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Bienvenue chez les justiciers.

La matinée était plutôt fraîche en ce début d’année, mais Julius était de bonne humeur. Il avait vécu plusieurs semaines à Drum. Et, s’il n’avait pas totalement réussi à s’acclimater, au moins, il pouvait se targuer de mieux vivre la situation que d’autres. D’autant plus qu’aujourd’hui, il allait inviter des gens à rejoindre son équipage. Le sien, quand il y pensait, il en avait le vertige tellement cela lui semblait irréel. Encore à cet instant, alors que le navire était déjà au port prêt à appareiller, il hésitait à tout annuler.

Ce ne fut pas une décision facile que de faire cela. Cependant, il avait compris que sa vie ne le mènerait nulle part autrement. Voilà une bonne décennie qu’il ère à travers toutes les mers du monde et rien n’avait bougé. Il y avait tellement à faire pour que le monde aille mieux qu’il se sentait écrasé par la tâche. Le monde le happerait tel un moucheron avant qu’il n’effectue aucun changement, il en était conscient avec une certaine lucidité. Depuis qu’il avait découvert le fluide de l’observation, il se sentait différent, plus paisible. Bien qu’il n’ait pas le talent nécessaire pour lire dans le cœur des gens, il sentait une chaleur intense qui émanait de leur âme alors qu’ils reconstruisaient après la bataille. Les habitants de Drum étaient des plus vaillants et, en dépit de leur deuil, n’économisaient aucun effort. Tout le monde participait à la tâche et ce tout, Julius le percevait avec une acuité nouvelle. Il comprit qu’il ne pouvait s’interdire de vouloir sourire et qu’il ne pouvait plus porter le poids de sa solitude plus longtemps. Sa chair avait cicatrisé, mais les coups de fouet étaient encore lancinants dans ses rêves, comme des morsures d’une bête affamée sur son dos. Souvent, il se réveillait l’écume aux lèvres, une rage folle empoissonnant son esprit et se mettait au balcon de sa chambre improvisée. Le froid l’aidait à maîtriser les battements désordonnés de son cœur. La nuit était si calme après une journée de labeur qu’elle en serait effrayante si Julius ne percevait pas la présence ténue de ses hôtes.

Plus il y pensait, plus il hésitait, comme le jour où il osa à peine aller vers sa fille pourtant à sa portée pour la première fois depuis six ans de séparation. Il se demandait ce qu’elle était devenue, si elle l’avait pardonné et si elle approuvait ses projets. Pourtant, il retrouva sa sérénité lorsqu’il se remit à déblayer les débris de l’explosion. Le travail manuel l’embarquait tout entier et la houle de l’enthousiasme qu’il sentait le maintenait à flot. Il devenait un simple maillon de la chaîne et travaillait avec la régularité d’un métronome.

De l’autre côté de la mer, il se trouvait une jeune fille devenue femme depuis, une jolie rousse avec un meurtre sur la conscience et les épaules chargées d’un lourd fardeau. Il voulait lui dire de ne jamais prendre sa voie. Il n’en était nulle sans douleur, mais la solitude était sans espoir. Elle l’aurait volontiers perdu sans l’intervention salvatrice de Lilou. Julius ne put s’empêcher de rire dans sa barbe, le destin avait mis plusieurs frimousses rousses sur son chemin, décidément.

De retour dans l’auberge censée accueillir des volontaires, il se posa dans une table au fond. De ses poches, il avait payé pour qu’il y ait assez de nourriture et de boisson pour tout le monde. Il en profiterait pour venir voir les candidats à sa guise. Ou à se laisser aborder par les plus perspicaces. Sur le linteau de l’établissement, il avait marqué la devise de son équipage, ces mots qu’il avait dit à ce médecin de Drum et qu’il n’était plus en mesure d’ignorer.

S’il y a pire que les méfaits des vils, ce serait le silence des hommes de bien.

Fébrile, il attendait qu’on pousse la porte. Après, il se laisserait guider par son instinct. Ses tripes ne lui mentiraient pas et quand bien même, il n’avait pas d’autre choix que d’essayer. Il se sentait tellement dissemblable de ce qu’il avait été autrefois, transformé par cette décennie à agir pour le bien des autres et jamais le sien qu’il s’en étonnait. Était-il possible qu’on puisse vivre plusieurs vies en une seule ? Il l’espérait du fond de son âme, car autrement, il n’était qu’un mort en sursis.

Enfin, il sentit avant qu’il ne le vit, la première personne arriver. Le battant de la porte laissa entrer l’intense lumière de Drum reflétée par la neige. Il n’y avait nulle place au doute maintenant, même s’il aurait préféré affronter une armée plutôt que de répondre de ses actes à lui-même ou autres. Aujourd’hui, il allait tourner une nouvelle page dans son existence et cet instant est crucial, puisqu’il déterminait qui partagerait sa nouvelle vie.
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Asen attendait de pouvoir attendre. Il attendait. Ou peut-être de pouvoir s’attendre. Se surprendre. Les jours passaient les uns après les autres et ne se finissaient jamais. Un scénario sans fin dont il était le seul protagoniste. Le seul à jouer, le seul sur scène. Et. Le seul à attendre. La solitude entraine la tristesse. Celle même qui enfante l’impatience. L’impatience… Il sentait cette rage, ce désir de vouloir. Mais quoi ? Non pas l’amour, non pas le bonheur, monsieur. Non, non pas la gloire, non pas la richesse, madame. Il attendait ce jour où il pourrait les donner. Donner l’amour, offrir le bonheur ainsi que la gloire et enfin, partager la richesse.

Il y avait tellement à faire pour que le monde aille mieux qu’il se sentait écrasé par la tâche. Des années et des années d'errance, pour ne pas dire quarante années. Mais elles avaient les allures de mille dans sa tête. Tête bien lourde de maux, tout autant de mots car des questions lui venaient, s'entassaient presque, faisant d'elle un capharnaüm de pensées. Sans réponse demeuraient-elles alors, elles prospéraient sans but dans son cerveau. Mille années... Non, que dis-je, presque quarante années à les supporter car il n’était pas capable de se supporter. Et ce, depuis toujours. Il se cachait alors dans un épais brouillard de fumée noire qui lui rappelait les cigares Barbe Noire qu’il dégustait au plaisir et sans fin, au plaisir et sans faille, lors des joyeux étés, s’il y en avait eu.

Or, si longue fut son année passé en ces lieux, il n’avait pas fumé une seule fois ses fameux cigares aux sombres couleurs. Le climat n’étant pas de son côté, il se contentait de délicieux Hancock qui venaient lui chatouiller les narines de leurs odeurs érotiques. Hm. Pas bien loin, un gigantesque cosne lui criait de venir à lui pour, avant tout le réchauffer et bien ensuite, humecter son gosier. Il avait pourtant l’habitude des bourgades enneigées depuis son passage à Tequila Wolf. Il avait du l’affronter et y faire face à ce grand froid. Sans compter les coups. A croire que l’homme ne s’habituait pas. Refusait, du moins. Pour ce qui était de l’alcool… Disons que c’était la meilleure maîtresse de l’homme.

Sur l’architrave était écrite une très belle phrase sûrement dite ou pensée par un gentilhomme, ce qui le confortait dans l’idée d’y pénétrer. Son cœur de glace se tiédit au pas de la porte pour finalement s’échauffer une fois à l’intérieur. Un festin. Préparaient-ils une fête ? Apparemment non, ce n’était pas ce que disait la pancarte près de l’entrée. Un recrutement, alors. Grand bien fasse à ce « Julius Ledger » mais le parfum des salaisons lui aguichaient le sens rendant l’annonce invisible et coincé au fin fond de sa mémoire.

Bien sûr, ça ne dura pas. Ça ne dura pas car l’illustre très certainement responsable de ces joyeusetés était présent et lui disait quelque chose, une peau blême pour des yeux ambres et des paupières creuses. Pas de doute, ça lui reviendra. Puis, la tête du barbu alla s’attarder sur la fiche précédemment snobé après avoir salué l’hominien d’un geste de la main. La sentence inscrite sur l’architrave était donc de lui. Sans attendre et après avoir passé son pouce, son index et son majeur sur sa barbe, il allumait un cigare. Signe d’intéressement, mais pas que.

« T’as une bonne droite ?
T’es pas trop un manche avec un fusil ?
Tu sais tenir ton épée par le bon bout ?
Tu as ta propre justice à faire respecter ?
On a une place pour toi.
Pas de tendresse pour les fumiers.
Pas de traîne-savate sur le navire. »


Une bonne droite, il ne savait pas. Habilité au fusil ? Bof, aussi. Une épée ? Grand Dieu, non ! Mais la phrase suivante attira son attention. Sa propre justice à faire respecter, ça oui. Mais c’est pareil pour tout le monde, mon bon monsieur. Les pirates, truander, violer et tuer, c’est leur justice. Et ils la font respecter à leur manière. Il en avait certainement une, mais laquelle. Laquelle… Pas de tendresse pour les fumiers, hein. D’accord. Pas de traîne-savate sur le navire. D’accord aussi. Mais que voulait-il créer ? Un équipage de ?

« Le capitaine décide.
On ne laisse personne derrière.
On fait gaffe aux gosses.
Le tiers de tout butin ou prime est à verser dans la caisse commune. »


On ne laisse personne derrière, bien. Gaffe aux gosses… Une pensée pour Isaac. Et donc, les tiers de tout butin ou prime. Ah, des chasseurs ! Fallait le dire avant, cheveux blancs. Asen en bon muet faisait signe au recruteur, apparemment intéressé. Oui. Il attendait. Il attendait de pouvoir redonner l’amour et le bonheur à sa famille. Il attendait de pouvoir partager la richesse et offrir la gloire… Peut-être aux… Aequitas ? Et il sentait qu'il ne serait plus le seul sur scène. Il tournerait enfin le dos à l'attente, jurant la patience pour partir peut-être accompagné.

...
    La salle se remplissait doucement, mais sûrement. Dans le lot, il y avait certainement plus de gens venus pour la picole que de réels candidats, néanmoins Julius ne s’en formalisait pas. S’il pouvait éviter à ces gens de dormir le ventre vide ce soir, il en tirerait assez de satisfaction pour les laisser croire ce qu’ils voulaient. Il savait que la faim était un des pires tourments de l’homme. Elle constitua la Némésis de sa vie d’enfant. Des plus grands et plus forts que lui y succombèrent, et pas de leur belle mort, non. Ils dépérirent, ils perdirent toute leur vitalité, s’enfonçant chaque jour un peu plus dans le néant de la mort. Ces spectres hagards aux membres rachitiques et aux lèvres pâles et déchirées par la déshydratation hantaient parfois ses souvenirs. Parce qu’ils s’étaient pété une jambe ou une clavicule, ils n’étaient plus capables de se chercher de la nourriture. Et leur agonie durait si longtemps qu’ils recevaient leur fin avec soulagement.

