Quelle gloire ? Tous ces morts, ce charnier … C’est abject. Comment lutter contre cette hérésie qui condamne chaque être à une mort certaine ? Ce n’est pas une question à laquelle on peut répondre. Pour pouvoir ne serait-ce qu’envisager trouver son compte dans les ténèbres, encore faut-il en être revenu. Il faut être tombé assez bas pour que le Soleil n’éclaire même plus le fond du gouffre au fond duquel vous gisez, avalé par les ombres. Il faut être remonté, à la sueur de son sang. Avoir connu chaque aspect de cette futile existence et en avoir été tant abîmé que votre seul repos est synonyme de mort. Se bercer d’illusions n’est pas la solution, pas plus que se battre pour déchirer le voile d’inepties qu’un monde sans âme a tissé pour vous, pareil à un linceul. Non. Les royaumes ne sont qu’un vaste échiquier, où les échanges de coups sont invisibles pour les simples humains que nous sommes. Amoindris par notre simple condition, le simple fait de ne pas être nés quand il le fallait … là où il le fallait. Et qu’avons-nous à nous reprocher, alors ? Vivre, respirer ? Non. En vérité, je vous le dit, ce qui devraient avoir honte, ceux qui ne méritent pas notre pardon ce sont les oppresseurs. Ceux qui se disent à notre tête, ceux qui par le simple privilège de leur rang ou de leurs acquis sociaux se donnent le droit de dominer toute chose. C’est un fait : nous ne sommes pas tous égaux. Est-ce pour cela qu’il faut se battre, encore et encore ? Peut être, mais ce n’est pas une raison suffisante. Grand, petit. Blond, brun. Noir, blanc. Nous sommes tous différents, comment lutter contre cette simple image ? Un homme seul peut être vaincu, mais son symbole demeure. Voilà qui est plus fort que ma dague, voilà qui survit à la mort. La vrai immortalité, l’idéologie. Les valeurs humaines sont immortelles, immuables. Oppressez, torturez. Et voyez ce qui en sort : nous, eux … moi. Je suis le glaive d’ombre qui vous percera les entrailles. Ne me comparez pas à un vulgaire assassin, je suis bien plus que cela. Non, à vrai dire, nous sommes bien plus que cela. À nouvelle époque, nouvelle arme. Cependant, les années passent et les tactiques restent les même. Impitoyables, certes, mais surtout, implacables. Et plus fort qu’une simple conviction, c’est une vengeance qui nous anime. Une âme scindée en deux corps, deux volonté de flammes, de ténèbres n’aspirant qu’à brûler et à engloutir chaque goutte du sang de nos ennemis. La mort n’est pas une limite en soi, ce n’est qu’un autre chemin qu’il vous faudra affronter pour trouver le repos. Rien n’est vrai tout est permis. Puisses-tu reposer en paix, et ne pas faire honte à notre crédo.
Resquiescat in Pace.
Resquiescat in Pace.
De noir vêtu, le meurtrier ferma les yeux de sa victime, et essuya d’un revers de manche le sang qui maculait sa barbe. Il n’avait pas été difficile de localiser sa cible et de l’éliminer. Les gardes devaient encore être en train de poursuivre les chimères inventées par son frère. Mais qu’importait, il avait délivré le message. Les paroles des Auditore. Attrapant un rouleau de parchemin à sa ceinture, l’assassin la glissa entre les doigts encore chauds du Chef Politique du Gouvernement. Cet homme avait été trop confiant, et ça l’avait perdu. Depuis des jours, les deux frères avaient étudié son emploi du temps et avaient dressé cinq scénarios différents en cas d’imprévu, mais comme toujours, grâce à Césare, le premier avait fonctionné à merveille. Simulant une simple échauffourée, il avait réussi en un tour de main à vider la majorité des postes occupés par des gardes de la ville. Bien entendu, tandis qu’il se trouvait à cent lieues de tout ça. Ce détail du plan ne préoccupait pas tellement Rafaelo. Il avait du profiter de la panique générale pour se faufiler dans l’enceinte du manoir de cet homme et grimper jusqu’à son bureau, où il l’avait surpris. La suite n’était pas compliquée à comprendre.
