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[1614/24] Joie. Marie Joie.

Maîtresse ?
Assise.
Oui maîtresse.
La majuscule ! Tu l’as oubliée !
Pardon Maîtresse. Oui Maîtresse.
[1614/24] Joie. Marie Joie. Sainteneetush
Son visage éclairé d’une lune qui se lève. Dans les jardins luxuriants du domaine Pah, les cheveux blonds de Maîtresse luisent comme une étoile. Le maquillage fait sur ses ordres ce matin la change en oiseau de nuit magnifique, après une journée passée dans le nuage de sa pâleur de statue. La voir sans son casque de verre est un régal pour les yeux. Petite joie d’un soir sans fin sur les hauteurs de la capitale. Privilège infinie de la servir sans une plainte depuis tant et tant de ces siècles que durent les années à ses côtés. Rester dans l’ombre, devenir son ombre.

Derrière, loin derrière le palais, résonne le silence humble des plaines infinies de Red Line qui protègent du Monde Neuf. Devant, loin devant les bois et pelouses, le vacarme des humains et des autres races du petit monde s’éteint sur la falaise pour ne pas assourdir les oreilles des saints.

La capitale se prépare pour une nuit de pauvres ébats, quand ici l’instant est à la magie du paradis.
[1614/24] Joie. Marie Joie. Malditah
Ses iris violets du crépuscule, qui traversent les êtres, s’attardent un peu sur la cicatrice. Poursuivent leur exploration du vide autour. Vide, le monde que Maîtresse bénit de sa seule existence peut-il ne pas l’être à son regard, elle pour qui les mots impossible, intangible et inatteignable n’existent pas ?

Ah, ses doigts si fins se délassent et s’entrouvrent ! Vite ! A-t-elle soif ? Vite, le verre de cristal qui vaut quinze vies… Non ? A-t-elle faim alors ? Vite, la coupe aux quinze délices les plus exquis du globe !

Oui, voilà. La prune aux couleurs d’or et de lumière. Ses lèvres sur la peau fine de l’agrume.

Mais ? Pourquoi ce front plissé et ces yeux de rage, Maîtresse ? Le fruit est-il gâté ? Oh, non !

John Doe. Quelles nouvelles ?
Joe ? … John Doe. Il a été vu sur un navire à Reverse Mountain. Maîtresse.

Sa main blanche sur l’accoudoir. Crispée, si crispée. Le passé qui jamais n’abandonne. Et dans le noir une silhouette diffuse qui s’en extrait. Un souvenir, une poupée plus fascinante que d’autres.
[1614/24] Joie. Marie Joie. Joe0
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La forme est vague au début mais prend vite quelques traits dans la brise claire du soir. Le brouillard des réminiscences plonge Maîtresse dans un halo de tension. Au-dessus de la rambarde de pierre qui borde la terrasse, un buste droit flotte. Son visage est vieilli par les années à traîner dans les mémoires. Ses cheveux sont courts, un torse puissant mais déjà affaibli des semaines passées dans la fosse aux esclaves du marchand. Ses yeux sont changeants comme l’humeur de celle qui se perd à le contempler, son regard s’en trouve indéfini. Il a la vingtaine bien tassée de ceux qui sont partis à l’aventure aussitôt qu’ils l’ont pu. De ceux que l’aventure a eu le temps de cueillir.

Autour du spectre qu’aucun sourire, qu’aucune expression même, ni rieuse ni triste, n’attendrit, le décor se transforme. Le jardin retrouve sa mise d’antan, celle dont la génération précédente avait décidé. Et Maîtresse elle aussi rajeunit, perd la dizaine d’années qui la sépare de 1614. Redevient la simple Neetush, pas encore vraiment Sainte et encore vraiment très fille de ses parents. D’ailleurs n’est-ce pas le doyen Pah qui apparaît là, voilé par les ténèbres, arpentant les rues en quête d’une quelconque distraction pour son aînée ? Si, sans doute… Les yeux ont vieilli, le fouet sur les lèvres a choqué le cerveau, mais la mémoire est bonne encore, la mémoire de l’ombre qui déjà se trouvait là.

Qui déjà veillait sur Maîtresse et satisfaisait ses moindres désirs.

Puis le cadre entre en mouvement. Les rues, le marché, la populace qui cancane puis fait soudain silence à l’apparition du seigneur tout puissant et de son escorte. Ce vil homme là-bas vantant les mérites de ses marchandises pour mieux lui aussi s’arrêter subitement dans sa harangue quand son regard croise celui, illisible, du dragon. Et au milieu parmi ces marchandises : ce fantôme, le fantôme qui détone dans la foule des moins que rien.