    Depuis quelque temps, le chasseur de prime était plus sensible aux souffrances des autres. En un autre temps, voir des traîne-savates se troncher sa bectance l’aurait mis dans une rage folle. Lui ne faisait qu’observer leurs visages émaciés et leurs fringues en lambeaux. Certaines portaient des attelles sur les bras, d’autres avaient un œil crevé. C’était le visage le plus hideux de la guerre. Quand les dirigeants en finissaient avec leurs querelles, ils ne laissaient que des veuves, des orphelins et des estropiés. Tous pauvres, tous destinés à mourir de la guerre, mais à échéance. Comme si les morts des champs de bataille ne suffisaient pas à étancher la haine de l’homme envers l’homme.

    Qui veillera sur eux demain ?
    Probablement personne.
    Alors, qu’ils boivent et ripaillent.
    Qu’ils sortent la panse remplie.
    Qu’ils passent une journée sans souci de voir se lever le soleil matin.

    Mais, dans l’interstice, un individu différent des autres entra. Il avait le visage encadré d’une barbe et d’une moustache bien taillée. Son visage reflétait la curiosité, peut-être un semblant de tristesse. Une profonde douleur enchâssée dans la peau, recouverte par une force de volonté toutefois encore visible. Ou alors, le vieil homme voyait chez les autres le reflet de sa propre souffrance. Il cherchait peut-être dans la foule quelqu’un qui lui ressemblait, ne serait-ce qu’un peu. Pour ne plus être seul, au moins pendant un court instant.

    Bien qu’il n’ait su en rien le pourquoi du comment, Julius invita cet homme à s’assoir à sa table. De toute façon, c’était le premier qui ne s’était pas précipité sur le comptoir comme un affamé. Et pour ça, il méritait son intérêt. Il se présenta à lui avec son nom et lui désigna une chaise avant de s’assoir en face de lui et entama la conversation derechef :

    « Bienvenue, voyageur. J’crois bien que t’es pas comme ceux-là. Eux viennent se caler les boyaux parce que la guerre fait plus de pauvres que de morts. Et les pauvres meurent aussi sûrement que les morts, mais pas aussi vite et pas en héros.

    J’sais pas c’qu’ils vont d’venir une fois qu’ils auront tout fini ici. Ils mangeront c’qu’ils ont mis dans la fouille, puis leurs lanières de sandales. Certains mangeront des animaux, d’abord des cerfs et des daims, ensuite des chiens et des chats et enfin les rats et toute sorte de vermines. D’autres iront jusqu’à bouffer leurs morts. Et puis, l’équilibre va revenir, y aura plus assez de pauvres pour qu’ils crèvent de faim et la guerre recommencera.

    Désolé d’parler comme ça, alors que je n’sais même pas c’que t’es v’nu chercher. C’est juste que j’crois que t’es un type qui peut m’donner une réponse. Ou alors, me poser une question qui m’fera faire un tour de piste sans que m’arrache les cheveux en voyant tous ces pauv' gars.

    Les révolutionnaires appellent ça liberté et le gouvernement mondial, l’ordre. Moi, j’dis qu’c’est qu’une putain d’injustice. Et si deux cons veulent s’mettre sur la tronche, y z’ont pas b’esoin de traîner tous ces gens dans leurs délires d'enfoirés. Mais, toi, qu’est-ce t’en dis ? »
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    La nourriture disparaissait à mesure que le cosne se remplissait. Du beau monde. On y voyait la population oubliée de Drum. Celle dont on connait la misère et l’existence mais à qui on ne veut surtout pas penser. Car on est coupable. Coupable des maux et des cicatrices, coupable de la tristesse et de la mauvaise condition de vie. On ne veut pas y penser car ce serait reconnaître que nous sommes les seuls et uniques responsables. Pourtant certains profitent de ce statut pour qu’on les plaigne, certains acceptent ce qu’ils sont et ne font rien pour eux si ce n’est que de soupirer. Asen ne pensait pas qu’on devait vouer sa vie à la contemplation morbide de soi mais croyait qu’on devait plutôt essayer de devenir une personne comme les autres.

    Mais quels autres ?

    Ces hideux personnages qui prennent tout pour acquis et n’en ont que faire de ce qui les entoure ? De ceux qui les entourent ?

    Ce qui les entoure, la peste, le choléra, la banalisation de la haine et de la mort. Ceux qui les entourent, les borgnes, les mères seules…les enfants seuls.

    Des choses que tout bon médecin se devait de soigner. Mais on soigne l’homme, pas ce qui est ancré dans sa tête. Hélas.

    Asen assistait au massacre d’un gigot d’agneau avec dépit tandis qu’il prêtait oreille à son locuteur visiblement autant chagriné que lui par l’affreuse calomnie dans laquelle ils vivaient. Un mensonge. Le fumeur d’havane ne pouvait qu’acquiescer et ne cessait d’hocher timidement la tête en fin de palabres. Il se retourna soudain vers Ledger, le regard dur. Pas pour lui mais pour ce qu’il incarnait. Pas pour ce qu’il incarnait mais pour lui. Il ne pouvait organiser ses pensées et bégaya avant même de parler. Sa main vint essuyer son front pourtant sec pour aller ensuite s’offrir à un cigare couleur cramoisi. Portgas.

    Voilà qui était mieux se disait-il sûrement. Le goût des flammes qui venaient séduire sa langue ne pouvait être comparé. Il déposait son londrès entamé dans son cendrier personnel qu’il avait entreposé sur la table bien avant de commencer la conversation. Enfin, une conversation en est une lorsque au moins deux personnes parlent or ici ce n'était pas le cas. En effet, Asen à Tequila Wolf et pendant deux ans n'avait pas décroché un mot, n'ayant personne à qui parler si ce n'est un petit garçon qui lui rappelait son jeune fils, Isaac. Petit garçon mort des mains des prisonniers. Depuis, il avait refusé de parler à ce qu'il considérait comme la crasse ne s'exprimant que par un mot ou des sons. Cependant, il était très expressif de manière à ce qu'on puisse le comprendre. Devenir muet par souhait... Hein.

    Qu’est-ce qu’il en disait ? Que l’avis des révolutionnaires et du gouvernement lui passait par-dessus et même par-dessous car rien ne pouvait influencer sa pensée. Celle-ci se rapprochait cependant de celle de Julius. En moins grossière. S'il en avait eu l'envie, il aurait sûrement dit que l'on ne pouvait pas critiquer sans cesse. Sa femme le lui disait souvent. Il vivait alors pour le meilleur et quand il le croisait, s'en réjouissait tandis que le pire, lui, venait torturer son esprit un temps puis repartait, puis revenait, puis repartait, puis revenait... Rien ne pouvait l'atteindre et rien ne l'atteindrait. S'il en avait eu l'envie il aurait sûrement dit qu'on ne pouvait pas se contenter d'attendre, aussi. Que oui, nous devions agir et ce, comme on en aurait envie. L'envie... Il sentait qu'il pourrait se lever de la chaise de l'ennuie, année gâchée à contempler l'être répugnant qu'était l'homme. Il se disait qu'il était temps. Alors.

    D’un geste de la main, il ramena la feuille d’inscription à côté du cendrier de manière à pouvoir signer. Le tout accompagné de la marque de l'extrémité en feu de son cigare.

    Asen Kavinsky.

    connaissances médicales, cigares redoutables, force de pensée, et amour

    …pour ma famille.


    Car un homme n'est rien sans amour. Car un homme n'est rien sans but. Asen n’était rien sans ce qu’il avait écrit sur la feuille qu’il tendait désormais à Ledger. Le plus important selon lui. Aussi important que ce qu’il s’apprêtait à dire, le feu dans les yeux, le feu dans la bouche et les narines rejetant la fumée du Portgas qui s’était consumé en moins de deux minutes.

    Pris.
      Terre en vue. C'est la vigie qui a crié ça, trois fois au moins. À s'en époumoner. Ça réveille le pont, huit mètres en dessous. Des petites fourmis surgissent de leur hamac, de la cale pour se pencher contre le bastingage et observer. On est quelques-uns à scruter l'horizon, depuis le babord; en vain. Mais on fait confiance au voltigeur, là-haut, il est nos yeux depuis quelques heures déjà. L'océan est habillé d'un épais manteau de brouillard; trop dense pour y voir à cent pas. Atmosphère lourde, gonflée d'humidité et piégeuse par dessus tout. Les gars dégoulinent de sueur, mais pas de la bonne qui rappelle l'énergie brûlée au labeur; non, c'est l'autre, la glacée, la mauvaise. Tous ici sont restés vigilants trop longtemps d'une seule traite, attentifs au moindre bruit, au moindre changement de courant marin; la fatigue nerveuse de l'effort que l'on préfère de loin physique se fait sentir. Chacun en voit le bout, maintenant.

      Les longs soupirs et les tapes sur l'épaule se succèdent. Le soulagement d'en terminer est palpable, compréhensible. On a navigué à l'aveuglette, voilure réduite, sans s'opposer à l'océan de toute la nuit. Pas d'étoiles en vue, un calque trop omniprésent entre elles et nous, alors on s'est repérés à l'instinct, à l'expérience. On s'est vite dit qu'il vaut mieux opérer une courbe oblique, épouser les courants et rallonger le trajet que contrarier le grand bleu, quand les conditions ne s'y prêtent pas. C'est ce que tout le monde s'est dit. Pourtant, même si on a opté pour la solution la plus sage, le Capitaine à bord est pas enchanté du détour consenti. Faire un crochet par bonté d'âme, pourquoi pas; la sensation de rendre un service, de faire une bonne action à ça d'unique qu'elle redonne de l'estime de soi et l'ardeur qui l'accompagne. Mais faire un crochet pour venir se jeter dans la purée de poix, à craindre les intempéries et les raids pirates sans en retirer le moindre profit, ça fait grincer des dents le commercial qui sommeille en lui. Et ce même s'il le relègue au second rang lors des traversées maritimes pour laisser son âme de marin s'exprimer. Alors il tire un peu la gueule. Un rictus crispé, une barre de souci et de mécontentement contenu au milieu du front. Et aussi, des mains moites, une respiration un peu trop lourde. Mais il bronche pas. Il est poli.Un détail, dirait le plus grand nombre. Qu'il râle, c'est son droit, diraient les imbéciles. Au contraire. Une politesse aisée n'a pas la même valeur qu'un geste qui en coûte. Alors, l'attitude quasi-exemplaire est jugée, appréciée à sa juste valeur.