Tirant le cadavre, l’assassin le souleva. Le bedonnant personnage était emmitouflé dans une robe de soie violette et puait l’eau de Cologne à trois cents mètres. Il l’assit sur sa chaise et lui souleva la tête, de façon à ce qu’elle pende en arrière. Le bureau était parsemé de documents plus ou moins importants. Quelques rapports d’activité, des avis de réquisition et autres. Vérifiant que son parchemin était toujours entre les doigts du mort, Rafaelo tira un tiroir et en fit une fouille rapide avant de tomber sur ce qui l’intéressait. Une petite clef d’argent, à laquelle était accrochée un étiquette, présentant une suite incohérente de chiffres et de lettres. Voilà qui intéresserait Césare, il avait toujours eu un faible pour ce genre de preuves. Souriant, l’assassin enfoui l’objet dans sa besace, puis il ouvrit un autre tiroir. Il en tira un coffre en acier de bonne facture. Attrapant une simple tige métallique dans une de ses multiples bourses, il crocheta la serrure en quelques secondes et en tira une chevalière en or, portant certainement un sceau revêtant une quelconque importance. Peu importe, il n’avait pas vraiment le temps d’étudier ces armoiries. Un petit rouleau de parchemin trônait aussi dans le coffret. Rafaelo, s’en empara et remit le tout en place. De la même manière, il inspecta la table de chevet du vieil homme puis revint finalement à son bureau où il subtilisa quelques papiers, attestant de pots-de-vin. Il l’avait surpris en flagrant délit, alors qu’il adressait quelque missive à l’un de ses prestataires.
D’un rapide coup d’œil, l’assassin survola la pièce, afin de vérifier qu’il n’avait rien oublié. Il n’avait pas laissé une goutte de sang sur le sol, un travail impeccable. Sortant à pas de loup de l’endroit, il s’empara d’une large cape noire pendant au portemanteau de sa victime et s’en revêtit avant de passer le pas de la porte. Il était resté dix minutes dans la pièce, environ. De ce fait, le prochain tour de garde approchait. Il passa alors par un couloir, situé à gauche de la chambre du Chef Politique puis s’engouffra dans un large escalier, censé le mener en haut du bâtiment. Une fois sorti, il pourrait trouver une solution pour descendre tranquillement. Il ne pouvait prendre le même chemin qu’à l’arrivée, car une fois la diversion terminée, il serait parfaitement visible pour les soldats revenant vers leurs quartiers. De ce fait, il devait s’enfuir par les airs. Une muraille entourait la zone, mais dos au manoir, une écurie rassemblait les montures favorites de l’homme. De ce fait, il n’aurait qu’à se servir de ces locaux pour passer par-dessus la muraille. Nul ne pensait à empêcher les gens de sortir, lorsqu’ils érigeaient une défense de cette ampleur : l’objectif n’était-il pas d’éviter que les gens ne rentrent ? Quant à la cape, et bien … elle était plutôt large, très large même. Elle pourrait aisément cacher l’assassin, et tout ce qu’il trimballait. De plus, elle était on ne peut plus commune, et d’une piètre qualité. Ce n’était assurément pas le vêtement favori de sa victime, donc impossible de se faire remarquer avec celle-ci.