Qu’est-ce donc que cette marque noire sur son bras ? Chercherais-tu à vendre un homme malade, maraud ? Parle donc !
N… Non, votre grandeur, c’est une cicatrice que je lui ai faite en lui ouvrant le bras jusqu’au coude pour lui apprendre à se rebeller…
Et il s’en est remis ?! Que nous mens-tu là, faquin ?
C… C’est la stricte vérité, votre hauteur ! Il s’est vidé sans accepter la mort… Ou sans que la mort l’accepte…
Sans que la mort l’accepte, dis-tu ?
O… oui, votre sainteté…
Hm. Nous le prenons. Et s’il casse en moins de deux jours, tu seras pendu dans l’heure.

Non, d’ailleurs, tu seras pendu dans l’heure quoi qu’il arrive. Gardes !

Et la scène s’en revient aux jardins suspendus du toit du monde dans un souffle de Maîtresse là-bas alanguie sur avec son noyau de prune encore entre deux doigts. C’est maintenant l’heure de l’ouverture du paquet cadeau. Et entre ses paupières alourdies par la souvenance, la désormais Sainte à part entière contemple la jeune Neetush, qui frétille encore à l’idée de voir enfin le nouveau mannequin que son père lui offre pour la collection automne-hiver sur laquelle elle travaille.

Ohh, qu’il est jolii. Comment il s’appelle ?
J…
Eh !? Tu me parles directement ? Ca ne va pas, ça ne va pas du tout !
.
Maldita, demande-lui comment il s’appelle !
Oui Maîtresse. Comment t’appelle-t-on, étranger ?
Joe.
Joe, Maîtresse.
Joe !? Quelle vulgarité ! Assis ! Non, debout ! Oui, qu’il reste debout, voilà.
Et qu’est-ce qu’il… Qu’est-ce que je fais ?
Que dit-il ?
Il demande ce qu’il fait, Maîtresse.
L’impudent ! Qu’on le fouette ! Sur le tatouage, oui ! Et qu’il soit là quand j’ai besoin, après.

Et dans une autre scène dont Maîtresse ne peut pas se souvenir puisqu’elle n’y a pas assisté, le nouvel arrivant dans cette cage d’ors et d’orties souffre et saigne encore du dos et attire la sympathie de l’ombre qui pour une fois ne s’efface pas dans celle de sa propriétaire.

Ca passera.
D… De quoi… ?
La douleur. Tu t’y feras.
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Un léger nuage se pose devant la lune radieuse. Les étoiles ne tanguent pas là-haut, ce sont des étoiles, mais l’air se fait plus lourd et en même temps plus léger. Il y a ce pincement dans le haut du ventre, là au niveau des côtes à gauche, juste à côté du plexus. Maldita se demande si Maîtresse dont la bouche encore sucrée tremble un peu, fugace, se demande si Maîtresse elle aussi sent quelque chose à revisiter le passé. Mais comment savoir, la perception du monde par les dragons est si différente.

Mets-la !
Non.
Qu’a-t-il dit ?
Il a dit oui, Maîtresse.
C’est faux. J’ai dit non.
Mets-la…
Que dit-il ?
Mets-la…
Non.
Ahh ! Il suffit ! Qu’on la lui passe de force ! Gardes !

De quelle couleur était donc cette veste ? Les souvenirs sont flous mais chacune en a sa vision. Affreuse ou parfaite pour la saison à venir, c’est selon. Quels accessoires l’ornaient ? Peut-être s’en souvient-il, lui, pris qu’il est dans les eaux troublées de Reverse Mountain. Sans doute y pense-t-il encore, de temps à autres, à cette époque lointaine et pourtant si proche, comme si aucun lendemain n’en avait vraiment différé depuis ce jour. Quoique. Ses lendemains à lui en ont différé sans aucun doute, puisqu’il a quitté l’endroit pour s’en retourner dans le monde d’en bas d’où il venait.

Lui est parti, l’a laissée seule avec Maîtresse. Seule comme avant qu’il arrive.

Pourquoi s’obstiner ?
Pourquoi obéir ?
Maîtresse finira par se lasser et fera mettre ta tête dans son vivier à murènes.
C’est un risque, pas une réponse.
C’est ainsi qu’il en va depuis ma naissance.
Oui mais pourquoi ?
Il en a toujours été ainsi, alors ce doit être bon.
Et pourquoi, encore ?
Sinon quelqu’un y aurait changé quelque chose.
Tu raisonnes à l’envers.

Que tu sois née ainsi ne signifie pas que tu dois mourir de même.

Ce tu qu’il employait pour lui parler. Qui la troublait tant par sa façon de le prononcer, de la regarder en le lui disant. Maîtresse ne regardait et ne regarde jamais personne quand elle parle, même quand elle utilise le tu. Comment lui avait-il appris à répondre, déjà ? Ah, zut, le mot est reparti ! C’était si simple pourtant, si petit mais si doux aussi. Rond dans la bouche et dans l’âme. Il s’en servait lui-même quand il répondait aux gens.

