Accroupi sous le porche de la piaule, je cherche un indice, quelque chose, quoi que ce soit. Mes yeux scrutent le moindre détail, ma main fouille le sable. Une saloperie se fiche dans mon doigt et manque de l’arracher. Je la retire du sol sans m’occuper du sang qui s’égoutte. C’est une tête de flèche. Je balance le bazar au loin et me reconcentre. Là, miracle, mes mirettes qui repèrent dans l’obscurité naissante une trace de sang. Un peu plus loin. Peut-être un survivant à qui poser des questions, j’y vais. J’oblique à droite une fois et je reste immobile. La nuit commence à s’installer et il n’y a personne dans la rue. Pas un chat. Les maisons qui la bordent ont leurs volets fermés, certaines sont probablement abandonnées vu leur état.
A force de patience, je perçois une lourde respiration, comme un râle discret. Je suis le bruit et je m’agenouille près un jeune qui a tout laissé tomber pour me rejoindre. Il a dit avant de partir qu’il reviendrait certainement leur raconter ses aventures. Il se tient devant moi, le thorax défoncé par une masse, probablement à rendre son dernier souffle.
« - Capitaine.
- Calme-toi garçon, économise ton souffle. Je vais te chercher de l’aide.
- Me mentez pas. Je sais que je suis foutu.
- …
- Ils sont partis par là. Ne laissez pas ces fils de putes s’en sortir. Je crois qu’ils ont le gamin. J’ai essayé de les arrêter, mais.
- C’est bien, brave petit. Je m’occupe du reste. »
Ce dialogue a dû épuiser ses dernières ressources car, tout de suite après, il a laissé échapper deux ou trois inspirations courtes avant de s’affaler. Je lui passe ma main sur les yeux et me relève, plus haineux que jamais, sur leurs traces.
Parvenu à l’orée de la ville au pas de course, je ne retrouve aucune piste et je commence à m’impatienter. Ces gens sont insaisissables selon la rumeur. J’aurais dû écouter, faire plus attention. Ces jeunes étaient sous ma responsabilité. J’aurais dû faire tellement plus pour eux. Maintenant, leurs corps sont à peine reconnaissables.
Il m’a fallu toute la force de ma volonté pour me calmer et pouvoir écouter les voix. Un groupe de personnes se déplace quelque part devant moi, un peu à droite. Ils ne sont pas bien loin, mais on les voit pas. Je me lance sur leurs traces en m’accrochant à cette intuition qui, seule, me guide vers eux. Difficile de contenir la rage qui gronde en moi. Malgré toutes mes tentatives, je ne suis jamais arrivé à mater la colère quand elle me prend et me bouffe de l’intérieur. Là, je peine à maintenir un semblant de calme avec la froide résolution de laisser libre cours à mes instincts le temps venu.
Le vent tape dur en ce début de soirée et me fouette régulièrement les yeux. Dans ma précipitation, j’ai pas prévu quelque chose pour me couvrir les globuleux. Si bien que je passe mon temps à regarder le sol. Mais, le fil ténu qui rattache leurs consciences à la mienne me donne la force de continuer. Et je pense que j’ai dû marcher plusieurs heures sans boire ni manger. Pourtant, je ne ressens ni fatigue ni douleur, juste l’envie d’écraser ces enfoirés jusqu’au dernier.
A un moment, j’ai entendu un plus grand nombre de voix. Ils se sont arrêtés et j’ai pu les rejoindre. Ils sont plus nombreux que je ne l’aurais cru. Et maintenant que je suis assez près, je distingue clairement des enfants et des femmes parmi eux. C’est plus un village qu’une troupe d’ennemis. Par contre, vu l’absence de bâtiment, ils sont nomades. Ça veut dire que si je les perds maintenant, je ne les retrouverai jamais.
J’observe de loin la disposition de leurs tentes. Ils ont en huit dont une centrale et sept en couronne autour. Il y a plus de femmes que d’hommes, mais plus d’adultes que d’enfants. Et leurs garces ont l’air armées et pas bien jouasses. De front, je vais probablement y perdre plus qu’y gagner. Alors, je décide de les grignoter peu à peu. Au plus noir de la nuit, sans feu dans les alentours, je suis aussi invisible à leurs yeux qu’eux aux miens. Cependant, j’entends la voix des deux sentinelles dans ma tête. Leur position, je la devine plus que je ne la voie. Silencieux, je m’approche de ces deux gars dont j’ignore les pensées et les égorge sans bruit. Je les allonge sans qu’ils mouftent, baignant dans leur sang. J’essuie ma lame sur le manteau de l’un d’eux et progresse prudemment dans le village. Après l’attaque, il semble que tout le monde soit allé se coucher tôt. Ces gens-là ne fêtent pas leur victoire. Ou alors ils sont en deuil de leurs compagnons.
