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L'empire des Lions.

Dans combien de jours ?
Deux. Si une tempête de nous tombe pas d’ssus…
Merci l’ami.

J’saute par-dessus la vigie, m’accroche à une corde, descend en rappel jusqu’au pont. Crak. Le planché grince sous mon poids. J’salue un type d’une tape amicale sur l’épaule. Yeah, j’suis de bonne humeur. Encore deux jours à supporter c’putain d’équipage avec qui j’suis faussement sympathique mais que je rêve d’aligner avec une balle dans la tête. Ici, j’suis personne. J’ai fait en sorte de n’être personne. J’ai même donné mon vrai nom pour faire genre. J’ai été un « Phil’ » sympa, docile, sans histoire. Et j’ai trimé, ouais. Trimé comme un con pour une traversée à la con. Combien de temps qu’j’suis ici ? Des mois. J’ai arrêté de compter le deuxième jour tellement ça me faisait chier. Je hais Grand Line et sa navigation merdique, ses changements de temps, ses humeurs. Grand Line est digne d’une femme sous œstrogènes. D’une gonzesse qu’on aurait foutue en cloque par mégarde et qui nous tanne pour qu’on reconnaisse son gamin.

Pute.

Mais ici, c’est moi la pute. Pas comme ça s’entend. Mais un peu. J’fais tout pour qu’on me foute la paix. Je paye le service en nature, comprendra qui pourra. Le navigateur gueule comme un putois pour qu’on tende la grande voile, rapport qu’une p’tite brise serait profitable pour avancer. J’le fais avec l’aide d’un autre type dont je connais pas le nom, même après trois mois avec lui. J’éponge vaguement mon front avec mon t-shirt dégueulasse, tourne les talons pour chercher un peu d’ombre.
J’ai toujours haï Alabasta. Elle et sa chaleur étouffante. Alabasta et son peuple. Alabasta et ses salopes au pouvoir. Alabasta et ma famille de chien. Alabasta tout court. J’la cramerai bien d’un bout à l’autre, mais parait que c’est pas sympa. Et parait que j’y risque gros en faisant ça. Alors je fais pas et j’attends que ça me passe. J’dois pas y rester longtemps, c’est ce qui me rassure. J’le fais pas pour moi, tout ça. Mon retour, ouais. J’le fais pour celle que j’ai fait naitre par mégarde. J’me suis découvert une conscience, et ça me fait doucement suer, ça.

Et j’me dis que dans deux jours, elle aura son vrai cadeau. Mon premier. Et faudra pas qu’elle s’attende à un truc sympa, ça. Non. Mais c’est un cadeau qui pose les bases de ce qu’on est, chez nous. Et de ce qu’elle peut être. Ou choisir de ne surtout pas être.

On me tape sur l’épaule. J’lève le pif en m’allumant la dernière clope de mon paquet. On me dit que le capitaine du navire m’attend dans son bureau, rapport qu’il voudrait me parler de j’sais pas quoi et j’m’en fou carrément. Mais j’suis pas là pour chercher la merde et je m’exécute sans pester. Rapport qu’on sera toujours plus à l’abri du chaud dans son bureau que sur ce pont qu’a l’air d’aspirer toute la chaleur environnante pour nous la renvoyer dans la gueule.

J’suis docile, hein. Con de moi.


Alors Cap’tain,

J’mire le bureau avec l’air intéressé. J’parcours les babioles qu’il a posées pour montrer qu’il a de la thune à en donner à des blaireaux dans mon genre. J’souris, vaguement. J’souris en fourrant une petite statuette en or dans la poche de mon pantalon sans qu’il le remarque. Il me propose un verre de whisky que j’m’en voudrais de refuser. Il me parle de tout, surtout de rien, surtout de trucs dont je m’en tape gentiment. J’me dis juste que je me verrais bien dans une petite pièce comme celle-ci, ouais. Comme un bon p’tit roi.

