Dans un bar quelconque
Ω Permission. Ça, c'était un mot que j’appréciais grandement. Ouais, c'était le seul moment où je pouvais sortir de ce quotidien monotone. T'sais, être à la caserne et rien faire, suivre des instructions à longueur de journée, faire du sport inutilement pendant des heures, bouffer d'la merde à la cantine. Bref, t'vois le topo. Prendre l'air ça faisait du bien, surtout en cette saison. Il faisait bon. Une soirée parfaite, quoi. J'me posais dans un coin paisible du premier bar venu. C'était calme, tranquille, pépère. L'endroit idéal pour finir sa journée dans le bonheur. Cool, hein? En plus, y'avait d'la musique sympa qui passait. Nickel. Un type, 'fin un clodo mettait d'l'ambiance à sa façon avec son ukulélé. Ouais, c'était super. Mon entrée attira l'attention deux secondes à cause de ma taille, mais rien d'bien méchant. L'esprit de fête avait repris son court, héhéhé. J'avais oublié de retirer mon uniforme de Marine, ce qui avait dû soulager les esprits faibles me croyant dur. Certains se faisaient plus petits, mais globalement, tout se déroulait à merveille. Des méchants? Boarf, j'verrai bien. Le barman s'pointa près d'moi et m'demanda c'que je voulais prendre.
▬ Bonjour. Puis-je prendre votre commande?
▬ Ouais. Se sera une bière pour moi et un cola pour mon bras.
▬ Je vous demande pardon?
Le mec n'avait pas pigé que j'carbure au cola. En même temps, qui aurait eu l'idée et l'audace de fonctionner avec un produit de consommation? J'veux dire que c'n'était pas logique. Normal qu'il n'bitte pas, voilà. Alors fallait que je l'explique, histoire qu'il ne bug pas cinq minutes. J'n'aimais vraiment pas attendre.
▬ Écoute mon gars, chuis un cyborg. Une machine si tu préfères. Et j'ai besoin d'alimenter mes circuits avec du punch, du tonus. Une boisson dynamique, quoi. Capiches?
Encore une fois, j'venais de détourner l'attention vers moi. Fallait dire que je n'avais pas une voix d'tapettes. C'était limite une engueulade. 'Fin, j'm'étais modéré. S'serait con de finir en baston pour des queues d'prunes. J'attendais alors patiemment ma commande en écoutant le clochard chanter ses poèmes. C'était intéressant et beau à la fois. Il avait de l'idée, le p'tit.
Attendre. C'était une chose que je détestais. Il n'y avait rien de plus barbant que d'moisir sur place à attendre. Pouah, ce genre de truc te tue encore plus vite qu'une lame dans le cœur. J'me ferais chier si c'bon gars ne braillait pas ses poèmes. Mais... Très vite, quelque chose d'autre m'attira l'attention. Un mec s'pointa avec deux gus, l'air méchant, tu vois? Genre celui qui veux casser l'ambiance dès son entrée. D'ailleurs, il gueula à tout le monde d'rester tranquille et qu'il en avait pas pour longtemps. Visiblement, il cherchait une personne.
▬ Bonsoir, bonsoir tout le monde. Que personne ne bouge ou je lui troue la peau. Je cherche juste un certain Jimmy. Je sais qu'il traîne par là. Je n'en ai pas pour longtemps.
Tout le monde se tu. Tout le monde savait qu'il fallait fermer sa gueule, sauf moi. Ma base de donnée ne répertoriait pas cet individu plutôt menaçant pour la populace. 'Fin... Ce n'était qu'un p'tit joueur à vu d'nez. Le type trouva du regard le fameux Jimmy et fonça sur lui. Il le chopa par le col et commença à lui crier dessus. Règlement de compte? Possible. Seulement, vu que je n'aimais pas moisir sur place, fallait que j'gueule. Mais... Pas directement sur le clown.
▬ Et ma bière? Elle vient? Je n'vais pas glander là pendant cent sept ans.
Alors comme d'un seul homme, toute la clientèle et les employés de l'auberge firent des yeux ronds. Hmm, étaient-ils habitués à ce genre de situation, ici? Il allait sans dire que le bonhomme qui avait réclamé le silence me fixa également. Et bien méchament, en plus. Il fit une sorte de grimace pour m'expliquer qu'il ne fallait pas aller à l'en contre de ses ordres, mais ça ne marchait pas sur moi. Ça m'faisait plutôt rire, même.
▬ Hé, dit-donc, toi là-bas. Ne joue pas le mariole.
▬ Bah quoi?
▬ C'est qu'en plus tu insistes? Il désigna l'uns de ses hommes. Va-donc t'occuper de lui. Et sans coup de feu cette fois-ci.
