Bienvenue à Dead End.

« Michaela Hope ? »

Cette voix franche me sort un instant de mes pensées. Je relève la tête de mon verre à moitié vide et regarde la personne qui me fait face. Une femme. Fluette, grande, fine, avec un bandeau autour des yeux et une canne à la main. Je regarde encore un peu, sans rien répondre.

« Je savais que c’était vous. Je vous ai vu de loin.
- Mh… T’es aveugle. »

Cette déclaration tranche. Elle se veut avenante, je ne suis pas d’humeur. Elle tira une chaise à côté de moi et s’assoie dessus en souriant de toutes ses dents :

« Certes. »

Sans mot dire, elle s’installe et tâte du bout de ses doigts le bois usé de notre table. Un silence se pose. Silence pesant et lourd de question :

« Mh… A qui ai-je l’honneur ?
- Ein Hitakori. »

Encore une fois, l’ambiance retombe. Elle a un don. Un don certain pour plomber l’atmosphère. Dans les faits, son handicap me met mal à l’aise, mais pire encore : sa présence me gêne. Oui, voilà, elle me gêne. J’ai envie d’abréger, mais peut-être que ça a quelque chose à voir avec notre présence ici. Alors même si j’ai envie d’en finir, je m’abstiens.

« Et… J’suis censée vous connaitre ? »

Elle me sourit. Un sourire bienveillant qui me fait froid dans le dos. Son teint blafard me pique les yeux : on a pas l’idée d’être aussi blanche dans un coin ou on crève de chaud. Elle me fait penser à un cafard, une blatte. A arpenter les coins sombres et lugubres. Une blatte en costume, pour être plus explicite.

« Non. Evidemment, je n’en demande pas tant venant de vous.
- J’suis pas du genre à qui on passe de la crème dans le sens du poil pour avoir des faveurs. »

Ma franchise a l’air de lui plaire. Qu’est-ce que je peux lui dire d’autre, de toute ? Rien. Mais je la sens venir à des kilomètres avec ses grands sourires et ses façons de croque-mort. Elle fait des manières qui m’indisposent. Et intérieurement, je maudis Jack, Walters et Tahar pour m’avoir laissé dans cette galère. Encore plus Alex, qui, après recherches, a supposé que ma place serait au milieu des gens de mon espèce.
Mon espèce, les femmes, hein.

« Je note ça.
- Donc ? »

Elle prend une vive inspiration et enchaine :

« Je suis, plus ou moins, la porte-parole de Maman. Et Maman a jeté son dévolu sur vous. La rumeur court que les Saigneurs ne sont plus, et elle s’est dit qu’une pirate de votre envergure pourrait éventuellement figurer parmi ses nombreuses championnes.
- … Maman ?
- Elle aime bien qu’on l’appelle ainsi. C’est son surnom pour cacher son identité.
- … Mouais. Et qui vous dit que j’ai envie de travailler sous la tutelle de « maman » ?
- Personne, évidemment. Peut-être qu’en vous expliquant plus les tenants et aboutissants de notre « cause », vous seriez plus intéressée ?
- ça s’pourrait. »

Les femmes se veulent diplomates. Elles savent désamorcer un conflit avant même qu’il ne pointe le bout de son nez. C’est ce qu’elle tâche de faire. J’ai l’impression qu’elle tente de me prendre, de me retourner le cerveau. Je reste fixer sur mon objectif, oubliant cette petite voix dans ma tête qui me cause de tout ce qui se passe autour. Le type qui se lève, l’autre qui s’assoie, elle, le mouvement de ses mains sur la table, le mouvement de sa canne qu’elle a coincé entre ses jambes. Même celui de ses yeux, qui, derrière leurs bandeaux, restent totalement immobiles. Surtout, malicieux.

