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Dans la Gueule du Loup.

Rain Base était le genre de ville ou elle ne se voyait pas vivre. Trop grande, trop animée, trop vivante. C’était ainsi que l’on pouvait la qualifier. Des gens à toute heure du jour comme de la nuit, des néons qui font être comme en pleine journée, des bruits et de la musique à chaque instant,... Une ville ou la vie prenait trop de place, ou la pensée échappait consciemment au penseur pour qu’il se centre sur autre chose de moins important. Voilà pourquoi elle n’aimait pas l’endroit, voilà pourquoi personne ne pouvait s’y sentir chez soi. Rain base était une ville bouffeuse de crâne, ou l’apparence, l’argent et le luxe étaient primordiaux, au-delà même de la personne.
Trainant le pas derrière Oswald, elle releva la tête et se stoppa un temps à un carrefour rempli de monde. Elle regarda chaque endroit, chaque bâtisse immense, chaque boutique luxueuse, avec la désagréable impression que la ville elle-même lui vidait la tête de ses idées... Les mains dans les poches et un sac sur le dos, capuche rabattue sur la tête pour que personne ne voit son visage ou ne témoigne de sa présence dans la ville, un soupire lui échappa. Elle reprit la route lorsque Jörg la rappela à l’ordre. Nous n’avons pas de temps à perdre.

En parlant de lui, Jörg avait été agréablement surpris de la présence d’Oswald à mes côtés. Son sourire en coin résumé très bien ses pensées, et plusieurs fois lors du trajet jusqu’à la demeure des Badwin, il avait tenté de glisser quelques phrases tendancieuses, cherchant à savoir ce qui pouvait réellement motivé Jenkins pour aider la rouquine dans sa mission pour le moins peu légale. Mais tout du long double-face était resté impassible, ou avait répondu certes maladroitement, mais en détournant la conversation, éludant comme il le pouvait. Au final, Jörg s’était régalé de ses rougissements et bégaiements, trouvant là un point exploitable.
Et en parlant de la demeure des Badwins, elle s’étendait devant leurs yeux. Massive et imposante, derrière un portail forgé et sculpté à leurs convenances. Des jardins luxuriants, garnis, colorés devant des façades en briques sablées. Un balcon, des colonnes qui semblaient en marbre, des statues le long des allés… Sur plusieurs étages, la maison, ou le palais selon comment on voyait les choses, semblait aussi grand qu’un Léviathan. Enfin, ça, c’était ce que la rouquine pensait. Elle savait déjà qu’elle allait s’y perdre. Et des gens s’avançaient, vêtus de leurs plus beaux vêtements (un parmi tant d’autres), vers l’entrée immense de la maison, reçus par une horde de serviteurs tellement propres sur eux qu’on aurait pu les lécher et en changer d’haleine.

Gardes, invités, serviteurs. C’est pourtant le meilleur soir pour y aller. Igor sera occupé en bas à faire le paon, et les gardes n’iront pas à l’étage vu que les accès sont fermés. Je reste ici, je n’irai pas assez vite pour vous…

Jörg sortit de son sac deux petits escargophones qu’il accrocha sur l’épaule de ses deux partenaires. Il leur tendit ensuite deux masques et leur indiqua du doigt une allée moins fréquentée. Pour le reste, il somma les deux compères de se débrouiller pour accéder au deuxième étage sans attirer l’attention.

Sur ces mots, Lilou pris les devants, sans s’occuper de savoir si Oswald la suivait. A pas de chat, elle contourna la grille et se jeta dans un buisson trop bien taillé. Elle remarqua là que le Lieutenant-Colonel était à ses côtés, un peu plus réservé quant à ce qu’ils étaient en train de faire. La nuit était une cachette fantastique, et en s’enfonçant un peu plus dans les jardins peu éclairés, ils échappaient à la vue de tous. Jusqu’à la façade ouest, il n’y eut aucune encombre, et encore après. Elle releva les yeux et observa les entrées. Toutes les fenêtres étaient closes, à l’exception d’une se trouvant au deuxième étage. Attrapant Oswald, elle le tira de toutes ses forces vers le mur, ou elle lui ordonna de faire le guet. Sortant son arc et une flèche, elle visa et envoya une flèche qui s’ouvrit en grappin. Ce dernier s’accrocha aux rebords. En s’assurant qu’il tenait bien, la rouquine commença à gravir le mur, veillant à ne faire aucun bruit et à se fondre le mieux possible dans la pénombre.
Passant la jambe par-dessus le rebord, elle s’accroupit le temps de vérifier que l’endroit était inoccupée. Une chambre, luxueuse, avec un lit à baldaquin, une coiffeuse ravissante, un placard débordant de robes magnifiques. Elle poussa un long soupir et siffla brièvement Oswald.

L’homme se saisit de la corde et commença son ascension. Mais au même moment, des bruits de pas se firent entendre. Voulant accélérer la cadence, son pied dérapa sur la brique sèche et il retint de justesse un cri. Agrippé au mieux, il reprit vite ses appuis. De son côté, la rouquine tira de toutes ses forces pour remonter son partenaire, qui échappa de justesse et en presque toute discrétion à la vue d’un garde. Elle l’aida à passer par-dessus la fenêtre en l’attrapant par son T-shirt. Lui à terre se remettant de ses émotions, elle à côté, elle poussa un long soupir. Et tapotant sur l’escargophone, elle murmura à la suite :

Jörg, tu m’entends ?
Yep.
Nous sommes rentrés.

Imperceptible, l’escargot fit un sourire.


Dernière édition par Lilou B. Jacob le Ven 26 Juil 2013 - 1:36, édité 1 fois
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-En avant.

Murmure poussé sans une quelconque conviction. Seulement l’intonation de déterminée de quelqu’un qui veut en finir rapidement. À son tour, il se faufile avec la furtivité d’une ombre dans les ténèbres de la luxueuse pièce. Personnellement, il préfère utiliser son propre escargophone. Un modèle bien spécial génétiquement conçu à son image. Deux têtes, deux couleurs.

L’escargophone Double-Face.

Oswald a beau faire confiance à Lilou, les questions peu discrètes de son autre compagnon lui ont été des plus déplaisantes. Lui demander ce qui le motivait à accomplir un tel geste? Lilou, certes, simple question. Mais comment concrètement l’expliquer devant cette dernière? S’il y a bien une chose que le Lieutenant-Colonel découvre rapidement en expérimentant ce nouveau sentiment qu’il a sut développer, c’est qu’il lui est très difficile d’en parler ouvertement. La gêne le gagne expéditivement dès qu’un sujet passe près de toucher à cette corde sensible nouvellement tissée. S’il avait pu, le cramoisi lui aurait probablement assaillit les joues, mais il est apparemment au moins un bon point quant à la couleur de la peau d’Oswald. Le fait que Jorg n’accompagne pas le duo était un élément de plus poussant double-Face à se méfier de sa personne.