      Les manœuvres pour amarrer sont périlleuses, mais les matelots doués. Les conditions sont difficiles, aussi les fanaux sont-ils encore allumés, même s'il doit probablement être plus près de midi que de l'aurore. Le bâtiment se glisse au port comme un corps fatigué sous une couverture, sans heurt, ni effort. Des épreuves comme celle-là ne font que rappeler les prouesses qu'accomplissent ces gars si ordinaires en apparence. Quand les amarres du chaland s'enroulent enfin autour des bittes, le long du ponton, on ne manque pas de se congratuler. Ça y est, on est arrivés.

      Le Capitaine ressent l'état de ses troupes, éreintées, fourbues. Pour regonfler le moral, il offre quartiers libres à tous jusqu'à la fin de l'après-midi. La nouvelle est accueillie par de nouveaux éclats de joie compréhensibles. Certains marins commencent déjà à rejoindre les quais, j'en profite pour aller remercier mon créditeur. Pas de propos cérémonieux, juste l'essentiel. Il est disert, une chance eu égard sa profession, mais à peine plus bavard que moi.

      Je vous en dois une.
      On dirait bien, oui.
      Si l'occasion se présente, je vous retournerai la faveur un jour.

      Ce n'est pas une façon de parler. Je ne prends pas la peine de glisser des remarques de façade et il le sait. Il s'en souviendra, si l'occasion de demander un service se présente. Une poignée de main, sobre mais franche. La dernière. Je hèle Eustache, dont la vision ne s'est pas arrangée au fil du voyage mais qui a appris à garder ses impressions et ses descriptions pour lui. Le bois du pont craque une dernière fois sous nos pas. On part.

      On s'éloigne des cargaisons qui circulent, des dockers et de leurs entrepôts pour sortir de la zone portuaire. L'occasion d'examiner ce qui nous entoure pour la première fois plus en détail. Sale panorama au loin; sale coin ici. Les gens tirent tous la gueule, y'a des baraques en ruine parfois. Et y'a ces espèces de dômes qui culminent au sommet des montagnes, un peu plus loin au cœur de l'île. De lourds nuages de fumée s'en échappent. Ok, Drum. T'es bizarre. T'es morne, ça respire la tristesse, le chômage et les emmerdes. Les deux premiers, j'peux rien y faire. Mais pour l'autre ... ça m'plait bien ici.

      Alors man, on fait quoi maintenant qu'on est là ?
      On observe. On écoute, on cherche.
      On cherche ? Genre, une pâtisserie ?
      Une patisserie... Je te dis de chercher et c'est le premier truc auquel tu penses ?
      Ben, j'ai les crocs moi.
      'ff. On fait gaffe autour de nous, on repère les gens louches, les discussions suspectes...
      Sinon, y'a des lapins géants dans la région il parait et ...
      Ne recommence pas.
      Non, ce coup-ci, c'est pour de vrai. Y'a d'authentiques lapins géants dans le coin. On pourrait profiter d'être ici pour aller leur taper l'bonjour.
      ...
      T'en dis quoi, man ?
      Va les voir.
      Et toi ?
      Va les voir.
      Hm ... okay à ta guise. Oublie pas, Be Cool.

      Y'a des jours, il m'emmerde. Et y'a des jours souvent. J'attends qu'Eustache soit parti dans une direction pour m'orienter vers l'opposé le plus strict et tâcher de réveiller les automatismes au plus vite. Remonter les rues, dégueulasser mes pompes qui baignent dans la neige fondue mêlée à la terre boueuse. Hm, douce sensation. Humer l'air, flairer la piste. Et puis, prendre contact avec les mange-merde du coin. Un truc infaillible pour ça. Retrouver un environnement familier. Comme le troquet là. Un bon vieil établissement comme il faut. Fréquenté, bruyant. Désagréable, infect. Parfait.

      J'vais pour entrer mais y'a comme une maxime, perchée au dessus de l'entrée de la boutique. Une phrase. La phrase. Ils en ont des pas banales, dans la région. C'est beau, ça sonne bien. Mais c'est un peu con. Le seul truc de pire qu'une sale action, c'est deux sales actions. J'demande à voir à quoi ressemble le monde dans une auberge bénie par de si doux enseignements. J'entre.

      C'est plus lumineux que je pensais. L'air est moins vicié par le crime ou la pisse et les mâchoires par les phalanges que j'aurais pensé. Ce serait un endroit sans histoire ? J'achète pas. Les seuls coins clean, ce sont ceux que j'ai pacifiés. Méfiance. Ils sont juste plus futés qu'ailleurs ici. Les petits malins, des ordures qui se font passer pour des mecs bien. C'est peut-être ça le pire, en fait. On se cale au bar, on ouvre l'œil en grand, et on attend. Il va forcément se passer quelque chose.

      Je vous sers quoi ?
      Un verre d'eau.
      Un ...
      ...verre d'eau. C'est tout.

      Une gorgée. C'est froid, c'est plat, c'est bien. Deuxième gorgée. Ça désaltère. À la troisième, ça m'emmerde déjà. Pourquoi j'entends rien de louche ? Pourquoi ils se battent pas ? C'est malsain, toute cette bonne ambiance. Ou alors ...c'est un traquenard. Je m'en aperçois que maintenant; j'ai perdu la main, à poireauter cinq mois sur une île déserte avec l'autre hippie. Soit, un retour aux affaires, ça se fête. Il faut déclencher les festivités pour faire tomber les faux-semblants. Alpaguer un gusse, le reste se fera naturellement. Toi, là.

      Toi, là.
      Teèh ... Moi ?
      Tu pars où avec toute cette bouffe ?
      Mah, qu'es-ça peut t'fout' ? J'ai faim, j'va tout bouffer.
      T'as faim ? Trouve un travail. Parasite.

      Il est pas content. Autour, ça rit plus des masses parce qu'on voit à ma gueule que je suis pas Gégé le poivrot du coin qui a un coup dans le nez. Je les distribue, les coups, c'est tout. Maintenant, guetter les réactions. Ils vont se trahir, forcément. Suffit de menacer un peu leur pote, de le secouer et voilà. Le dalleux fait un pas en levant un gros pain noir au dessus de sa tête. Tu vas faire quoi avec ça ? Des bêtises.

      Tu reposes tout, et tu te casses.
      Vo te fair' hé !
      Tu vas me mettre en colère.

      On nous propose de nous calmer en souriant. Mais le bouseux l'entend pas de cette oreille. Dommage, bientôt il entendra plus rien. Il essaye de m'envoyer un bête coup de brioche dans la gueule. Ma pogne gauche tord le poignet armé, la droite le prend à la gorge et le soulève.

      Arrêtez votre comédie les gars. Je sais. Vous allez vous mettre à table de suite ou il y passe.

      Ça y est, je suis en colère. Ça fait du bien.
        J’ouvre la porte du refuge et y rentre rapidement. Personne ne m’a vu, et les faits n’ont pas pu s’ébruiter aussi rapidement. Une attaque sur un Dragon Céleste. Même si celle-ci n’était rien d’autre qu’une gifle, une bonne gifle certes, mais rien de plus. Que voulez-vous, la justice est male faîte. J’avance doucement vers la salle, là un énorme buffet est servi. Il ne s’agit pas d’un festin de roi mais comparé à la pâtée servi sur le rafiot, du soit disant Maître, s’en était pas loin. Faisant un rapide tour de salle, j’aperçois deux personnes en train de signer un contrat. L’un est barbu et grignote un cigare. Tandis que l’autre, assis en face, est plus du style à faire froid dans le dos. Un brun semblant à peine arrivé se dirige vers le bar. L’ambiance semble bon enfant. Ca rigole, ça mange, boit pour tout faire descendre, re-mange pour éponger l’alcool, et ainsi de suite.
        Je reste quelques secondes aux pieds de la porte, un peu perdue par ce changement brutal d’atmosphère. Le temps de franchir une simple porte et je passe de l’ambiance crise mondiale au petit banquet convivial. Avouez- que ça laisse sur le cul. Oh ! Avec tous ce changement d'univers, je n’ai même pas vu l’annonce. Là raison, à toute cette profusion, est un recrutement. Par un certain Julius Leder… Surement un des deux autour du contrat.


        *Sympa, il a laissé un petit descriptif.*

        « T’as une bonne droite ?
        T’es pas trop un manche avec un fusil ?
        Tu sais tenir ton épée par le bon bout ?
        Tu as ta propre justice à faire respecter ?
        On a une place pour toi.
        Pas de tendresse pour les fumiers.
        Pas de traîne-savate sur le navire.
        Le capitaine décide.
        On ne laisse personne derrière.
        On fait gaffe aux gosses.
        Le tiers de tout butin ou prime est à verser dans la caisse commune ».

        -Bien tout ça, une bonne droite… j’arrive à compenser. Le fusil, une vraie pro’. L’épée par contre, c’est foutu. Ta propre justice… yep, et le monde en aurait bien besoin. Tabasser les pourris et protéger les enfants, la base. Dis-je à voix basse. -Ah oui ! Quand même 1/3, c’est pas rien comme tarif.

        Haussant le ton sur cette dernière remarque, un homme hideux, pas très costaud, et surtout rond comme un cul de bouteille se tourne vers moi. Il me zyeute de haut en bas avec un regard lubrique et s’avance nonchalamment de trois petit pas dans ma direction.

        -Hey, jolie, t’comptes pas rejoindre cet équipage si ? Mêm’ moi y m’ont pas accepté. Jte propose d’monter au 1er avec moi si t’veux être vraiment utile.

        Sans même tourner la tête, pas par peur mais par répugnance, je lui montre un magnifique majeur trônant sur son lit de doigts repliés. J’avance dans la salle pour atteindre la table, j’attrape un morceau de pain, qui disparait d’une traite, et une pomme, que j’essuie sur le manteau. Et décide de me diriger vers le bar. Mieux valait ignorer ce genre de propos sinon ça risquait de mal tourner encore une fois. Et je n’allai pas commencer à faire du grabuge vu les évènements encore chauds que je venais d’endurer.

        J’arrive au comptoir et de demande deux shoots d’alcool fort. J’en prends un et verse délicatement du liquide dans ma paume blessée. C’est pas grand-chose, juste une petite entaille. Ca pique un peu, et c’est rien comparé au coup de boule d’un tyrannosaure. J’avale d’un seul coup ce qu’il reste dans le verre et le contenu de son petit frère par la même occasion.  Malheureusement, à côté de moi l’ambiance commence à chauffer… Je vais finir par croire que j’attire les emmerdes. C’est pénible à la longue.