« Connaissez-vous le fonctionnement de Dead End ?
- J’en ai eu des échos.
- Des échos, c’est toujours mieux que rien. Maman est à la tête de l’un des clans, clan composé exclusivement de Femmes. Nous nous battons régulièrement contre les autres clans de Dead End pour de l’argent, ou le pouvoir, ou juste pour le plaisir. Nous connaissons en ce moment, chez les Sœurs du Feu Béni, une pénurie sans précédent : les femmes ont déserté l’endroit, et à raison. Nous ne sommes à l’abri nulle part, ici.
- Et donc, vous pensez que je pourrais y faire quelque chose ?
- Naturellement. Vous n’avez peut-être rien à prouver en tant que femme, Hope. Mais en tant que guerrière, la reconnaissance ne vient qu’à force de persévérance ; Doublement, même, pour une femme, qui a tout à prouver dans un monde d’homme.
- Je cherche pas la reconnaissance. J’ai évolué pendant près d’un an dans un monde d’hommes, et j’peux vous assurer que je n’ai pas grand-chose à leurs prouver.
- Et si… maman avait assez d’influence pour vous prêter main-forte dans une cause qui vous est chère ? »

Je sens en moi quelque chose qui monte. Doucement. Qui s’insinue. Qu’elle insinue. Je n’aime pas ce qu’elle sous-entend, parce qu’elle n’est pas sûre de ce que j’attends, ni de pouvoir me le donner. Ce qui monte, c’est une pointe d’amertume et de colère. Je sers la mâchoire instinctivement, me redresse sur ma chaise, lui lance un regard lourd qu’elle sentira sur ses épaules maigres.

« Tout dépend de quoi on parle… »

Elle sourit, malgré la froideur de ma voix.

« Ce n’est qu’une proposition que vous êtes en droit de refuser. Ou alors ! Vous pourriez juste venir, ce soir, et essayer. »

Rattrape-toi aux racines, ouais. Rattrape-toi bien. Sa proposition me semble presque honnête. L’honnêteté, c’est un bien grand mot, ça aussi. Difficile de se dire qu’elle en connait la définition avec sa risette éclatant et son air faussement honorable porte-parole plus ou moins commercial.
Je n’ai jamais aimé les commerciaux. Des faux gens. Mais des vrais faux-gens. Qui feintent tout, et n’importe quoi, juste pour vendre.

« Disons, ce soir, vingt heures ? »

Je me lève, ma chaise racle le sol crasseux de notre petit bar. Je prends mes clics et mes clacs, et je me tire vers la sortie.

« Je prends votre silence pour un oui ! A ce soir, alors ! »
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« Je savais que tu viendrais.
- Mh…
- Je sais que tu as longuement hésité, mais tu ne regretteras pas ton choix.
- J’t’arrête tout de suite… J’pense pas rester, vous m’avez l’air de sacrées tordues. »

Ein sourit. Nous sommes adossées toutes les deux contre un mur, dans un étroit couloir. Le silence jusqu’ici me faisait du bien, mais Ein a besoin de meubler. Maintenant, comme moi, j’ai des questions, par rapport à ce que je sais, ce que j’ai compris, en arrivant ici. Que je suis loin d’être une gamine naïve, qu’on est dans le sous-sol d’un hôtel miteux de Dead End, mais que y’a pas de mystère quand à ce qui se passe ici.
J’ai croisé Maman.
Vaguement.
Au détour d’une vague conversation, en passant la porte. Au milieu de deux types qu’attendaient la venue du messie en porte-jarretelles et d’Ein qui m’a pris par le bras en me demandant de la suivre. Tous les ingrédients sont là pour faire une bonne recette. Mais c’est sordide, tout ça. Et puis, petite discussion, quelques mots avec Ein, quelques coups d’œil à droite à gauche pour plus ou moins comprendre que y’a un monde qui tourne pas rond juste au-dessus.

« Y’a un truc que j’ai du mal à piger : Maman dit protéger toutes les femmes de Dead End, tu me vantes depuis le début sa bonne foi, qu’elle nous considère toutes comme sa famille… et elle tient LE réseau de prostitution de l’île ? Genre, SES « filles » vendent leurs corps, sous la tutelle de la daronne ? C’moi ou y’a des raccords qui m’échappent, là ?
- Non, c’est normal. Maman fait ça aussi pour protéger les filles. Elle a créé l’Hotel justement pour accueillir et surveiller celles qui travaillent pour elle. On ne peut pas endiguer le problème, mais on peut faire en sorte que les femmes soient en sécurité. Dans la rue, elles ne seraient qu’à la merci de ces hommes en chasse. Ici, on se protège les unes les autres. »

Son argumentaire à presque l’air de se tenir. Presque.

