallut pas longtemps avant que plusieurs individus louches ne se collent à leurs basques dans les ruelles. Oh ils restaient à bonne distance, il faut dire qu’un machin haut de deux mètres qui gueule des trucs comme « Mort aux Tyrans ! » ou « Le pouvoir au peuple ! » ça avait le mérite d’effrayer les plus enthousiastes. Tant et si bien qu’ils parvinrent sans soucis jusqu’à un de ces établissements ouverts 24h sur 24. Les cofee shops qu’ils appelaient ça à Inu Town, c’était une sorte de spécialité locale. Ce genre de restaurant possédait une carte hallucinante allant des pancakes aux truffes au chocolat en passant par les poissons frais et la viande de bœuf. Y’en avait pour tous les goûts et c’était ouvert tout le temps, le paradis des ventres sur patte en somme.

« Hey taverniste ! Envoie donc trois cafés et la carte tu veux ?»

Le taverniste est une espèce particulière d’hôte. Situé à mi chemin entre le tavernier et l’aubergiste, le terme s’utilise de façon indifférenciée pour nommer les deux types d’individus qui sont, après tout, fort similaires. Celui-ci appartenait à la sous race des tavernistes dépourvus de cheveux. Une boule de billard parfaitement lisse surmontait deux petits yeux calculateurs et une épaisse moustache rousse. Un bon taverniste comme on les aime, aimable et tout. Le genre qui ne pose pas de questions quand une boite en métal entre dans son rade avec un encostumé (sali) et un manouche. Boule de billard était aimable au point de pas faire de commentaire lorsque Marvin explosa la première chaise sur laquelle il tenta de s’asseoir, il fallut aller lui chercher une épaisse buche de bois pour qu’il puisse s’asseoir. Un bon patron n’engueule jamais ses clients, cette devise aurait du être marqué derrière le comptoir, la preuve, crâne d’œuf acceptait tout le monde dans son établissement, y compris certaines des raclures qui avaient suivi le trio. Les petits malins les avaient suivis jusqu’ici et maintenant quoi ? Il y en avait quatre à une table dans un coin et sûrement le même nombre ou plus à l’extérieur. C’était quoi le plan, ils allaient les agresser à la sortie ? Ici même peut être… Ou alors ils avaient un plan plus tordu encore en tête. Mais pas le temps d’y réfléchir sérieusement. Déjà parce que l’Agent du Cipher Pol n’en avait pas grand-chose à faire mais aussi parce que la carte était arrivé et que, mine de rien, Joseph mourrait de faim. Il n’avait pas encore bien digéré sa cuite de la veille et à cause de l’appel de Mc Yavel il avait du faire l’impasse sur son petit déjeuner. C’était maintenant l’heure de se rattraper. La serveuse, plutôt mignonne quoique un peu jeune, 16-17 ans à vue de nez, se tenait à côté de la ta table, son bloc note à la main prêt à prendre la commande.

« Alors… Je vais prendre des œufs brouillés, des toasts, des saucisses. Oh apportez aussi du pain, de la confiture et du café. »

« Et toi tu veux quoi mon gars ? Vas y fais toi plaisir, tu m’offres le café, je peux bien t’offrir la bidoche non ? Au fait moi c’est Joseph. Dis voir, ça fait longtemps que t’es à Inu Town ? T'y fais quoi d'beau hein ?»


Bah oui, il n’allait quand même pas s’empiffrer tout seul sous les yeux du manouche quand même. Etre au service du Gouvernement Mondial avait ses avantages, la paye en faisait partie. Il pouvait s’en mettre plein la panse et se permettre d’en faire profiter les autres. Pis un homme qui mange à tendance à baisser sa garde. Si le manouche se révélait être un révolutionnaire ça allait être d’autant plus simple pour accomplir sa mission. Il ne serait pas dit qu’il était incapable d’effectuer une seule mission sans causer de dommages collatéraux, pas cette fois ! D’ailleurs à ce sujet, il ferait peut être bien de proposer un truc au cyborg, après tout, est ce que ça mangeait ces trucs ou pas ? Cela dit, si ça se trouve, Marvin était suffisamment détraqué pour s’être persuadé d’être humain.

« Euuuuh, tu prendras quelque chose grand ? »

Manger, récupérer des infos sur Marvin et son tout nouveau pote, surveiller les raclures du coin de l'oeil. La routine habituelle quoi pour l'Agent du CP5.
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Moitié heureux de l'aubaine, moitié mitigé, Sören commanda à la suite de son compagnon du jour les saucisses aux œufs de circonstance. Moitié heureux, parce qu'avec la nuit qu'il avait passée et l'heure à laquelle remontait son dernier repas, son estomac aurait du commencer à crier famine. Mais celui-ci était coopératif... habitué, aux décalages et aux jours sans, surtout.
Moitié mitigé, parce qu'il n'aimait pas bien l'enthousiasme de celui qui venait de le régaler en échange d'un simple café. Brave type, sympa et tout... Mais quelque chose agitait les sens du chasseur, de l'homme de la rue et de la terre. Une espèce de malhonnêteté calculée, des gestes pas bien sûrs... Et puis, il y avait une chose qui lui avait sauté à la figure, lorsque l'encostumé s'était écroulé sous le poids de la chose. Il avait amorti sa chute. N'importe qui aurait eu les os brisés. Il n'y avait qu'à voir le sort de la chaise ! Lui avait du contenir la créature tout en se préservant du choc. Pas n'importe qui, donc. D'ailleurs, pour se promener sur les docks avec un beau costume sans ne rien avoir à faire de si bon matin... Enfin, si, un insomniaque, peut-être. Il en avait les cernes et les yeux rougis. Sauf que l'alcool en excès pouvait marquer les traits de la même façon.

Sören pensait à tout cela, pendant que le géant envoyait une claque gaillarde dans le dos de celui qu'il considérait d'ors et déjà comme son nouvel ami.


-Tu es un brave, camarade ! AH AH AH ! Eh, appelle-moi Marvin. Taverniste, un pot d'huile de moteur pour moi ! C'est lui qui régale !

Là-dessus, le dénommé Marvin enchaîna sur une nouvelle tirade parsemée de « lutte des classes », « démocratie populaire » et d'un discret mais apprécié « mort aux vaches ». Apprécié par qui ? D'abord par le cortège d'admirateurs aux allures de coupeurs de gorge qui avait suivi dans la taverne. Ensuite par un Joseph qui se frottait l'épaule en grimaçant. Parce qu'il avait été le premier à accompagner la masse métallique dans son délire populiste. Sören l'avait bien entendu. Même si son attitude avait, il se le répétait, quelque chose de louche.
Mais l'arrivée du copieux petit déjeuner fumant et ruisselant de beurre, cuisine de North Blue obligeait, dissipa ses doutes pour un moment. Alors, en remerciant chaleureusement le chauve qui faisait le service, il planta une fourchette vigoureuse dans la première saucisse lardée et daigna reprendre le fil de la conversation.


-Merci pour la croûte, Joe. J't'appelle Joe, hein ? Moi c'est Sören.

La parole jamais pressée, le barde prit un temps de silence pour avaler une bouchée bien chaude. Ça ruisselait dans la gorge, ça collait un peu aux dents, c'était bon. Oui, il avait faim, c'était certain.

-J'suis de North Blue, donc ici, c'est un peu chez moi. Même si c'est la première fois que j'viens... J'arrive juste de Patland, y'avait un bateau qui f'sait la traversée de nuit. Et à peine j'arrive, direct... 'fin, tu vois, quoi.

Comme si l'huile l'avait excité, Marvin s'était mis debout sur sa souche et appelait de nouveau à la révolution. Les loqueteux s'agitaient, certains applaudissaient. Ils n'étaient qu'une petite dizaine, sans doute encore éméchés de la veille. Eux, c'était certain, devaient leurs yeux rouges et leurs cernes à une fin de soirée qui trainait en longueur et qui se perdait dans un dédale de rivières de rhum et de cascades de mauvais vin. Au milieu de tout cela, la taverniste continuait à vider ses bouteilles généreusement dans cet océan de perdition, sans poser de questions.

