La matinée était plutôt fraîche en ce début d’année, mais Julius était de bonne humeur. Il avait vécu plusieurs semaines à Drum. Et, s’il n’avait pas totalement réussi à s’acclimater, au moins, il pouvait se targuer de mieux vivre la situation que d’autres. D’autant plus qu’aujourd’hui, il allait inviter des gens à rejoindre son équipage. Le sien, quand il y pensait, il en avait le vertige tellement cela lui semblait irréel. Encore à cet instant, alors que le navire était déjà au port prêt à appareiller, il hésitait à tout annuler.
Ce ne fut pas une décision facile que de faire cela. Cependant, il avait compris que sa vie ne le mènerait nulle part autrement. Voilà une bonne décennie qu’il ère à travers toutes les mers du monde et rien n’avait bougé. Il y avait tellement à faire pour que le monde aille mieux qu’il se sentait écrasé par la tâche. Le monde le happerait tel un moucheron avant qu’il n’effectue aucun changement, il en était conscient avec une certaine lucidité. Depuis qu’il avait découvert le fluide de l’observation, il se sentait différent, plus paisible. Bien qu’il n’ait pas le talent nécessaire pour lire dans le cœur des gens, il sentait une chaleur intense qui émanait de leur âme alors qu’ils reconstruisaient après la bataille. Les habitants de Drum étaient des plus vaillants et, en dépit de leur deuil, n’économisaient aucun effort. Tout le monde participait à la tâche et ce tout, Julius le percevait avec une acuité nouvelle. Il comprit qu’il ne pouvait s’interdire de vouloir sourire et qu’il ne pouvait plus porter le poids de sa solitude plus longtemps. Sa chair avait cicatrisé, mais les coups de fouet étaient encore lancinants dans ses rêves, comme des morsures d’une bête affamée sur son dos. Souvent, il se réveillait l’écume aux lèvres, une rage folle empoissonnant son esprit et se mettait au balcon de sa chambre improvisée. Le froid l’aidait à maîtriser les battements désordonnés de son cœur. La nuit était si calme après une journée de labeur qu’elle en serait effrayante si Julius ne percevait pas la présence ténue de ses hôtes.
Plus il y pensait, plus il hésitait, comme le jour où il osa à peine aller vers sa fille pourtant à sa portée pour la première fois depuis six ans de séparation. Il se demandait ce qu’elle était devenue, si elle l’avait pardonné et si elle approuvait ses projets. Pourtant, il retrouva sa sérénité lorsqu’il se remit à déblayer les débris de l’explosion. Le travail manuel l’embarquait tout entier et la houle de l’enthousiasme qu’il sentait le maintenait à flot. Il devenait un simple maillon de la chaîne et travaillait avec la régularité d’un métronome.
De l’autre côté de la mer, il se trouvait une jeune fille devenue femme depuis, une jolie rousse avec un meurtre sur la conscience et les épaules chargées d’un lourd fardeau. Il voulait lui dire de ne jamais prendre sa voie. Il n’en était nulle sans douleur, mais la solitude était sans espoir. Elle l’aurait volontiers perdu sans l’intervention salvatrice de Lilou. Julius ne put s’empêcher de rire dans sa barbe, le destin avait mis plusieurs frimousses rousses sur son chemin, décidément.
De retour dans l’auberge censée accueillir des volontaires, il se posa dans une table au fond. De ses poches, il avait payé pour qu’il y ait assez de nourriture et de boisson pour tout le monde. Il en profiterait pour venir voir les candidats à sa guise. Ou à se laisser aborder par les plus perspicaces. Sur le linteau de l’établissement, il avait marqué la devise de son équipage, ces mots qu’il avait dit à ce médecin de Drum et qu’il n’était plus en mesure d’ignorer.
Fébrile, il attendait qu’on pousse la porte. Après, il se laisserait guider par son instinct. Ses tripes ne lui mentiraient pas et quand bien même, il n’avait pas d’autre choix que d’essayer. Il se sentait tellement dissemblable de ce qu’il avait été autrefois, transformé par cette décennie à agir pour le bien des autres et jamais le sien qu’il s’en étonnait. Était-il possible qu’on puisse vivre plusieurs vies en une seule ? Il l’espérait du fond de son âme, car autrement, il n’était qu’un mort en sursis.
