Le château de Drum, des murs en pierre, des plafonds en pierre, des planchers en pierre et ma pogne dans leurs mouilles de sales cons, pareil. Le thème, c’est la caillasse. Rikkard a un tempérament éruptif, il n’aime pas crapahuter dans les tunnels en silence. Son truc à lui, c’est d’gueuler bien fort et haut quand il écrase les gens. Il les écrase littéralement, façon crêpe bretonne. On dirait qu’il a peur qu’un des toubibs vienne saloper son boulot. Quand je lui ai demandé de fermer son clapet, il a presque tenté de me démonter le mien. Une fois, ça va, deux, non. D’ailleurs, j’ai dû lui expliquer que si on se fait trop vite gauler, les gens vont s’apercevoir que c’est une diversion. Il acquiesce vaguement convaincu. Lui, son truc, c’est de maraver les gens. Les subtilités lui font horreur. Un truc de gonzesses, qu’il dit. Un truc qui ne fera pas tout foirer, j’lui rétorque. Il est convaincu au fond, mais va empêcher un gaillard comme ça de maugréer. Fier à en être limite pète-couilles. Mais, je ne lui en veux pas. Il est quand même un peu plus jeune que moi, il a le temps. En tout cas, je l’espère pour lui et pour moi. Ce serait malheureux qu’il claque dans le processus, il a l’air honnête. Par contre, son fromton tabasse, un peu comme lui. Je crois qu’il pourrait devenir sympa avec quelques verres dans le nez ou carrément dangereux, voire les deux. Si je sors de cette taule, faudrait que je tente l’expérience.
« - Dis-moi, ces fumiers du gouvernement ne vont pas lancer leur Buster Call, si ?
- J’en sais foutre rien. Alleyn n’est pas du genre à faire ça, mais Alleyn est séparé en deux par le nombril. Qui sait.
- J’ai jamais pu blairer les citadins !
- Quelle partie de “parle doucement” tu ne saisis pas ?
- Haha ! On va pas s’faire chier, mon gars. Ça fait dix minutes qu’on assomme des crétins pour les mettre dans des armoires. Va pas m’dire que c’est du plan d’génie.
- Si, c’est un putain d’plan !
- Sacré Julius ! Tu crois vraiment qu’un type va aller fouiller un meuble dans le trou d’balle du château et trouver ces troufions ?
- Y a pas que ça, ils sont censés se réveiller. C’est sûr que si tu leur écrases le crâne, ils vont pas faire un marathon derrière.
- Quand c’est moi qui fait, c’est moi qui fait.
- Tu sais quoi ? Laisse tomber. »
Et sur ce dialogue prometteur et annonciateur d’une belle et solide alliance qu’on entend brailler au loin à l’intrus. Je lâche un sourire pour marquer l’coup. Histoire qu’il n’oublie que ma stratégie est passée comme dans du beurre. Il fait la tronche, il se prépare à contester. Et là, un connard vient interrompre la discussion. Et c’est pas de l’enfoiré de base, celui-là est propre sur lui, uniforme gris, cheveux blonds avec une mèche à la con, dentition de chanteur à minettes.
« - Posez vos armes ! Les mains sur la tête !
- Franchement, je l’sens pas. Par contre, toi, tu pourrais l’faire avant que je ne te fasse traverser le mur
- Jamais ! La garde meurt et ne se rend pas. »
Sur cette jolie phrase de cadavre en puissance que le gars décide de tirer. Mais, c’était une balle jetée par la fenêtre, aussi bien littéralement que métaphoriquement. Et Rikkard de lui aplatir le pif sur la paroi d’à-côté. La garde est donc morte faute de se rendre à l’évidence. Ou plutôt assommée.
« - Ah merde !
- Quoi encore ?
- J’ai oublié de lui demander comment il a fait pour nous repérer.
