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« Si c’est un jeu, ce sera non. »


Mes deux épaules.
A vous d’choisir celui qu’est bon, celui qu’est mauvais.
Des fois, c'est moi. Deux fois. Dites si vous m'reconnaissez.

Kiril est dans le tragique ou l’inverse. Le tragique est dans Kiril. Comment tu veux la raconter, la tragédie, si tu l’as jamais vécu ? Comment tu veux que tes auditeurs la sentent, ta tragédie ? Me raconte pas de conneries, Jeliev, j’te connais. Tu dis qu’t’as souffert, hein. Tu dis qu’t’as eu des tuiles au cœur, qu’est-ce tu connais à l’amour quand tu l’as vécu qu’une fois ? Qu’est-ce tu connais à la vie quand tu vas la vivre qu’une fois ?
Parce que t’es devenu cinglé, qu’tu t’es rasé les deux moitié d’la tête et qu’tu ressembles à ces dépravés dans les bars qui s’lamentent tous les jours ? Hein, quoi ? C’est ce que t’es. Bon. Au temps pour moi, c’est ce que t’es. Et tu veux me raconter ta tristesse. Ta tristesse pour quoi, parce que t’as perdu une femme. T’en a pas retrouvé dix, comme convenu, hé ? T’es pas content ? Ah si, dix radasses. Même plus. Et ça te suffit pas. T’es pas content. Bon. On la connait, ta nana. T’en parles toujours quand t’es pivé et pivé, tu l’es à peu près tous les jours ? non ?

Mais qu’est-ce tu sais d’moi, d’nous ? Tu vis, hein… Tu vis en moi mais tu sais quetchi. Mon cœur, il est pas brisé, non. Non mon cœur il est inondé d’amour et celui-ci est destiné qu’à elle. Alors, la tragédie, c’est quand tu te retiens de le donner aux autres, que tu le gardes pour toi, que tu sais que t’en veux qu’une seule et que tu es loin d’elle. Qu’tu sais pas qu’elle est où. La tragédie, elle est là. La tragédie c’est quand tout cet amour qu’tu conserves pour le cacher des autres, tu le transformes en haine qui s’traduit à coups de beignes dans leurs gueules. La tragédie c’est quand j’me dis que je pourrai haïr toute cette foutue population rien que pour l’aimer encore plus. La tragédie c’est tout ça et tout ça c’est la tragédie.
Parce qu’elle est pas là. Alors, j’suis devenu un mauvais garçon en maquillant mon amour. J’suis devenu un mauvais garçon parce que je l’attends… C’est elle que je veux alors pourquoi je devrais supporter de châsser toutes ces personnes ? J’les vois mais elle non. Pourquoi on a jamais c’qu’on veut quand on en a vraiment besoin ?

Des mensonges. Tu vis dans l’mensonge. En quoi c’est important, dis. En quoi ça l’est… Hein. Tu peux pas répondre à cette question parce qu’il n’y a pas de réponse. Elle t’a déjà oublié, y a que toi qui tombe amoureux qu’une fois.

Non. C’est toi qui refuse de l’oublier. Moi j’me mens pas. Je sais c’que j’veux. Toi tu fais semblant mais tu l’aimes. Parce qu’elle a les yeux bleus, que ses cheveux s’amusent à défier le soleil par leur éclat de feu. Parce qu’elle avait vingt ans, qu’elle croquait à la vie comme un fruit vermeil que l’on cueille en riant. Elle se croyait tout permis et n’en faisait qu’à sa tête. Désolée un instant puis prête à recommencer. Elle jouait avec ton cœur comme un enfant gâté qui réclame un joujou pour le réduire en miette. Et puis t’as trop d’amour, elle vient encore voler tes nuits du fond de ton sommeil et fait pleurer tes jours. Parce que tu n’as qu’elle, le cœur est ton seul maître et maître de ton cœur, l’amour vous fait la loi. Parce qu’elle vit en toi et que rien ne remplacera les instants de bonheur que t’as pris dans ses bras. Tu ne te soucies plus ni de Dieu ni des hommes, tu serais prêt à mourir si elle mourrait un jour car la mort n’est qu’un jeu comparé à l’amour et la vie n’est plus rien sans l’amour qu’elle nous donne. Enfin, parce que tu es au seuil d’un amour

Eternel ?

Ça fait quatre ans, presque. J’me sens comme quand on se disputait. Sauf qu’ça durait pas si longtemps. J’sens des choses que j’devrais pas sentir mais c’que j’dois sentir, mon esprit, mon âme, ma raison, j’les sens plus. J’suis devenu une marionnette, de qui, tu t’dis. Une marionnette de moi-même. L’moi amoureux joue avec l’moi un peu con. Une association à n’pas faire, hein. Dis.

Oui ?

C’est toi qui vis dans le mensonge. Parce que t’es moi et t’essaies de te convaincre qu’elle n’est pas importante, Lana. Or moi j’sais qu’c’est faux. J’ai pas oublié nos promesses… Pourquoi tu veux pas l’avouer, l’pivé ? Pourquoi tu fais comme si ça allait, hein ? Pourquoi tu conseilles à Kiril de se mentir… Au lieu d’accepter.