J'levais les yeux en l'air. C'était con, il avait l'air bien ce bar. Dommage qu'il fallait que ça tourne ainsi. Y'avait des gens qui n'savaient pas à qui ils s'frottaient. D'ailleurs, les vermines qui n'avaient pas froid aux yeux comme ça, je n'pouvais pas les blairer. Il s'la joue vas-y qu'chuis méchant, mais en fait chuis une vraie chochotte. Pathétique. Le larbin fit l'erreur de prendre un couteau. Mais faute au patron. Il aurait mieux fait d'prendre un flingue et m'loger une balle dans l'front. Lorsqu'il fut à proximité de moi, je m'levais d'un bond, retournant la table d'un coup et tous les verres qui allaient avec. Profitant de l'effet de surprise, j'lui pris son poignet avec ma grosse poigne. Sans attendre, je serrais sèchement. L'os se brisa dans un craquement sourd. Net. Les gens dans la salle étaient entre l’effroi et la panique. Pareil pour c'crétin d'guignol. Il était presque dans la consternation, le petit. Ça lui embouchait un coin, hein? Les civils ne savaient pas/plus quoi faire, alors fallait que j'les rassure.
▬ Chuis Marine, messieurs, dames. Et la loi, c'est moi. Alors, ne vous...
PaANnn!!!!!
J'n'avais pas terminé ma phrase que celui qui s'y croyait trop me tira d'ssus. Erreur fatal, mec. Il n'fallait pas faire ça. Surtout sans viser. Et surtout sans savoir qui j'étais. J'n'étais pas n'importe quelle machine, moi. Chuis cyborg, ça n's'oublie pas!
▬ Reste où tu es, le géant. Sinon, je bute un innocent au pif. Elle par exemple.
J'posais la main sur le front, l'air sidéré. Visiblement, j'avais affaire un bleu. Un clamplin, quoi. Et encore, j'parlais même pas du main-cassé. L'imbécile de chef in-compétant avait ramené par le bras une jeune femme pour s'en faire une otage. Il tenait son arme encore fumante sur sa tête. Ok, j'n'allais pas faire joue-joue pour cette-fois. Méthode de persuasion classique. J'restais calme et j'lâchais mon agresseur qui chialait encore. Tss, je n'aimais pas ce genre de situation. On ne pouvait même plus s'amuser, ce n'était plus drôle, là. En temps normal, je n'aurais pas hésité à agir. Perdre x maudits civils pour capturer trois pauvres freluquets, j'risquais juste d'avoir des problèmes. En fait, le type qui tenait la femme m'énervait, maintenant. Un peu anxieux, j'passais ma main sur ma nuque. J'soufflais un coup, genre blasé. Voyant que j'n'faisais plus rien, mon interlocuteur reprit son affaire avec le dénommé Jimmy.
▬ Toi! Tu nous dois de la thune. Nous t'avons laissé une semaine de délais supplémentaire et tu ne nous a toujours rien remboursé. On a été clément avec toi, mais il ne faut pas pousser trop loin les limites avec nous. Tu as dépassé les bornes, alors paye-nous sur-le-champ!
Tremblant de peur, le Jimmy bégayait. Il cherchait à se défendre, mais il ne trouvait pas les mots. Il allait passer un sale quart d'heure, c'était sûr. Après tout, ce n'était pas mon affaire. Pirate ou civil, s'il crève sous mes yeux, ça m'faisait une belle jambe. Moi, j'voulais juste ma bière. Cela dit, si son "créancier" le tuerait, lui, il devenait mon affaire. Il devenait pirate. Et un pirate à mieux sa place en prison qu'en pleine nature. Toujours aussi immobile que les clients, j'regardais la scène d'un air vide. Voilà qu'le pauvre gaillard s'faisait secouer violemment, maintenant. Par l'autre bouffon, bien sûr.
▬ Ne me dis pas de conneries! Je sais que tu caches notre argent. Parle!! Ou je te coupe les doigts!
Pendant ce temps-là, les arsouilles ne bougèrent toujours pas. Ils espéraient qu'cela allait s'finir rapidement. Le deuxième larbin étala les phalanges de l'homme endetté. Il était prêt à couper le bout du membre. Alors forcément, ça réagit, ça retrouve ses mots.
▬ Ne me faites pas ça, pitié!!! Je n'ai pas votre argent! C'est vrai, je vous le dis!! Il faut me croire.
Quelle chochotte. Jimmy était au bord des larmes. On sentait dans sa voix la peur qu'il avait. En fait, son problème de frics m'avait diverti, finalement. Vivement qu'ça se termine, j'n'avais pas qu'ça à faire. Le fouteur de merde lâcha alors un soupir, puis, sans prévenir planta son sabre dans le ventre du Jimmy. Adieu mec, je t'aimais bien au fond. Tu mettais d'l'ambiance... L'assassin balança à terre la femme, comme s'il se débarrassait d'un chiffon. Quel con, il fallait vraiment être sûr de ce qu'il faisait.
▬ Tant pis pour toi. On t'avait prévenu! On t'avais laissé une seconde chance.
Bon, bah ça faisait un pirate en plus à traquer, maintenant. Pas l'temps de prier pour les âmes. Le boulot m'appelait. Et dire que j'voulais juste une bière à la base, être casé dans un coin, tranquille, pépère. C'était l'heure d'bouger, désormais.
▬ Bonne soirée messieurs, dames. Merci de votre compréhension. Vous autres, on s'en va. Et cesse de chialer, toi.