- À mon avis, il ne te dira rien, là. C’est marrant, il doit se brosser les dents trois fois par jour depuis qu’il est né et à cause de sa connerie, plus rien.
- C’est parce que c’est un citadin.
- En fait, citadin désigne tout ce que tu méprises, c’est ça ? »
Qu’est-ce que je m’en fous de sa réponse ? Tombera, tombera pas ? On est comme deux crève-la-soif qui attendent la pluie, une pluie de beignes. Il faudrait quand même qu’ils finissent par nous trouver. Parce que là, comme diversion, on fait pas du boulot de maître. Personne ne sait qu’on est là. Pendant que Rikkard pose en évidence le corps amoché du révolutionnaire, je tends l’oreille pour tenter de surprendre du bruit.
« - Mais arrête de bouger, j’essaye d’écouter ce qui s’passe.
- C’qui s’passe c’est qu’on s’terre dans des tunnels comme des rats, par ta faute. Et qu’on s’emmerde. J’étais censé m’envoyer une bonne raclette. Avec ce qu’il faut comme bibine pour digérer. »
J’aime autant ne pas commenter.
Miracle, j’entends des pas qui viennent dans notre direction. Des bottes cognées contre le sol avec une certaine emphase. J’arrive pas à dire combien ils sont. Mais à vue de nez, je dirais un bon paquet. Je regarde l’endroit où nous sommes : il y a une porte à un mètre de nous et encore une autre quatre mètres plus loin. Et puis, le couloir se coude. Derrière, il y a un escalier, celui qui a livré voyage à Mr Smile. Du coup, ils vont venir des deux côtés et on va pouvoir se porter au contact. Et ça, déjà, je veux bien. Mais y a pas que moi. Rikkard aussi en veut. Il a même l’air vaguement possédé, très agressif. Je m’demande ce qu’il lui prend.
« - Ça va ?
- Mieux, maintenant. »
Je suppose que c’est son élément. Marcher dans la forêt, puis dans des tunnels et enfin dans des couloirs ça lui a donné des fourmis dans les mains. Une forme d’inaction qui ne sied pas au parangon de violence qu’il est. Alors, donner le change, ça va deux minutes, mais là, faut qu’ça swingue.
Et au détour du couloir, d’autres aussi ont entendu l’appel du Jazz. La trompette qui sonne au lieu du clairon. Nous nous mettons dos à dos, chacun prêt à couvrir l’autre. Et puis, ils arrivent.
Ce qu’il y a de terrible avec l’ennemi, c’est qu’il n’est personne en particulier. Son existence éphémère et souvent sans but avoué fait qu’on ne se pose souvent pas la question sur son identité. De par le fait, il s’agit simplement d’un autre, d’un autrui. Il arrive en face et il est hostile. Il cherche à tuer et on le tue pour ça. Ou alors c’est juste une excuse. Il est juste plus facile de dire que ce n’est pas de sa faute de commettre des meurtres. Si seulement je trouvais le moyen d’arrêter toute cette folie.