En attendant, lâche moi un peu. C'est vrai, t'es qui ? Sa mémoire ? Ses sentiments ? Sa conscience ? C’est moi qu’il écoute, Kiril, c’est qui m’souvient quand on se disputait, avec elle. Enervés sur le coup puis au fil d’la dispute, ça s’arrangeait mais on avait pas envie que l’un l’sache. Mais on l’savait. Alors on continuait d’faire semblant. Puis ça d’venait débile, du coup, à la fin, on s’réconciliait. Deux gamins. Elle m’disait d’partir, j’disais oui. Qu’elle allait rester, j’disais oui. Elle mentait, j’savais. J’mentais, elle savait pas. Du coup, j’suis vraiment parti et elle est restée. J’ai compris. Elle pleurait, j’me retenais. Des lettres et des lettres… assemblées, elles font mal. Alors j’les déchirais, j’les mettais dans un autre ordre pour faire l’mot « Je t’aime » et j’lui les rendais.

Des lettres ?

Les mots. Qui poignardent… Avec des poings, tu fais grandir un homme. Et.

Et ?

Avec des mots, tu le détruis.


Là, c’est quand on s’disputait. Ça fait une paye. J’donnerai p’t’être tout pour revivre ces moments parce qu’avant j’pouvais la regarder dans les yeux, plus maintenant. La tragédie c’est quand j’me rends compte que j’suis sur le point d’oublier son visage. J’ai même pas une photo. J’ai qu’mes souvenirs, bons ou mauvais. Elle est plus là. Ils sont tous bons, alors. J’ai l’cœur à aimer, la tête aussi. Mais ça vient pas parce que je sais qu’j’aurai qu’un seul amour. L’amour c’est elle, ma vie, mon cœur, mes pensées, mes actes, ma tragédie. La tragédie c’est quand j’pense tous les jours à elle mais qu’elle commence à devenir imaginaire. Des fois j’me demande si j’l’ai pas inventé, Lana. J’suis peut-être fou. Si elle existe vraiment. Non ! Non… Si j’suis comme ça aujourd’hui c’est à cause…ou grâce à elle. Toutes ces disputes m’ont forgé. Encaisser les mots pas les coups. Les coups sont pas comparables à quand elle m’disait qu’elle m’aimait plus, d’aller m’faire voir ailleurs avec la première prostituée qui m’tombait d’ssus. Et j’la soupçonne de souhaiter qu’ce soit un okama. Fourbe. Pour ça qu’j’l’aimais. C’tait un jeu ? Non. « Si c’est un jeu, ce sera non. » Elle l’disait. Souvent, elle l’disait. Et aujourd’hui j’me demande de quoi elle pouvait bien parler… Ça, c’est quand on s’disputait. Ça fait une paye. J’aimais bien m’disputer avec elle, j’avais l’impression qu’à la fin, on s’aimait encore plus. C’est vrai.

    Ont-ils oublié leurs promesses ? Au moindre rire, au moindre geste, les grands amours n’ont plus d’adresse quand l’un s’en va et l’autre reste. N’est-il pêché que de jeunesse ? N’est-il passé que rien ne laisse ?
    Les grands en amour sont en détresse lorsque l’un part et l’autre reste.


    Reste chez toi.

    Vieillis sans moi.

    Ne m’appelle plus, efface moi.

    Déchire mes lettres et reste là. Demain peut-être tu reviendras.

    Gestes d'amours et de tendresses, tels deux oiseaux en mal d'ivresse… Les grands amours n'ont plus d'adresse quand l'un s'en va et l'autre reste. Sont-ils chagrins dès qu'ils vous blessent ? Au lendemain de maladresses.
    Les grands amours sont en détresse lorsque l'un part, et l'autre reste.



    De tristes adieux… que d'illusions.

    Si c'est un jeu, ce sera non.

    Rends-moi mes lettres et reste là.

    Demain peut-être, tu comprendras.

    … … …

    Ils n'oublieront pas leurs promesses, ils s'écriront aux mêmes adresses. Les grands amours se reconnaissent lorsque l'un part et l'autre reste.

Y a pas d’amour heureux.

C’que t’en sais ? T’es … rien. Ma conscience ou moi la tienne.