L'esprit soudain en alerte, Sören avala une gorgée de café et se concentra sur les mines patibulaires qui levaient le poing gauche en alternance avec le coude droit. Ses réflexes physionomistes de chasseur étaient rouillés, et en deux mois de repos, il n'était déjà plus à la page des nouveaux primés. Pourtant, il l'aurait parié, il y avait du criminel sous le masque des militants. Et pas que du gentil révolutionnaire bien propre sur lui. Quoique... Que faire exactement ? Avec Joseph qui, tout sympathique et bonhomme qu'il était, ne jouait peut-être pas franchement l'honnêteté... Qu'en était-il de lui ? Avant de prendre une décision, mieux valait savoir. Fort de son expérience Patlandoise forte en quiproquos, Sören pris donc le parti de rompre celui qui était en train de naître entre eux. Au nom du moindre mal.


-Gars, 'vec toute la sympathie que j'ai pour toi, 'va falloir vite fait que j'te dise : j'suis un chasseur de primes. Si t'es de ce bord, j'veux dire, révo', j'te toucherais pas, parce que j'fais ni dans la politique, ni dans l'plantage sauvage de bon apôtre. Mais eux, là, ça va p'têtre ben mal tourner. Surtout 'vec l'autre qui les chauffe, là... et j'compte bien pas laisser Boule de Billard s'défendre tout seul, et m'faire du gras en même temps si y'a matière à. Mais bon, si c'est des potes à toi, ça m'emmerderais. Alors dis : t'es là pour quoi, au juste ?

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La générosité payait toujours. Offrez un petit déjeuner bien copieux à un révolutionnaire et celui-ci vous aura donné tous ses contacts avant d'avoir fini d’avaler sa dernière saucisse. Et puis Joseph était un gars sympa, il adorait offrir de la bouffe aux autres, surtout quand c'était aux frais du gouvernement. Un patron bien généreux l'Oncle Genji, on ne saurait le dire assez. Mc Yavel allait sûrement s'étouffer lorsqu'il recevrait la facture et ça c'était tout benef pour Joseph, il ne pouvait tout simplement pas le sacquer. Dire que c'était à cause de lui qu'il avait du sauter le petit déjeuner et qu'il se retrouvait à tailler le bout de gras avec un manouche et une boite de conserve aux tendances anarchistes. La dites boite de conserve avait d'ailleurs tenue à lui témoigner sa sympathie à son égard en tentant de lui exploser le dos d'une claque virile. Si le brave Joseph n'avait pas été un agent de terrain sur entraîné du Cipher Pol, il y aurait laissé plusieurs vertèbres. C'était un détail qui comptait d'ailleurs. Le manouche le reluquait d'un air soupçonneux, pas aimable pour deux sous le gaillard. Ça commandait un p'tit dej aux frais de l'autre et ça se permettait de vous regarder de travers ? Non mais pour qui il se prenait celui là ? P'tet bien qu'il avait réalisé que Joseph n'était pas un banal insomniaque. P'tet bien qu'il devrait être éliminé par mesure de précaution. P'tet bien que Marvin aussi s'était rendu compte d'un truc vu qu'il s'était payé le luxe de balancer un discret, mais bien senti, "mort aux vaches". Il allait falloir qu'il passe à l'action, il ne pouvait plus se permettre d'attendre d'avantage, il fallait...

"La bouffe est servie, avec les compliments de la maison !"

Il fallait surtout qu'il mange. Son estomac l'exigeait. La faim qu'il ressentait face à la vision des œufs brouillés, des saucisses et de la montagne de bidoche qui se trouvait face à lui l'emportait, et de beaucoup, sur son sens du devoir. Il pourrait toujours casser le manouche en deux après avoir mangé non ? Il pourrait les briser tous les os du corps sans même transpirer. Et pis il avait besoin de manger pour digérer sa cuite de la veille. D'après Séparou, un bon agent était un agent sobre ou à tout le moins qui avait fini de décuver. C'était le moment ou jamais pour mettre en application les enseignements du mentor et ça commençait par un interrogatoire un brin agressif du manouche. Il devait s'en occuper, entre deux toasts de confiture, tandis que Marvin était occupé à appeler à l'émeute. Les bouseux du coin s'enivraient joyeusement et hurlaient leur opposition au Gouvernement Mondial, aux patrons, aux vaches et aux exploitants de tout type. Rien à dire, il avait de la gueule le peuple en colère. Il sentait la piquette pas chère et avait une tronche de truand. A tous les coups, il allait bientôt décider de s'en prendre au rade de Boule de Billard.

Le manouche disait venir de Patland, un ancien nid de révolutionnaire. Aujourd'hui ce n'était guère plus qu'un tas de gravats grâce au travail de l'Agent Red. Fou comme ça convergeait gentiment vers sa mission d'origine, le S.A.R. en lien avec Patland et les loustics qui avaient réussis à en filer en douce. Comme ce Sören peut être ?

"Gars, 'vec toute la sympathie que j'ai pour toi, 'va falloir vite fait que j'te dise : j'suis un chasseur de primes. Si t'es de ce bord, j'veux dire, révo', j'te toucherais pas, parce que j'fais ni dans la politique, ni dans l'plantage sauvage de bon apôtre. Mais eux, là, ça va p'têtre ben mal tourner. Surtout 'vec l'autre qui les chauffe, là... et j'compte bien pas laisser Boule de Billard s'défendre tout seul, et m'faire du gras en même temps si y'a matière à. Mais bon, si c'est des potes à toi, ça m'emmerderais. Alors dis : t'es là pour quoi, au juste ?"

Ou pas hein. Personne n’est parfait. On dirait bien que son instinct s'était émoussé. Voilà qu'il prenait un chasseur de prime barbu, sous espèce très répandue parmi les chasseurs de prime, soit disant que ça leur donnait de la virilité, pour un manouche révolutionnaire. Et voilà que le chasseur se sentait pousser des burnes, l'effet de la bouffe ça aussi sûrement. Vas y que je te confronte cash. Non mais il se prenait pour qui celui là ? Déjà que pour qualifier des révolutionnaires de "bons apôtres" fallait avoir un grain, si en plus il se permettait de le confronter, ça allait pas le faire, pas le faire du tout même. Il voulait se la jouer franc jeu ? Va pour le franc jeu. Après tout il avait déjà décidé de se la jouer agressif et puis Marvin était trop occupé pour leur prêter attention, alors autant foncer.

"Parce que j'ai une tronche de révo' peut être ? Pfff, si t'viens de Patland t'as déjà du en croiser non ? Je leur ressemble vraiment à ces crétins d'idéalistes ?"

L'Agent du Cipher Pol plante un coup de fourchette rageur dans une saucisse au lard avant d'adresser un sourire en coin au chasseur. Chaque mot sonnait plus "vrai" que le précédent, peu à peu le masque glissait de son visage.

"Alors non j'suis pas un Révo... Sören. Et ces types, là bas, ça risque pas d'être des potes à moi non. Aucune chance que je m'acoquine avec une bande de connards pareils. Non mais sérieusement, tu les as regardé ? Tous des raclures de bas étage, pas un pour rattraper l'autre. Aucun d'entre eux tiendrait ne serait ce qu'un round. Des merdes j'te dis..."

Et vas y que je te fixe du regard tout en parlant, que je t'observe comme un chasseur observe sa proie. Ah ça pour reluquer le Joseph il sait y faire. Il le fait tellement bien que tu commences à te sentir un poil mal à l'aise d'ailleurs, il t'évalue, te mesure et semble finalement parvenir à un verdict au bout d'une poignée de secondes. Le résultat doit pas être joli, joli vu le grand sourire qu'il t'adresse. Rien à voir avec le numéro d'acteur de tantôt, là c'est un sourire bien large, toutes dents dehors. Un sourire de requin, le genre qui te dit "moi j'suis en haut de la chaîne alimentaire bonhomme".