Mais, va pas te distraire en pleine baston, mon bon Julius. Il s’agirait de pas finir en passoire à la première occasion venue. Du coup, je sors mon épée et une dague. Et de face, les autres sortent la tête des escaliers. Et l’un d’eux perd la sienne au profit d’une dague. Je le vois basculer pendant que ses deux potes se remettent de la surprise. Le temps pour moi d’en abattre un second. Mais, très vite, j’entends des chiens de fusil s’armer. Le métal cogne le métal et le plomb jaillit. Je suis presque surpris par un craquement dans mon dos. Par contre, j’ai pas bien le temps de résoudre le mystère. En face, quatre balles fusent dans ma direction. Chacune détournée par mon épée. Et puis, les autres posent leurs fusils et dégainent leurs lames. Je surprends dans le visage de l’un d’entre eux une sorte de résignation forcée. Pathétique. Je le désarme du dos de ma main gauche avant de le renvoyer d’un coup de pied dans le buste sur ses amis. Tous reculent avant de le laisser par terre et monter à l’assaut. Mais, l’endroit ne se prête pas vraiment à l’attaque à plusieurs. C’est donc à deux qu’ils tentent de me surprendre. Ils n’ont clairement pas le niveau pour me mettre en danger. D’un coup rapide, je bloque l’attaque de celui de droite puis celui à ma gauche avant de les égorger d’un seul mouvement de ma sénestre. Le sang coule à flot alors que dans leur dos, un pistolet crache son projectile presque à bout portant. Celui-ci ricoche sur mon épée qui tombe verticalement sur le malheureux tireur. Et puis, ils ont bien saisi que ça ne servirait à rien, alors, ils entament une retraite vers les escaliers. Mais, dans leurs yeux, une haine farouche, celle qui dit qu’on n’en a pas encore fini. Pour ma part, j’en profite pour éponger ma sueur et ramasser quelques dagues sur le corps de mes ennemis.
« - Tu t’en es pas trop mal sorti ?
- Mais ouais ! Et toi, pas trop de mal avec tes blessures ?
- Je tiens le coup. Le toubib a fait du bon boulot, même si c’est un gros con. Le mur arraché, c’est toi ?
- Oui, ils avaient des fusils ces enfoirés de lâches. »
Nous sommes donc tous les deux indemnes. Lui, en tout cas l’est. Il repose le morceau de mur pris. C’est une telle masse ce type que je me demande ce qu’il a bien pu bâfré dans sa vie. Comme s’il est tombé sur une recette spéciale pour devenir une masse. Au moins, je vais pouvoir compter sur lui pour couvrir mes arrières et ça, c’est pas mal. C’est là qu’on apprend ce qu’ils ont préparé à notre intention. Des explosifs. Des grenades artisanales allumées. Il y en a une bonne dizaine sur le sol. Y en a même trop pour les renvoyer une à une. Alors, on pousse la porte de la pièce à côté et on se réfugie derrière la porte. L’explosion éprouve les murs sans les détruire. Et, pendant que les gravats finissent leurs courses sur le sol, on se concerte sur la suite des opérations :
« - On fait quoi, maintenant ?
- Franchement, je ne saurais pas dire. J’avais la partie jusqu’au début de la diversion. Mais pas plus. T’as une idée ?
- Bah, on y retourne. Et on leur casse la gueule.
- Pas con. »
Forcément, les autres ne sont pas d’accord. C’est donc une seconde rafale qui nous aurait presque cueillis à la sortie de la chambre. Visiblement, on reste dans notre cachette.
« - C’est chaud dehors.
- Bande de lâches. »
Rikkard grommèle dans sa barbe pendant que le château gémit sous la pression des explosifs. Décidément, ils ont le budget pour nous crever, ces mecs. Et on peut même pas sortir leur mettre des gnons tellement ça tombe. Et puis, le bruit s’arrête soudain. Je passe une tête et manque de me prendre un couteau de lancer dedans. Des hommes drapés de noir nous attendent désormais dans le couloir déserté par les troufions de tout à l’heure. On ne voit ni leur visage, ni le reste. Le tissu sombre ne laisse voir que leurs yeux d’assassins expérimentés. Et c’est là que je réalise que ça ne va pas être la même que tout à l’heure.
« Mais, on y va, là. J’en ai marre d’attendre. »
Si tu veux, mec. On va bouger. Ils sont six. C’est pas beaucoup six, d’ailleurs. Mais je sens qu’à eux, ils sont largement plus dangereux que tous les autres réunis. Du coup, les bombes étaient une stratégie pour gagner du temps une fois qu’ils ont réalisé qu’ils n’étaient pas de taille. On se remet dos à dos, prêts à en découdre.