« Donc, en fait, je résume : Maman est une grosse Mac, mais ça va, les filles l’aiment bien parce qu’elles autorisent à ce qu’on botte les miches des clients si jamais ça va pas, c’est ça ?
- En résumé oui.
- C’te solidarité. C’est presque malsain... »

Nouveau sourire. Elle hoche la tête :

« C’est ainsi qu’elle s’est faite un nom à Dead End. Elle joue sur plusieurs tableaux.
- Elle tient littéralement les Hommes par les couilles. »

L’image la fait rire. En même temps, elle est imagée, mais évidente. Maman est sans doute une redoutable femme d’affaire derrière ses airs de bonne mère adorablement innocente. Comme quoi, le diable lui-même sait ou se planquer. Mais un doute me tracasse, une question me travaille, ouais, depuis que je suis arrivée là, depuis que j’en suis à lui causer. Genre… Pourquoi moi ?

« Et avec toutes ces donzelles qui travaillent pour vous, il manque des combattantes ? Genre, z’êtes venues me dénicher moi, alors que j’vais pas m’éterniser ici, pour foutre des branlées à des pauvres types tous les trente-six du mois ? Y’a pas une ou deux furies furieuses dans votre jolie p’tit lot ?
- Les autres filles jouent sur un aspect plus psychologique. Disons que toi et moi allons différemment au corps à corps. Tu as ta réputation. Voilà, pourquoi toi. »

Bon, ok. Ça se tient. Et puis, j’ai une coupe afro. Ceci peut expliquer cela.

« C’Lulu que j’affronte ?
- Oui.
- Qu’est-ce que je risque ?
- Hum. Lulu est forte, mais il y a plus forte qu’elle. De toute façon, tu devras toutes nous combattre pour savoir ou est-ce qu’on te situe entre nous toutes. Surtout, pour savoir si l’on t’accepte.
- J’suis pas sûre que vous ayez vraiment le choix, dans tout ça. Si j’rentre pas dans votre secte, qui y rentrera ? »

Ein me fait un sourire.

« Je ne m’inquiète pas pour ça, tu nous rejoindras. »

Je penche la tête, plisse les yeux. Qu’est-ce qu’elle raconte, celle-là ? Et puis, elle se tourne et marche doucement vers le bout du couloir, jusqu’à une petite porte en bois, peinte d’un rouge feu moche et écaillé. Je ne bouge pas. Je crois que je suis toujours bloquée sur ce qu’elle a dit, là, juste avant. Je sais pas ce qu’elle sous-entend. En fait, j’aime pas du tout ce qu’elle sous-entend. Mais j’ai peut-être pas encore les moyens de tirer tout ça au clair, et tant que je m’implique pas, j’aurais pas non plus mes réponses.

Bordel.

« Tu viens ? »
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AAAAAAAH !

Ah putain !
J’ai l’impression que mes côtes veulent se faire la malle par ma bouche. C’est horrible ! J’ai jamais eu autant envie de pleurer. Excepté la fois où il m’a pris Lia. Mais là, je jure que j’en chie. Je jure que j’ai envie de me tirer d’ici. Mais la cage, autour de moi, celle que je me mange depuis tout à l’heure, tout ça. Ouais, tout ça. Ça m’en empêche. Et j’ai tellement de mal à me remettre dans le bain que je me fais martyriser par une grognasse qui s’est pris pour marguerite la vache.

Putain, j’ai les glandes.