Préférant donc ne pas donner crédit à la marchandise de leur informateur, le fléau de la Marine acquiesça plutôt à la demande  de ce dernier de par son propre moyen de communication. Moyen de communication qu’il avait tout juste récupéré au bureau de poste à son arrivée à Rain Base. Un fameux achat fait aux entreprises d’une vieille connaissance remontant à une mauvaise aventure produite sur Marie-Joie.

Il a beau désapprouver les méthodes de sa comparse, Oswald n’est pas près à renoncer à sa fidélité à l’égard de la rouquine. Tout en ravalant son incertitude quant à l’opération, il se glisse donc dans le couloir, capuche rabattue, bouche cousue. Même les couloirs valent plus qu’une dizaine de ses salaires. Le sol est couvert de fins tapis alors que sur les murs s’entreposent des légions de portraits de différentes grandes figures de la dynastie Gargarismov.
L’Igor semble se tenir en grande estime, à énumérer le nombre effarant de ses propres peintures affichées dans des cadres ornés de pierreries bien encastrées dans d’odorants bois importés. Ces riches couloirs aux murs de basaltes gravés des scènes épiques sont éclairés par de complexes luminaires de verre. Luminaires qui s’éteignent en coup de vent sous le passage rapide et leste d’un Double-Face lancé en pleine action.
Lilou sur ses talons, ses lourdes bottes frôlent à peine le plancher dans un glissement imperceptible. Personne à cet étage. Logiquement, les appartements de Gargarismov doivent se trouver dans un endroit mieux gardé, pense Oswald lorsqu’il s’arrête au détour d’un couloir pour détecter une quelconque présence. Humant l’air de son odorat canin, une nouvelle fausse alerte l’aide à affirmer son hypothèse.
Se retournant donc vers la rouquine dans un regard qu’il aurait voulu un peu moins dur, il lui adresse la parole en chuchotant, toujours sur ses gardes.

-Tu as un plan du bâtiment?
-Oui. Jetons-y un coup d’œil. Admet Lilou.
Silencieusement, un briquet surgit dans la main du Lieutenant-Colonel et illumine le sombre couloir. Puis une carte révèle ses tracés lorsque Lilou la déroule d’un air anxieux.
-On est là? demande Oswald.
-Oui, c’est l’aile Est du bâtiment. Les appartements de Gargarismov sont dans l’aile Nord. Révèle la mécanicienne.
-…Donc, il faut passer par là? Murmure son homologue en montrant du doigt un complexe réseau de couloir adoptant la même forme que le plan, mais juste à côté de ce dernier.
-Non, ça, ce sont les plans des sous-sols. Ils seront sûrement bien gardés car Igor doit y entreposer son coffre-fort. Et puis, nous y perdre pour remonter bien plus loin dans ses appartements serait une perte de temps.
-Donc, tu veux qu’on passe par…
-… par la salle de bal.
Moment de silence tendu. La salle de bal, là où tous les invités sont susceptibles de se trouver. Tous les invités, mais aussi le principal antagoniste de toute cette histoire. Déplacement risqué, mais efficace si bien coordonné. Les membres de la sécurité y sont sûrement bien nombreux, mais peut-être pas à l’affût quand on sait bien se cacher.  Le problème avec Oswald, c’est qu’il devient dans ces situations comme un fanal en pleine nuit, une personne facilement reconnaissable. Quelqu’un attirant beaucoup trop l’attention.
-T’as un plan en particulier pour qu’on taille à travers ça?
-….Nt… plus ou moins. Mais fais-moi confiance.

Comme si un autre choix s’impose.

***

Le Lord Emmanuel de Finesylve avait été fou d’excitation toute la semaine dernière depuis sa réception d’une digne invitation à la soirée d’Igor Gargarismov. Depuis le temps qu’il rêvait d’une telle distinction envers sa personne! Depuis le temps où il enchaînait les sympathies et les cadeaux pour un jour que l’on daigne lui accorder une de ces prestigieuses invitations! Enfin! Il avait pu être accueillit dans la luxueuse et imposante demeure du riche homme.
Accompagné de sa tendre épouse Marie-Thérèse, ils avaient revêtus leurs beaux atours, d’élégants costumes de soirées.

Lui portant un costume noir au derrière en queue-de-pie ainsi qu’un large chapeau haut-de-forme. Elle arborant une large robe au corset bouffant, couleur ciel, allant si bien avec la teinte grisonnante de son immense perruque, véritable monticule de faux frisotis et de tresses garnies de rubans colorés.

Mais ce n’était pas tout, le Lord avait expressément commandé deux importants accessoires pour lui et sa dame en vue de cette soirée. Deux masques de bal. Thème de la soirée. Le sien semblait être celui d’un véritable démon. Curieuse représentation du bien et du mal comme de la joie et de la peine. Un côté blanc à la mine déconfite et pleureuse, un côté noir joyeux et euphorique. Sa femme, elle, avait plutôt préféré jouer dans l’humour. Arborant un joli masque jaune poussin aux courbes harmonieuses, celui-ci portait une véritable kyrielle de plumes jaunâtres et criardes. Au centre de cet original masque se profilait un large bec de palmipède orangé, intérêt principal de l’élément de costume.

Mais quelle n’eut pas été la surprise de Lord Finesylve lorsque, déambulant dans les couloirs du manoir avec sa femme, il fut attaqué par deux silhouettes encapuchonnées. Rossé, il en perdit conscience. Ce furent les couinements de sa femme bâillonnée et ligotée qui le firent revenir à lui. Enfermé dans une pièce exigüe et débordante de produits de ménages, Lord Finesylve réalisa avec horreur qu’il ne portait plus que de simples sous-vêtements, tout comme sa dame…

***

-J’ai l’air idiote…
-Mais non. Ça te va très bien.
-Tu trouves pas que ça me grossis un peu, ce costume ridicule?
-Tu devrais en mettre plus souvent, si tu veux mon avis. Répond un Double-Face en smoking sur le ton de L’humour.
-Et ce masque… tout ça est réellement stupide…
-C’est tout de même la meilleure idée qu’on a trouvé.
-T’as toujours ton escargophone?
-Oui, dans mon costard, toi?
-Bien sûr, dans…
-Chut, on entre.

Et main dans la main, le nouveau Lord Finesylve ainsi que sa très chère dame Marie-Thérèse pénètrent l’immense salle de bal bondée.  
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A droite, je te présente l’ainé Badwin…

Elle tenait le bras de son ami masqué en essayant de reconnaitre des visages parmis la foule. Le premier fut celui de Michael, un homme grand, d’une carrure imposante, l’air froid, dur et vindicatif, le visage encadré par une longue crinière brune. Ses yeux étaient meurtriers, son sourire glaçant, il n’inspirait confiance à personne. Lilou poussa un soupir, pressant sa main contre son diaphragme. Ses côtés la faisaient souffrir, d’une part à cause de l’entrainement dans le désert, dont elle n’était qu’à peine remise, mais aussi parce que…

Tu as trop serré ce corset…
Ça va aller ?
Le temps de traverser la salle et de l’enlever, j’imagine…

Ils passèrent à travers une foule de monde, saluant à tout va en balançant des banalités. Les quelques questions plus poussées étaient rapidement éludées avec des phrases bateaux. Oswald semblait confiant, Lilou l’était autant.