T’es un drôle de type, Phil. Un drôle de type ouais.

J’me stoppe. Me retourne. Moi ? Un drôle de type ? Genre.

Ah ouais ?
Ouais. Le genre de type qu’pense qu’il peut passer inaperçu sur Grand Line avec une prime à cent milles patates. Qui se dit qu’être sur un navire d’marchand d’esclaves, marchands très intéressés par l’argent, ça peut très bien passer avec sa sale gueule d’enflure.
Je vois…
J’étais en train de me dire que t’m’as pris pour un con, hein Phil ?

J’me pose sur un siège en cuir, j’mets les pieds sur le bureau comme le vrai p’tit connard que j’suis au fond. Le Cap’ me connait serviable, discret, limite fuyard, sinon silencieux. C’qu’il découvre l’enchante pas masse, mais ça fait son p’tit effet. Son sourire s’étend pour dévoiler ses dents crasseuses sous sa gueule crasseuse.

Je me suis caché de rien, Cap’tain.

Il sort un flingue et le pointe sur mon nez. Merde. J’lève les mains avec une pointe d’indifférence sur la face. Mais mon air peu intéressé agace le gusse qui agite son arme un peu trop dangereusement à mon gout. Parait qu’un coup, ça part vite, quand on ne regarde pas.  

Combien tu veux ?
Cent millions. Tout rond.

Ah, c’est ma prime, ça. Pas cool.

Tu me les paye maintenant, ou en arrivant ?
Il se pourrait bien que j’ai rien à te donner, Cap’.
Il se pourrait bien que tu repartes d’ici les pieds devant.

Les pieds devant ? Hinhinhin… J’suis pris d’un rire, pas nerveux un poil. Un rire qui fait grincer des dents.

Je crois que tu devrais réviser la fin de l’histoire, Cap’.
Hahahaha ! Moi ? Regarde-toi, Punk. Regarde bien la merde dans laquelle t’es ! Le seul qui d’vrait réfléchir à comment s’en tirer, c’toi !
Qui te dit que c’est pas tout réfléchi ?
Quelle pirouette tu vas me sortir, Punk ? Un tour de magie ? C’pas un lapin sorti de ton chapeau qui va me faire baisser mon canon…

Sûr, c’est pas ça. Mais par contre, un coup de haki des rois sortis de dieu sait ou dans ta gueule, ça devrait faire l’affaire, connard. Comment qu’il dit, l’autre ? Tapal mental. Ça doit être ça. Et rien qu’en le pensant très fort sous mon p’tit sourire satisfait, le type s’effondre sur son bureau en suffoquant comme un porc. Il sue à grosse goutte, pleure comme une tanche en se retenant de vomir sur ses papiers administatrif… C’est ça qu’on dit, hein ?

Hinhin…

J’me lève de mon siège, attrape son arme qu’il tente de pointer vers moi pour me faire sauter le cigare et la plante entre ses deux yeux.
Pan.
A plus le capitaine.


Tu peux garder la monnaie.

Le coup de feu s’est entendu dehors. J’sors, rejoins le pont ou les hommes s’agitent comme des pucelles joyeuses pour le début du printemps. Et il est ou le cap, qu’est-ce que t’as fait branleur, et t’es qui d’abord. Et ça gueule, ça braque des armes, ça sort, ça court, ça pleure. Et tous se tournent vers moi quand je tire un bon coup en l’air. Qu’on m’écoute. J’aime ça.

Allez les gars, on se calme et on m’écoute.

Qu’on me regarde. J’aime encore plus.

Le capitaine, maintenant, c’est moi. Et j’accepterais pas qu’on tente de me marcher sur la gueule ou que l’un de vous, bande de crevard, veuille me vendre au plus offrant. Vous m’appelez « Cap’tain », ou « Punk » si z’êtes des gars cools. Et j’vais rester soft parce que j’suis pas assez con pour larguer un équipage au milieu de nulle part sans pouvoir manier un navire tout seul.. Demain matin, vous vous prenez vos clics et vos clacs et vous vous balancez à la flotte. Oui, oui. Me regarde pas comme ça, Bob, je suis sérieux. Mais z’avez le droit de vous équiper, hein. J’suis pas un sauvage. Mais j’pourrais le devenir si à mon réveil je vois vos sales gueules.