Enfin, il sentit avant qu’il ne le vit, la première personne arriver. Le battant de la porte laissa entrer l’intense lumière de Drum reflétée par la neige. Il n’y avait nulle place au doute maintenant, même s’il aurait préféré affronter une armée plutôt que de répondre de ses actes à lui-même ou autres. Aujourd’hui, il allait tourner une nouvelle page dans son existence et cet instant est crucial, puisqu’il déterminait qui partagerait sa nouvelle vie.
Ce ne fut pas une décision facile que de faire cela. Cependant, il avait compris que sa vie ne le mènerait nulle part autrement. Voilà une bonne décennie qu’il ère à travers toutes les mers du monde et rien n’avait bougé. Il y avait tellement à faire pour que le monde aille mieux qu’il se sentait écrasé par la tâche. Le monde le happerait tel un moucheron avant qu’il n’effectue aucun changement, il en était conscient avec une certaine lucidité. Depuis qu’il avait découvert le fluide de l’observation, il se sentait différent, plus paisible. Bien qu’il n’ait pas le talent nécessaire pour lire dans le cœur des gens, il sentait une chaleur intense qui émanait de leur âme alors qu’ils reconstruisaient après la bataille. Les habitants de Drum étaient des plus vaillants et, en dépit de leur deuil, n’économisaient aucun effort. Tout le monde participait à la tâche et ce tout, Julius le percevait avec une acuité nouvelle. Il comprit qu’il ne pouvait s’interdire de vouloir sourire et qu’il ne pouvait plus porter le poids de sa solitude plus longtemps. Sa chair avait cicatrisé, mais les coups de fouet étaient encore lancinants dans ses rêves, comme des morsures d’une bête affamée sur son dos. Souvent, il se réveillait l’écume aux lèvres, une rage folle empoissonnant son esprit et se mettait au balcon de sa chambre improvisée. Le froid l’aidait à maîtriser les battements désordonnés de son cœur. La nuit était si calme après une journée de labeur qu’elle en serait effrayante si Julius ne percevait pas la présence ténue de ses hôtes.
Plus il y pensait, plus il hésitait, comme le jour où il osa à peine aller vers sa fille pourtant à sa portée pour la première fois depuis six ans de séparation. Il se demandait ce qu’elle était devenue, si elle l’avait pardonné et si elle approuvait ses projets. Pourtant, il retrouva sa sérénité lorsqu’il se remit à déblayer les débris de l’explosion. Le travail manuel l’embarquait tout entier et la houle de l’enthousiasme qu’il sentait le maintenait à flot. Il devenait un simple maillon de la chaîne et travaillait avec la régularité d’un métronome.
De l’autre côté de la mer, il se trouvait une jeune fille devenue femme depuis, une jolie rousse avec un meurtre sur la conscience et les épaules chargées d’un lourd fardeau. Il voulait lui dire de ne jamais prendre sa voie. Il n’en était nulle sans douleur, mais la solitude était sans espoir. Elle l’aurait volontiers perdu sans l’intervention salvatrice de Lilou. Julius ne put s’empêcher de rire dans sa barbe, le destin avait mis plusieurs frimousses rousses sur son chemin, décidément.
De retour dans l’auberge censée accueillir des volontaires, il se posa dans une table au fond. De ses poches, il avait payé pour qu’il y ait assez de nourriture et de boisson pour tout le monde. Il en profiterait pour venir voir les candidats à sa guise. Ou à se laisser aborder par les plus perspicaces. Sur le linteau de l’établissement, il avait marqué la devise de son équipage, ces mots qu’il avait dit à ce médecin de Drum et qu’il n’était plus en mesure d’ignorer.
S’il y a pire que les méfaits des vils, ce serait le silence des hommes de bien.
Fébrile, il attendait qu’on pousse la porte. Après, il se laisserait guider par son instinct. Ses tripes ne lui mentiraient pas et quand bien même, il n’avait pas d’autre choix que d’essayer. Il se sentait tellement dissemblable de ce qu’il avait été autrefois, transformé par cette décennie à agir pour le bien des autres et jamais le sien qu’il s’en étonnait. Était-il possible qu’on puisse vivre plusieurs vies en une seule ? Il l’espérait du fond de son âme, car autrement, il n’était qu’un mort en sursis.
Enfin, il sentit avant qu’il ne le vit, la première personne arriver. Le battant de la porte laissa entrer l’intense lumière de Drum reflétée par la neige. Il n’y avait nulle place au doute maintenant, même s’il aurait préféré affronter une armée plutôt que de répondre de ses actes à lui-même ou autres. Aujourd’hui, il allait tourner une nouvelle page dans son existence et cet instant est crucial, puisqu’il déterminait qui partagerait sa nouvelle vie.