J’arrive pas à anticiper, j’arrive pas à voir ce qu’elle va faire. J’veux dire… elle est pas spécialement rapide mais elle me massacre à coup de sabot dans ma gueule, freestyle, pour le plaisir. Elle me laisse pas une seconde de répit. Et en entrant, je me suis dit qu’il fallait que je me fasse confiance, que ça avait marché avec Jack, que ça pouvait marcher avec elle. Et j’entends rien, putain. J’entends que dal. Y’a rien, aucun message de transmit, que dal ! J’ai tellement la haine que j’en oublie d’arrêter de morfler. Mais j’ai pas la bonne haine, celle qui pourrait me permettre de me relever.
Là, je bouffe. Je bouffe comme j’ai jamais bouffé, sous les applaudissements d’une centaine de groupie qui regarde, l’air de rien. Et qui crient, qui crient. Et qui ferment pas leurs gueules, pendant que je me fais envoyer contre les barreaux, comme si je pesais rien, comme si je pesais que dal. Elle m’attrape, me projette, me reprend, me rejette. Bien sûr, je crache, je tente de protester, j’ai envie de lui faire ravaler ses sabots. Mais j’suis comme vidée. Et je sens, sur moi, cent regards, qui me fixent, qui me lâche pas. Et surtout… ses yeux à elle.

A maman, et son putain de sourire bienveillant qui me donne envie de lui faire manger ses barreaux à coup de pelle. J’évite de la regarder, depuis le début, j’évite. Elle a ce petit truc qui m’agace prodigieusement. J’sais pas pourquoi. J’crois que c’est par rapport à ce que m’a dit Ein. Ouais, ça doit être ça. Ce qu’elle pense pouvoir faire pour moi si j’accepte. Et son sourire qui dit « là, t’es pas en position d’être accepté ici ». Et je me dis que je saurais pas. Et je me perds en pensées, au point où je comprends plus ce qui m’arrive. C’est peut-être ça. C’est peut-être parce que je pense trop qu’il m’arrive rien. Qu’elle me dit rien.

Ok.

Aie !

Non. Cris pas, ma grande. T’as connu pire. Ça fait pas mal. Arrête de penser. C’est ça. Ta gueule, va. Et va y, je t’écoute.

Parle-moi. Pitié, parle-moi.

A droite

J’hésite pas. Je roule boule comme on m’a dit. Elle me l’a dit, elle a raison. J’ai rien vu venir, mais j’échappe de peu à un coup violent de chaise qu’aurait pu me faire morfler. J’sais pas qui lui a filé la chaise, d’ailleurs, mais si je la trouve, elle aussi elle va morfler. Je me relève, en m’agrippant aux barreaux, pendant que Lulu se rend compte qu’elle a frappé dans le vide. La chaise s’est pliée sous le choc ; j’expire. Putain. Mes yeux se posent sur la matrone, là. J’lui fais un sourire en léchant du bout de la langue la goutte de sang qui perle de ma joue.

Regarde-moi bien, maman. Regarde bien ce que je vais faire de ta Lulu.

Arrêter de penser.
C’est ça, hein ? Faut que j’arrête de penser. Lulu jette sa chaise et fonce de nouveau vers moi, sous sa forme hybride, mi-femme, mi-vache. Mais vu sa gueule d’avant, je suis pas sûre de vraiment différencier les deux.
J’me concentre. Et j’arrête de penser.

Et je ferme les yeux. Et l’espace d’une seconde, je sais exactement ce qui va se passer après. La courbe que prend son bras, le mouvement que fait sa jambe. Je sais où elle va avant même qu’elle y soit. Je sais ce qu’elle pense avant même qu’elle le pense. Lorsque son poing s’enfonce dans l’air pour rencontrer l’acier de la cage, j’ai déjà esquivé son mouvement. J’ai déjà pris le dessus sur elle. Les autres s’en rendent pas compte, elles peuvent pas. Mais les dés sont déjà jetés. Ils ont fini de rouler sur le tapis lorsque mon pied s’écrase comme il faut au milieu de sa tronche, lorsqu’il enfonce profondément son museau dans sa tête. Le sang gicle alors qu’elle recule en se tenant le visage, il coule entre ses doigts. Mais je m’arrête pas. Un coup de pied retourné s’écrase sur sa nuque, la fait tituber, mais le croche-pied qui suit a vite fait de lui faire épouser le sol. D’un saut haut, mon coude s’enfonce brutalement dans sa colonne vertébrale. La violence perce son ersatz d’armure, la fait crier. Crier de douleur comme moi j’ai crié tout à l’heure.
Et même si Lulu fait deux fois mon poids et ma taille, je l’attrape par les côtés et la soulève violemment au-dessus de moi. Elle n’a même pas le temps de résister avant que je ne la renvoie à terre, comme elle a pu le faire. Et quand je veux pour y retourner, l’on entend la cloche sonner.