Mais déjà le passé progresse et Maîtresse l’appelle à son chevet pour lui faire essayer une nouvelle création de son esprit saint. Maîtresse semble de mauvaise humeur, cette fois-ci. Ses iris sont nervés de rouge, le fard sur ses paupières ne voile pas la nuit de fatigue à concevoir l’ensemble qui lui siéra parfaitement lors de la prochaine réception. D’ailleurs, il n’y a pas d’ordre cette fois. Joe, au nom si vulgaire qu’elle l’a rebaptisé Joseph pour ne pas souiller sa langue d’un simple diminutif, n’a nulle possibilité de faire forte tête. Deux hommes le dévêtent, laissent un troisième le frapper au dos sur les indications de Maîtresse, puis le décorent quand elle a changé d’avis de l’habit confectionné sur ses instructions. Ses lèvres bougent mais pour un murmure qu’on n’entend, qu’on feint de n’entendre pas.

Même pas capable de coudre par elle-m…

Tombé dans l’inconscience sous la douleur avant la fin de sa bravade, soutenu par ses bourreaux, il est un bon modèle et ce costume-ci lui va si bien. Maîtresse est douée, son œil a parfaitement saisi ses proportions. C’est peut-être la raison pour laquelle elle le garde en vie.
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Je ne briserai pas. Dût-
Ahh !
on me briser tous les os du corps, moi je ne briserai pas.
Mais enfin ?! Comment exister sans son corps ?! Sous quelle forme !
On ne brise pas une âme, Neetush Pah.
Une âme ?! Mais pourquoi l’écouuter ?! Et que gagnes-tu à me contrarier ainsi, ahh ! Malditaa !
Maîtresse ?

Il y a cette autre fois qui remonte aussi, sur la terrasse entre les deux femmes, entre les deux enfants, cette fois quand il s’est effectivement fait briser tous les os du corps pour finir. Ou presque. Toujours à contredire, toujours à se cabrer, jamais en cesse de maintenir son existence aux yeux de cette dame plus jeune que lui à qui il se trouvait appartenir. Et les craquements résonnaient un à un, sinistres augures dans la tiédeur de cette journée indéterminée.

Tu vas mourir.
Je suis mort depuis que je suis ici.
La douleur passe. Si elle a le temps.
Je ne parle pas de douleur, je parle de ne pas vivre. Toi, n’es-tu pas déjà morte, aussi ?

Et après encore, cette partie que Maîtresse ne revoit pas, dans le quartier des esclaves de la villa, le soir, quand les compresses de glace endormaient les brisures et étouffaient ses gémissements. Ses gémissements à lui, allongé, disloqué, brisé comme il avait prédit que ça ne le briserait pas lui. Non Maîtresse ne revoit pas ce souvenir ombragé d’un soir de lune comme celui d’aujourd’hui. Sans doute était-elle aussi sur la terrasse en cette époque. A passer ses nerfs sur le noyau d’un fruit comme elle fait là, sans rien regarder ni voir que son monde, sans rien contempler qu’une réalité déformée.

Et ce toi, et ce tu qu’il lui servait. A elle. Maldita.

Et ce prénom qu’il avait rappelé en elle, en lui offrant ces pronoms. Quel était-il, déjà ?

Ah oui… Katarin. Avant Maldita, il y avait Katarin. Avant Maldita, Katarin était là… Etait ? … Etre ? Quel curieux concept que l’être, on dirait… ça sonne comme… comme vivre ?

Maldita !
Maîtresse ?!
J’ai soif, tu me fais attendre !
Mille excuses, Maîtresse. Tout de suite, Maîtresse.

Neetush. Comme elle, comme Maldita, Maîtresse a un prénom. Et elle a soif. Elle veut à boire. Maîtresse s’appelle Neetush. Des éclats d’eau dans le cristal de nuit. Et elle, elle s’appelle Katarin.

Katarin.
Quoi, qu’as-tu dit ?
Rien Maîtresse. Voici Maîtresse.

Elle n’a rien dit. A peine soufflé, à peine chuchoté en lui présentant son verre un prénom sans sens pour qui que ce soit sauf elle-même, un prénom enfoui derrière cette marque qu’elle porte sur son dos. Cette griffe qui jamais ne cicatrisait complètement sur son dos à lui. Joe. Du sang qui suinte dans l’obscurité d’un souvenir. Joe… Ca commence comme ce mot. Comme ce mot qu’il utilisait envers et contre tout alors qu’il était réservé à Maîtresse. J… Encore un souffle qui lui échappe alors qu’elle regagne l’ombre où la confine ce dessin gravé dans ses chairs, gravé vingt-cinq auparavant et qui soudain pourtant, après tant d’années de silence, la brûle comme jamais il ne l’a brûlée :

Je…

[1614/24] Joie. Marie Joie. Dragonclaww
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