*ATTAQUE !*

"Alors maintenant c'est le moment de jouer cartes sur table mon p'tit Sören. Tes sympathies révolutionnaires, je m'en tamponne. Moi j'suis là pour Marvin. Affaire officielle du Gouvernement Mondial. Si t'es passée par Patland, tu devrais savoir ce qui se passe quand on s'oppose aux agents du Cipher Pol non ? Ça fait des dégâts. T'voudrais pas qu'il y ait des problèmes ici ? Ce serait dommage que ce rade soit saccagé pas vrai ?"

*ATTAQUE !*

"Vu que j'suis de bonne humeur, voilà ce que je te propose. Tu m'aides à embarquer le Grand Timonier et y'aura une grosse prime pour toi. Juré ! Tu refuses et j'te garantie que ta licence te sera retirée. Tu trouves ça injuste comme deal ? T'as raison !"

*ATTAQUE !*

"Un dernier truc avant que tu ne répondes. Sous la table y'a un flingue pointé droit sur tes burnes. Alors choisis bien tes prochains mots mon gars."


Un déclic se fit entendre, comme celui d'un pistolet qu'on arme. Joseph venait de prouver qu'il ne bluffait pas. Au diable l'interrogatoire, il avait tout misé sur l'agressivité. C'était comme ça qu'on se gagnait un allié... ou un ennemi. De la main gauche Joe dégustait son café. Mais qu'en était-il de la droite ? Depuis le début de son petit speech, la dite main droite était sous la table et, comme quoi Joe n'était pas qu'un menteur, elle tenait bien un flingue. Le fait qu'il aimait casser des crânes n'était pas une raison suffisante pour qu'il aille en mission sous équipé. Règle n°4 du manuel du parfait petit Agent du Cipher Pol: ne jamais cracher sur le matos. Niveau bande son ça s'excitait bien comme il faut. Faut dire que boule de billard continuait à servir les loqueteux et eux, plus ils picolaient, plus ils s'excitaient. Faut dire qu'avec un Marvin d'humeur anarchiste à leur tête, ils pouvaient faire n'importe quoi. Surtout le pire.
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Il y avait deux choses que Sören ne pouvait pas prévoir, tout jeune et bonhomme qu'il était. La première, c'était que Joe était un imbécile qui partait au quart de tour. La seconde, c'était que Joe était aussi un connard indécrottable. Il fallait bien ça pour avoir interprété ses paroles d'une manière aussi... tordue. L'envie de redresser le tir, de corriger les malentendus tiraillait Sören. Mais la menace de l'agent le poussa à garder le silence. Décidément, c'était sa période... heureusement pour le gouvernement mondial qu'il était d'une droiture d'esprit impeccable, et qu'il avait le sens des nuances ! Deux salauds aux bottes des dirigeants ne faisait pas du système entier une infamie. Sinon, il aurait rejoint la révolution sitôt l'affaire réglée. A condition qu'elle puisse se régler aussi pacifiquement que possible. Tout de même... deux agents de suite, avec des méthodes similaires. De quoi se poser quelques questions sur l'allure de son karma.

-... J'ai jamais dit qu'j'avais des sympathies révolutionnaires. Et j'ai jamais dit non plus qu'm'opposer aux agents du Cipher Pol faisait partie d'mes habitudes.

Colère rentrée, mais regard tranquille. Sören toisait son bienfaiteur en étalant un œuf au plat sur une large tranche de pain. On ne gâchait pas une aubaine, même s'il sentait qu'il ne fallait pas user la patience de celui qui menaçait l'intégrité de ses danseuses. Le tout était de trouver le juste milieu. Hors de question de s'écraser sous la menace. Être un chasseur misérable n'empêche pas d'avoir une dignité et une estime de soi. Surtout lorsque l'on venait d'un milieu rural où l'honneur fait office de loi.

-Et pour l'reste, j'marche. Marvin, comme tu l'appelles, j'ai juste cru bon d'l'emmener loin du village, vu qu'il empêchait l'monde de dormir. Et comme y fout encore la merde, et qu'en plus il est recherché...

Mais soudain, une belle choppe en bois cerclée de fer entra en contact avec le crâne de l'agent. Le coup de feu partit, légèrement dévié, et la balle vint se loger dans le gras de la cuisse du barde. Sauf qu'en vivant dans la rue et sur les mers avec pour tout bagage et toute nourriture ce que la bonne fortune voulait bien lui offrir, le gras n'était pas forcément l'apanage de ses cuisses. Ce fut donc en retenant un cri de douleur, le souffle court, qu'il se jeta sur le côté, par réflexe. Dans la taverne, c'était la guerre. Les soulards de fin de soirée recrutés par Marvin avaient l'air de penser mener une bataille sacrée. Ils cassaient tout méthodiquement, patiemment, sans même songer à se castagner entre eux. Pourtant, leur chef gesticulait en hurlant :

-Camaraaaades ! Camaraaaades ! Vous vous trompez de colère, la cible n'est pas dans les lieux aimés du peuple, mais dans ce qui les opprime ! Le gouvernement, la marine ! Les flics, et les espions ! Arrêtez !
-T'es fier de toi ?

Sören s'était relevé, et tenait ses serpes ouvertes. Il ne pouvait s'appuyer sur sa jambe gauche, mais rien ne l'empêcherait de se défendre. De son côté, Joe faisait littéralement manger la choppe à son lanceur, tandis qu'une belle bosse rose pointait sous son borsalino écrasé.

-Ah, euh, eh bien... ce sont des choses qui arrivent. Nous sommes mal préparés, mais un jour...
-T'es rein qu'un connard, Marvin. T'vaux pas mieux qu'ceux du gouvernement qui font avec les gens comme avec les om'lettes. Pas possible sans casser les œufs, hein ? Et quand tes œufs, c'est la vie d'un gars, son boulot, son sang, t'fais quoi ? J'comprends pourquoi t'es recherché. Maint'nant, t'es aussi ma cible.

Joignant les actes à la parole, Sören prit le géant par surprise. Il bondit et frappa des deux serpes, enchaînant quelques passes d'armes. Mais l'autre ne réagissait pas. D'ailleurs, l'acier des armes rendait un son creux à chaque offensive.

-Tu vas te blesser. J'ai un corps en titane, technologie révolutionnaire !
-Ça m'aurait étonné, aussi...
-Pourquoi m'avoir attaqué ? Nos avis divergent, mais je saurais rallier les foules... je veux juste construire un monde meilleur. L'égalité pour tous, la paix dans les mœurs par l'abolition de la logique de concurrence, la culture gratuite...
-Et les paysans ?
-MORT AUX CAPITALISTES !
-... Euh ?
-Ça m'a échappé.

Un bruit de verre brisé vint interrompre cette charmante conversation. Le grand chauve qui faisait office de maître des lieux était entré dans la danse, et avait ramené ses videurs préférés avec lui. Tous faisaient craquer leurs doigts.

-Toi, toi, et toi. Vous restez pour nettoyer. Les autres, vous dégagez, ou vous dégustez. A la carte.

Évidemment, les trois désignés étaient de loin les plus lucides de la partie. Sören, Joe, et Marvin. Quoique pour ce dernier, la question pouvait se poser.

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Travailler dans les services de renseignements du Gouvernement Mondial, plus connus sous le nom de Cipher Pols, ça vous forgeait le caractère. Déjà qu'à la base le jeune Joseph était une belle petite ordure, le passage par la case CP5 en avait fait une crevure professionnelle. Et les salauds de ce genre, ça réfléchit de façon très basique: t'es avec moi ou t'es contre moi. Une bon enfoiré se réserve toujours un moyen de pression bien vicelard, de préférence sous la ceinture. Bon là pour le coup il avait suivi la théorie à la lettre, le pétard pointé droit sur les valseuses, on pouvait difficilement faire mieux en matière de "moyen de pression". Et ça marche ! Le pécore chasseur avait beau rechigner, nier ses sympathies révolutionnaires et se faire tirer l'oreille, au final il cèda. C'était mécanique, tout le monde finissait immanquablement par craquer, ce n'était qu'une question de temps. Celui là n'était visiblement pas fait d'un alliage très résistant.