Et là, c’est sa femme. Lady Anna Badwin.

Elle montra de la main un petit brin de femme au bras de Charles. Petite blonde avec les joues rougies, les traits vieillis, mais toujours ravissantes et pleine de vie. Elle portait une robe dorée, dentelée, que même une Lilou pas très à cheval sur la mode, lorgnait avec un certain plaisir. Elle releva les yeux à temps pour voir un homme approchait d’eux d’un pas décidé :

Et ça c’est…
Milady…

Le couple se stoppa, pas certain qu’on s’adressait dans un premier temps à eux. Oswald jeta un coup d’œil derrière pour en avoir la certitude, Lilou, elle fit son plus beau sourire pour tendre la main vers ce qu’elle pensait être…

Sonny Badwin… Enchantée !
Gnh ? Euh ! Oui ! Pareil !
Lord Finesylve, je présume. Vos costumes sont ravissants. Surtout le vôtre, Milady.

Sonny était un jeune homme élancé, fin, avec le visage avenant et amical, l’air serein et confiant. Il les salua avec respect, discuta un temps avec Oswald de la pluie et du beau temps, enfin, il tendit une main assuré vers la jeune femme en jaune poussin, demandant à son présumé époux :

Lord, permettez que j’emprunte votre femme le temps d’une valse ?
Hein ?

Pris au dépourvu les deux se regardèrent. Et ils pensèrent presque au même moment : « PAS QUESTION. »

Euh… Disons qu’on n’a pas vraiment le temps pour danser…
Le temps ? Vous allez quelque part le soir de la réception de mon père ?
Hein ? Non ! Juste… Aux toilettes !
Aux toilettes ?
Oui ! Et notez que c’est extrêmement inconvenant de forcer une femme de mon rang à vous donner des justifications, Monsieur !
J’en conviens, Milady, veuillez excuser mon impolitesse… Mais… Une danse, elle ne vous retiendra que quelques minutes en ma compagnie…
Quelques minutes ?...

Nouveau regard. Il fallait peut-être bien ça pour être tranquille. Sacrifier quelques minutes de la mission, puis filer ni vu ni connu. Lilou lâcha la main d’Oswald et la donna à Sonny, avec une certaine appréhension. Comment est-ce qu’on dansait la valse ? Elle le demanda à travers un murmure à son coéquipier, qui, comme toute réponse, haussa les épaules et mima un mouvement étrange. La rouquine soupira : tant pis, ce dit-elle, il ne restera qu’à improviser.

Très bien.

Sonny sembla ravi. Il embarqua celle qu’il pensait être Marie-Therèse vers la piste et lança les hostilités avec une habilité déconcertante. Si Lilou ne savait pas danser la valse, elle n’en avait pas besoin : il faisait tout, et plus encore. La tenant par la taille, elle se sentait aller et venir entre ses bras, tentant à tout prix de retenir des petits glapissements de douleur lorsque les mains du danseur touchaient ses côtés fêlées…

Milady, vous m’avez l’air étrange…

Etrange ? Souffrante, oui.

Etrange, c’est-à-dire ?
Hé bien, que vous me rappeliez à l’ordre sur les convenances de notre monde me trouble, il faut dire.
N’est-ce pas ce qu’une femme de mon rang peut et doit faire ?
Si, bien entendu. Excepté lorsqu’une femme de votre rang s’est montrée, par le passé, beaucoup plus intime avec un homme de ma trempe…

Lilou releva les yeux derrière son masque. Elle fronça les sourcils et s’étonna de cette déclaration… Quel costume avait-elle enfilé ? Elle se mordit la lèvre et se risqua à questionner :

Euh… Attendez… Pardon ?
Oh, Milady… Pas à moi ! J’ai toujours su tenir ma langue, cette duperie n’est pas utile lorsque nous sommes ensembles…
Hi ?!

Une main baladeuse frôla sa chute de rein, la faisant bondir. Jetant un regard vers Oswald, celui-ci se venger de sa solitude en mangeant des petits fours qui étaient, apparemment, délicieux…

Mais enfin ? Qu’est-ce qu’il vous prend ?!

Sonny se mit à rire :

Milady, vous portez cette candeur juvénile avec brio, vraiment. Elle ne me donne que plus envie de reprendre ou nous avions laissé nos ébats la dernière fois, chez vous…
Je trompe mon mari ?! Mon dieu !

Il eut l’air décontenancé, regardant cette femme qu’il pensait être sa bien-aimée d’un soir devenir vraiment étrange. Il poussa un soupir, tenta de trouver ses mots. Mais Lilou remarqua sa gêne et chercha déjà un moyen d’être de nouveau crédible à ses yeux. Le but ? Ne pas attirer plus l’attention sur elle, surtout pas celle du fils de sa proie…

Euh… Disons les choses ainsi, oui, mais… Pourquoi cela vous surprend-t-il ?
Je… Euh… et bien… Perte de mémoire. Un coup sur la tête !
Un coup sur la tête ?
Mes domestiques ! Maladroits… très maladroits…
C’est terrible… Je devrais en profiter pour vous la rafraichir alors…

Il tenta d’embrasser son cou, mais elle se recula précipitamment. Se raclant la gorge, elle osa un sourire :

Ah ! Mais vous vous débrouillez fort bien, mon cher ami. Fort bien ! Ce n’est pas très utile d’aller plus loin, une chose à la fois voulez-vous ?
Haha, je pense qu’entamer le plus gros du débat serait plus commode, il vous reviendra plus de choses !
Non ! Oui… Enfin… Plus tard !

Il passa une main derrière sa nuque en souriant toujours, parlant de tout et de rien,lui demandant si son costume lui plaisait, car parait-il qu’il l’avait trouvé pour elle, et qu’il aimait vraiment ce costume de poussin ou de canard, qu’il était adorable et fort bien fait, que c’était grace à sa note qu’il l’avait reconnu dans cet attirail, car il avait craint de ne pas la trouver parmi cette foule de gens… Puis, attrapant une mèche de cheveux, il la regarda avec attention et une risette complice :

Vous vous êtes fait une couleur, Milady ?
He ? Oui ! Oui ! Roux, j’adore le roux, je trouve ça chatoyant !
J’adore… Permettez que je l’admire plus amplement ?
Dans une heure !

Il s’était penché pour la sentir, mais Lilou était reculée précipitamment. Et elle avait lâché ça avec entrain, tenant la main de son courtisant avec une ferveur feinte. Une heure, oui. Une heure, comme un rendez-vous auquel elle n’irait jamais, mais tant qu’elle le laissait croire, c’était parfait…

Une heure ? Où ?