Et puis, ça repart. Ils bougent comme des reptiles, ces enfoirés. Comme si leurs os n’avaient aucune consistance. Quand on les cogne, ils n’offrent aucune résistance, ils se plient presque sous le coup. Pourtant, ils ne se blessent pas. Et puis, ils ont une synchronisation épatante. Comme s’ils avaient déjà préparé une chorégraphie.
On perd tous deux du terrain sur ces nouveaux venus. Ils se louvoient comme des serpents et attaquent vicieusement. Si bien qu’il est impossible de ne faire autre chose que de se défendre. J’ai à peine le temps d’en repousser un que deux autres me foncent dessus d’un angle improbable. Et puis, arrive la première blessure. Une longe estafilade sur mon torse, encore une. L’occasion aussi d’en embrocher un au bout de mon épée. Il s’effondre, mort. Sauf que la douleur reste et se multiplie. Une vraie brûlure s’étend désormais en surface de ma peau. Mes deux autres ennemis en profitent pour me surprendre, mais Rikkard est là pour me sauver la mise. Il les balaye d’un revers du bras. Il les écrase tous les deux contre le mur, tournant le dos à ses adversaires qui ne se gênent pas pour le poignarder dans le dos. Et là, de manière surprenante, j’ai comme eu la certitude que l’un des voilés allait viser le cœur du montagnard bourru. Une forme d’intuition qui s’est imposée à mon esprit. Un instinct animal que j’ai suivi sans me poser de questions. Et qui lui a sauvé la vie. C’est là que les trois survivants nous ont faussé compagnie on nous laissant des surprises dont la mèche est allumée. Cadeau qu’on a lourdé vite fait.
Marre de se faire enfumer.
Je finis par jeter un œil à mon torse pour constater les dégâts. La peine reste et s’amplifie. Alors, Rikkard décide de me mettre dans la pièce où on s’était caché pour me rafistoler qu’il dit. Il sort une pâte qui sent fort le fromage et me l’applique sur le torse.
« - C’est quoi ce bordel ?
- C’est un remède spécial de chez nous.
- Mais c’est que du fromage !
- Que ? Que du fromage ?
- Ah ben, putain, ça marche !
- Je sais, je sais. On y va ou bien ?
- Oui, faudrait bouger. Par contre, j’ai envie de leur laisser un truc à ces enflures.
- Quoi comme truc ?
- Une mine artisanale, j’ai pris ça de chez Lilou. Le stock qu’elle se trimballe, elle. Elle a de quoi faire péter un navire de guerre. Tu nous fais une sortie pendant que j’installe le tout ? »
Bien qu’intrigué par la fulgurance de cette intuition particulière et par l’efficacité étonnante de cet onguent, je me suis mis à bricoler une petite mine. Il suffit d’un détonateur, d’une charge explosive et d’un peu d’ingéniosité. Et j’ai les trois. Et je mets ces acquis à profit en piégeant la porte. En attendant, j’entends les gardes encercler la pièce et le colosse s’affairer.
« - Magne-toi, je n’attends plus que toi.
- C’est fini, voilà. »
Comme issue de secours, le grand gaillard a creusé un trou dans le sol. Classique. Je jette pour la première fois un coup d’œil à l’endroit où on s’est terré pour découvrir qu’il s’agit visiblement d’un lieu de débauche rudement bien équipé.
« - Oui, c’est comme un bordel perso, tu veux une invitation sur papier bristol ?
- Non, merci. Par contre, tu pars devant. Je ne veux pas me trouver en dessous quand tu vas tomber.
- Rendez-vous ! Vous êtes cernés !
- C’est ça face de cul, compte là-dessus et boit de l’eau fraîche. »
Le gros tas de bidoche tout en barbe et en fourrure animale s'engage dans le trou. Je le suis. Et juste au moment où j’atterris, j’entends du monde qui force la porte.
Et rien.
Il devait manquer un truc à ce piège. C’est définitivement pas mon truc. Et comme j’avais la charge explosive et le détonateur. Le choix est restreint.