Il arriva ainsi sans mal jusqu’au toit, ou plutôt la terrasse située sur le toit du bâtiment. Il ouvrit et referma la porte sans un seul bruit puis s’approcha en toute discrétion de la sentinelle, dont le regard était rivé vers l’entrée de la muraille, où Césare avait du mener sa diversion. À pas de loup, Rafaelo se glissa derrière le pauvre bleu et, tout en lui enfermant la bouche de sa main droite, il lui enfonça une lame fatale dans la colonne vertébrale. Une mort sans douleur, instantanée. Il laissa glisser le malheureux à ses pieds puis le dévêtit et pris son armure. Ceci fini, il l’enroula dans le grand vêtement noir puis le dissimula dans un coin de la terrasse. Ainsi camouflé, il serait difficile de le trouver, du moins dans le temps nécessaire à l’assassin pour mettre son plan en œuvre. Il fixa les quelques pièces d’armure sur son corps puis enfila la veste de marine. Le fait que sa propre armure soit légère lui offrit la chance de ne pas paraître trop ridicule. Fort heureusement, la jeune recrue possédait un large manteau destiné à la protéger du froid. Sans manches, mais avec une capuche : une chance pour l’assassin. Bien qu’il répugnât à revêtir les habits d’un Marine, il le mit sans discuter. La capuche était largement plus grande que celle de son habit coutumier, elle le masquait sans peine, et dissimulait à tous sa véritable identité, tout en laissant abusivement croire qu’il s’agissait d’un Marine. Ceci fait, il fit marche arrière et descendit cette fois jusqu’en bas du manoir. Qu’il eût supprimé un homme au hasard aurait été gênant, car on ne savait jamais sur qui on pouvait tomber, et surtout son rôle. Mais le garde chargé du toit … personne n’irait le chercher de si tôt, alors il aurait tout son temps. Deux trois personnes le saluèrent au passage, Rafaelo leur rendit cette politesse formelle avec autant de froideur que son rôle le lui permettait puis, après s’être fait réprimandé sur le fait de ne pas avoir son sabre à la ceinture, il sortit de la bâtisse sans encombres. Il était vrai que les Marine ne maniaient que rarement une rapière, alors il avait préféré la laisser cachée sous la large veste qu’il arborait à présent. Elle était invisible, mais la dégainer n’était pas trop complexe.
Les deux hommes chargés de la surveillance de la porte principale était absents. Anormal. Il regarda autour de lui, et ne vit personne aux alentours. Vingt minutes s’étaient écoulées. Tous aurait du rentrer dans l’ordre, ce n’était absolument pas normal. L’assassin porta instinctivement la main vers son épée, lorsqu’il entendit des bruits de pas se rapprocher de lui. Trois hommes, venant de la muraille, couraient à en perdre haleine. Il s’écarta d’un pas pour les laisser passer, lorsque l’un d’entre eux lui fit signe de se rallier à eux.
« Un assassin dans le manoir ! Suis-nous ! » ordonna-t-il.
Jetant un œil à sa veste, Rafaelo comprit tout de suite qu’il avait affaire à un gradé. Il n’eut d’autre choix que d’exécuter un salut militaire et d’acquiescer.
« Oui, sir. À vos ordres. » répondit-il, avant de se mettre en route.
Fort heureusement, le Lieutenant n’avait pas remarqué l’absence de son arme. Laissant échapper un sourire mesquin, l’assassin le suivit au pas de course. Un assassin dans le manoir, hein ? Comment pouvaient-ils le savoir ? Personne n’avait encore trouvé les cadavres …
« Pardonnez-moi, mais comment le savez-vous, Lieutenant ? » questionna-t-il, tout en s’engouffrant de nouveau dans le manoir.
Le gradé se tourna vers lui, leva les yeux aux ciel puis s’engouffra dans une des ailes du manoir, tout en faisant signe aux deux autres soldats de partir d’en l’autre. D’un geste, il ordonna à Rafaelo de le suivre..
« Un indic’, mon grand. On savait que les Révolutionnaires préparaient quelque chose ! Alors on a tout simplement … Que ... Qu’est-ce que tu fais ? » fit-il, se retournant vers l’assassin.
Au moment même où le Lieutenant posait sa question, Rafaelo lui enfonça sa dague secrète dans le cœur. Tirant le corps dans un placard, il lui murmura une courte extrême onction, lui ferma les yeux puis ferma la porte. Une taupe ? Et merde ! Comment c’était possible ? Il devait absolument trouver Césare, il était peut être en danger en ce moment même !
Tandis que l’Auditore franchissait une énième fois le pas de la porte, une gigantesque explosion retentit non loin, à l’orée de la muraille. Il tressaillit. Etait-ce possible que … ?