Sonny mordit à l’hameçon. Elle soupira, oubliant presque son corset beaucoup trop serré.

Dans les quartiers de votre mère… Ils seront inhabités, et nous serons tranquilles.
Fort bien. A plus tard...

Elle tourna les talons, poussant presque du coude les quelques autres qui l’empêchaient de retourner vers son époux cocufié du soir. Frissonnante d’horreur, elle attrapa le bras d’Oswald et l’embarqua sans ménagement vers un couloir. Sans vérifier si on la regardait, chose que le Lieutenant-Colonel fit de lui-même, elle tourna et monta des marches quatre à quatre en pestant contre le monde :

Tu l’as fait exprès, pas vrai ? T’as choisi le costume parce qu’il était jaune poussin et parce que tu savais qu’il allait m’attirer des ennuis… Je te retiens, toi et tes fabuleuses idées !…
C’était ton idée, Lilou…
Nt… Je me retiens, moi et mes fabuleuses idées… En tout cas, tu ne croiras jamais tout ce qu’il vient de me dire…

Lilou s’embarqua dans un monologue ponctué de « mh » et « ah » de son coéquipier. Monologue qui n’avait rien à voir avec la mission, mais qui retracé fort bien la vie secrète des nobles d’Alabasta et leurs mœurs légères. Lilou  s’interrogea sur le pourquoi des fréquentations de ce bon Sonny, qui malgré son comportement de coureur de jupons, était plein de charmes et de bonnes intentions. Continuant toujours, elle mêla à son discours des gestes, des éclats de voix, tandis qu’Oswald la sommait de faire moins fort, de ne pas attirer l’attention. Elle en avait même oublié sa tenue et sa robe, sur laquelle elle marchait au début, mais qui maintenant suivait les mouvements de son corps sans problème…

Et là…

Bzzz… Bzzz…

Elle s’interrompit, et fouilla sous sa robe pendant quelques secondes. Oswald, lui, poussa une porte et invita Lilou a y rentrer. Relevant son masque, elle dit :

Oui ?
Vous y êtes ?
Oui… Oswald, tu t’occupes de la bibliothèque, moi du bureau.

S’avançant vers le meuble, elle prit le temps de regarder son partenaire dans sa tenue volée et de lui faire un sourire confiant :

Sois prudent.
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« Sois prudent. »

« Sois prudent. »

C’est galvanisé par cette demande qu’Oswald se glisse en silence à l’intérieure de la bibliothèque. Ayant entrouvert l’une des deux grandes portes closes de l’importante pièce, il se faufile aisément dans cette dernière, réajustant tant bien que mal son masque, comme pour tenter de dissimuler à la pénombre son demi-visage empourpré. Elle lui avait demandé d’être prudent. À lui! Quelle chance! On lui recommandait la prudence, on tenait à lui!

Ravalant un sourire, Double Face s’avance au centre de la grandiose bibliothèque dans un silence absolu. Même le glissement de ses bottes sur le sol ne pouvant être entendu. Il est prédateur, un prédateur n’est jamais perçu. Malgré la noirceur de la nuit, la lumière de la lune ainsi que les répercussions des différentes lampes, lampadaires et torches traversant les majestueuses fenêtres suffisent à définir la beauté et le luxe émanant du lieu.

De nombreuses étagères garnies de livres se tiennent en rangées parallèles le long de couloirs aménagés de tapis kaki. Ces mêmes mobiliers semblent sculptés dans un fin bois de l’Ouest dont la qualité ne peut décemment échapper à un ingénieur naval comme Oswald. Sur ces derniers, de délicates gravures damasquinées brillent dans la nuit et mettent en valeur les innombrables et lourds ouvrages pesant sur les meubles.

Au centre de la pièce aux proportions de gymnase, quelques bureaux sertis de lampes éteintes attendent d’être utilisés par un quelconque visiteur.

Mais Oswald n’est pas dupe. Il n’utiliserait pour rien au monde ce piège silencieux, il préfère se fier à sa vision nocturne. Il en va de sa sécurité, mais prioritairement de celle de sa compagne.

Comme un murmure, il s’engage dans une allée et ses yeux glauques parcourent dès lors les reliures. À la recherche d’un quelconque filon d’information à exploiter. Une manière comme une autre d’inculper Badwin d’une activité déviante. Tout en relevant le goût des petits-fours engloutis plus tôt avec un certain laisser-aller, Double Face enchaîne les rangées de bouquin sans jamais n’y trouver quelque information utile que ce soit.

La majorité des livres et ouvrages consistaient en des traités et essais sur différents phénomènes de Grand Line, des relevés généalogiques familiaux de familles nobles inconnues ou oubliées, de vieux parchemins illisibles, de recueils historiques ou encore de guides de traductions linguistiques. Rien ne pouvant intéresser Oswald dans sa recherche.

Du moins, c’est ce qu’il se pense au moment où son regard est attiré par la reliure modeste d’un petit journal dépeignant bizarrement parmi les riches ouvrages l’entourant. Une reliure modeste, certes, mais une reliure possédant un attrait bien différent des autres livres l’entourant.

C.B.

Des initials. Les initials d’une personne en particulier. Charles Badwin.

Jetant un regard furtif derrière lui, Oswald se saisit du livre d’un mouvement fluide et s’empresse de le feuilleter. Comme si sa découverte venait d’enclencher un compte à rebourd avant que celui-ci ne lui soit confisqué.
C’est un journal, un journal de bord. Un recueil qui doit sûrement contenir de précieuses informations. Du moins, c’est ce que l’instinct de Double Face lui souffle à l’oreille lorsque ce dernier réalise que chaque mot est incompréhensible, chaque indication illogique.

La chose est très certainement codée. Un code qu’Oswald ne peut décoder sur le moment. Un code sur lequel il ne peut qu’espérer trouver des allégations à fournir contre Badwin.

Fourrant le livre sous son costard, au chaud près de son escargot bicéphale le lieutenant-colonel s’apprête à quitter la rangée où il s’est enfoncé pour retourner auprès de sa compagne, d’un pas décidé.

-Bien le bonsoir… Lord Finesylve.

Double Face se crispe à l’écoute de cette voix. Une voix qu’il ne reconnait pas, mais qui certes met tout ses sens en alerte. Là, au centre de la pièce, sur une chaise d’un des bureaux, une silhouette est assise. Et dans la pénombre, l’on ne peut qu’en déceler une pupille rougeâtre fixant Oswald qui se sent soudainement nu. Comme si son costume ne lui conférait plus son camouflage de tout à l’heure.

Mais il ne faut pas sortir de son rôle. Ne pas tout gâcher, ne pas mettre Lilou en danger.