« Ils sont partis par là, chef !
- Suivez-les !
- Suivons-les.
- Toi d’abord, petit malin. »
Et nous quittons donc une salle aménagée en golf miniature pour entrer dans le même couloir qu’il y avait un étage plus haut.
« - Dis-moi, qu’est-ce que tu faisais tout à l’heure avec la porte ?
- Rien, je ne faisais rien.
- Mouais. Et la mine artisanale ?
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- …
- Dis, ça n’sent pas un peu fort ?
- C’est l’onguent, tu sais.
- Ah oui ! L’escalier ou le couloir ? »
Admettons. Et cette intuition ? C’était quoi ? À la limite, je voudrais bien savoir si je suis encore sain d’esprit ou si c’est plus d’actualité.
« - Dis-moi, ces fumiers du gouvernement ne vont pas lancer leur Buster Call, si ?
- J’en sais foutre rien. Alleyn n’est pas du genre à faire ça, mais Alleyn est séparé en deux par le nombril. Qui sait.
- J’ai jamais pu blairer les citadins !
- Quelle partie de “parle doucement” tu ne saisis pas ?
- Haha ! On va pas s’faire chier, mon gars. Ça fait dix minutes qu’on assomme des crétins pour les mettre dans des armoires. Va pas m’dire que c’est du plan d’génie.
- Si, c’est un putain d’plan !
- Sacré Julius ! Tu crois vraiment qu’un type va aller fouiller un meuble dans le trou d’balle du château et trouver ces troufions ?
- Y a pas que ça, ils sont censés se réveiller. C’est sûr que si tu leur écrases le crâne, ils vont pas faire un marathon derrière.
- Quand c’est moi qui fait, c’est moi qui fait.
- Tu sais quoi ? Laisse tomber. »
Et sur ce dialogue prometteur et annonciateur d’une belle et solide alliance qu’on entend brailler au loin à l’intrus. Je lâche un sourire pour marquer l’coup. Histoire qu’il n’oublie que ma stratégie est passée comme dans du beurre. Il fait la tronche, il se prépare à contester. Et là, un connard vient interrompre la discussion. Et c’est pas de l’enfoiré de base, celui-là est propre sur lui, uniforme gris, cheveux blonds avec une mèche à la con, dentition de chanteur à minettes.
« - Posez vos armes ! Les mains sur la tête !
- Franchement, je l’sens pas. Par contre, toi, tu pourrais l’faire avant que je ne te fasse traverser le mur
- Jamais ! La garde meurt et ne se rend pas. »
Sur cette jolie phrase de cadavre en puissance que le gars décide de tirer. Mais, c’était une balle jetée par la fenêtre, aussi bien littéralement que métaphoriquement. Et Rikkard de lui aplatir le pif sur la paroi d’à-côté. La garde est donc morte faute de se rendre à l’évidence. Ou plutôt assommée.
« - Ah merde !
- Quoi encore ?
- J’ai oublié de lui demander comment il a fait pour nous repérer.
- À mon avis, il ne te dira rien, là. C’est marrant, il doit se brosser les dents trois fois par jour depuis qu’il est né et à cause de sa connerie, plus rien.
- C’est parce que c’est un citadin.
- En fait, citadin désigne tout ce que tu méprises, c’est ça ? »
Qu’est-ce que je m’en fous de sa réponse ? Tombera, tombera pas ? On est comme deux crève-la-soif qui attendent la pluie, une pluie de beignes. Il faudrait quand même qu’ils finissent par nous trouver. Parce que là, comme diversion, on fait pas du boulot de maître. Personne ne sait qu’on est là. Pendant que Rikkard pose en évidence le corps amoché du révolutionnaire, je tends l’oreille pour tenter de surprendre du bruit.
« - Mais arrête de bouger, j’essaye d’écouter ce qui s’passe.