"Et pour l'reste, j'marche. Marvin, comme tu l'appelles, j'ai juste cru bon d'l'emmener loin du village, vu qu'il empêchait l'monde de dormir. Et comme y fout encore la merde, et qu'en plus il est recherché..."

Grand sourire de l'Agent du Cipher Pol, pour sûr tout se passait pour le mieux. Il allait ranger son arme quand soudain, sortie de nul part, une chope en bois cerclée de fer vint s'abîmer en plein sur sa caboche. Il avait pas vu le coup venir, la surprise fait que le coup de feu part tout seul. Pan dans la cuisse du manouche, pauvre Sören, il l'avait pas mérité... Le soucis c'est que les problèmes dans l'établissement semblent se multiplier à grande vitesse. Marvin a tellement chauffé les alcooliques et les truands locaux que ceux-ci s'en donnent à coeur joie sur le mobilier. Bel exemple de destruction méthodique. On retient donc "agression sur agent dans l'exercice de ses fonctions, destruction de biens publics, appel à l'émeute, participation à une manifestation à l'encontre du Gouvernement Mondial". La liste des crimes constatés commençait à être bien chargée, à ce rythme là l'Agent du CP5 allait devoir demander un navire-prison pour tout ce beau monde. De la racaille révolutionnaire ramenée à la pelle, oui monsieur. Mais dans l'immédiat Crack Joe était surtout très occupé à se venger du lanceur supposé de la chope. Son crâne le démangeait et il sentait déjà poindre la bosse alors autant dire que l'autre gugus allait prendre cher, très cher.

Pas de bol pour Joseph, le Patron vint siffler la fin de la récréation avec quatre de ses collègues tout en muscles. Et dire qu'il avait tout juste eu le temps d'exploser les dents du jeteur de chope, grâce à ladite chope. Il s'en tirait à bon compte.

"Toi, toi, et toi. Vous restez pour nettoyer. Les autres, vous dégagez, ou vous dégustez. A la carte."

Le moment de vérité était arrivé. Comment allaient obtempérer les poivrots et leur meneur de titane ? Allaient ils écouter la voix de la raison, la grosse voix du patron, ou celle de la folie que le timbre métallique de Marvin personnifiait ? Le groupe de soiffards semblait hésiter, ils regardaient Marvin, ils regardaient le patron. Marvin fut le premier à briser ce silence qui menaçait de devenir pesant.

"Camaraaaaades ! L'ennemi est partout ! Les chiens à la solde du Gouvernement Mondial nous veulent nous faire taire ! Ils veulent nous prendre notre liberté, mais ils ne l'auront pas ! Viva la Libertad ! Hasta la lucha siempre y viva la revolucion ! Mort aux Patrons ! Mort aux capitalistes !"

Pour le coup ce n'était pas une réponse spécialement... lucide. Le patron en question et ses malabars se mirent à craquer leurs nuques histoire de bien faire comprendre à tout le groupe de soiffards la façon dont les évènements allaient se dérouler s'ils n'obtempéraient pas: ils allaient ramasser de gros gnons et pas qu'un peu. Un ange passa, puis un second et un troisième. Les révolutionnaires à la petite semaine semblaient suspendus aux lèvres d'acier de leur meneur. Marvin ne les déçut nullement, dans un geste théâtral il abattit son bras de titane et le pointa sur le chauve faisant office de Patron.

"Les patrons doivent être pendus à des crocs de boucher ! La révolution commence ici camarades, battez vous pour un monde meilleur ! A l'attaqueeeeee !"

Le signal du départ fut donné, les soiffards se jetèrent avec une motivation renforcé par l'alcool sur les videurs. On était bon pour un combat de masse, une bonne vieille baston de taverne à l'ancienne où ça se frappait dans tous les coins. Bim, bam, boum, les colosses étendirent leurs agresseurs sans même transpirer. Une fois les trois premiers mis hors de combat, un flottement s'abattit sur la pièce. Voir leurs collègues se faire envoyer au tapis aussi facilement avait refroidi les ardeurs des plus enthousiastes des révolutionnaires amateurs. Et telle la marée, ils commencèrent à refluer en désordre. Les videurs se préparaient à faire déguster les autres amateurs de castagne, ça allait être vite bouclé. Ou en tout cas ça aurait du l'être mais visiblement Marvin n'avait pas lu le script. Le Grand Timonier se décida à entrer dans la danse à son tour ou plutôt à traverser la piste.

"Vous ne pourrez jamais me faire taire séides du Gouvernement ! La Révolution est à portée de mains, je ferai de ce monde un monde meillleuuuuuuurrrrr !"

Et le voilà qu'il fonce à travers la salle, droit sur la porte (qu'il amoche un peu au passage). C'est que ça va vite une machine pareille quand c'est motivée de la sorte. Les présents n'ont pas le temps de dire ouf que déjà Marvin est dehors, on l'entendait avaler la distance à chaque "cling" sonore qui retentissait. Le malheureux Agent Patchett avait été quelque peu dépassé par les évènements, il avait déjà sorti son portefeuille, tout prêt qu'il était à payer pour la casse (aux frais de l'Oncle Genji bien entendu) histoire de s'épargner le rangement mais la réaction de Marvin avait tout foutu en l'air. Maintenant il était en fuite et s'il réussissait à s'échapper ça allait être une catastrophe, une grosse catastrophe même. Il devait l'arrêter... et vite !

"Mais c'est qu'il se casse ce con ! Hey, le chasseur là, Sören, aide moi à choper ce tas de ferraille tu veux ? J'te rajouterai les soins médicaux à ta prime ! Pis t'as vu quel connard c'est ce Marvin ? Allé on se bouge !"

Visiblement pressé, l'Agent du Gouvernement Mondial se dirigea à son tour vers la sortie au pas de charge. Il était pressé mais aussi suprêmement stupide, déjà qu'il n'attendait pas de réponse de son tout nouveau "partenaire" mais en plus il semblait croire qu'un chasseur avec une balle dans la cuisse puisse l'aider à courser un machin comme Marvin ? Bon même en "pointe de vitesse" celui-ci n'irait pas bien vite mais tout de même. Et en plus c'est qu'il allait se casser sans payer pour les dégâts ou la bouffe, ah mais c'est qu'il était beau le serviteur de la Loi et de l'Ordre !

"Ah oui euuuuh, désolé pour la casse au fait. Voilà pour l'dédomagement !"

Juste avant de franchir la porte, le brave Joseph sortit une liasse de billets de son portefeuille qu'il laissa tomber négligemment sur une table. A vue de nez il y avait là dans les 150.000 berrys, une belle somme bien que sûrement insuffisante pour réparer les dégâts causés par Marvin et ses affidés. Au moins ça paierait largement la bectance. Maintenant il était temps de se mettre en chasse. L'homme de fer avait à peine une centaine de mètres d'avance sur lui et vu le boucan qu'il faisait à courir tout en ameutant la population à base de "aux armes citoyens !" et autres slogans révolutionnaires bien sentis. La journée était décidément placée sous le signe du Marteau et de la Faucille.
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Les choses auraient peut-être pu se régler calmement, si Marvin avait voulu faire profil bas. Une fois, rien qu'une fois. Mais au lieu de cela, il s'était rué à l'extérieur avec l'agent Patchett sur ses pas. Agent qui avait d'ailleurs exigé l'assistance d'un Sören qui saignait comme un porc, alors que les compagnons du taverniste n'auraient sans doute pas craché sur un peu de castagne vengeresse. Surtout s'il y avait moyen de réclamer des comptes, à terme. Des vrais, pas cette pauvre liasse de billets posée arbitrairement sur une table brisée dont le remplacement aurait déjà réclamé une part non-négligeable de ladite liasse.