Ça vaut mieux pour eux. Demain, j’fais cramer cette camelote. Demain, j’flambe tout pour le plaisir de flamber. Fallait pas chercher le vieux Punk. Fallait pas me faire chier pendant trois mois.

Le message passe.

Une pointe de terre en vue, qu’me gueule le navigateur en la jouant lèche-couilles. Alabasta en vue, qu’il dit plus fort. J’arrive.

Et toi, Gamine… T’es arrivée, ouais ?
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J’y vais. Ne m’attendez pas ce soir, ni demain. Ni la semaine prochaine. Oswald, tiens-toi prêt à partir dans la nuit.

Oswald hoche la tête et me fait un petit sourire. Il me salue de la main tandis que je descends par la passerelle, un sac à dos comme tout équipement. Bee reste dans la chambre, récupérant de la dure journée de la veille. Un plan dans les mains, je m’enfonce dans les rues étroites et bouillantes de Nanohana, cherchant mon chemin parmi cette foule de monde qui arpente, de la même manière que moi, cette ville résolument belle. Belle, je le dis sans pouvoir le dire. Car le nez dans ma carte, je n’arrive pas à apprécier plus que ça le paysage qui s’étend sous mes yeux. Je ne prends pas le temps de savourer les effluves exotiques, les tapisseries magnifiques, les habits qui pourtant pourraient me faire sortir de mes gonds, comme n’importe quelle fille.
Je n’ai pas le temps pour ça. Je n’ai pas envie de profiter de ce temps libre pour passer un bon moment. Je n’ai pas dormi de la nuit, bien trop soucieuse de la journée qui m’attendait. Et je n’ai qu’une envie, qu’elle se termine rapidement. Le plus rapidement possible. Et ça, ça implique que je trouve Jörg, qu’on discute, mettre Gargarismov sous les verroux pour ensuite reprendre la mer et partir sur la prochaine île.

Je pousse un long soupir, pour moi. Air dépité, relevant les yeux pour voir où je me trouve, je suis de nouveau perdue et ne sais pas par où aller. Un homme vient à mon secours et m’oriente au mieux dans la ville. J’ai consciemment choisi de me rendre à l’adresse que m’a laissée Punk. Jörg a promis de me trouver. Je ne sais pas comment il fera, mais ça ne me concerne plus. Je me dirige au pas de course vers mon point de rendez-vous, et fini au bout d’un long quart d’heure et d’autres arrêts, par y arriver. En sueur, mal réveillée, chauffée par ce soleil de plomb.
Et devant la devanture pourtant  accueillante d’un petit restaurant, je ne remarque que le nain qui patiente, appuyé contre le mur qui soutient la bâtisse. C’est en voyant ma tignasse rousse qu’il fait un signe, tapotant son poignet pour me signaler mon retard. Je laisse échapper un long soupire, piteuse de l’avoir fait tant attendre, mais il n’en fait pas une formalité et se retourne pour pousser la lourde porte vers le restaurant.

Ramène-toi.

Je le talonne et pénètre également dans la petite salle ou s’agite déjà du beau monde. Les serveurs bougent dans tous les sens pour contenter les clients, sous le regard bienveillant d’une vieille femme qui va et vient aux fourneaux. L’endroit est agencé de telle manière que l’on voit les cuisines depuis nos places. Des gâteaux, qui pour la majorité sont plus des œuvres d’art que des gâteaux, sont exposés dans un réfrigérateur vitré. Alors que j'ai du mal à quitter des yeux ces gourmandises qui me supplient de les manger, un jeune homme, d’une vingtaine d’année, vient nous recevoir et nous propose une place non loin du comptoir en bois. Jörge le suit et me traine pour que je ne reste pas à saliver plus longtemps.
En fait, je ne sais pas où mon regard doit se poser ici, ni sur quoi je dois m’attarder. Je ne reconnais personne, et encore faudrait-il que je connaisse quelqu’un.