        Le brun de tout à l’heure semble terriblement remonté contre le reste de monde. Et, en ce moment, plus particulièrement contre un voleur de nourriture. D’accord elle est gratuite, mais ce n’est pas une raison pour abuser de l’hospitalité de ce Julius. Lequel était-ce au juste ? Le barbu ou bien le rasé ? Pas le temps de méditer là-dessus que le brun attrape l’homme par la gorge et le soulève comme s’il s’agissait d’un sac de pomme de terre. La situation est plutôt comique, tout le monde s’est arrêté pour regarder la scène. Qui ne l’aurait pas regardé ?

        « Arrêtez votre comédie les gars. Je sais. Vous allez vous mettre à table de suite ou il y passe ».

        -Pas besoin d’ordre pour passer à table. Dis-je en croquant dans la pomme. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit et fait ça. Peut être un réflexe, une pensée dite à haute voix.
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        "Commodore. Commodore ! "

        Surgissant de la foule des ouvriers qui travaillent, tant marines que volontaires, une estafette se précipite vers une jeune femme en pleine discussion avec un architecte.

        Bienvenue chez les justiciers. One-piece-film-z-full-1303107_imagesia-com_3qgu_large

        Cette dernière s'interrompt, hausse un sourcil surpris en voyant la tête du messager, fait signe à son interlocuteur qu'ils reprendront leur conversation plus tard.

        " Oui ?
        - Un appel. De la plus haute importance. "

        La jeune femme se saisit de l'escargophone qu'on lui tend, le porte à sa bouche.

        " J'écoute.
        - Commodore Ayame, ici Shiro Fuuryuko. "

        La jeune femme se raidit, adoptant presque instinctivement le garde à vous en identifiant son célébrissime supérieur.

        " Que puis-je pour vous, Amiral ?
        - J'ai une mission absolument prioritaire à vous confier. Soyez attentive. "

        Tandis que le haut-gradé expose la situation, Ayame blémit. Puis son visage se teinte d'une féroce détermination. Lorsque la communication se coupe, elle hèle les soldats proches.

        " Marines, regroupez-vous. Je veux l'ensemble de nos effectifs armé et prêt à marcher dans dix minutes. Execution ! "

        Elle a reçu un ordre, il va être exécuté.

        ** **

        Dans la taverne, l'ambiance s'est éteinte aussi vite que la flamme d'une bougie qu'on souffle. D'abord heureux de voir les soldats pénétrer dans le bâtiment pour arrêter la bagarre débutante, les hommes du peuple réalisent vite qu'une trentaine de marines ne se déplacent pas uniquement pour un affrontement de comptoir.
        La Commodore Ayame en personne s'avance pour leur donner raison :

        " Je vais vous demander de tous quitter le bar, à l'exception de vous, mademoiselle. "

        Le doigt impérieux pointe Levy. Les badaux n'y réflechissent pas à deux fois, récupèrent un dernier morceau de pain et quittent les lieux. Ayame est appréciée pour son aide à la reconstruction et tous en ont soupé des conflits. Si la Marine intervient, le peuple ne s'y oppose pas.
        Il reste pourtant quelques personnes. Le tavernier, qui semble sur le point de s'évanouir d'horreur devant la tournure des événements, et quelques autres inconnues au bataillon. Sauf une.

        " M. Ledger. "

        Ayame le salut d'un signe de tête puis reporte son attention sur la jeune aventurière accoudée au bar.

        " Mademoiselle Levy Quinn, je vous arrête pour attaque envers l'un des Tenryuubito. N'essayez pas de résister, j'ai plusieurs centaines de soldats qui entourent cet endroit, le port est bloqué par mes navires et un Amiral est en route. Vous simplifierez la vie de tout le monde en restant lucide et en ne tentant rien contre moi. "

        A cette tirade, le tavernier choisit de tomber pour de bon dans les pommes, les retardataires se précipitent vers l'extérieur en lâchant toutes les provisions qu'ils ont tenté de subtiliser.
        Nul ne s'attaque à la puissance des nobles mondiaux sans subir le courroux de la Marine.
          Julius se faisait bien chier pour en arriver à taper la discut’ avec un muet. Décidément, il s’attendait à un peu plus d’action, quelque chose de plus que des bruits de mâchonnements et des gorges qui descendent des pintes de bière maronnasse dans une hâte puérile. Une fois le contrat signé, le médecin était des leurs, et ce pour une durée indéterminée. C’était sa première recrue, mais, pouvait-il faire d’un type comme ça son second ? Peu probable. Dans sa vision des choses, un bon lieutenant est un mec qui a quand même une voix qui porte et qui gueule à intervalle régulier pour réaligner les chakras de l’équipage.

          Le premier évènement cosmique qui lui avait signalé l’importance de fermer sa putain de grande gueule mentale était le débarquement d’un brun borgne un peu sur les nerfs visiblement. Julius soupira intérieurement sans se décider à intervenir sur le moment. Il escomptait que quelqu’un se bouge le cul, des fois qu’il y ait parmi le lot quelque réel candidat.

          Non ?
          Personne ?
          Ça virait au ridicule cette séance.
          On ne pouvait décemment pas faire un équipage à deux.
          Ah si, quelqu’un a fini par parler.
          Du sarcasme.
          Malin.

          Le chasseur de prime se releva de sa chaise et éloigna les pans de sa cape. Il dévoila ainsi une partie de son arsenal ; quelques couteaux de lancer sur une sangle et deux épées, une bâtarde ceinte à sa gauche et une plus courte à la lame courbe à sa droite.

          Mais soudain, le cosmos faisant sa pute. Apparut sur le seuil de la porte une Ayame pour chasser les pique-assiette. La demoiselle à la langue bien pendue s’était foutue dans la merde et avait décidé de croquer une pomme en faisant profiter tout le monde avant.

          Le proverbe bien connu “An apple a day keeps the admiral away” avait démontré ses limites.

          Au-delà de ça, Julius pensait à totalement autre chose, un truc pas bien grave en apparence, mais qui menaçait l’île plus terriblement que ces guignols ne le pensaient. Alors, laissant son bon sens de côté, il s’adressa au fringant officier en ces termes :

          « Commodore, depuis que je suis p’tit, j’ai jamais vu une balle de fusil en sortir sans atterrir que’que part. Et y a pas moyen de m’faire gober que des centaines de balles vont s’loger dans c’corps de crevette. Alors dîtes-moi, quand vous aurez blessé un pov’ gars qu’a rien d’mandé, qu’est-ce qui va s’passer à votre avis ? Les gens vous en veulent aussi bien à vous qu’aux autres pour leurs morts et leurs maisons. Ils sortiront leurs fourches et vous en foutront plus d’une dans l’fion. Les montagnards sont bien capables de fiche vot’ joli minois sur une pique. Et personne ne misera un j'ton sur vous après le fiasco de la guerre donc pas d’renforts. Vous feriez mieux de virer vos mecs et d’régler vos comptes comme une grande, toute seule. Commodore c’est un peu la crème de la marine, non ? Quant à moins, j’m’en branle de votre histoire, mais, j’vais pas vous laisser remettre une couche de sang gratos. Ça m’ferait un peu mal au cul d’voir vos centaines de soldats au bout d’une corde et les drumos crevés tout ça pour une gamine. »
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          " Vous parlez avec la voix de la raison, M. Ledger. "

          Ayame tourne la tête vers le chasseur de prime, le temps d'un regard qui le jauge et l'évalue. Un homme rude, dégageant une présence impressionnante. Un homme fort.

          " Du moins si mes hommes se contentaient de pointer leurs fusils dans cette direction en attendant de faire feu, comme vous le supposez. Ce qui n'est pas le cas. Sous mes ordres, la ville est en train d'être évacuée. "

          Un allié potentiel. Une menace certaine si, pour une raison inconnue, il se décide à affronter la Marine.

          " Des renforts, nous n'en auront pas ici. Pas d'autre, je veux dire, à part l'Amiral qui s'apprête à nous rejoindre. Mais de toute façon, monsieur Ledger, pourquoi aurions-nous besoin de renfort ? Je ne suis là que pour une seule personne, non ? "

          Nouveau regard qui passe cette fois sur tous les chasseurs de primes présents.

          " Une personne qui s'est mise à dos le gouvernement tout entier et qui entrainera dans sa chute tous ceux qui lui viendront en aide. Une personne dont la prime va très bientôt grimper en flèche. "

          La commodore fait signe à ses hommes de se tenir un peu plus en retrait, s'avance vers la criminelle.

          " Là où je vois rejoins, M. Ledger, c'est dans le fait que cette ville et ses habitants ont bien assez souffert. Personne n'aimerait plus de combats, encore moins si un Amiral est impliqué. Je réitère donc ma demande pour la dernière fois, Mademoiselle Quinn, rendez-vous sans faire d'histoires. "

          Les menottes lancées par la commodore tournent au sol dans un crissement entêtant, jusqu'à se cogner dans le comptoir. Les combattants présents dans cette taverne peuvent le sentir : c'est un ultimatum que transmet Ayame. Ou Levy accepte d'enfiler les menottes d'elle-même, ou la commodore passe à l'attaque.
            La fin de ma petite remarque sonne comme un coup de glas. Pas même le temps d’inspirer qu’une troupe de marine débarque à l’intérieur de l’établissement. Leurs talons martèlent le sol violement. Je ne sais pas réellement combien ils sont mais ça fait beaucoup trop pour un show de claquettes. Je ne prends même pas la peine de me retourner. Même de dos je sais qu’ils viennent pour moi et non pour la petite fête. De nouveaux pas puis une voix aigue. Celle d’une femme. Qui demande à tout le monde de quitter le bar sauf à une demoiselle. Et vu le paysage, je ne pense pas qu’il s’agisse du brun rempli de testostérone ou bien du barbu au cigare. Elle salue rapidement l’organisateur de la soirée. Pas de réponse de sa part. Je ne connais toujours pas son identité mais il connait du beau monde.

            « Mademoiselle Levy Quin, » Je me retourne enfin. « Je vous arrête pour attaque envers l'un des Tenryuubito ». Et voila, ça recommence. Faut dire que la faute est grave. Et pour la peine, y a même un Amiral en prime. Quel bordel. J’ai beau imaginer n’importe quelle solution, ce n’est jamais la bonne. J’essaye de trouver quelque chose à dire, mais là aussi le succès n’y est pas. Par miracle, quelqu’un prend la parole. Il s’agit de l’autre homme autour du contrat. Debout, il a l’air bien costaud et à pas emmerder. Au moins, je sais maintenant qui est ce fameux Julius Ledger.