Ding ding ding.

Lulu tape, de ses dernières forces, contre le tapis pour faire stopper le match. L’on ouvre la cage, on se précipite sur-moi pour me ralentir. C’est Ein qui m’arrête, m’attrape par la taille pour me faire reculer alors que je vais pour la finir.
Abandonner ? Qu’est-ce que c’est qu’abandonner ? C’est rien. Pas chez moi, ça non.

Les autres trainent Lulu, qui gémit difficilement, qui a du mal à respirer, s’étouffant dans son propre sang.

Mes yeux se tournent vers Maman, qui sourit toujours.

Ma victoire ne lui fait ni chaud, ni froid. Elle attend, discute avec sa voisine, une grande bonne femme blonde en armure qu’a pas l’air tranquille, et attend.

J’ai fini.

J’vais pour prendre la porte, suivre Lulu vers la sortie, mais avant que je puisse mettre le pied dehors, on ferme la cage devant mon nez. J’attrape les barreaux et pousse pour retrouver ma liberté. On me regarde. Elle me regarde. Et dit :

Non.

Non ?

Ein.

Je me tourne, et la vois elle qui attrape son katana en tâtonnant à peine. Elle hoche la tête et affirme d’une petite voix ferme.

C’était dans le contrat, ça ?
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C’est une blague ?

Ein me répond par la négative en tentant une percée avec la pointe de sa lame. Apparemment, personne n’est d’humeur à trouver ça drôle, moi la première. J’évite, en passant d’elle à maman, qui reste immobile et souriante. Là, je pense à Jack et l’insulte copieusement dans ma tête, en espérant que le Haki de l’empathie fait aussi un peu télépathie et qu’il comprend le message : La prochaine fois, c’est lui qui s’tapera les hystériques de service.

Ein, tu m’es sympathique, je préfère éviter.

Encore une fois, sa réponse est cinglante. Elle a le bruit d’une lame qui tranche l’air à une vitesse affolante. J’me jette sur le côté pour éviter d’être coupé en deux. C’est décidément pas ma soirée, et j’regrette amèrement de m’être pointé ici. J’ai du mal à me remettre de ce que m’a fait Lulu. Mes côtes me font souffrir, mes jambes sont lourdes. J’ai plus morflé que je l’aurais voulu. Même si le match a été expéditif, je sens qu’Ein est pas de la même trempe. Que j’ai plus de scrupule à la frapper. Même si j’aime toujours pas son style, j’aime pas taper sur les handicapés. Et même si elle a pas l’air si manche que ça, j’ai des remords rien qu’en pensant à lui retourner une claque.
Elle m’accule dans un coin, et j’évite un coup qu’aurait pu me faire très mal en passant ni vu ni connu entre ses jambes. Je la pousse en arrivant dans son dos, et elle rencontre doucement la cage. On me hue bruyamment, ce qui a tendance à me taper sur le système. Faudrait en plus que j’y aille doucement ?! Nan mais vous déconnez ! Ok, je fais rarement dans le sentiment, mais pour une fois, ça serait sympa de le respecter !

Attention à droite.
Ouh ! Merci bien.
De rien.

Je me relève en vitesse et longe la lame d’Ein pour arriver à son niveau. Depuis le début, elle tente de me maintenir à distance. Elle a compris que j’étais du genre à aller au corps à corps. Ma foi, elle est intelligente. Mais là, elle peut pas éviter quand je lui attrape la nuque et le flan en la projetant contre la porte pour sortir. Elle titube, s’imprime dans les barreaux en glapissant un peu.