-Ah… bonsoir…

Qui est-ce, en fait? Qui est cette ombre menaçante qui trône entre Oswald et la sortie? Une allumette fait soudainement jaillir une lumière orangée dans un craquement typique. Elle vient calmement rejoindre une chandelle non loin, puis une cigarette à la bouche de l’homme.

Un cyborg.

Un visage blême, livide, cadavérique. Un œil creux, à la fois haineux et amusé. Un nez naturellement froncé, une barbiche fournie et d’un noir si profond qu’il en tire presque sur le bleu. Et du métal. Un métal s’enfonçant à même la chair du personnage.

Un œil complètement robotisé prenant sa source dans la carcasse de l’homme aux allures de fantôme se tenant jambes croisées devant Double Face. Mais cet homme ne lui est pas inconnu.

C’est Daniel LKD. Un criminel, un ripoux travaillant très probablement pour l’acolyte de Badwin. Vassili.
Imperceptiblement, les poings d’Oswald se crispent, il est à la fois exaspéré et frustré. Un peu comme lorsqu’il devait observer le fils Badwin faire la cour à Lilou, mais différemment. Car renoncer à mettre son poing dans la figure d’un criminel pour garder sa couverture est une action difficile pour le Lieutenant-Colonel.

-Vous n’êtes plus dans la salle de bal, mylord?

Réplique prononcée sur un ton jovial, presque bénin. Mais un tueur comme cet homme ne dit pas de mots inutiles, il joue plutôt avec sa proie.

-Apparemment.

Le ton est peut-être un peu trop dur, venimeux, mais difficile de répondre autrement à une question aussi unidirectionnelle.

-Lord Badwin serait déçu d’apprendre que ses invités ne se plaisent pas à sa soirée. Poursuit LKD en plissant les yeux, comme pour déceler le mensonge en Oswald.

-Je me plais merveilleusement à la soirée de sa Seigneurie… seulement… Cette situation était imprévisible, maintenant, Double Face doit réagir en conséquence et mettre en œuvre ses piètres talents d’improvisateur… toute cette foule m’étouffait légèrement, j’ai donc voulu m’éloigner un moment pour me recueillir dans un endroit plus calme.

Silence mortel. Momentanément, même les bruits de fêtes à l’extérieur du bâtiment s’épuisent. Même la rumeur de la salle de bal s’éteint. Ils ne sont plus que deux, deux à se fixer dans le demi-jour d’une simple chandelle. Deux à soutenir le silence et le regard de leur adversaire.

Deux prédateurs attendant que l’autre  ne puisse soutenir la pression.

-Ne vous en déplaise…

Cette phrase est pratiquement murmurée, presque un feulement qui fait écho dans la bibliothèque. Puis Daniel LKD prend une bouffée de sa cigarette… et sourit malgré lui en laissant s’échapper la fumée par ses narines. Sans bouger, Oswald sent tous les muscles de son corps se détendre, remarquant avec appréhension à quel point il pouvait lui-même être nerveux.

-Et vous consultiez donc les livres de cet endroit?

La question vient de derrière. Sans même qu’Oswald ne le réalise, LKD a bougé, il se tient adossé à un mobilier, le regard toujours braqué sur son interlocuteur. Faisant volte-face avec flegme, pour ne pas attiser le doute chez l’autre, Oswald expire en tremblotant pratiquement. L’homme devant lui est un tueur de très haut calibre, l’aura qui se dégage de ce dernier est glaciale, désagréable.

Un vrai meurtrier dans le sang.

-Effectivement, je me passionne d’histoire et de géopolitique. Je me suis donc intéressé dans la consultation des ouvrages de Lord Badwin.

-Dans la section économique de ses réserves de bouquins?

Un frisson parcourt l’échine d’Oswald à l’écoute de ce commentaire. C’est bien vrai, une lettre dorée, au sommet de l’étagère, représente le sujet stipulé dans les livres. Comment ne l’avait-il pas remarqué?! L’espace d’un instant, il songe à passer à l’attaque, tenter de se débarrasser de son interlocuteur avant que ce dernier ne le révèle. Puis il se calme, se rappelant toujours le masque et le costume le protégeant de Daniel.

-Et bien, voyez-vous, il m’arrive de me perdre dans mes recherches lorsque je me promène dans une bibliothèque. Je m’intéresse des autres ouvrages présents, il ne me semble pas étonnant de changer d’allée lorsqu’on déambule dans un lieu de savoir comme celui-ci. N’est-ce pas?

-Bien entendu.

Soupir imperceptible. Frisson de soulagement.

-Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je m’en retournerai rejoindre ma dame à la salle de bal, très cher.

Un acquiescement silencieux, la fumée d’une nouvelle bouffée de cigarette se perd dans la bibliothèque alors qu’Oswald s’empresse de regagner le couloir. À fleur de peau. Comment un homme pouvait-il susciter un tel doute, une telle peur, chez quelqu’un par de simples mimiques? Par de simples réactions?
Oswald préfère ne plus y penser et c’en est presque s’il court, la main crispée sur le journal de Badwin, quand il traverse les couloirs en direction du bureau.

***

LKD reste un moment seul à consumer sa cigarette dans la bibliothèque. Il aime être seul, profiter des ténèbres. Les minutes s’écoulent avant qu’il ne reste plus que des cendres de sa cigarette. Il aime bien effrayer les nobles, prendre plaisir à les voir paniquer. Mais celui-là ne devait pas être là. Ne devait pas prendre conscience de sa présence.

Il devait savoir qui il était, devait comprendre ce qu’il faisait dans les environs. Personne ne devait soupçonner Badwin. S’engageant à grands pas dans l’allée économique, LKD balaye l’ensemble des rangées avec paresse en traversant la bibliothèque. Puis soudain, s’arrête, alerté. Il manque un livre, un seul, un seul petit livre permettant de faire tenir verticalement et sans anicroche le reste de la rangée. Un livre qui ne peut être disparu plus tôt dans la journée.

D’un grognement rageur, LKD s’élance hors de la bibliothèque, en courant vers la salle de bal.
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Lilou, on…
Hi ! Ça ne va pas de débouler comme ça ? Tu m’as fichue une de ces trouilles !

Elle le fixa pendant un temps avec l’air soulagé. Au moins, il allait bien. Le cœur battant toujours à tout rompre, elle poussa un long soupir avant de retourner à son bureau. Elle épluchait chaque papier qu’elle trouvait, les lisait avec une attention particulière, sous une énorme loupe de bureau qu’elle redressa pour la placer entre Oswald et elle. Avec le sourire et dans le but de décontracter son ami, elle fit une grimace en lâchant :

Regarde ça ! Je rêve d’une loupe comme ça ! C’est tellement chouette !