            Sa première phrase me fait frissonner... La seconde encore plus. Cependant, d’une simple balle perdue, il enchaîne les causes à effets pour arriver à un bain de sang. Il est fort et connait extrêmement bien l’île. Cependant elle aussi. Et d’un claquement de langue, elle arrive à reporter toute l’attention sur mon état de fugitive/criminelle.
            Je me retourne pour regarder le serveur mais celui-ci nous a quitté depuis un petit moment. J’attrape une bouteille et me sers un verre. Que je vide aussi sec et me retourne.

            Elle jette ses menottes qui glissent longuement sur le parquet avant de cogner contre le comptoir. J’ai l’impression d’entendre grincer la porte d’une cellule avant de se fermer violement sur la liberté. C’est horrible, comme couper les ailes à un oiseau.
            Je me décale doucement pour poser un pied sur les menottes et les rapprocher. Me baisse et les prends dans les mains. C’est froid. Je regarde l’assemblée et une idée me vient. Peut être que …
            Je me lève.
            –Si je peux me permettre, vous avez la puissance nécessaire pour me vaincre j’en ai aucuns doutes. Je ne suis pas armée. Je montre l’arc et le carquois qui sont par terre.Le piolet est toujours caché sous le manteau. Il faut toujours avoir un joker caché. -Mais avant tout, j’aimerais vous dire l’histoire de mon point de vue. Et je vous pense plus à mène de comprendre ma position, vu que vous avez l’air de penser au peuple, plutôt qu’un membre de la Haute sphère; qui n’hésiterai pas à raser une île pour une simple gifle.

            Je ne lui laisse pas le temps de répliquer.

            -Je me suis rendue sur l’île de Little Garden, pour y étudier la faune, et j’ai rencontré un certain Taiten Mashida qui s’est fait passer pour un Artiste de cirque. Etant blessée à la jambe, il a été marchander avec l’équipage d’un navire accosté non loin, une aubaine, ils acceptent de nous prendre jusqu’à la prochaine île. A ce moment, j’ai eu l’honneur de rencontrer notre ami commun qui a du respect pour les autres autant que la peste en a pour la vie. Deux semaines plus tard, la jambe réparée, je me trouve sur le pont, lors de l'accostage, et il me voit. Puis me fonce dessus et m’agresse en me demandant de déguerpir de sa vue. La conversation monte et il me dit : Toi, les civils, les esclaves de ce navire. Et je n’ai pas à discuter avec une chose telle que toi. Comme je te l’avais dit, du balai.
            Et donc comme personne normale, j’ai craquée. Mais si j’avais su, ne serait-ce qu’un instant, qu’il s’agissait d’un Tenryuubito. Jamais ! Jamais je n’aurais osé le frapper. Je ne suis pas idiote. Impulsive oui, mais pas idiote. Alors peut être pourrait on trouver un arrangement équitable tranquillement ? Qu'est ce que vous en dîtes ?

            Je garde les menottes dans les mains. Ça peut toujours être utile.


            Dernière édition par Levy Quinn le Lun 1 Juil 2013 - 19:22, édité 3 fois
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            Y'a une mouche qui tourne autour de moi et de la merde que je tiens par le collet. Elle balance la remarque osée de celle qui a pas compris qu'on était pas potes de beuverie. Les traits d'humour, tu gardes; les remarques déplacées, tu gardes. J'suis pas là en vacances, ni pour rigoler. De toute façon, j'aime ni l'un ni l'autre. Pas le temps de relancer les autres clients pour obtenir des réponses, y'a une petite délégation qui débarque de nulle part et vient interrompre mon interrogatoire. 'chier. La marine, jamais là quand il faut. Qu'est ce qu'ils viennent foutre ici ? Et puis d'abord, c'est quoi cette merdeuse en déguisement. Il les recrute au berceau, maintenant, les officiers ?

            Et vas-y que je te commande tout le monde sans prendre de gants. Et vas-y que je fais évacuer l'endroit. Génial, dissémine tous mes suspects dans la nature, j'en attendais pas moins d'une bande de mouettes. Avoir le logia du vent entre les deux oreilles, compétence inhérente à l'uniforme. Et tout ça pour quoi ? Arrêter l'autre tige, là ? Vrai qu'elle a l'air féroce, son aura voleuse de poule parle pour elle. T'es sûre que t'auras assez d'un Amiral en renfort, au moins ? Appelle le QG, ça serait con de prendre des risques. Heureusement que le ridicule ne tue pas.

            Le tableau est tellement pitoyable que l'intervention de l'organisateur de la session d'embauche joue en sa faveur. Pas difficile de remonter le niveau, certes; il surnage dans ce tas de déchets. Vrai qu'on en a rien à secouer de leurs disputes de collégiennes. Vrai que sa cohorte de bipèdes, ça fleure bon les buses qui visent pas droit. Vrai qu'à défaut de mieux, voir les deux se tirer par les couettes ça sera divertissant, au moins un temps.

            Soit. Mais la Commodore balance un autre indice. On évacue l'île. Lumineuse idée d'abruti. Parce qu'intercepter une fautrice de trouble comme celle-là, ça nécessite pas toutes ces mesures. Et qu'en plus, forcer les locaux à quitter leurs foyers dans la précipitation, ça ressemble à une aubaine pour qui voudra piller les baraques. Comme si les habitants honnêtes n'en avaient pas déjà assez bavé. Voilà qu'on vient leur arracher leurs derniers biens. Et pendant ce temps, ils font quoi, les représentants de l'ordre ? Rien. Ils offrent une escorte inutile parce qu'on juge plus important d'écrouer l'individu lambda qui colle une beigne à un crevard de noble imbu de lui même plutôt que faire une différence en bouclant les criminels qui achèvent le bas peuple. Tss. Répugnant.

            Plus rien à foutre ici, quand je sais que le Crime danse dehors. Je rentre pas dans ce jeu, moi. Pas le temps pour les pièces de théâtre. C'est une farce, un trompe-l'oeil odieux. Comme de coutume avec la Marine. Jamais là où elle pourrait vraiment rendre service. Même plus une surprise. Heureusement que je suis là pour remettre les choses d'aplomb. Jme casse. Juste le temps d'encastrer soigneusement la tête de mon client récalcitrant dans une table. Un bruit de bois qui craque, un cri rauque étouffé, un KO propre et net. Comme on les aime. Sortir, et sur le pas de la porte, rappeler à la représentante de la Justice l'inutilité et la bêtise des siens.


            Incapabes. Ordures. Voilà c'que vous êtes. Faibles, larves, je crache sur vous.

            Toiser les trouffions interdits.

            Dégagez le passage.

            Et se barrer.
              « Reviens ici sale gosse ! »

              Et mince, si proche du but… Mais là encore, l’enfant devait sans doute s’estimer heureux d’avoir pu atteindre sa destination. Grand Line, il y était enfin, c’était pas si compliqué à atteindre, il comprend pas pourquoi les gens en font toute une histoire. Mais qu’importe, première mauvaise surprise, l’île était glaciale, et Eriko n’avait pas prévu de quoi se couvrir, le voilà habillé en manche longue avec un short… Et en plus de cela il était coursé par une bande de pirate.

              Les conditions étaient en sa défaveur, frigorifié, ses pas s’enfonçaient dans la neige rendant la course plus difficile, d’autant plus que le jeunot avait un gros sac accroché à son dos. Il devait échapper à ses barbares sanguinaires. En temps normal il aurait pu user de quelques color traps pour les semer mais… La peinture avait gelé et il lui était impossible de dessiner le moindre symbole avec. Quelle sale île quand même. Après des minutes de course effrénés qui lui paraissait comme des heures, l’enfant reçu un papier en pleine figure, un genre de prospectus. Rah, saleté de pauvres qui polluaient les futures terres qu’il rachèterait un jour. Mais pour l’instant l’enfant ne s’en préoccupait pas, celui-ci continua sa course jusqu’à trouver un gros rocher auquel se cacher derrière. Epuisé, il devait reprendre des forces, le jeune garçon était très loin d’être sportif et avec de la chance, il échapperait à ces ravisseurs.

              Eriko pouvait désormais reprendre son souffle mais aussi consulter ce papier qu’il avait gardé en main… Une annonce pour un équipage ? Hmm… Moment opportun, un équipage non criminel, de toute manière Eriko devait quitter l’île pour la prochaine destination. Hors de question de rester sur une île hivernale presque déserte… Déserte ? Où qu’ils étaient d’ailleurs tous les citoyens ? Il y avait certaines maisons mais… Bah, ça ne l’étonnerait à moitié que de savoir que parce qu’ils étaient trop pauvres pour s’acheter du bois et des vêtements chauds, ils ne pouvaient pas se réchauffer convenablement et avaient finis mort de froid. Par contre le petit discours l’avait légèrement intéressé, surtout une phrase : Sauver les gosses. Il avait bien besoin d’une bande de bras cassé pour le défendre sur le coup. Il fallait vite rejoindre le centre du village.

              « Il est là ! »
              « Ah ! »

              De nouveau, Eriko reprit sa course de plus belle, ce temps de pause ne lui avait décemment pas suivi… Il était vraiment au bout du rouleau, ces sous-êtres, hors de question que sa route s’arrête ici. Usant de ses dernières forces, l’enfant avait réussi à rejoindre la place centrale. Hmm… Là encore, aucun villageois, mais pourtant, quelques marines au loin… Il y était presque… Mais c’est toujours à la fin que les choses se gâtent. Eriko était trop fatigué, c’est bien connu, les nobles ne font que peu d’exercices. Ces marines étaient proches, mais paraissaient si loin. Et pourtant, un homme était atteignable, celui-ci semblait partir, s’éloigner dans sa direction. Maintenant ou jamais, Eriko trotta du mieux qu’il pouvait, raccourcissant la distance, celui-ci fini par tomber à plat ventre juste devant cet homme imposant. Un noble trainant par terre, quelle disgrâce… Eriko releva la tête vers le bonhomme, quelle impression ! La même que celle de ce sale pouilleux à la langue bien pendue d’il y a un an. Mais est-ce que lui le sauverait ?

              « M’sieur…. Euf… Kof… S’iou plaît… Aidez-moi… Kof… Des pirates… Ugh…. Ils me pourchassent… Snif… »

              Pour l’occasion, Eriko avait joué la victime comme jamais auparavant. Tremblant littéralement de froid, épuisé autant physiquement que mentalement, le garçonnet était réellement désespéré. Se relevant sur ses genoux, il avait même réussi à faire sortir deux perles de larmes du bout de ses yeux et avoir une vraie voix d’enfant en détresse. Même sa toux était réelle. Le fait que ses bourreaux étaient des pirates était tout juste la cerise sur le gâteau.