Les gonds vont sauter… Fonce.

Je me fais pas prier. Je prends de l’élan et me lance les deux pieds en avant. Pied qui s’enfonce dans le thorax de la gothique, qui elle-même s’enfonce dans la porte en acier, qui elle-même céde sous la pression. On roule boule un peu, toutes les deux. Les spectateurs (composés exclusivement de femmes) se taisent un instant avant de se mettre à hurler de plus belle lorsque je me remets debout. J’sais pas où aller, j’ai bien envie de me tirer. Mais j’ai des questions.

Ce que je vois, c’est Nina, la Colombe, qui se lève pour se caler devant Maman. Juste en dessous d’elle, une petite blonde attrape son fouet et qui se recouvre instantanément d’épines. Elle l’envoie vers moi et attrape mon poigné. Je cris, fort, parce qu’il faut bien que je fasse quelque chose, parce que je sens mon sang bouillir dans mes veines et s’échapper par les plaies qu’elle me fait. Mais je me laisse pas trop prendre au dépourvu. Je tire violemment sur le fouet, qu’elle lâche. L’instant d’après, toutes les épines ont disparu.
Je relève Ein qui est à mes pieds, tandis que la blonde se rameute vers moi avec la ferme intention de me renvoyer dans mon enclos. Lorsqu’elle est assez proche, je lui renvoie sa copine gothique dans les bras. Hérétique ! que j’entends. Mais je lui dis bien gentiment, que je t’emmerde ma petite dame en perçant la foule, en poussant violemment les gens qui se mettent sur mon chemin. En passant à côté d’elle, je lui colle une petite mandale histoire de la remettre à sa place, le tout avec beaucoup de panache, comme dirait l’autre. Elle tombe à terre alors que je continue mon chemin.

Poussez-vous de là !

Les femmes s’écartent en hurlant, comme si on venait de faire sortir une panthère de sa cage. J’arrive à leurs niveaux, à quelques mètres des deux femmes. A quelques mètres de Maman. Je prends assez d’élan sur un banc pour imprimer mon pied dans la tronche de sa garde du corps. Nina, qu’elle s’appelle. Et Nina s’écrase de tout son poids alors que j’atterris juste en face de l'autre bonne femme. J’vais pour m’avancer vers elle, lui expliquer ma façon de penser, j’vais pour l’attraper par le col de sa petite-robe-trop-parfaite, j’vais pour le faire, ouais…

Comment va ta Lia ?

Mais y’a un truc qui me bloque, et une voix qui murmure dans ma tête. Un brouhaha immense. Lia ? Quoi, Lia ? Qu’est-ce que…

Quoi ?!
Haha…

J’ai du mal à saisir ce qui m’entoure je suis bloquée dans mon mouvement. Je suis bloquée dans ce que j’entends du monde. Un brouhaha informe, dégueulasse, qui chuchote et chuchote, indistinct. Je regarde autour de moi, je reporte mes yeux sur elle, je porte la main à mon front. J’attends une réponse, et elle n’a que ce petit sourire méprisable à me rendre.
Je craque.

Comment tu sais ?
Fuis…
Comment tu sais ça ?!
J’ai des relations.
Fuis.
Tu sais où elle est ?! Dis-moi !
Fuis !

C’est assez fort pour me sortir de la mélasse dans laquelle je suis. Je vais pour me retourner mais une violente douleur me prend à l’oreille, se propage dans mon crâne. Je me retiens à un banc. Je crois. Je crois que mes bras touchent le sol et que j’arrive plus à me rattraper à rien. J’ai l’impression d’être en mousse, j’ai l’impression que rien ne me retient. J’ouvre péniblement les yeux, je secoue douloureusement la tête. Je vois trouble, une immense forme au-dessus de moi. Une tête blonde, peut-être bien. Plus loin, des silhouettes indistinctes.
On bouge, trop vite pour que je pige. On bouge et puis.

Trou noir.

End of story.
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