Oswald eut droit à un zoom significatif de la grimace de la rouquine, ce qui ne le décontracta pas pour autant. Le remarquant, elle fit une moue boudeuse et écarta la loupe d’un geste presque nonchalant. Un poil déçue, elle amena l’homme à la rejoindre d’un geste de main. Il s’exécuta, se penchant sur les papiers en suivant les explications de la jeune femme avec un air presque constipé. Il eut l’air de reconnaitre un nom dans le lot, ce qui surprit agréablement la rouquine :

Bref, j’ai trouvé ça ! Je ne sais pas du tout ce que ça implique, mais ça se passera très bientôt… Tiens, prends-le.
Ouais, d’accord… Ma-
Tu as quelque chose ?
Euh…
Oh oui, tu as quelque chose ! File-le moi, vite !

La jeune femme tâtonna sur le buste de son supérieur, sortant de la poche intérieure de son veston un petit carnet qu’elle attrapa avec un sourire satisfait. Oswald tenta de l’en empêcher en attrapant sa main, la mine sérieuse et prêt à tout balancer, mais Lilou l’ignora d’un geste de main en ouvrant déjà le carnet avec intérêt :

Eco-
Un code ? Un carnet codé ? Brillant ! J’adore les codes, j’adore les énigmes ! Charles a forcément fait ça juste pour me plaire… Alors, voyons voir… « +2301 15M P Doug ». Ça ne veut strictement rien dire… Une équation ? Peut-être que le P renvoie à quelque chose… Doug, c’est quelqu’un, tu penses ? Un surnom ? Faudrait que je puisse le retrouver. Tu penses qu’il tient un agenda avec tous les numéros de ses contacts ? Ça serait drôlement pratique pour celle qui voudrait le faire plonger…
Lilou, je do-
Attends ! Les quatre chiffres du début, ça doit être la date ! Ils varient tellement que ça ne peut pas être un code, et vu qu’ils se suivent et augmentent progressivement, c’est forcément ça. Là, y’a un P. Là, un D. Là, un C… Et ça revient constamment, je crois qu-
LILOU ! J’AI ETE DECOUVERT !

Oswald avait attrapé les épaules de la jeune fille pour la secouer, attirer enfin son attention. Il avait même élevé la voix, faisant perdre momentanément toute son assurance à la rouquine. Elle le regarda avec l’air de celle qui n’y comprend rien.

Quoi ?
Découvert oui ! Découvert bordel ! Il y avait un type dans la bibliothèque, LSD, ou LKD, je sais pas quoi, il était là bordel ! Il sait que je suis ici, et…
Tu lui as dit quoi ? Il sait où tu es ?
Non. Je lui ai dit que je retournais dans la salle de bal, mais j’ai rusé pour revenir te voir…
Ok. Ça nous laisse quelques minutes le temps qu’il se rende compte de ton mensonge, euh… Pourquoi tu ne me l’as pas dit ?
Tu m’as pas laissé en placer une !
Bon… Bloque la porte ! On va essayer de sortir… Mh…

Oswald attrapa un petit secrétaire et le tira jusqu’à la porte. Il le cala comme il le put, et plaça une chaise dessus pour bloquer un peu plus. Il se retourna après en s’appuyant sur le meuble, regardant la rouquine qui, de son côté, avait sorti son escargophone :

Jörg ?
Ouaip ?
On est découvert.
Quoi ?! Qu’est-ce que vous avez branlé ?!
Je t’expliquerai plus tard… Du bureau, est-ce qu’on a un chemin simple à emprunter ?
Je regarde ça, attends voir… ça commence à s’agiter dans la salle, Badwin quitte les lieux… Vous pourriez passer par-ARG !

De l’autre côté de la ligne, il n’y eut qu’un bruit sourd. Lilou sursauta. L’escargot s’endormit sur ces entre-faits, sans préciser plus. Le cœur de l’ingénieure se mit à battre soudainement beaucoup plus fort et plus vite aussi. Elle déglutit péniblement. Oswald avait croisé Daniel. Si Daniel était là, ça n’annonçait rien de bon pour eux deux.  

Jörg ? Jörg ?! Hé, t’es là ?
Ouvrez cette porte !

L’on frappa fort. Si fort qu’Oswald fut propulsé quelques centimètres devant, lâchant son meuble qu’il tenait pourtant fermement. Les yeux exorbités, Lilou essaye de rester concentrer en se passant une main sur le visage. Galère, galère, pensa-t-elle à voix haute en faisant les cent pas.

Ok. Ne pas stresser. Ne pas pleurer. Ne pas crier. Ne pas le frapper… Quoique ça serait bien. Non ! Rester calme. Très calme. Oswald !

Elle releva le regard vers lui, vive, avec un plan en tête qui, elle le savait, n’allait pas plaire à tout le monde :

J’ai besoin de toi. J’ai vraiment besoin de toi, là. Maintenant.

L’homme était à l’écoute. Elle fonça en parlant vers une petite bibliothèque du même acabit que le bureau, particulièrement lourde, qu’elle écarta à bout de bras de quelques centimètres du mur, et derrière laquelle et planqua le carnet en le posant sur une rainure. Se relevant, époussetant ses vêtements, elle expliqua :

Passe par cette fenêtre et descend.... C’est mon dernier grappin, dit-elle en lui tendant un petit tube qu’elle sortit de son corset. Tu retournes dans la salle de bal et tu fais en sorte d’attirer l’attention vers ici… Je ne sais pas, dis… Dis qu’il y a une cambrioleuse à l’étage, qu’on m’a attrapé, que… que… Que j’ai peut-être dérobé d’autres choses, que vous devez aller vérifier ! Il faut que les gens sachent que je suis ici, sinon, je suis morte. Tu comprends ? Morte. Dead. Décédée. Il y a des types connus en bas, des mecs très réputés, des politicards probablement… Ils vont vouloir se la jouer bien pour être dans les bonnes grâces de Charles, ils viendront forcément ! Toi, tu pars interrompre cette transaction et coffrer tout le monde, elle plaça dans le veston d’Oswald la fiche trouvée tantôt et la tapota comme si c’était sa seule chance de salut. Tu n’as pas le droit de foirer, c’est clair ? Et personne ne doit savoir que tu étais là, que c’était toi, sinon ta carrière est finie…
Mais Lilou, je…
Tshh… Pas de ça qui tienne Oswald. Si tu me fais ça maintenant, on peut dire adieu à nos vies…

BANG ! BANG !

Ouvrez !
TIRE-TOI !

Elle tira sur le bras d’Oswald et prit sa place contre le meuble qu’elle poussa en arrière de toutes ses forces. L’homme sembla hésité, il allait et venait de la fenêtre à elle avec l’air clairement indécis. Il replaça son masque de bal et activa le mécanisme du grappin. Poussant un long soupir, il disparut de l’encadrement de la fenêtre en quelques secondes. Lilou respira comme elle le put, tentant toujours de maintenir la pression contre la porte. Mais elle constata alors que les coups étaient de plus en plus rapprochés, comme de plus en plus fort, et qu’elle avait beau retardé, elle savait qu’ils rentreraient à un moment ou à un autre…

Jörg ?