              « Enfin ! Le voilà. Hm… Faites gaffes les gars, j’ai l’impression qu’au loin, y a quelque chose qui s’trame… »
              « Pas grave, on va en finir ici et rapidement. Hm ? T’es qui toi ? Mince, j’ai l’impression que d’autres gars arrivent ici, faut faire vite. »
              « Toi, laisse nous juste ce gamin et on te laisse peinard ok ? »
              *Allez abruti, tu vas pas me laisser là comme ça ! Réagit s'teu plaît, même si t’es pauvre tu dois bien avoir au moins une once de pitié !*

              Mais surtout ne pas faire transparaître ces pensées sur son visage, garder ce visage d'enfant misérable aux yeux larmoyant. Toute manière il n'avait presque pas besoin de jouer la comédie sur le coup.


              Dernière édition par Eriko le Jeu 11 Juil 2013 - 7:01, édité 2 fois
                Discuter, discuter. Ledger. Ecouter, écouter. Asen. Jusqu’à ce qu’une espèce de brute en colère à l’air paranoïaque entre dans le cosne. Les deux hommes s’étaient retournés en même temps, pas pour regarder le type d’un mauvais œil. Mais avec l’intrigue dans les pupilles. Il dégageait une aura qu’on retenait bien parce qu’elle était rare. Son regard était déjà un peu plus commun par contre, évidemment, en ces temps de crise, vous m’direz. Les cicatrices sur ses vieilles phalanges brisées, un peu plus. De quoi ? De rareté. Et c’est ça qu’Asen et Julius regardaient. Or en à peine cinq minutes, l’individu avait déclenché un bordel sans pareil et bientôt, on ne le voyait plus. Se fondant dans la masse de coups de pieds, de coups de poings, bas ou par devant. Les deux médecins n’avaient pas bougés, étonnement. Ils avaient l’air tout deux habitués à ce genre d’ambiance. Au moment où Julius en eut marre qu’on fasse secouer la table où il jouait à la belotte avec le cigarillo, il haussa la voix mais celle-ci s’effaça, doublée par le bruit d’une porte qui s’éclate. Celle de devant.

                Ah bon ?

                Oh. Des marines. Oh. Une jeune fille. Oh. Ils cherchent.

                Ah. Ce sont des marines qui cherchent la jeune fille, là, non, un peu plus à droite, voilà. Grosse intervention et l'invité malvenu, tellement, qu'il fait fuir les amis. C'est ça, la marine.

                Nuit blanche. Matin gris-bleu. Joues rouges. Rage verte. Une vie colorée en somme. Assez pour refuser de boire les paroles de ces marines sans couleur. Alors il se levait. Marchant jusqu’à la table dévastée par la faim dans un premier temps puis par la bagarre générale déclenchée par le brun qui venait de sortir insolemment. La ride d’agacement sur le front. Sur le sien aussi. En colère, un peu. Parce que pour pouvoir calmement discuter avec une seule jeune fille, on avait renvoyé une vingtaine de malheureux « chez eux ». Asen aurait parié toute sa bourse s’il avait pu, que la majorité d’entre eux avait seulement comme logis la neige, des branches d’arbre et l’air glacial du dehors. Uniquement ça. Il aurait parié qu’aucun n’aurait une autre occasion de manger à s’en faire éclater la sous-ventrière comme il y avait dix minutes. Et ce jour là il serait devenu riche.

                Hun.

                Nuit blanche. Soirée de la même couleur. Vision rouge. Une vie colorée, encore. Assez pour comprendre une demoiselle, Quinn, si humaine. Victime de l’injustice. Victime d’une loi égoïste. Victime. Comme nous tous, un peu. Aussi, et pardonnez-le de le penser, il se disait qu’on ne pouvait pas la sauver. Hélas. Ce qui était fait était fait. Mais il voyait en cet entretien bien plus qu’une punition et un passage de menottes. Il souriait en entendant la proposition de la fille. Il en fallait du culot pour proposer à la marine, devant des civils, de coopérer avec ce qui devait être désormais considéré comme une criminelle. Asen devait s’exprimer, cette fois. Choisir ses mots et oublier les souvenirs gênants qui justifient ce silence constant. Une fois, un coup, puis retourner dans son mutisme.

                Avant votre arrivée, demoiselle la Commodore, nous discutions à créer un équipage de chasseurs de primes avec Monsieur Ledger. C'est-à-dire que nous voulons nous mettre du côté de la loi,  la servir et l’aider à attraper les foutus criminels qui pourrissent le monde. Foutu lui aussi, d’ailleurs. A cause d’eux. Alors le cas de « Mademoiselle Quinn » devient le notre. Vous semblez connaître de nom ou d’autres lieux, Monsieur Ledger. Vous savez donc que c’est un homme qui ne bâcle pas son travail au même titre qu’il ne mâche pas ses mots et est doté d’une grande franchise. D’où l’intervention, je suppose. Maintenant sachez, demoiselle, que je suis exactement pareil. Considérez-nous donc comme la même personne. Un mouvement de Quinn et la salle se mourra du noir que je provoquerai. Mais il y a un mais. Je pense tout comme Quinn que vous êtes apte à comprendre son geste. Le seul moyen de lui éviter la prison serait de la faire passer pour morte. Hm… Je me demande comment vivent les individus qui ont l’emprisonnement de quelqu’un qu’ils comprennent au fond d’eux-mêmes sur la conscience…  C’est comme s’emprisonner soi-même, en fait. Enfin, moi, c’que j’en pense…

                Asen Kavinsky.


                Jour noir. Faute aux paroles.
                Qui s’éclaire. Quand elles s'en vont.
                Et là, règne. Grand, beau et fort. The sound of silence.
                  Ayame laisse les insultes glisser sur elle et fait signe à ses hommes de s'écarter devant Trinita. Quelque part, elle le comprend et n'est de toute façon pas là pour lui. Elle repose son regard sur Levy tandis que derrière elle la porte claque et qu'Asen prend la parole pour parler. Un regard qui s'empreint un instant de pitié avant de reprendre sa fermeté.

                  " Mr Kavinsky, j'ai récemment dû affronter une troupe de révolutionnaires pour défendre cette île. J'ai vu mon supérieur, un homme d'exception, ainsi que de nombreux soldats et civils mourir dans cet affrontement. La seule justification des révolutionnaires pour cet acte, c'est qu'ils sont en désaccord avec la justice de la Marine. "

                  Elle s'avance vers Levy, repousse les pans de son manteau pour mettre en évidence sabre et pistolet.

                  " La loi est la même pour tous et la faire respecter est ce qui empêchera les atrocités comme celle que vient de subir Drum de se reproduire. On peut parfois trouver à la contester mais quiconque l'enfreint doit en subir les conséquences. "

                  Le sabre glisse doucement de son fourreau. Ayame se place près de la criminelle, désigne de son arme la porte de la taverne.

                  " Mes ordres ne souffrent aucune négociation, mademoiselle Quinn. On m'a ordonné de vous arrêter et c'est ce que je vais faire. Libre à vous ensuite de tenter d'expliquer votre geste devant un tribunal. "

                  Les soldats s'écartent de la porte, formant une sorte de haie d'honneur pour la prisonnière et lui indiquant la voie de la raison.
                    Plaisir, pas le temps de ressasser une minute le mécontentement qui bat mes tempes, y'a déjà un mioche haut comme trois pommes et musclé comme un pépin qui m'interpelle. Failli lui marcher dessus, tiens. Il demande que je le tire d'un mauvais pas, sa trogne baignée de boue et d'eau croupie. Pour peu, je rirais. Il doit vraiment être désespéré. J'parie que j'ai ma gueule des mauvais jours, là, bien ancrée sur le faciès, et la demi-portion considère quand même judicieux de venir réclamer de l'aide auprès de moi plutôt que de courir encore deux rues pour tomber sur la marine. Bon petit gars. C'est ça, l'âge de l'innocence. Quand on a pas dix piges, on voit encore les individus pour ce qu'ils sont vraiment. Et moi, je suis un homme bien. Hm, bonne blague. Non, je suis pas gentil pour deux sous, il parait, mais jm'en fous. Je fais le bien, et c'est tout ce qui importe. Là, le pleurnichard vient me servir sur un plateau une petite douzaine d'ordures de base. Gratuitement, fair-play. Le beau geste. Ça laisse augurer aucune complication, ça va être un bon exutoire. Tant mieux, faut qu'je cogne quelqu'un.

                    Sympa, petit. Écarte-toi.

                    Y'a de l'étonnement et ptetre même de la satisfaction au fond de son regard éploré. Il obéit sans moufter. Y'a de l'étonnement aussi chez ceux qui ont pris le soin d'encercler le mioche, et moi par la même occasion. Comme s'ils avaient pas envisagé un refus. Si vous saviez la connerie que vous êtes en train de faire les gars. Mon poing droit refermé vient claquer contre la paume de ma gauche. Le cou craque. À gauche, à droite.

                    Non.
                    Euh ... ?
                    Mais qu'est ce qu'il dit ?
                    Non. J'ai dit non, je vous laisse pas le môme.
                    Hein ? Mais il faut pas dire non, enfin. Je t'explique : on est dix t'es seul. Et on est armés. T'es con ou qu ...

                    Krok. Une praline, une. Qui remonte, sale, sèche, vient raboter le menton et faire claquer les dents. Knock-out. Qu'est ce que c'est bon. Moment de doute. J'ai fait ça sans forcer, presque négligemment. Ça incite pas des masses à en redemander. Mais ce sont des pirates. Ils ont leur petit égo minable à défendre, et se faire brosser par un inconnu et, surtout, par un sale merdeux, c'est dur à accepter. Alors, la première vague arrive. D'un coup d'un seul, six pèlerins qui cherchent la route de Saint Krak. J'vais vous aiguiller, messieurs. Un crochet en fauche deux, à gauche. La jambe droite jaillit, stoppe net au buste un qui venait de l'autre côté, ça fait un drôle de bruit dans sa cage thoracique. Les deux pognes de nouveau libres, empoignent chacune une tête. Contact propre et net. Deux arcades qui sautent. Pour le dernier, la spéciale, la toute nouvelle. Se souvenir de l'entrainement encore pas si lointain, respirer, se concentrer. Ignorer l'esquive, c'est pas une droite qui me sèchera. Faire le vide, retrouver la passerelle de l'esprit vers l'évolution. Armer, serein. Sentir les flammes lécher le poing, danser. Et frapper. Ma mâchoire vibre à peine quand l'autre me touche. On peut pas en dire autant de la sienne. Une gerbe de sang vole, son corps entier la rejoint pour s'encastrer cinq mètres plus loin dans un mur qui tremble sous l'impact.