-Bon, les gars, c'est pas la première fois, hein ?
-Pour sûr, patron.
-Yep mon pote. On s'est encore payé ta truffe, moi j'dis.
-On se tient au plan habituel ? On cogne ? Hé ?
-...
-Évidemment. Magnez-vous ! Ah, une chose, aussi. Allez-y mollo. Le jeunot a eu droit à sa dose de laxatif, dans le café. Et le cyborg s'est imbibé d'huile de friture inchangée pendant deux ans. J'les sentais pas.
-Waouh, boss !
-J'retire c'que j'ai dit. On sent le sacré vétéran de Grand Line.
-On y va, les gars ! A la gueeeerrrrrrreeee ! Ouaaaaiiiis !
-...

Ainsi, les quatre gardes du corps s'en allèrent sur les traces du révolutionnaire rouillé et de son poursuivant qui ne tarderait pas à sentir ses tripes se liquéfier. Sören s'était assis. Hors de question pour lui d'aller courir après un adversaire qu'il ne pouvait vaincre à l'intimidation, à la bravade et à l'usure lente. Surtout avec une balle logée dans la cuisse, et une épaule tout juste remise de sa dernière infortune. Peut-être ferait-il semblant, à un moment ou à un autre, histoire de bénéficier des soins promis par l'agent. Au pire, il pourrait retourner sur Patland, en priant pour ne pas retomber dans une troisième galère sordide. Là-bas, on le soignerait comme on l'avait déjà soigné. Les villageois étaient habitués à recueillir des révolutionnaires en mauvais état, la médecine, c'était dans leurs cordes.

-Eh, petit, ça va ?
-Ouais, comme un bougre qu'a pris du plomb dans la guibolle. Dis, tu m'as rein mis dans l'assiette, au moins ?
-Nan, nan, je touche pas aux mômes. Fais voir ça.
-...
-Bon, une chance, elle est ressortie de l'autre côté sans rien casser. Cognac ? Calva ? Armagnac ? Tu préfères quoi ?
-Euh... Armagnac.
-C'est la maison qui offre.

Sans vraiment comprendre, Sören but son verre d'une traite, tandis que le taverniste lui renversait la bouteille sur sa plaie. La brûlure se répandit jusqu'à ses intestins, et il dut se contenir pour ne pas tout recracher. Puis l'homme banda consciencieusement la blessure, en prenant bien garde à serrer sans pour autant couper la circulation.

-Hé, merci doc'.
-Avec plaisir, petit. Allez, file donc, maintenant. Tu peux marcher ?
-Ouais, ouais. Mais j'ai pas à fuir. J'suis pas un bandit.
-T'as pourtant bien la tronche d'un de ces gamins qui partent jouer au plus fin sur les mers.
-J'suis chasseur.
-Ah, au temps pour moi. Sauf que ça change rien : fais pas le con, bonhomme. Ce Marvin, là, c'est un cyborg. T'sais ce que c'est, un cyborg ? Un mec qui s'est fiché des morceaux de métal dans le corps jusqu'à devenir un peu plus qu'un homme. Pour les battre, il faut une force qui dépasse la leur. Et t'as beau avoir l'air pas trop godiche, crois moi, il faut plus que ça. T'es blessé, en plus. L'oublie pas.
-J'sais. Merci pour tout, l'ami. Mais vaut mieux pour moi que j'fasse au moins semblant d'aider. Le gars m'a menacé, et comme toi, je l'sens pas.
-Hop hop, la jeunesse, on s'emballe pas. Mes gars sont assez forts pour tenir Marvin en respect et calmer ton castagneur s'il voit rouge. Fais rien de stupide...
-Désolé, j'ai d'jà vu c'qu'un mec du Cipher Pol pouvait faire. J'peux pas juste le croire. J'y vais. Merci encore pour tout.
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Au fil des années, la section scientifique du Gouvernement avait eu des projets plus ou moins douteux. Le projet Marvin était sûrement le plus foireux de tous. Comment le résultat pouvait il être considéré autrement que comme un échec ? Peu importe le prisme retenu pour observer la situation, Marvin était un échec. Non content d'empêcher les braves gens de dormir, il venait troubler leur tranquillité en leur hurlant dans les oreilles des insanités comme "rebellez vous contre le Gouvernement Mondial". Il était inconcevable qu'on puisse laisser pareille machine en liberté. En tant qu'agent du Cipher Pol n°5, Joseph se devait de mette Marvin hors d'état de nuire, il le savait. Oh il avait tenté de se la jouer "cool" jusqu'à présent mais maintenant que l'homme de métal avait décidé de prendre la clef des champs, fini la rigolade. Bon ça c'était l'idéal... Dans la pratique, Marvin avançait sacrément vite. Tout en cliquètements et grincements de métal ce qui le rendait facile à suivre mais à chaque nouveau pas il prenait un peu plus d'avance.

*Saleté de robot... Connerie de mécanique. Tu vas pas ralentir hein ? T'as aucune putain de faiblesse c'est ça ? La fatigue tu connais pas hein ?!*

Et soudain, comme si Marvin avait soudain entendu les pensées furieuses de l'Agent Patchett, le voilà qui s'arrêta d'un bloc. Le voilà qui se tient droit comme un piquet au milieu d'une rue passablement déserte, la tête tournée vers le ciel, ce qui ressemble à de la bave (à moins qu'il ne s'agisse d'huile de friture rance) pointait à la commissure de lèvres de la machine. La monstruosité de métal garda la pose quelques instants avant de se précipiter dans une contre allée pour rendre son déjeuner. Oui, cela pouvait paraître étrange étant donné que Marvin n'était pas sensé posséder de système digestif mais il était bien en train de vomir. Pas de doute, l'huile de friture lui était resté sur l'estomac. Arrivant à toute allure, propulsé en avant par sa rage, l'Agent Patchett saisit instantanément la situation. C'était là sa chance. D'un Daaassh bien violent, il se rapprocha à toute vitesse de sa cible. Son poing droit levé bien haut, le Kraak était déjà armé. C'était un véritable coup de tueur qu'il envoyait, le genre de coup à vous mettre n'importe qui au tapis, même un Pacifista Communiste !

GrogngngngnrogLOGLOGLOGLOglorognnnn

Bon bah la victoire de l'Agent Patchett sur Marvin le Cyborg ne serait pas pour aujourd'hui. Le grognement atroce qui venait de se faire entendre n'avait pas été émis par un quelconque monstre préhistorique, ô que non. Il venait tout droit de l'estomac du malheureux Joseph. Il était maintenant plié en deux, ses mains enserrant son ventre désespérément comme s'il pensait pouvoir empêcher son estomac de jouer des siennes à condition de le serrer assez fort. Fol espoir ! Les grognements se succédaient, chacun plus menaçant que le précédent. Un laxatif, ce ne pouvait être qu'un laxatif ! Ou alors les oeufs du Cofee Shop étaient tous pourris depuis des années. Quelle rage que celle de Joseph Patchett qui voyait sa cible, vulnérable, à seulement quelques mètres de lui alors même qu'il était incapable de franchir cette distance. C'était tout juste s'il parvenait à rester debout. Evidemment quand un agent du Gouvernement Mondial se trouvait dans la panade, il se présentait toujours quelques braves citoyens tout prêt à l'aider à accomplir sa mission. D'ailleurs les voilà qui arrivaient, les quatre brave videurs du bar venus rendre la monnaie de sa pièce à Marvin. Sot de Joseph, il aurait du leur demander de venir directement avec lui. Maintenant il risquait fort de leur être redevable surtout compte tenu de son état actuel. Ses intestins dansaient la gigue

-Il a l'air mal en point le jeunot...
-Sûr que t'en mènes pas large mon pote. T'vas rester tranquille hein ?
-Alors, on peut le cogner hein ?
-...

"Déconnez pas, j'suis pas en état d'rire là. Vous devriez plutôt l'arrêter lui. Et m'donnez un médoc... Promis j'vous..."