- C’qui s’passe c’est qu’on s’terre dans des tunnels comme des rats, par ta faute. Et qu’on s’emmerde. J’étais censé m’envoyer une bonne raclette. Avec ce qu’il faut comme bibine pour digérer. »
J’aime autant ne pas commenter.
Miracle, j’entends des pas qui viennent dans notre direction. Des bottes cognées contre le sol avec une certaine emphase. J’arrive pas à dire combien ils sont. Mais à vue de nez, je dirais un bon paquet. Je regarde l’endroit où nous sommes : il y a une porte à un mètre de nous et encore une autre quatre mètres plus loin. Et puis, le couloir se coude. Derrière, il y a un escalier, celui qui a livré voyage à Mr Smile. Du coup, ils vont venir des deux côtés et on va pouvoir se porter au contact. Et ça, déjà, je veux bien. Mais y a pas que moi. Rikkard aussi en veut. Il a même l’air vaguement possédé, très agressif. Je m’demande ce qu’il lui prend.
« - Ça va ?
- Mieux, maintenant. »
Je suppose que c’est son élément. Marcher dans la forêt, puis dans des tunnels et enfin dans des couloirs ça lui a donné des fourmis dans les mains. Une forme d’inaction qui ne sied pas au parangon de violence qu’il est. Alors, donner le change, ça va deux minutes, mais là, faut qu’ça swingue.
Et au détour du couloir, d’autres aussi ont entendu l’appel du Jazz. La trompette qui sonne au lieu du clairon. Nous nous mettons dos à dos, chacun prêt à couvrir l’autre. Et puis, ils arrivent.
Ce qu’il y a de terrible avec l’ennemi, c’est qu’il n’est personne en particulier. Son existence éphémère et souvent sans but avoué fait qu’on ne se pose souvent pas la question sur son identité. De par le fait, il s’agit simplement d’un autre, d’un autrui. Il arrive en face et il est hostile. Il cherche à tuer et on le tue pour ça. Ou alors c’est juste une excuse. Il est juste plus facile de dire que ce n’est pas de sa faute de commettre des meurtres. Si seulement je trouvais le moyen d’arrêter toute cette folie.
Mais, va pas te distraire en pleine baston, mon bon Julius. Il s’agirait de pas finir en passoire à la première occasion venue. Du coup, je sors mon épée et une dague. Et de face, les autres sortent la tête des escaliers. Et l’un d’eux perd la sienne au profit d’une dague. Je le vois basculer pendant que ses deux potes se remettent de la surprise. Le temps pour moi d’en abattre un second. Mais, très vite, j’entends des chiens de fusil s’armer. Le métal cogne le métal et le plomb jaillit. Je suis presque surpris par un craquement dans mon dos. Par contre, j’ai pas bien le temps de résoudre le mystère. En face, quatre balles fusent dans ma direction. Chacune détournée par mon épée. Et puis, les autres posent leurs fusils et dégainent leurs lames. Je surprends dans le visage de l’un d’entre eux une sorte de résignation forcée. Pathétique. Je le désarme du dos de ma main gauche avant de le renvoyer d’un coup de pied dans le buste sur ses amis. Tous reculent avant de le laisser par terre et monter à l’assaut. Mais, l’endroit ne se prête pas vraiment à l’attaque à plusieurs. C’est donc à deux qu’ils tentent de me surprendre. Ils n’ont clairement pas le niveau pour me mettre en danger. D’un coup rapide, je bloque l’attaque de celui de droite puis celui à ma gauche avant de les égorger d’un seul mouvement de ma sénestre. Le sang coule à flot alors que dans leur dos, un pistolet crache son projectile presque à bout portant. Celui-ci ricoche sur mon épée qui tombe verticalement sur le malheureux tireur. Et puis, ils ont bien saisi que ça ne servirait à rien, alors, ils entament une retraite vers les escaliers. Mais, dans leurs yeux, une haine farouche, celle qui dit qu’on n’en a pas encore fini. Pour ma part, j’en profite pour éponger ma sueur et ramasser quelques dagues sur le corps de mes ennemis.