T’es gentil, c’est bien. Des fois tu t’égares, t’es l’inverse, elle l’remarque. Les femmes sont un peu bizarres. J’répète, t’es gentil tout va bien, tu t’égares elle le remarque. Mais quand t’es gentil, rien. Alors elle braille, fout l’barouf tous les jours et tout va bien. Toi tu dis rien. Mais quand c’est toi qu’en à marre, ça devient grave… T’as pas le droit. Puis elle t’insulte, elle dit des choses qu’ « qu’elle pense pas » dit-elle mais si elle les a dites c’est qu’elle le pense au fond d’elle. Alors mon gars, j’suis qu’une enflure, j’ai le cœur là où les poules ont les œufs, une rapace, un cave, un tocard, j’ai que de la haine dans les yeux. Elle s’demande « pourquoi elle est tombé amoureuse d’un fieu comme ça, pourquoi elle m’a dit ces choses, c’est fini, pars… Deviens vieux sans moi. »

Alors il part même si c’est faible, rester ça le serait encore plus. Ça serait lui montrer qu’il l’aime mais de l’amour il en veut plus. Rien qu’un soir, il en peut plus, il boit sa tristesse comme de l’eau sauf qu’elle fait mal à la gorge et elle le rend un peu poivrot. Alors il parle de sa femme à des millions d’pivés qu’ont en rien à s’couer mais l’sont tellement qu’ils peuvent que l’écouter. Il la décrit d’la plus belle des façons et là il s’dit…

Pourquoi j’suis là. Pourquoi j’suis pas près d’elle, pourquoi j’me bats contre mon envie d’la serrer dans mes bras, lui dire que c’est pas grave, lui dire que j’l’aime. Et puis j’sais même plus pourquoi ça a commencé, j’ai envie d’oublier l’passé, faire comme on f’sait, parler uniquement d’l’avenir de nos projets…

Tu voulais des marmots qu’ont ses yeux, son sourire et ta force. Mais ça fait un peu mal de s’prendre toutes les insultes du monde pour des bêtises, tu perds confiance en toi tu t’dis qu’c’est peut-être pas toi qu’il lui faut. Et comme les gens qui s’mentent tu penses que tu veux qu’elle soit heureuse peu importe si c’est avec toi ou pas. C’est qui l’premier con qu’a dit ça ? ça existe pas. Tu la veux que pour toi.

Dis le.

Tu la veux que pour toi. Arrête de te mentir. Tu voudras jamais qu’elle soit dans les bras d’un mec bien. Même si tu sais qu’t’es la pire des raclures, si tu l’aimes, tu lèveras ton majeur et l’montrera au mec bien. Tu la veux que pour toi.


***

Et si j’ai pas besoin d’vos conseils, les gars ? Toi l’ailée, ferme là. Ris pas l’glinet, t’es pas mieux. Z’êtes qui pour entrer dans ma caboche ? Vous buvez dans mon verre pour voler mes pensées, vous videz mon crâne comme des dupeurs d’oreilles... Si vous étiez pas des clefs du champ d’manœuvre, ça fait longtemps qu’vous logeriez plus sur mes épaules mais au fond d’une robe de chambre. J’vous défend de tenir le crachoir ne s’rait-ce qu’une fois. Disparaissez d’ma tête, laissez moi avec ma solitude.

Moi et ma solitude… Je lui lève mon verre, tiens, à la santé de ma nostalgie et à mon célibat qui me dit qu’j’suis l’homme de sa vie. Les choses changeront si j’veux. Là j’veux pas. J’veux rester un glandeur de base qui passe le plus clair d’son temps à comparer le prix du whisky et qui va au moins cher. Et c’est pareil pour les galupes à bouyave, j’vais à la moins chère et si ça vous plait pas, cachez vous les yeux mais arrêtez de marmonner, de vous battre et de dire des foutrissures à l’intérieur de ma sorbonne. Toute ma vie j’ai été suivi par la solitude. Partout. Dans les rades, les guimbardes, sur les antifs, dans les landières… Y a pas d’issue. L’amour ? C’est pas une issue. Elle était pour moi ce qui faisait de moi un homme bien. Sans elle que suis-je ? Un dépravé, comme tu l’as si bien dit glinet, qui s’lamentent tous les soirs en essayant d’trouver une couleur au rhum.

Toi, ailée, t’as bien raison. T’as dit tout c’que j’veux pas dire mais ça m’empêche pas de l’penser. J’vais pas raconter toute ma misère à un monde qui souffre déjà bien assez, oh non. Ce serait tourné l’dos à ma dignité et ça pour aucune femme, aucun amour, aucune deuxième vie, je ne le ferai. Je préfère vivre à terre et mourir debout que l’inverse. C’est dit. Alors oui, elle m’a fait du mal presque autant que je lui en ai fait et peut-être qu’elle ne me pardonnera pas, plus. Parce que c’est difficile d’excuser un type qui n’arrive pas à ne plus s’en vouloir. Oh non. Oh non. Que je m’en veux. Savez-vous à quel point je m’en veux avant de piailler dans mon crâne ? Je m’en veux comme le soleil qui va donner la lumière aux riches en offrant que l’obscurité aux pauvres. Comme le cœur qui n’a d’autres choix que de ne battre plus qu’une fois avant de mourir. Je m’en veux mais jamais ô plus grand des jamais vous ne vous en soucierez ! Vous préférez commenter les actes de la seule femme que j’aimerai ! Fichez-moi la paix parce que, voici l’homme pour qui la coupe est pleine. L’homme qui s’est dressé contre la veuve et l’orphelin après avoir tué le violeur, l’homme qui ne cesse de montrer au reste du monde qui il n’est pas pour le plaisir d’un seul, son faux ami : sa fierté.

C’en est assez.