T’as laissé ton canard chez toi ? C’est bien.
C’est ce qui te rend si heureux ?

Jörg me fait un grand sourire. Nous nous installons tous les deux à notre table. J'ai l'air distraite et je le suis. Lui, il secoue la tête et sort de son sac un journal qu’il me tend en désignant un article. Il est heureux, oui. Très. En parcourant l’article, je comprends très rapidement où il veut en venir.

J’aime quand les tuiles tombent sur les bonnes têtes. Un brave type a fait sauter un de ces navires qu’arrivait à Alabasta avec quelques millions de marchandises. Ils ont retrouvés le batiment vidé de tout ce qu’il pouvait contenir comme esclaves. Ils savent pas pour qui c’était destiné… Mais bibi sait, lui.

Sans esquisser le moindre sourire, je continue ma lecture. Aucune trace de l’équipage, seul le capitaine du navire restant avec une balle dans la tête et assez carbonisé pour ne pas qu’on ne le reconnaisse. Je referme le papier et pousse un long soupir... L'entrain de Jörg sonne bizarre… Il manque juste le plus important…

Et on peut le relier à… ce navire ?
Si on trouve des témoins et des traces de la commande…. Oui.

Mh. Je me passe une main sur le visage mais alors que je vais pour enchainer, un homme rentre dans le restaurant. La clochette à l’entrée retentit, d’un tintement distinct, la vieille dame, d’allure chétive et douce, sort de sa cuisine en trotinnant. Lui, je le distingue brièvement : grand, bien bâti, dominant, une longue barbe, l’air sympathique. Brièvement, parce qu'alors, la vieille dame l’enlace tendrement et les autres clients se lèvent pour le saluer. Il en va de « Vice-amiral, honoré » par ci, à « C’est le Vice-Amiral Shell » par-là. Je m’enfonce dans mon siège, évitant soigneusement de les regarder plus, tandis que Jörg, lui, me fixe comme si j’étais une ahurie.

Qu’est-ce qu’il t’arrive ? T’as l’air ailleurs !

Il se retourne sur son siège en se demandant ce qu’il peut me prendre. Ce qui ne tourne pas rond chez moi. Plongé dans sa conversation, il n’a pas prêté un seul instant attention à ce qui se tramait autour.

J’ai besoin de toi sur ce coup. De tout toi. Alors quoi qu’il t’arrive, sort ces histoires de ta tête, et marche avec moi. Tu attends quelqu’un ou quoi… ?
Plus maintenant…

Il se retourne une nouvelle fois, accroche le regard du vice-amiral avant de se retourner précipitamment vers moi.

Oh…
Tu l’as dit.

Un sourire vient se glisser sur ses lèvres, un rire lui échappe. Je sais qu’il imagine déjà comment tirer avantage de la situation.
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Un lion empiète sur mon territoire, je n’aime pas ça.

Il pisse sur ma terre en pensant que ça en fera la sienne. Il joue sur mon terrain, sans savoir à qui il se frotte en faisant ça. Je suis irrité. Grandement irrité. Il sait pas ce que ça fait de s’en prendre à un type qu’à les crocs. J’ai une sacrée rage, une sacrée fringale même. Y’a des trucs qui se font clairement pas, hein. Clairement. Et venir me piquer mes activités chez moi, j’apprécie pas. J’sais pas dans quoi c’est fourré, mais s’il faut envoyer un bon coup de pied dans la merde pour la virer, ça sera pas pour me déranger.

