Voilà, c'était prêt. Une petite touche personnelle, le bouquet de tournesols sur l'étagère. Bon, c'était pas le mieux, mais vu les conditions il ne pouvait pas faire davantage. Wallace s'installa à son bureau, fit craquer les pieds du siège. Bon, ne pas trop bouger, première chose. Ses livres reposaient dans une imposante malle dissimulée derrière par un rideaux rapiécé, masquant une écoutille condamnée. Faute de place, on lui avait donné les anciens quartiers de la lingerie, mais il s'en contentait. Ce n'était pas mieux que de partager sa chambrée avec Oswald, après tout. Il rangea ses fiches, aligna ses stylos dans l'ordre de leur taille. Puis opta pour une classification par couleurs. Dieu que le temps passait lentement. Il avait pris soin de retourner l'unique miroir contre le mur, au lieu de le briser. Une attention louable s'il en était. Un tapis usé trônait devant la porte en bois qui barrait son office. Mais là, c'était encore les simples détails matériels de son bureau. Bien entendu, il possédait un casier à l'infirmerie. Il ne pouvait pourtant pas officier là-bas, au milieu des effluves d'éther et des gémissements de douleur. D'autant plus qu'il avait besoin d'un espace clos. On lui avait assuré que l'endroit n'était pas sur écoute ou autre, car personne n'avait trouvé utile de doter la lingerie de tels atours à l'époque.
Le Docteur se leva, redressa le tableau d'un champ de blé en été qu'il avait accroché au dessus du divan censé accueillir ses patients. Le temps commençait décidemment à se faire long. Mais il comprenait la réticence de l'équipage à venir se faire ausculter. Il était étranger. Il faisait peur à en fissurer les miroirs. Et puis bon, il avait beau mettre du parfum ... enfin, vous voyez ? Le chlore, ça agresse pas tant que ça les narines, mais c'est pas une odeur agréable. Raison pour laquelle il avait aéré d'ailleurs, une autre écoutille, disposée à gauche de son bureau, était restée ouverte. Il avait placé une chaise contre la porte pour créer un courant d'air. Et il avait veillé à ce que la porte soit assez peu ouverte pour qu'on ne vienne pas le dévisager du bout du couloir. Déjà qu'il n'aimait pas trop qu'on le pointe du doigt, ça c'était encore plus humiliant. Le monstre soupira de dépit, et entreprit de classer ses stylos par préférence d'utilisation. Le rouge pour souligner et entourer, le noir pour écrire ...
*toc toc*
Wallace se leva d'un broc, faisant craquer les pieds de son fauteuil. Les accoudoirs enserrèrent sa taille et y restèrent accrochés. Il se redressa donc, cogna la lampe de sa tête et se retourna pour aviser le truc qui lui collait au train. Ce faisant, il renversa son bureau comme s'il n'avait été qu'un fétus de paille et voulut enlever la chaise qui lui trônait sur le séant. Paniqué à l'idée de perdre la face devant son premier patient, il arracha le bois de son siège si vite qu'il l'éclata en deux. Grommelant, Wallace essaya de se débarrasser des débris et se pris les pieds dans le bureau à terre. Il s'affala de tout son long, écrabouillant ce dernier sous son poids. Le choc ébranla la pièce, faisant tomber vase et tableau par terre. Retenant un juron, le Docteur se retourna, au milieu des décombres, et se releva en cognant une fois de plus la lampe de son office. Il écarta les débris d'une main, les envoyant contre le mur et essaya de les cacher avec une partie du rideau rapiécé qui masquait sa malle. Présumant de sa force, il ne réussit qu'à arracher la tringle qui rebondit sur le sol avant que Wallace ne réussit à cacher ses méfaits. Se retournant, il se précipita vers la porte, se prit les pieds dans le tapis. Il se rattrapa sur le divan, perçant le tissu de ses ongles acérés, en faisant jaillir un ressort affuté.
"Hum ... entrez." fit-il.
Au fond de la pièce trônait un rideau cachant les restes de son bureau et de son siège. À terre, des tournesols dans leur eau. Le divan était ouvert en deux, quasiment, et un tableau brisé se cachait en dessous. Essayant de paraître le plus professionnel possible, Wallace se tenait sur son siège, les jambes croisées. Il mâchouillait le bout d'un stylo d'un air déterminé, comme le faisaient les plus grands psychologues de ce monde. Et un bloc note reposait sur sa cuisse. Ou comment ne pas perdre la face ...