Un autre, très bruyant, grognement d'estomac coupa l'Agent du Cipher Po au milieu de sa phrase. Il ne put rien faire d'autre que de tomber à genoux, ses bras toujours joints autour de son ventre. Il semblait marmonner dans sa barbe. Peut être adressait il de vaines suppliques à son estomac, priant celui-ci d'épargner son honneur et son égo. Il ne saurait survivre à cette humiliation, surtout s'il y avait des témoins ! Heureusement que Marvin était là pour faire distraction. Il faut dire que l'Homme de Métal n'en menait pas large non plus. Il était en train de rendre l'intégralité de son réservoir d'huile dans la ruelle, il y avait même quelques vis et autres boulons qui dégringolaient de la mâchoire du monstre.

-Toi tu vas regretter d'avoir foutu la merde. Le Patron c'est pas un rigolo !
-Fallait pas t'en prendre à nous !
-Bastooooon !
-...

La suite fut quelque peu plus confuse. Marvin était difficilement en état de se défendre, tout comme Joseph. Ce dernier avait déjà du boulot à faire pour empêcher ces tripes de se liquéfier. Alors empêcher quatre videurs taillés dans le granit d'affronter un cyborg dégobilleur, c'était pas du tout à l'ordre du jour. Cela dit ils avaient beau le frapper et y mettre plein de bonne volonté, les coups renvoyaient un son creux. Qu'avait dit Marvin déjà ? Ah oui, le Titane, technologie révolutionnaire ! Il allait falloir plus que des coups désordonnés pour venir à bout du Cyborg. Et surtout il allait vite falloir un sceau, ou des toilettes, pour le malheureux Joseph qui sentait que sa dignité allait l'abandonner sous peu tant ses tripes se liquéfiaient. Un trône ! Mon royaume pour un trône ! Il aurait sans doute dit quelque chose de ce goût là s'il avait eu le moindre royaume à échanger. A la place les pensées de Crack Joe étaient beaucoup plus... prosaïques.

*Nan... Peut pas... Pas ici... Pas devant des gens... Nan... Pas d'témoins... Devrait tous les buter... Aaaaah ce que j'ai mal au bide ! Quelle journée pourrie...*
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Un laxatif... c'était quand même vache. Surtout pour l'honneur de l'agent Patchett qui avait l'air de contenir ses tripes à toute force, négligeant jusqu'à l'objet de sa mission. Objet qui avait cessé de vomir des appels à la révolte, pour leur substituer un flot d'huile gluante et noirâtre. Avec autour de lui, comme de grosses mouches, les gardes du corps qui usaient leurs poings sur sa carrosserie.

Boitant tant qu'il pouvait, Sören savait pertinemment qu'il ne pouvait rien faire face à Marvin. Seulement, il y avait une peau à sauver, dans l'histoire. La sienne. Car sitôt vidé, Joe risquerait fort de chercher à se venger. Sa mauvaise humeur pouvait lui retomber dessus comme elle pouvait retomber sur d'autres. Dans les deux cas, mieux valait éviter de tenter le diable. Il serait bon garçon. Il allait l'aider à sauver son honneur.

Son bouzouki accroché dans le dos, le chapeau vissé sur la tête et les mains ouvertes, désarmées, Sören s'approcha de l'agent qui grimaçait en gémissant, plié en deux. Une rage terrible se lisait sur son visage crispé dans une parodie de masque de théâtre. Le garçon se baissa.


-Écoute, Joe. J'sais c'que c'est qu'l'honneur d'un homme. J'suis okay pour t'aider à l'défendre, c't'honneur. Sauf qu'en contrepartie, tu t'cass'ras d'ici. 'Vec Marvin ou sans, c'est ton problème, j'en ai rein à foutre. Mais t'impliqu'ras plus personne. Les actes du Ciper Pol sont sensés rester un peu secrets, non ?

Sur ces mots, il tendit les bras et chargea l'agent sur ses épaules, avec une facilité assez déconcertante. Il n'était peut-être pas grand, mais tout ce qu'il avait fait dans sa vie, c'était des choses qui endurcissaient. La vigne, la rue, la chasse. Rien de tout cela ne lui avait jamais fait peur. Il était solide comme un roc, sous ses traits plutôt doux de grand gamin encore rêveur.

Le trajet ne fût pas bien long. Sören se contenta de frapper à plusieurs portes jusqu'à trouver une âme suffisamment charitable pour permettre à un inconnu d'aller vider ses tripes au propre; c'est à dire, au dessus d'un trou rempli de sciure de bois et couronné d'une belle cuvette cirée. Cette âme charitable, c'était une vieille dame qui avait été très surprise de voir que ses douze vieux matous aigris s'étaient mis à ronronner de concert en l'apercevant, lui, Sören.

Il buvait donc un bon café noir en bonne compagnie, avec des madeleines dignes de celles de la boulangère de l'île du Loupiac, pendant que Joe renouvelait la faune de la fosse à merde avec autant de dignité que possible.


-Mais enfin, bon dieu, qu'est-il donc arrivé à votre jambe ?
-Oh, vous savez c'que c'est. Entre hommes, on aime ben s'chercher un peu...
-Enfin, tout de même, ça a l'air de saigner...
-C'est rein, j'lui ai ben rendu.
-Oui, ça s'entend.

Un cri déchirant résonna depuis la cabane, qui se trouvait pourtant au fond du jardin. Sören esquissa un sourire aimable.

-Non, ça, c'est pas moi. Un aut' pote à qui il a cassé deux trois bibelots...
-Oh... Reprenez donc une madeleine.
-Merci.
-Je n'ai jamais vu les chats aimer autant un inconnu...
-Vous d'vriez inviter plus souvent. Les mad'leines sont excellentes.

Des bruits de pas irréguliers vinrent interrompre la conversation. Joe avait du finir son affaire. Restait à savoir s'il s'agissait bel et bien d'un parfait petit salaud, ou s'il lui restait un fond de fierté. Sören termina sa tasse, et rabattit son capuchon sur Morgan qui essayait de passer la tête.
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"AAAAAAAAAAARRRRRRRRRRGGGGGGGGHHHHHHHHH !!!!!!!!!!!!!"

La douleur était atroce, à la limite du supportable. Un autre, plus faible que Joseph, se serait évanoui. Lui serrait les dents et maudissait celui qui lui avait joué ce tour de cochon. Il y aurait des conséquences, parole de Joseph ! Refiler un laxatif à un agent du Cipher Pol en mission devrait être considéré comme un crime à l'encontre du Gouvernement Mondial lui même. Il les enverrait tous à Enies Lobby, ça leur ferait les pieds tiens. Marmonner des malédictions était le seul réconfort que Joseph pouvait trouver dans sa souffrance. Ses tripes, désormais totalement liquéfiées, se vidaient d'elles même tandis qu'il se cramponnait aux rebords du Trône de marbre pour essayer de préserver ce qui lui restait de dignité. Oh il avait bien essayé de ne pas crier mais un hurlement lui avait échappé. Et encore, le résultat aurait pu être bien pire si le paysan-chasseur, Sören, ne l'avait pas aidé. Il avait déjà eu affaire à des agents du Cipher Pol par le passé d'après ce qu'il avait dit plus tôt. Pas de doute, l'honneur de Joseph il s'en tamponnait comme de sa première chemise, qui était sans doute celle qu'il portait encore vu l'odeur. En dépit de l'odeur pestilentielle qui commençait à se répandre dans son lieu d'aisance, l'Agent Patchett tentait de remettre ses pensées en ordre. Il devait réfléchir et ce même si avoir le pantalon sur les chevilles ne lui facilitait pas la tâche.