J’devrais me calmer. Respirer un coup. Arrêter d’aller et venir devant le port. Arrêter de grogner sous mon foulard. Ouais, ça attire l’œil. J’lance un regard noir à un type qui veut pas me lâcher, et j’attends encore. J’étouffe sous mon tissus, mais il faut ce qu’il faut pour pas être reconnu. J’sais pas à quoi m’attendre en t’attendant ici. J’sais pas si tu vas vraiment pointer ton nez. J’sais pas si j’irais te voir, même. J’crois que ma colère gronde trop fort, là. J’crois que je suis énervé par ce que j’ai découvert. Et faut peut-être pas que je croise ta frimousse.
Mais là, j’te vois toi. Ouais. Toi, et ta chevelure rousse. Comme celle de ta mère, qu’il faudrait que je dise. Mais j’dois dire aussi que la tête qu’avait ta mère est un peu floue dans mon esprit. Toi, je te reconnais, et j’m’étonne de te voir descendre du Léviathan. Qu’est-ce que tu glandes là-dessus, hein ? M’dis pas que t’as viré de bord ? M’dis pas que t’as fait ça… M’dis pas qu’t’es comme lui. Je grogne à nouveau, j’me fonds dans la foule en suivant tes traces. J’jette un coup d’œil au drôle de mec qui lorgne sur toi avec la bave aux lèvres. Tss. J’sais pas c’que je dois en dire.

C’qui qui mène le rafiot… Salem ? J’ai un sourire sous mon foulard. Un maigre sourire que je ravale aussitôt. J’crois que c’est un sourire un peu mauvais. Un truc qui sonne faux. J’suis pas fier. Vraiment pas. Pas fier que tu trouves ce qu’il te faut chez lui. J’sais pas si c’est une si bonne nouvelle que ça…

Qu’est-ce que tu fous gamine ? Qu’est-ce que tu fous avec ces types ? Ou est-ce que tu vas ? Qu’est-ce que tu branles ?

La pomme est tombée si loin de l’arbre ? Merde.
C’est de ma faute, hein ? Merde.
Et qu’est-ce que je dois faire ?

Ou alors, tu t’es rapproché d’un autre arbre. Et j’sais pas si je dois apprécier. Pas que j’ai quoique ce soit contre Salem. Nan. Un jour, je lui ferais juste rebouffer la boue qu’il m’a fait manger à mes cinq ans, parole de Punk. Mais à part ça, c’est presque un type sympa. Il est presque de bonne compagnie. J’dois dire que ça fait une paie que je l’ai pas fréquenté, et qu’on sera pas sur la même longueur d’onde aujourd’hui. On a toujours les mêmes gouts en matière de femme. Sait-on jamais.
J’y pense… Il t’a touché ?

L’enfoiré.

Hun. J’ravale ça. De travers, mais j’ai pas le choix. C’est à moi. Et y’a pas assez de place à côté de toi. Je sais pas si j’en veux, de cette place. Faut voir.

J’te suis et tu captes que dal à ce qu’il t’arrive. T’es comme moi. T’as oublié d’écouter ce qu’il se passait autour de toi, t’as oublié de faire taire ta voix intérieur. Y’a un truc qui gronde à tes oreilles, parfois, hein ? Qui gronde fort. Un peu comme le tonnerre quand le ciel est sombre. Sombre comme moi. Qui rend comme t’es. Comme lui, aussi. Mais lui, c’est parce qu’il a jamais été foutu de regarder autre chose que son zgeg et sa réussite de mes deux. Il a jamais mérité ce qu’il avait. Mais il l’a eu, et ça me fout les boules. Vice-Amiral, hein. Faut croire qu’on prend pas mal de con dans la Marine.

J’dis pas ça pour toi. J’dis ça pour lui. J’espère que t’es plus comme moi que comme lui. Même si t’es pas foutu de sentir ce qu’ils pensent, ce qu’ils font. T’es comme moi, ouais. Comme nous. C’est de famille. Tu sais pas tendre l’oreille à ce genre de chose, et d’un côté, ça me rassure presque.
Je voudrais pas qu’il t’arrive un truc. Tu sais.