« - Tu t’en es pas trop mal sorti ?
- Mais ouais ! Et toi, pas trop de mal avec tes blessures ?
- Je tiens le coup. Le toubib a fait du bon boulot, même si c’est un gros con. Le mur arraché, c’est toi ?
- Oui, ils avaient des fusils ces enfoirés de lâches. »
Nous sommes donc tous les deux indemnes. Lui, en tout cas l’est. Il repose le morceau de mur pris. C’est une telle masse ce type que je me demande ce qu’il a bien pu bâfré dans sa vie. Comme s’il est tombé sur une recette spéciale pour devenir une masse. Au moins, je vais pouvoir compter sur lui pour couvrir mes arrières et ça, c’est pas mal. C’est là qu’on apprend ce qu’ils ont préparé à notre intention. Des explosifs. Des grenades artisanales allumées. Il y en a une bonne dizaine sur le sol. Y en a même trop pour les renvoyer une à une. Alors, on pousse la porte de la pièce à côté et on se réfugie derrière la porte. L’explosion éprouve les murs sans les détruire. Et, pendant que les gravats finissent leurs courses sur le sol, on se concerte sur la suite des opérations :
« - On fait quoi, maintenant ?
- Franchement, je ne saurais pas dire. J’avais la partie jusqu’au début de la diversion. Mais pas plus. T’as une idée ?
- Bah, on y retourne. Et on leur casse la gueule.
- Pas con. »
Forcément, les autres ne sont pas d’accord. C’est donc une seconde rafale qui nous aurait presque cueillis à la sortie de la chambre. Visiblement, on reste dans notre cachette.
« - C’est chaud dehors.
- Bande de lâches. »
Rikkard grommèle dans sa barbe pendant que le château gémit sous la pression des explosifs. Décidément, ils ont le budget pour nous crever, ces mecs. Et on peut même pas sortir leur mettre des gnons tellement ça tombe. Et puis, le bruit s’arrête soudain. Je passe une tête et manque de me prendre un couteau de lancer dedans. Des hommes drapés de noir nous attendent désormais dans le couloir déserté par les troufions de tout à l’heure. On ne voit ni leur visage, ni le reste. Le tissu sombre ne laisse voir que leurs yeux d’assassins expérimentés. Et c’est là que je réalise que ça ne va pas être la même que tout à l’heure.
« Mais, on y va, là. J’en ai marre d’attendre. »
Si tu veux, mec. On va bouger. Ils sont six. C’est pas beaucoup six, d’ailleurs. Mais je sens qu’à eux, ils sont largement plus dangereux que tous les autres réunis. Du coup, les bombes étaient une stratégie pour gagner du temps une fois qu’ils ont réalisé qu’ils n’étaient pas de taille. On se remet dos à dos, prêts à en découdre.
Et puis, ça repart. Ils bougent comme des reptiles, ces enfoirés. Comme si leurs os n’avaient aucune consistance. Quand on les cogne, ils n’offrent aucune résistance, ils se plient presque sous le coup. Pourtant, ils ne se blessent pas. Et puis, ils ont une synchronisation épatante. Comme s’ils avaient déjà préparé une chorégraphie.