Le gars Sören avait été très clair. En échange de l'aide inestimable qu'il lui avait apporté, il voulait que lui, Crack Joe, lève les voiles. Pire, il avait osé se foutre de sa gueule sur le côté secret des opérations du Cipher Pol. Il en avait de bonnes le môme, s'il avait pas autant ressemblé à un révolutionnaire y'aurait pas eu tous ces problèmes. Ce n'était pas que Joseph tienne particulièrement au succès de la mission. Après tout, il pourrait toujours raconter l'un ou l'autre bobard à Mc Yavel en faisant son rapport. Restait toujours le soucis du S.A.R. qu'il devait assurer mais ça aussi il saurait gérer. Des révolutionnaires ? Plus un seul M'sieu. Du ressentiment de la population à l'égard des autorités ? Nullement ! Mais il n'était que peu à l'aise à l'idée qu'un pécore se permette de lui donner des ordres. Ouais mais s'il était dans cette m... situation, c'était à cause de Marvin. Il fallait un responsable. Quelqu'un devait payer et ce quelqu'un c'était Marvin. Il serait toujours temps de revenir pour tirer cette histoire de laxatif au clair.

Joseph eut un sourire sans joie. Son estomac avait terminé de se vider. Deux rouleaux entiers de papier hygiénique plus tard, il franchissait enfin la porte du petit salon où se trouvaient Sören et la vieille dame. Le visage de l'Agent Patchett était livide, ses traits tirés comme creusés. Il paraissait assez faible pour être renversé par un souffle de vent un peu fort. Avisant la carafe d'eau sur la table, l'agent la saisit à pleine main avant d'avaler l'intégralité de son contenu. Le pire avec ces histoires de laxatif c'était la déshydratation. Une bonne carafe d'eau et ça allait déjà mieux. Un bon repas consistant et cette histoire ne serait plus qu'un mauvais souvenir.

"Raaaaah. Ça fait du bien, merci pour l'eau M'dame. Permettez que j'vous prenne quelques madeleines ?"

Alors que la charmante vieille dame lui tendait le plateau de madeleines pour qu'il puisse se servir, Joseph fut sauvagement agressé par des vieux chats aigris. Ils lui griffèrent le bas du pantalon, lui crachèrent dessus même. Une furieuse envie de shooter dedans lui vint mais il se retint. La dame lui avait ouvert sa porte, il n'allait tout de même pas s'en prendre à ses pauvres matous juste après. Alors Joseph sourit, un brin crispé le sourire mais il y avait du mieux. Il piocha surtout généreusement dans les madeleines.

"Mmm, délicieuses vos madeleines Madame."
"Vous prendrez bien un café alors ?"
"Je crains de devoir refuser. Vous comprenez, j'ai d'autres impératifs qui m'attendent."

Joseph tourna son regard vers le paysan et grimaça ce qui devait chez lui s'apparenter à un sourire. C'était pas son truc les sourires naturels. Par contre il s'y entendait admirablement bien pour refaire celui des autres.

"J'ai bien entendu ta leçon mon gars... T'es un bon p'tit tu le sais ça ? T'aurais pu me laisser dans la me... dans le pétrin mais tu l'as pas fait. Alors moi aussi j'serai réglo et je vais retourner à mes affaires. Je t'ai jamais vu, j'suis jamais allé dans ce rade et j'me demande même si je suis déjà venu sur Inu Town. Oh et pardon pour la balle. Crois bien que c'était pas voulu, sinon j'aurais jamais tiré dans le gras. Maintenant si tu veux bien m'excuser... J'ai à faire."

D'un pas redevenu normal, Joseph sortit de la maison. A l'extérieur l'agitation était calmée, les videurs avaient visiblement réussi à mettre K.O. Marvin car le cyborg gisait inanimé dans une flaque d'huile. Ça c'était du sens de l'observation digne des plus grands agents ! Les sens affûtés de Joseph notèrent les nombreuses traces de coups imprimés dans le métal du cyborg. Comment avaient elles été faites ? On pouvait sans grand risque supposer que c'était dû aux lourdes masses qui traînaient à côté du cyborg. Les videurs avaient monté le niveau. D'après les bruits qu'il émettait, le Pacifista v0.9 était encore "vivant" ou actif, Joseph n'avait jamais bien pigé la différence mais c'était secondaire. L'essentiel c'était qu'il se défoule sur Marvin, déjà, puis qu'il le livre au point de rendez vous habituel. Pour ça il avait l'objet idéal juste à portée de main. Une bonne et bien lourde masse. Marvin était en titane pas vrai ? Il en mourrait pas. Pis Mc Yavel avait dit que même "mort" ça irait alors...

"Prends ça ! Et ça ! Et ça ! Et encore ça ! Tiens, celui là c'est pour le laxatif ! Et celui là c'est pour avoir gueulé mort aux cochons ! Et mort aux espions aussi tiens !"

Et les coups de masse continuaient à pleuvoir. Il faut dire que Joseph compensait son manque d'énergie par une rage démultipliée. Coup de bol pour le voisinage, c'était Marvin qui en faisait les frais. Ils en seraient quitte avec un réveil "sonore".
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Bon, il fallait croire que le Joseph n'était pas si salaud que ça. Stupide, probablement, par contre. Parce qu'à peine parti, la vieille femme avait sorti un escargophone d'un genre que Sören n'avait jamais vu.

-Mon garçon, soit sage, rentre chez toi. C'est une affaire confidentielle, et il vaut mieux que tu ne t'en mêles pas davantage. Oui, McYavel ? C'est Georgie, en faction à Inu Town...

Bien qu'un peu surpris, le jeune chasseur prit soin de sortir silencieusement, sans poser de questions. Une fois dehors, il tenta d'appréhender la situation sous un nouveau jour. Ce qui s'avéra difficile, avec les échos de métal martelé qui résonnaient dans les rues encore partiellement ensommeillées. Quelques injures tombèrent des fenêtres, sans plus.

Après tout, les choses ne le concernaient pas. Il n'était pas assez fort pour participer à la capture de Marvin, sa jambe avait besoin de soins. Le plus sage était encore de retourner voir le taverniste, et de lui demander une chambre en échange d'un coup de main. Il avait l'air d'avoir bon cœur, il ne refuserait pas.

Plutôt heureux à cette idée, Sören ne remarqua pas le grand bonhomme un peu pataud qui passa à côté de lui, l'air perdu, ni même la bonne femme très sèche qui se promenait en charentaises sur les docks. Il avait besoin de repos.


* * *

-Oui, Mc, il a blessé un civil, pour commencer.
-Quel crétin. Enfin, si le CP5 n'avait que des flèches dans ses rangs, ça serait pas le CP5... Ensuite ?
-Il a réussi à provoquer la colère d'un autre civil, qui lui a donné un laxatif. Destruction de boutique...
-T'es en train de me dire qu'il s'est vidé en pleine rue pendant une mission ?
-Non, le premier civil lui a épargné ça. Je l'ai guidé sans qu'il s'en rende compte dans l'un des appartements que nous louons pour nos couvertures. Tu pourras lui envoyer la facture pour deux kilos de sciure, une nouvelle cuvette et du produit d'entretien, parce qu'il a accomplit l'exploit de pourrir des toilettes sèches...
-Pour une fois qu'il accomplit un exploit ailleurs que devant un comptoir, on passera l'éponge.
-Maintenant, il est reparti achever Marvin, en mauvaise posture d'après mes observations. Je pense qu'il achèvera sa mission normalement. En résumé, il manque de manières et de discrétion, mais ça a tout l'air d'être un agent correct selon les normes du CP5.
-Tu m'en vois rassuré. Merci Georgie, je te revaudrais ça un de ces jours. Tu gères le collatéral ?
-J'enverrais de quoi finir de rembourser les dégâts. Un docteur pour le civil, aussi.
-Bien. Il manquerait plus que nos actions engendrent des sympathies révolutionnaires...

* * *

L'œil vif sous ses bigoudis bien serrés, Gertrude parcourait les quais avec colère. De la colère, oui. Parce que Jean-René était parti depuis bientôt deux heures, alors qu'elle l'avait envoyé acheter du charbon pour le four à pizza. Comprendre que les boutiques étaient fermées à une heure si matinale était largement au-dessus de ses forces. De toutes manières, Jean-René était un incapable. Quand une porte est fermée, on attend pas qu'elle s'ouvre. On frappe jusqu'à ce que ça se fasse. C'est tout.
En plus de cela, il était introuvable, maintenant, et la pâte n'était pas faite non plus ! De quoi en rendre furieuse plus d'une, tout de même.