J’suis con. J’pense ça, mais tu m’entends pas. T’es plus concentré sur ta route. T’es concentré sur ce nain qui te tient la porte. Tu rentres. Et moi, je sais pas si je dois en faire autant. Je sais pas si je peux me permettre. On pourrait croire que j’ai une conscience, ou quelque chose qui s’en approche. Mais c’est ton moment, et j’ai pas le droit de te le prendre. Un comble pour un voleur de ma trempe, hé.

Qu’est-ce que tu vas lui dire, à la vieille ?

Hin.

C’est l’arrivée du Roi de la Savane. De sa Savane, ouais.
Le roi Lion. Le roi Père. Mon père. Cette tâche qui m’a fait comme je suis, et qui fera de toi ce qu’il voudra s’il sait.

Le tonnerre gronde.

Et je rentrerais pas te rejoindre Gamine. Le terrain devient trop boueux pour moi.

Merde.

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Vraiment, si on doit faire tout ça, je veux pas que tu sois prise sur un autre front.
Je te suis, j’ai dit.
Non. Tu ne me suis pas. Tu es en train de t’éparpiller, et c’est pas bon.
Igor, c’est plus important. Ça, ça peut attendre.
Tu es sûre ?
Sûre.
Tu ne veux pas aller leur parler ?
Non. Mauvaise idée. Très mauvaise idée.
Pourquoi ? Qu’est-ce que ça te coute ?
Comment j’amène ça ? « Bonjour, je suis votre petite fille. Vous allez bien ? Oh, très bon gâteau ! »
C’est un bon début.
Tu te moques de moi ?
Il vaut mieux qu’il l’apprenne par toi qu’autrement.
Non. Il lui dira.
Il ? Punk ?
Comment tu sais ? D’ailleurs, comment tu as su que je viendrais ici ?
Le Contre-Amiral Fenyang est d’Alabasta. Je pensais que si tu lui demandais un endroit pour nous retrouver, il t’indiquerait ici, voilà tout. Vrai que c’est pas un endroit moche, hein… On y mange même bien. Et pour la suite… Je n’ai fait que deviner. Ils n’ont que deux enfants, et tu as dit « petite fille »… puis… « il »... ça ne peut qu’être le fils, ton père. Ils seraient très contents d’apprendre ton existence.
Va mourir, Jörg.
Héhéhé… Mh... Qui est au courant de ce que tu vas faire ?
Personne.
Tu comptes y impliquer quelqu’un de ton équipage ?
Oswald Jenkins, peut-être.
Mh… On pourra lui faire porter le chapeau. C’est bien.
QUOI ?!
Je déconnais, respire. Héhé... Bien... Ton père… est à Alabasta ?
Non. Enfin, je ne pense pas. Et ne l’appelle pas comme ça.
Ok... Bon... Mh… Miss, t’as de graves problèmes à régler. Mais tu le feras après avoir régler les miens.
Mais…
Retrouve-moi dans trois jours à Rain Base. Et sois pas en retard. Je t'expliquerais tout là-bas.
D’accord…
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Je t’vois sortir comme t’es rentrée. Sans un mot pour personne. Même pas pour celui qui t’accompagne.
Encore moins pour moi.

Pas un regard. Pas un sourire.
Tu es si sérieuse.

Tu as l’air changé, Lilou. Imprégnée de cette droiture d’esprit qui en a fait plier tant. T'es sèche et froide. T'as un de ces airs glacials que je hais tant. Même notre première rencontre me semble maintenant plus agréable que ce que je vois d’toi. T'avais encore un mordant que j'arrive pas à voir, là. Tu sembles fatiguée, sur les rotules. Usée. J’dois l’être aussi. Et peut-être que c’est du moi que j’vois.