J’aurais besoin d’un peu de réconfort…

Pas ce soir, visiblement… Ou est-ce que t’es passé… ?

Résignée mais résolue, elle s’écarte soudainement. Droite comme un piquet devant la porte, elle fit face et on entra.
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Double Face s’écrase lourdement au sol, se retenant tant bien que mal à la corde avec laquelle il a descendu en rappel. En fait, il n’a pas vraiment prit la peine de descendre de façon sécuritaire, bousculé par l’urgence. Et désormais ses mollets et genoux le font douloureusement souffrir lorsqu’il enclenche sa course à travers la cour intérieure de la résidence Badwin. La fenêtre de laquelle il  vient tout juste donnant sur ce large carré encadré par l’immense demeure des prétendus criminels. Un chemin de ronde dallé traverse le paisible endroit d’où s’échappe le bruit d’une petite fontaine perdue dans la flore colorée de l’endroit. Il a beau faire nuit, le jardin des Badwin reste magnifique.
Mais Oswald ne peut pas prendre la peine de se perdre en palabre et s’élance au hasard vers une direction le menant vers une des portes du manoir. Prendre la peine de jeter un coup d’œil à une carte aurait été une perte de temps précieux, Oswald préfère de loin se fier à son instinct.

Comme un étalon lancé à plein galop, Oswald traverse les couloirs à une vitesse vertigineuse, osant même parfois renverser un passant, un serviteur chargé de denrées ou un concierge surpris. Au fur et à mesure qu’il progresse à travers l’établissement, certains repères lui reviennent, les peintures sur les murs et les tapisseries ne lui sont plus inconnus. Continuant sa course amplifiée par l’adrénaline et aussi l’énergie de sauver son amie, Oswald ne cesse de garder une main crispée sur le document que Lilou lui a remis dans une poche de sa veste.

Il tourne finalement un coin, haletant, couvert de sueur, ses somptueux habits trempés et froissés, son masque de justesse replacé. La salle est toujours comble, les invités ne semblent pas avoir remarqué la disparition de leur hôte. Non seulement leur hôte, mais aussi ses deux fils qui se sont eux aussi volatilisés. La vision précise et acérée d’Oswald ne peut mentir à ce niveau là. S’appuyant sur un pan de mur du couloir duquel il surgit, il prend une forte respiration avant de crier de toutes ses forces pour attirer l’attention. Lilou doit être sauvée! LILOU DOIT ÊTRE SAUVÉE! C’est ce qu’il se retient de hurler lorsque plusieurs centaines de paires d’yeux se focalisent sur sa personne. Mais il a déjà commis assez de bêtises comme ça, il doit sauver celle qui compte le plus à ses yeux. Comme Salem l’aurait fait. Comme Bee l’aurait fait.

-LORD BADWIN EST EN DANGER, IL Y A DES CAMBRIOLEURS À L’ÉTAGE! PRÈS DE SON BUREAU! FAITES QUELQUES CHOSE!

Silence gêné.

Plusieurs centaines de paires d’yeux se consultent. Incertains. Cet homme est-il fou? Doivent-ils se dire. D’autre reconnaissent l’accoutrement de Finesylve et se demandent s’il ne serait pas judicieux d’aller vérifier que tout se passe bien au dessus de leur tête. Mais néanmoins, la foule stagne, se questionne sur la façon dont la situation doit être appréhendée. Et pendant ce temps, Oswald, lui, fulmine.

-RÉVEILLEZ-VOUS!! VOTRE HÔTE EST EN DANGER! BOUGEZ-VOUS OÙ IL POURRAIT BIEN CREVER DANS QUELQUES INSTANTS!

Cette fois, ce n’est plus la voix d’un ami désespéré qui supplie la foule. Non. Cette fois, c’est la voix furieuse d’un Lieutenant-colonel reconnu pour sa violence qui ordonne. Et d’un même mouvement, de nombreux sabres d’apparat se dégainent dans la salle. Et de nombreux cris fusent soudainement, accompagnés par des encouragements fiers et dynamiques. Peu à peu, les invités prennent armes et chandeliers, pattes de chaises et coutelleries pour venir au secourt de Lord Badwin.

Atterré par les évènements, mais soulagé à la fois, Oswald tombe à genoux au sol pour se reposer un instant. Puis un éclat déterminé brille dans ses yeux. Il ne peut pas prendre de repos. Pas tant que la mission que lui a confié celle qu’il veut protéger passionnément n’est pas accomplie. Tant que celui qu’il s’est juré de vaincre n’est pas derrière les barreaux. D’un mouvement fluide et sec à la fois, Oswald est de nouveau debout et fonce au pas de course vers l’extérieur de la demeure.

Dans sa main, une feuille qu’il ne déplie qu’une fois très, très loin de la maison des Badwin. Sur la feuille appartenant à un document qu’il garde toujours dans son veston, une date, des noms, des marchandises.

Badwin, ou plutôt, Gargarismov, est un fin salaud. Un ripou bien pire que ce qu’Oswald pouvait croire.

Dans deux jours, à Erumalu aurait lieu un échange entre des représentants de Badwin et… Karl « Marx » Houdenlovth. La marchandise? Des armes. Beaucoup d’armes, toutes offertes à ce Marx.

Et dans l’esprit d’Oswald, l’image floue d’une affiche de prime renait. Une affiche représentant une brute parmi tant d’autres. Mais une brute révolutionnaire. Et pas n’importe quel révolutionnaire, un des cinq colosses d’Erbaff. Ceux qu’Oswald avait juré de vaincre devant Staline lui-même.

Et pour rien au monde Double Face ne faillira à la promesse faite à son ennemi juré. Dans un calme de meurtrier, concentré d’une glaciale détermination, Oswald range le papier dans sa poche. Puis, dans la nuit illuminée de Rain Base, il pose un dernier regard déchiré vers la demeure des Badwin dont la silhouette se découpe au loin. Et finalement, il s’enfonce silencieusement dans une ruelle. Le voyage à travers le désert risque d’être long, il n’a pas de temps à perdre.

Un chaud vent souffle du désert et s’engouffre dans les rues de la ville aux milles casinos. Un vent fort, rectiligne, se dirigeant pertinemment vers l’immense manoir de pierre où se trouve une rouquine. Et chevauchant ce vent, un chuchotement.

Une promesse.

-Je ne t’abandonnerai pas, Lilou.

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Qu’est-ce que vous faites ici ?! Pas de mensonges !

Elle était tenue en joue par un homme élancé, moustachu, les cheveux grisonnants et le visage émacié : Charles Badwin, en chair et en os. Il portait une tenue  de soirée, noble, taillée pour lui. A côté, une silhouette plus imposante, mais aussi plus petite, se tenait là. Daniel, reconnut-elle dans sa tête avec un sourire stressé. Elle était mal barrée, pensa-t-elle à nouveau. Le premier avait une mine sérieuse, le second portait un air satisfait, certain de ce qui allait se passer ensuite. Elle déglutit péniblement et prit une grande inspiration :

Oh, rien. Je cherche des preuves pouvant vous incriminer dans toutes sortes de trafic totalement illégaux histoire de me venger d’une sombre histoire de poignet cassé.
Pas de mensonges, j’ai dit !
Monsieur…
Quoi ?
Elle ne ment pas.