                    Échange de regards rapides. Il en reste cinq debout. Ils ont plus trop envie de continuer et je peux que louer leur bon-sens retrouvé. Les guiboles qui flanchent, les dents qui claquent. Même un qui tombe sur le cul en bégayant. C'est fini.

                    Voilà.

                    Le môme a l'air d'avoir apprécié le spectacle. Pour peu, il prendrait la clef des champs l'air de rien. Minute, morveux. J'lui enserre un poignet, le tire un coup vif vers moi pour le faire se retourner, le forcer à me toiser, les yeux dans l'œil.


                    La prochaine fois, tu ne fuis pas. Tu te bats. Fuir, c'est pour les faibles. Les merdes. Ceux qui n'ont aucun avenir, qui se pissent dessus de trouille. J'aime pas ces gens-là. Et t'as pas envie que je t'aime pas. Je te recroise dans les emmerdes, tu te débrouilles seul. Tu te bats, même si tu dois en crever.

                    Je le lâche pas, j'attends une réponse. Ce serait mieux qu'il me réponde ce que j'ai envie d'entendre. Et qu'il ait l'air d'y croire. Il a pas envie de se payer ma gueule.
                      J’espère que le discours aura réussit à convaincre la commodore... C’était la seule solution plausible, sans affrontements que j’au pu trouver. Mais, avant qu’elle ne puisse répondre, d’un seul coup, le brun d’à côté éclate le crâne du pauvre type sur le comptoir. Un coup sec, bien placé, bien administré qui entraine l’homme dans un état léthargique. Même le meilleur somnifère n’aurait pas eu le même effet. Puis il se dirige vers la sortie en injuriant les marines présents. Je dois bien avouer que, même si ce n’est pas moi, ça fait du bien d’entendre quelqu’un les insulter. Malgré son côté barbare et peu amical, il a l’air d’avoir un bon fond… dommage que je ne puisse pas le côtoyer plus longtemps. Ensuite, c’est au tour du barbu au cigare de se mêler de la conversation.

                      Son discours est clair, précis, sans sinuosité, ainsi qu’une grande aide. San même s’être concerté, il exprime le fond de ma pensée… Une fausse mort. La seule solution plausible pour ne pas être poursuivie sans cesse à cause de cette erreur fatale. Je suis tombée dans un endroit juste. Qui ne semble traiter les soucis qu’au cas par cas… Quelque chose de rare et de noble. Dommage qu’il y ait tout ce foutoir à cause d’un mensonge, d’un malentendu. Peut importe comment on l’appelle. J’ai l’impression d’être acculée, dos au mur, sans solutions de survie… Sympa cet Asen. Un bon choix de la part de Julius que de l’avoir engagé.

                      Cependant, la marine n’est pas du même avis. Il y a des lois et il faut les respecter ... Tant pis. C’est dommage d’être aussi obtus. Mais bon, c’est sa vie… si elle veut suivre les envies d’un groupe élitiste sans se poser de questions libre à elle. En ce qui me concerne, je trouve ça complètement idiot, voir même déraisonnable et très dangereux. Si l’on se contente d’agir selon des règles sans se poser de questions, vis-à-vis de leur véracité et de leur justice, cela peut facilement aboutir à des conséquences bien plus graves qu’une gifle. Au moins, il me restera le tribunal pour essayer de m’expliquer. J’espère juste que la justice est aussi fiable que son nom… Et pour une fois, je vais essayer de lui faire confiance.
                      J’avance de quelques pas vers la gradée.


                      -Pour vous montrer ma bonne fois, je viens avec vous sans m’opposer. Je ne souhaite pas qu’une nouvelle guérilla, guerre, affrontement, peut importe, affecte le pays plus qu’il n’est touché. Selon vos dires, bien entendu. Jviens de débarquer ici et je ne connais rien des récents évènements.

                      Je m’arrête à mi-distance.

                      -En contre partie de ma bonne foi, j’espère que vous témoignerez à mon procès pour confirmer mes dires. Et je ne souhaite pas être menottée. Je pense avoir été assez franche pour obtenir votre confiance. Je jette les menottes en direction de Julius et d’Asen, tout en les regardant. Merci pour votre aide… Désolé du dérangement, j’espère que vous continuerez votre route selon vos principes : «Votre propre justice, pas de mal envers les gosses et personne à la traîne »…. J’aurai vraiment aimé faire parti de votre équipage. Tant pis. La vérité n’est pas toujours celle que l’on croie, et c’est dommage.

                      Une fois ce petit discours fini, je reprends ma marche, passe à côté du commodore et lui souffle quelques mots. –J’espère que cette histoire vous fera réfléchir sur la vie et le pouvoir. Puis, je continue ma route sans même regarder ce qui se passe derrière. Ce n’est pas le moment pour les larmes, ni même les adieux. Je garde la tête et le dos droit. Et je sors enfin de l’auberge … S’il y a pire que les méfaits des vils, ce serait le silence des hommes de bien.
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                      Le vin était tiré et il ne restait plus qu’à le boire. Juste ou injuste, la situation resterait inchangée, quoi qu’en pense la jeune femme et quoi qu’en dise le barbu devenu bavard. Julius suivit de ses yeux le contingent de la marine quitter les lieux avec leur prisonnière. Quelque idée qu’elle se fasse sur ses droits, Julius, lui, ne se trompait pas quant à la gravité de sa faute. Indépendamment des raisons, quand on levait la main sur quelqu’un, il fallait être prêt à répondre de son geste. C’était la réalité. Le noble était peut-être coupable de ce dont elle l’accusait, cependant, elle s’en était prise à lui sans légitimité. En cela, elle s’était condamnée elle-même, ainsi que tous ses proches. S’il l’avait accueilli parmi les siens, elle n’aurait été qu’une menace constante et il ne pouvait se le permettre. Il souleva l’index à hauteur du visage du médecin et lui dit :

                      « T’y peux rien. Elle a cogné un gars, elle va avoir un procès. Fais confiance au commodore. Elle est peut-être qu’une gamine, mais c’est une bonne personne. Si j’parle de faire respecter sa propre justice, j’n’ai jamais dit que c’était une raison pour systématiquement empêcher les gens d’exercer la leur. La loi s’applique pour tout le monde, il ne s’agit pas de juger les gens pour leurs intentions, autrement, cette guerre n’aurait eu aucun sens. Ces révolutionnaires morts se battaient pour des idéaux, mais leurs actes n’étaient que violence. Cette Quinn n’est pas différente d’eux. La seule différence entre un bon gars et un tyran est la limite qu’il sait s’imposer. Laisse tomber, il est temps de partir d’ici, même si je n’ai pas encore assez recruté. J’préfère pas m’éterniser ici. Je te confie l’auberge et le taulier, pauvre gars. »

                      Julius rajusta sa cape et serra la sangle de son manteau. Il poussa son capuchon sur sa tête et sortit affronter le froid. Le vent s’insuffla dans son cou et lui fit du bien. Bien que ce fut un ennemi tenace les premiers jours, à ce moment précis, il en avait besoin. Devant la porte du troquet, il se tint coi et raide. Il était tendu par l’imminence d’une catastrophe anticipée. Ces nobles mondiaux ne lui inspiraient que répugnance ainsi que l’esclavagisme pour avoir été lui-même une de ses victimes. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de trouver l’évènement absurde. Elle aurait mieux fait de libérer ces pauvres gens de leurs chaînes, discrètement, au lieu de se laisser emporter. Cela dit, il n’était nullement possible de revenir en arrière. Et puis, peut-être n’aurait-il pas supporté de voir ce qu’elle vit sans perdre le contrôle de ses actes.

                      Plus loin, il perçut une envie meurtrière, elle portait la signature de ce brun belliqueux de tout à l’heure. Julius n’en était pas encore jusqu’à la maîtrise de reconnaître la personne qu’il percevait, cela dit, sa présence d’esprit était tellement intense et résolument violente qu’il en avait la certitude avant même qu’il ne posa ses yeux sur la personne en question. Il s’était manifestement interposé entre un gamin et quelques enfoirés.

                      Ce type était définitivement instable, il vaudrait mieux le garder à l’œil. Ici, il était de l’huile à brûler dans un volcan. La moindre étincelle et il risquait de faire embraser la ville. Une ville qui menaçait elle-même de se soulever. Les gens de Drum avaient été spoliés et accusaient aussi bien le gouvernement que la révolution. Mille vengeances inassouvies attendaient dans l’ombre en aiguisant leurs dards. Et lui, au milieu de tout ça, incarnait une folie que certains trouveraient loisible de s’y abandonner.

                      D’un autre côté, s’il s’avérait être meilleur qu’il ne le paressait, il ferait un excellent membre d’équipage tant sa force ne faisait aucun doute. Cela dit, l’impression qu’il était plus fort que lui inquiétait Julius. Pas pour lui, non, qu’il avait peur. Néanmoins, il était dorénavant responsable des membres de son équipage et accueillir ce fauve serait peut-être dangereux.

                      D’un autre côté, il avait visiblement sauvé un gamin. En quoi, il avait prouvé qu’il avait quelque chose de bon, en lui.

                      C’était un réel casse-tête pour le vieux chasseur. Toutefois, il se dit qu’il aviserait en temps voulu. En attendant, il valait mieux presser ses gens à quitter l’île. Il n’y était que trop resté et son navire attendait au quai.

                      « Tu sais peut-être pas qui je suis, et moi pareil. Mais, faut croire qu’il vaut mieux partir d’ici. Un amiral, un noble mondial, la guerre. Tout ça, ça pue la mort à plein nez. Si tu promets de calmer sur les gnons, j’veux bien t’emmener. T’as l’air d’avoir les muscles qu’y faut pour être utile. Si tu te plais pas avec moi, rien ne t’empêche de débarquer à la prochaine île. Par contre, vaut mieux pas qu’tu restes ici. »
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                      Le môme est du genre à minauder comme la plus vieille fripouille, ça se sent. Un sale petit merdeux qu'il faut vite ramener à la raison avant que son cas nécessite de plus amples mesures. Il s'en tirera pas à coup de boniments avec moi, il le sait. Je l'attends au tournant; ma prise sur son poignet, c'est un étau. Son petit bras maigrichon, un cure-dent pour moi. J'éternue, je le casse en deux. Il a qu'une bêtise à dire et l'os cède. La situation lui en coupe le sifflet, il s'attendait pas à ça mais moi, je veux une réponse. Je lui refile un tuyau pour l'aider à retrouver l'usage de la parole avant que je me décide à serrer plus fort.

                      Mes conseils ont valeur de menace si on les ignore.