Tu disparais comme t’es venue. Sans te retourner, sans te méfier. Pas un regard pour l’endroit qui pourrait être ta maison. T'en veux pas, de mon cadeau ? De ma famille ? Non. Hein. T'as raison. Et t’es comme un courant d’air. A Alabasta, on sait pas comment les attraper, ces vents-là. J’ai jamais appris à les retenir.

Et moi, je sais pas comment te parler.


Punk, c’est ça ?

J’me retourne pas. Je sais à qui j’ai à faire. Je sais qu’il me voit quand il veut. Ce nain est peut-être une erreur de la nature, mais il est malin. Ça, j’le sens. Il a appris à survivre avec toutes ses tares de p’tite merde fouineuse.

Je te conseille de partir, passe-partout. Il se pourrait que j’sois pas de très bonne humeur.

Il reste à distance. Il a raison. Je retire mon foulard et le sers entre mes poings. Je sers les dents. Et au fond, y’a une colère qui gronde encore. La colère de ceux qui savent pas comment faire pour être… à peu près normaux.

Je vois. Mais avant qu’il ne te prenne l’envie de me trancher la gorge pour une raison totalement arbitraire, tu seras peut-être intéressé par le fait que j’aide ta fille. Et que sans moi, elle va droit dans un mur.

Un soupire m’échappe. Comme le regard noir que j’lui lance. Si mes yeux avaient été des mitraillettes, il serait mort sur place. Il se contente d’esquisser un sourire que j’ai envie de lui faire ravaler.

Avec ou sans toi, elle va droit dans un mur.
Est-ce de l’amertume que j’entends ?

De l’amertume ? Qu’est-ce que c’est ? ça se mange ? ça se croque ? Je peux le briser entre mes dents ? J’aimerais. Ça me donnerait quelque chose à comprendre, tout ça. Mais j’suis pas amer. J’crois pas. J’suis… Désappointé, comme qui dirait. Un mot que mon père utiliserait pour parler de moi, hein. Ouais. Désappointé. J’me sens snobe à penser ça. Je hais être snobe. J’ai un gout de rouille dans la bouche. J’ai pas envie qu’elle soit bouffer par cette machine inhumaine. J’ai pas envie que le gouvernement la forme, la plie, la broie, comme il l’a fait avec ma sœur. Avec moi.

Tu ferais mieux de cracher ce que tu as à dire.
Charles Baldwin, ça te parle ?
Ça se pourrait.
C’est la cible de ta fille. Ma cible aussi.

Et il veut que j’en fasse quoi, de ce Charles ? Une guirlande ? Que j’accroche sa tête au sapin pour faire l’étoile de noël ? Que j’emballe le reste de son corps dans un papier cadeau pour lui offrir ? J'sais qui est Charles. J'sais ce qu’il branle sur mon île. J'sais sur quoi il empiète. J’ai un sourire mauvais, de ceux qu’on aime mieux pas voir lorsqu’on me connait un peu.

Nous allons cambrioler sa demeure, à Rain Base. Trouver des preuves contre lui. Elle veut faire ça bien, qu’on ait les mains propres en sortant. Mais j’y crois pas trop à ces conneries-là… J’suis pas du genre à avoir peur mettre un type comme toi dans mes histoires. J’crois même que tu peux y trouver ton compte. Alors… Je te mêle à l’affaire ou tu préfères chasser un autre gibier ?

Rire nerveux. Si j’lui dis que j’ai envie de lui arracher la tête, il en pense quoi ? Il croit quoi ? Que parle d’elle, ça va faire bouger mon cul ? Que j’vais tout faire pour la sauver ? Il m’a pris pour qui ? Pour quoi ? Ce type est un foutre-con. J’l’aime pas du tout. Je montre les crocs, faudrait voir à pas me prendre pour une buse.

Casse-toi.

C’est ça. Casse-toi. Il obéit, il bronche pas. Il continue même à sourire. J’aime pas c’qu’il sème derrière lui. Ça sent la merde à plein nez.

Et je sais que j’vais pas pouvoir me retenir. J’vais y plonger les deux mains.
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