Et maintenant, il y avait ça : une pauvre créature malheureuse qui se faisait démolir à coups de masse par un jeune arrogant qui jurait comme un charretier. La goutte d'eau qu'il ne fallait pas mettre dans le vase déjà assez ridicule que constituait la tolérance de Gertrude.


-Frapper un être sans défense ! Il y en a vraiment qui ne manquent pas de toupet !
-Le pauvre... il a l'air si faible...
-Jean-René !

Surgissant de derrière un mur, l'énorme carcasse du pizzaïolo venait de se laisser attendrir par un Marvin tout gargouillant, qui gémissait encore en parlant d'oppression des plus faibles par les plus forts... Gertrude eut l'air divisée entre deux idées : hurler sur son mari qui avait osé disparaître pendant tout ce temps, ou punir le responsable de ce gâchis ?

Gâcher, c'est mal. Le summum de l'indécence, même. Pire que d'être en retard. Ce fût donc la seconde possibilité qui l'emporta.

Un rugissement terrible cisailla les tympans de l'agent Patchett, tandis que toute la rue achevait de se réveiller, en ébullition cette fois-ci.


-Mac ? Finalement, je crois qu'on a un problème.

[Hrp : voilà, démerde toi ! Muahahaha ! La fiche des PNJs : http://oprannexe.forumotion.com/t386-gertrude-et-jean-rene. Probablement mon dernier post, du coup. Mais c'était bien marrant ^^]
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L'Agent Georgie, espion local au service du CP0 était d'une perspicacité rare. A l'instant où Gertrude poussa son hurlement, le monde entier sembla basculer. Bon d'accord, que la rue mais c'était déjà pas mal ! La preuve, le hurlement sonique de la vieille en charentaises explosa non seulement les tympans du malheureux Joseph mais aussi une bonne moitié des vitres du quartier. Pour l'Agent Patchett, c'était l'incompréhension la plus totale. Il avait enfin réussi à mettre la main sur Marvin, sa mission semblait promise à un succès bien mérité et lui même pouvait enfin se défouler sur ce maudit tas de boulons. Et là, sous ses yeux ébahis, se tenaient le duo de pizzayolo le plus fameux de toutes les blues. Gertrude et Jean-René ! Mais il fallait plus qu'un hurlement sonique pour impressionner l'agent Patchett qui, s'il avait eu un minimum de jugeote, aurait décampé sans demander son reste. Seulement le bon sens et Joseph, ça faisait deux.

"Non mais c'est quoi ce délire là encore ?! C'machin est un dangereux criminel ! Allez ouste, du vent !"

Crack Joe était de sale humeur. Tout avait déraillé depuis que MacYavel lui avait passé ce coup d'escargophone. Il en avait plus qu'assez. Il avait été suffisament aimable pour ne pas massacrer le jeune chasseur, Sören, ou même la petite vieille. Mais là fallait voir à pas abuser, pourquoi est ce qu'on lui hurlait dessus comme ça encore ?! Il ne faisait que son devoir après tout. Tout ce qu'il voulait désormais c'était livrer Marvin et retourner dormir. En plus à cause du cri de Gertrude, toute la rue s'éveillait et les insultes, comme les objets divers, commençaient déjà à pleuvoir des fenêtres. Niveau discrétion c'était râpé. Mais si les deux importuns continuaient à le chercher, ils allaient se prendre des coups de masse ! Joseph avait beau être littéralement vidé, ça ne l'empêcherait nullement de se défouler sur Marvin et sur le duo s'ils continuaient à le chercher.. Enfin ça c'était ce qu'il croyait. Pauvre, pauvre agent Patchett... A peine avait il levé sa masse une nouvelle fois que Jean-René réagit.

"Cesse tout de suite d'embêter cette malheureuse petite chose !"

Joseph n'eut même pas le temps de dire ouf que déjà Jean-René était sur lui et pas au sens littéral du terme. Transformé en une espèce de boulet humain, le pizzayolo avait tourné sur lui même avant de venir percuter le malheureux Crack Joe en plein ventre tel un missile. Heureusement pour Joseph qu'il avait l'estomac vidé, sinon il aurait rendu son déjeuner. Ça c'était pour le côté positif. Le côté moins positif c'était que Jean-René avait été écrasé le malheureux Joseph contre un mur et ça faisait sacrément mal. Le boxeur cracha du sang, son regard vide démontrait clairement qu'il ne pigeait pas ce qui était en train de lui arriver. Comment était ce possible qu'un type aussi affable soit capable de faire un truc pareil ?!

"Mon pauvre petit... Ça va, tout est fini. Le vilain monsieur ne s'en prendra plus à toi."

Était ce à Joseph que l'aimable Jean-René s'adressait ? Que nenni ! Le voilà agenouillé auprès de Marvin, lui tapotant sa grosse main de Cyborg avec tendresse comme si le monstre de métal n'était qu'un petit caniche inoffensif. C'en était trop pour Joseph. Beaucoup trop. Ils allaient payer, tous autant qu'ils étaient. Ça lui demanderait un maximum de paperasse de justifier la mort de deux civils, il n'y avait que le CP9 pour échapper à ce genre de tracasserie mais là tout de suite il s'en fichait. Tout ce qu'il voulait c'était loger un pruneau dans la tête de ces deux enfoirés et réduire Marvin en morceaux. Dommage pour Joseph que le peu d'intelligence qui lui restait se soit fait la malle. Il aurait sans doute réussi à reconnaître ses adversaires et il aurait su que leur tirer dessus serait au mieux inutile et au pire suicide. Crack Joe leva donc son arme et la pointa sur le crâne de Jean-René. Puis il fit feu. Son visage était déformé par la colère et il pouvait déjà voir la tête de l'homme éclater en morceaux, le sang gicler de tous les côtés. Ça allait être si beau.

TING !

Pas de chance pour Joseph. La balle avait ricoché sur le crâne du pizzayolo. Oui, ricoché ! Ce fut à cet instant que le malheureux agent du CP5 comprit son erreur. Jean-René et Gertrude, les Cyborgs fous ! Il pensait que ce n'était qu'une légende mais ils étaient là, devant lui et si Jean-René n'avait pas eu l'air de remarquer qu'on lui avait tiré dessus, ce n'était pas le cas de sa mégère de femme.

"Tu oses t'en prendre à mon Jean-René ?! Quel toupet !"

Ce furent les derniers mots que l'agent Patchett entendit. La suite ne fut qu'un cri assourdissant qui acheva de lui briser les tympans et qui le fit basculer dans l'inconscience. Il avait trop forcé et beaucoup trop encaissé au cours de cette mission pour tenir plus longtemps. Ses adversaires étaient trop fort. Les yeux de Joseph se voilèrent tandis qu'il tombait face contre terre.

***

"Mac ? C'est Georgie. En effet on a un gros problème. On a désormais plus un cyborg dans la nature mais trois."
"Trois ? Comment ça ? Ce crétin de Joseph n'avait pas achevé sa mission ?"
"Si... Enfin presque. Il a eu affaire à plus fort que lui. Deux modèles de combat déficients dans la nature. Gertrude et Jean-René."
"Génial... Tu les fais suivre je suppose ?"
"Evidemment Mac, pour qui tu me prends ? J'ai aussi fait le nécessaire pour exfiltrer ton agent. Encore un peu et la foule l'achevait. Là il récupère dans l'un des appartements de nos couvertures. Je lui ferai quitter l'île dès qu'il pourra. Il est grillé ici."
"Je comprends. Je t'en dois une belle là Georgie. Si t'as besoin de quoi que ce soit à l'avenir, n'hésite pas !"
"J'y compte bien Mac. Georgie, terminé."

Gotcha.
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