                      Il en mène pas large, mais son sixième sens est plus développé que celui des pouilleux qu'il m'a servis comme distraction. Il balance pas la phrase de trop, il range ses artifices dans sa poche. Bonne réaction. Son instinct de conservation a flairé le vent, un gros danger flashe sur son radar. Il avise ma gueule, méfiant et un peu grimaçant, tous les signaux de colère que j'envoie sont captés et assimilés. Il hoche gentiment la tête, sans moufter. Je le lâche. Un peu parce que c'est fragile à cet âge là, ce serait dommage de lui causer une entorse à tordre son avant-bras trop longtemps, surtout parce que le gaillard marqué par la vie qui recrutait à la taverne s'approche. Et qu'il me cause. Propos distincts, message clair. Direct. Sans ambages ni faux-semblant.

                      Une place à bord de son navire ? Que me vaut l'honneur ? Si mon petit tour de force l'a séduit et qu'il cherche une paire de gros bras, c'est louche. Un sale lascar de plus. Hm. Y'a pas de ruse pourtant, on dirait. C'est juste proposé spontanément, avec bonne volonté, et la mise en garde qui rend la démarche authentique. Rendre service de bon-cœur. Y'a encore des gens qui font ça ? J'étais pas au courant. Soit. Il attend une réponse. Je le toise, pas poli mais faut savoir de quel bois il est fait. Regard usé de celui qui a vécu mais corps solide de celui qu'on a jamais pu abattre. Il pourrait être de ceux qui mènent leur existence et qu'on a pas envie de faire chier. Intéressant. Et y'a cette phrase aussi. Comme un aphorisme. Ça sonne pas mal non plus. Pourquoi pas.

                      Je peux vivre avec ça. Ton navire, tes règles. Tant qu'il se passe rien d'irrégulier, y'aura pas de vagues. Juste un dernier détail à régler avant d'abandonner ce trou à rats et je te suis.

                      Je vais pas squatter cette fosse plus longtemps, rien de concret à y faire; ça pue l'uniforme et ses prises de décision ubuesques. Ça inspire le dégoût, ça incite au rejet de cette autorité bancale. Ça renvoie la mauvaise image. Il est là le problème. Pour remettre de l'ordre, il faut se faire respecter, obéir. Lancer un message clair et agir en conséquence. Écraser les criminels. Tous. Coûte que coûte. S'investir à corps perdu. Pas interpréter un rôle ou se contenter d'assurer les apparences. Le gouvernement, le pouvoir en place, une vaste farce qui chaque jour prend un peu plus d'ampleur. Ils veulent s'en contenter ? Je signe pas. Je vais pas accepter ce bordel ambiant plus longtemps. Je vais agir.

                      Le palpitant s'agite, un feu d'excitation parcourt tout mon corps. Oui, les choses vont changer. Dès maintenant. Mes pas me mènent vers le baraquement vaguement présentable investi par la marine, un QG de fortune sur une île à l'agonie. Y'a pas grand monde. Toutes les unités sont déléguées à l'escorte des civils, ou de la prisonnière interpelée. Quelques scribouillards, quelques branleurs avertis. Du classique. Une espèce de guichet, un secrétaire qui joue avec un stylo devant un Den Den Mushi qui dort. Le fonctionnaire fronce les sourcils, brave raté mécontent d'être tiré de sa léthargie.


                      Je peux vous aid ...
                      La ferme. Je vous emprunte ça.

                      Monsieur, reposez ce Den-Den. Il est réservé aux communications avec les Quartiers Généraux et les Hauts Officiers.
                      Parfait.

                      Je lève un poing menaçant. Il en faut pas plus pour se voir offrir le droit de s'adresser aux huiles de ce monde comme je l'entends. J'envoie quand même une gifle du revers de la main au moustique, pour le principe. Que la lâcheté ne soit pas récompensée. Il va s'étaler contre un mur. Je décroche le combiné. Une tonalité. Deux. Une voix.

                      La base à Drum. J'écoute.
                      Vous écoutez ? Très bien. Ouvrez bien grand vos oreilles d'incapables et enregistrez un message pour moi. Oui, vous à l'autre bout, les ripoux, les planqués, les pisses-froid et autres bon-à-rien. Chaque jour qui passe, vous faites injure à la Justice que vous avez juré de défendre. Vous n'êtes rien. Les chiens ont plus d'honneur que vous. Vous souillez les valeurs d'intégrité et d'abnégation que vous dites porter au firmament. Vous vous torchez avec l'uniforme que vous portez. Vous vous battez pour la paix ? Illusion, il n'y aura de repos tant que vos rangs gangrénés continueront de s'asseoir sur les problèmes du monde et de le contempler se noyer depuis votre promontoire. Depuis quand la marine est devenue le symbole de l'incompétence ? De la lâcheté ? De l'inutilité ? On ferme les yeux, en fière autruche. On achète les hommes et leur silence plutôt que d'agir. On récompense les criminels, on les pare des titres prestigieux de Seigneur Corsaire quand ils ne méritent qu'une corde de chanvre et de servir de pâture aux vautours. Vous êtes les responsables de la décadence de ce monde.

                      Mais ça ne va pas durer éternellement. Le peuple ne l'acceptera plus. Vous continuez de ne pas agir ? Je prends les rênes. Je vais vous montrer, moi, ce que c'est qu'un homme. Un qui en a une paire, une vraie, qui se contente pas de jouer aux billes avec. J'entre en scène pour vous rappeler à votre labeur. Réveiller la vocation du protecteur chez vous. Éveiller le tueur. Les pirates vont apprendre la peur. Ils vont rencontrer la mort. Ce sera une démonstration de violence, rien à voir avec votre pathétique comédie. Ça va être du gore. Y'aura des cris, de la pisse et du sang. Oh, ouais, une boucherie. Je fais le ménage, que les cafards se terrent. À commencer par le dernier risible bouffon débarqué à votre Cour. Jack Calhugan. Indigestion de banane en vue. Ce mec, je vais le briser comme du petit bois et prendre sa place. Un Saigneur ? Un pleutre, à la tête d'un équipage sans capitaine. Un raté, un minable. Tranche taille et cou pour obtenir une médaille. Le crime paie ? Trinita reprend. Je vais lui montrer, ce que c'est la colère. Je vais lui montrer, ce que c'est le macabre. Il va morfler. Y'en aura partout, on le reconnaitra plus quand j'en aurai fini de son cas. Je vous le dis. Je vais lui arracher le joli collier à froufrou que vous lui avez collé et je vais l'étrangler avec. Faites passer le message à l'intéressé. Je veux qu'il sache. Y'a de la terrine de singe au menu. Trinita entre dans le jeu.

                      Clok.

                      Ahh'. Souffle rauque. Regard sombre. Plus de marche arrière possible. Retrouver l'aventurer, dehors. Qui a sans doute tout entendu. J'ai pas fait dans le discret.

                      Maintenant, on peut y aller.
                        Bien, la bonne nouvelle, c’était que les pirates avaient étés vaincus. La mauvaise nouvelle, c’était que son sauveur se révélait être encore un de ces fous furieux. Est-ce qu’il était tout juste impossible de trouver un gars qui soit fort sans qu’il ne soit une bête sauvage ? A dire vrai, l’enfant se sentait même plus menacé en face de lui que tout à l’heure. Au moins cela avait eu le mérite d’empêcher Eriko de s’évanouir suite au froid et à la fatigue.

                        *Mais lâche-moi ! Tu me fais mal ! Chuis qu’un gosse, qu’est ce que tu crois que j’peux faire dans une situation comme celle-là ! La prochaine fois ? Compte pas sur moi pour revoir ta sale tête de nouveau, j’espère bien ne jamais te revoir !*
                        “Ou...Oui...”
                        *Allez, t’as ta réponse, va t’en !*


                        Face a ce genre de personne et ce type de situation, mieux valait toujours les brosser dans le sens du poil et ainsi ils vous laissaient tranquille. Toute manière, c’est pas comme si l’enfant était en position de dire non. M’enfin, au moins le fou furieux avait relâché sa prise, visiblement, il avait d’autre chat à fouetter... Pauvres chats d’ailleurs. Et puis, sans même le remarquer, une autre personne avait fait son apparition. Malheureusement, il n’apportait pas de bonnes nouvelles. Ce vieux gars, c’était son ticket de transport. Le chef d’un nouveau groupe de Chasseur de primes. Pour le petit garçon il représentait un moyen de transport et un logement gratuit. Le tout, sans être associé à un groupe de criminel. La mauvaise nouvelle, c’était que pour une raison obscure, il avait trouvé l’autre fou intéressant. Faut croire que les pauvres avaient une vision des choses assez spéciales. D’ailleurs, l’autre brute devait surement avoir un don de voyance aussi. Est-ce qu’il aurait deviné que, en effet, y aurait bien une prochaine fois ? Bah, peu importe, Eriko se releva, tremblant de froid, avant de s’emparer des vêtements chauds des corps inconscients des pirates.
                        Se sentant légèrement mieux, celui-ci s’approcha doucement du vieux bonhomme.

                        “Hum... Bon...Bonjour, dites, zestes bien celui qui a posté cette affiche non ? Je... Je me demandais s’il était possible que je puisse vous rejoindre, s’il vous plait... Je ne suis qu’un enfant mais... Mais je... Je sais faire plein de choses ! S’il vous plait !”
                        *En espérant que cette petite comédie suffira à l’amadouer, manquerait plus qu’il soit aussi cinglé que l’autre.*


                        Peu expressif, celui-ci avait malgré tout acquiescé, Eriko était engagé. L’enfant lui souri en guise de remerciement, hypocrite bien entendu. Il n’avait qu’une seule envie, celle de rapidement rejoindre le navire promis, bien au chaud et de s’y reposer. Et cette fois, il ferait ptet mieux de retenir les prénoms de chaque membres. D’ailleurs, qui y avait-il d’autres hormis lui et gros taré ? Bah, sans importance. Le vieux bouge, Eriko le suit, temps de partir sans doute.

                        “Je... Je m’appelle Eriko ! Enchanté de vous rencontrer ! Et encore merci monsieur.”

                        Il fallait au moins qu’il se mette quelqu’un dans la poche non ? Et quitte à s’obtenir les faveurs de quelqu’un, mieux valait que ce soit le capitaine vous ne pensez pas ? En plus il est vieux, avec de la chance il mourrait bientôt et lui léguera tout. L’ascension d’Eriko commençait maintenant.
                          Brun, albinos, petit. Dans le dehors, pas trop loin du bar que le muet a quitté à l'instant. Pas trop près non plus. Se rapprochant, il distingue mieux les visages. Et presse la mâchoire avant de s'en allumer encore un, de cigare. Tous, enragés. Y en a, ça se voit pas, y en a, si. Bonnes têtes. Moches têtes. Lui ? Non. Disons que ça attendra.

                          Prêts ?

                          Et que Justice soit faite.