Charles fronça les sourcils, puis fit un geste qui signifiait son indifférence : qu’importait qui elle était, elle l’encombrait, de toute évidence.

Mademoiselle, entendez que je n’ai que faire des affaires d’une prolétaire dans votre genre ! Venir interrompre ma soirée pour des enfantillages ne m’amuse pas du tout !
Je ne suis pas là pour m’amuser. Je n’ai jamais eu comme loisir le cambriolage.

Elle fit un pas vers lui, il remonta l’arme qu’il tenait. Sans trembler, ferme, froid, prêt à tirer si elle lui en donnait l’occasion. Elle ne semblait pas voir l’arme braquée sur elle, pourtant d’une magnifique collection. Daniel referma la porte derrière lui, se mit dans l’ombre. L’ombre, là où était sa place pensa la rouquine. Elle soutint son regard vers Badwin, retira même son masque pour lui laisser pleinement l’occasion d’admirer ses traits, de voir à qui il avait à faire. Il n’y eut aucun déclic dans son regard, vu qu’ils ne s’étaient jamais croisés. Pourtant, Lilou le haïssait et était prête à tout pour le faire plonger.

Ou est-il, Igor ?
Com-… ? Ce n’est pas à vous de poser les questions ! Je tiens l’arme, je vous rappelle !
Ou est Judas ?
Judas ? Ce nom me dit quelque chose, oui. Sûrement un pathétique petit idiot pas fichu de s’assumer correctement. Qu’est-ce qu’il me doit ?
Lui, rien. Mais vous lui devez la destruction d’une de vos filières à Manshon, il y a deux ans.
Je vois, cet incident-là. Je pensais l’histoire réglée… Daniel ?
Mon maitre les a surveillés de près, Monsieur. Il ne les considérait pas comme une menace, simplement… Le carnet… a disparu.
Le…

Charles frissonna d’horreur, avança d’un pas en plaçant le canon sur le front de la rouquine. Elle avait l’âge de ses fils, mais ça ne lui fit pas peur : il avait si peu d’estime pour ses propres enfants.

Ou est mon carnet ?

Elle eut un sourire mauvais. Son carnet ? Elle ne jeta pas un coup d’œil vers la bibliothèque ou elle l’avait caché quelques minutes avant, ça attirerait l’attention. Elle resta à le fixer, droit dans les yeux, avec une insolence palpable. Il sembla agacer.

Quel carnet, Monsieur Badwin ?
Ne faites pas la maligne avec moi…
Je ne vois pas de quoi vous pouvez parler…
Monsieur… Nous tenons son acolyte. Le nain.
Jörg est ici ?! Quelle délicieuse surprise ! Torture-le, Daniel. Jusqu’à ce qu’il te dise ce qu’il a fait du carnet. Et de mon argent. Et quand tu le sauras, avec ou sans argent, tue-le.
Très bien monsieur.
Non !
Silence !

Une voix lui parvenait de la fenêtre. Une voix reconnaissable entre mille pour la jeune fille. Elle fit un sourire. Jörg avait un sursis : il ne savait pas pour le carnet. Oswald n’était pas identifié. En bas, les invités semblaient s’affoler.

Vous me faites perdre un temps précieux ! Je retrouverais ce carnet, avec ou sans vous…

Il rangea son arme à sa ceinture, rabattant sa veste pour la cacher. Il invita Daniel à s’avancer et posa la main sur la poignée de la porte…

Il est fort dommage de défaire le monde d’un minois aussi mignon que le vôtre. Vraiment, je l’ordonne à regret. Mais les affaires sont les affaires. J’ai assez gaspillé de temps comme ça. Je n’aime pas les fouineurs, vous auriez mieux fait de vous abstenir, n’est-ce pas. Pas personnel… Daniel… Tue-la et débarrasse moi du corps.
Me tuer ? Il faudra être patient, vous n’entendez pas ?…

Il tendit l’oreille. Une oreille sans doute moins vive que dans le temps. Mais les bruits de pas montant les marches étaient distincts pour qui se concentrait un minimum…

Je conseillerais à Daniel de s’éclipser rapidement. Vous n’aimeriez pas que vos invités vous trouvent en compagnie d’un homme primé à plusieurs millions de berries, n’est-ce pas ?

Il poussa un long soupir. Se retournant, il jeta un coup d’œil à Daniel qui s’était avancé à pas de géant vers elle. Il se tenait devant elle, la dominait du regard. Dans son œil mécanique, Lilou entrevit tout ce qu’il souhaitait lui faire subir. Un sourire apparut sur son visage : ce n’était que partie remise.

Daniel, ça m’en coute, mais elle a raison. Pars d’ici. Nous ne pouvons pas risquer de te voir. Et préviens Tchempo que je veux le voir ce soir. Je dois m’expliquer avec lui.

Il acquiesça et disparut la seconde d’après dans la pièce adjacente. Une poignée de seconde après, plusieurs hommes déboulèrent dans la pièce, arme au poing, prêt à fondre sur la rouquine. Une voix perça dans la foule, sommant tout le monde de reculer, de s’arrêter, de ne rien faire. Un homme traversa cette mer de monde et déboula dans la pièce. Il était aussi grand que Charles, aussi vieux aussi. Des lunettes en demi-lune trônaient sur son nez aquilin. Il la regarda, repassa à son ami, et s’adressa à lui en lui posant une main sur l’épaule :

Charles ! On est venu nous prévenir… Est-ce que ça va ?
Bona… Oui, oui, ne vous inquiétez pas…
C’est elle, le… Cambrioleur ?
Oui…
Laissez-moi m’occuper, retournez prendre soin de vos convives…

Charles poussa un autre soupir. Il remercia l’homme avec une sincérité déconcertante pour qui le connaissait autrement. Tous sortirent, deux hommes vinrent garder la porte jusqu’à l’arrivée d’une escorte. Le juge, lui, se tenait droit devant elle, les mains dans les poches, confiant et certain qu’elle ne tenterait rien.

Elle ne tentera rien.

Mademoiselle…
Monsieur le Juge Bona…
Mh… J’ai une cellule parfaite pour vous.
Je n’en doute pas.

Il fit un petit sourire.

Vous vous êtes mis dans de sacrés beaux draps, si je puis me permettre…
C’est de famille, il faut croire.

De nouveau, un sourire. Et ensuite, un silence pesant. Jusqu’à l’arrivée de deux soldats qui entourèrent Lilou jusqu’à la faire sortir de la demeure des Badwin.
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