On perd tous deux du terrain sur ces nouveaux venus. Ils se louvoient comme des serpents et attaquent vicieusement. Si bien qu’il est impossible de ne faire autre chose que de se défendre. J’ai à peine le temps d’en repousser un que deux autres me foncent dessus d’un angle improbable. Et puis, arrive la première blessure. Une longe estafilade sur mon torse, encore une. L’occasion aussi d’en embrocher un au bout de mon épée. Il s’effondre, mort. Sauf que la douleur reste et se multiplie. Une vraie brûlure s’étend désormais en surface de ma peau. Mes deux autres ennemis en profitent pour me surprendre, mais Rikkard est là pour me sauver la mise. Il les balaye d’un revers du bras. Il les écrase tous les deux contre le mur, tournant le dos à ses adversaires qui ne se gênent pas pour le poignarder dans le dos. Et là, de manière surprenante, j’ai comme eu la certitude que l’un des voilés allait viser le cœur du montagnard bourru. Une forme d’intuition qui s’est imposée à mon esprit. Un instinct animal que j’ai suivi sans me poser de questions. Et qui lui a sauvé la vie. C’est là que les trois survivants nous ont faussé compagnie on nous laissant des surprises dont la mèche est allumée. Cadeau qu’on a lourdé vite fait.
Marre de se faire enfumer.
Je finis par jeter un œil à mon torse pour constater les dégâts. La peine reste et s’amplifie. Alors, Rikkard décide de me mettre dans la pièce où on s’était caché pour me rafistoler qu’il dit. Il sort une pâte qui sent fort le fromage et me l’applique sur le torse.
« - C’est quoi ce bordel ?
- C’est un remède spécial de chez nous.
- Mais c’est que du fromage !
- Que ? Que du fromage ?
- Ah ben, putain, ça marche !
- Je sais, je sais. On y va ou bien ?
- Oui, faudrait bouger. Par contre, j’ai envie de leur laisser un truc à ces enflures.
- Quoi comme truc ?
- Une mine artisanale, j’ai pris ça de chez Lilou. Le stock qu’elle se trimballe, elle. Elle a de quoi faire péter un navire de guerre. Tu nous fais une sortie pendant que j’installe le tout ? »
Bien qu’intrigué par la fulgurance de cette intuition particulière et par l’efficacité étonnante de cet onguent, je me suis mis à bricoler une petite mine. Il suffit d’un détonateur, d’une charge explosive et d’un peu d’ingéniosité. Et j’ai les trois. Et je mets ces acquis à profit en piégeant la porte. En attendant, j’entends les gardes encercler la pièce et le colosse s’affairer.
« - Magne-toi, je n’attends plus que toi.
- C’est fini, voilà. »
Comme issue de secours, le grand gaillard a creusé un trou dans le sol. Classique. Je jette pour la première fois un coup d’œil à l’endroit où on s’est terré pour découvrir qu’il s’agit visiblement d’un lieu de débauche rudement bien équipé.
« - Oui, c’est comme un bordel perso, tu veux une invitation sur papier bristol ?
- Non, merci. Par contre, tu pars devant. Je ne veux pas me trouver en dessous quand tu vas tomber.
- Rendez-vous ! Vous êtes cernés !
- C’est ça face de cul, compte là-dessus et boit de l’eau fraîche. »
Le gros tas de bidoche tout en barbe et en fourrure animale s'engage dans le trou. Je le suis. Et juste au moment où j’atterris, j’entends du monde qui force la porte.
Et rien.
Il devait manquer un truc à ce piège. C’est définitivement pas mon truc. Et comme j’avais la charge explosive et le détonateur. Le choix est restreint.
« Ils sont partis par là, chef !
- Suivez-les !
- Suivons-les.
- Toi d’abord, petit malin. »
Et nous quittons donc une salle aménagée en golf miniature pour entrer dans le même couloir qu’il y avait un étage plus haut.
« - Dis-moi, qu’est-ce que tu faisais tout à l’heure avec la porte ?
- Rien, je ne faisais rien.
- Mouais. Et la mine artisanale ?
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- …
- Dis, ça n’sent pas un peu fort ?
- C’est l’onguent, tu sais.
- Ah oui ! L’escalier ou le couloir ? »
Admettons. Et cette intuition ? C’était quoi ? À la limite, je voudrais bien savoir si je suis encore sain d’esprit ou si c’est plus d’actualité.