De ce que j’ai vu, tout le monde se bat dans leur village, même les enfants. Mais, il me semble qu’au bruit des ronflements que les hommes logent au centre. Drôle de façon de protéger les leurs. La main sur la toile, je m’dis que ça ferait un putain de bon feu. Et que ce serait le meilleur moyen de prévenir d’éventuels renforts tout en dégraissant des enfoirés. Je sors mon briquet et je jette sur la tente la gourde d’alcool que je me traîne toujours avant d’allumer le feu à distance respectable. Puis, avant qu’ils ne se mettent en alerte, j’entre dans la tente et j’embroche un, puis deux, puis trois et encore un quatrième de leurs hommes avant que les premiers ne commencent à réagir.
Là, je me retrouve rapidement encerclé par des vétérans qui se connaissent sans doute très bien. Cela dit, par ma nouvelle capacité, j’arrive à lire un instant avant leurs mouvements et je romps leur formation par deux fois en prélevant pas mal de gus dans l’processus. Dehors, ça gueule fort, ils essayent d’éteindre le feu, mais celui-ci progresse. Je l’sens à la fournaise qui monte dans mon dos. La tente menace de s’effondrer sur nos gueules. Pourtant, je ne vois pas mes ennemis reculer. La peur ne les travaille pas. Tant mieux. Je ne suis pas d’humeur à faire preuve de pitié. Méthodique, je démembre, je décapite et découpe ces salauds. Sans me soucier des blessures qu’ils m’infligent quand ils arrivent à me toucher, je persiste debout au milieu des flammes qui dansent et des arceaux qui échappent de longues plaintes à distribuer des beignes.
Et puis, sur un mot sec, ils se sont retirés et un homme maniant deux sabres m’a fait face. Je reprends mon souffle en tentant d’évaluer la force de mon adversaire. Enfin, bon ou pas bon, je m’promets de m’le faire. Notre face à face prend un moment avant de s’engager, juste le temps qu’il faut pour qu’une femme entre dans la tente :
« Ygrène, nikt ! »
Moment de distraction dont j’ai profité pour briser la garde de mon adversaire et planter mon épée dans son épaule. La femme tente de se précipiter sur moi et je recule d’un grand pas.
« Ygrène, c’est un ordre : emmène tout le monde, ne prends que l’essentiel, rien qui te ralentisse. Je m’occupe de lui et je vous rejoins. »
Elle ne cille pas, le rouge qui lui monte aux joues est la seule marque de son désaccord. Par contre, elle se barre et on reste à deux alors qu’un pan de la tente s’est déjà écroulé faisant entrer un courant d’air qui ravive les flammes.
« - Etranger, tu as rendu mes frères au sable, tu vas maintenant...
- Ta gueule, gros con et défends-toi. »
C’est pas l’jour de m’les briser, faut croire. Lui par contre, j’ai rien contre lui péter deux ou trois os histoire de l’calmer. Le choc de nos lames est terrible. Ce gars a de la force dans ses bras, assez pour m’arracher la tête si je le laisse faire. Cela dit, avec nos deux épaules en écharpe, on a quand même un combat équilibré. Et puis, sa flamberge arrive presque à me démonter le coude à chaque coup. Par contre, à sa tronche, il ressent le contrecoup.
Plein duel, le regard vissé sur l’adversaire, les jambes en mouvement, chacun cherche la faille, l’interstice où coller la beigne à l’autre. Et, déjà, ça recommence. Il attaque vif, tout en finesse. Et moi, j’ai de la peine à tenir le rythme surtout parce qu’il me presse trop pour maintenir mon pouvoir en éveil. Il m’est même arrivé de lâcher prise un court moment, sauvé comme par miracle par un réflexe impromptu. Ebranlé à chaque coup de sa flamberge, effleuré de plus en plus souvent par son sabre, je ressens le tranchant de ses lames sur ma peau et la force de son bras jusque dans mes os. Et puis, sa concentration fait qu’il reste imperturbable malgré mes feintes et mes ripostes. Cet homme se bat avec la foi qu’il a en sa victoire.
Et moi, je lui mets sur la gueule avec la rage dans l’bide. Pas fini de voir ces gamins me mirer sans m’voir, figés dans des positions improbables. Tripes à l’air et odeur de viande rance. Voilà ce qui m’pousse à l’défigurer lui, à l’passer au fil de ma lame encore et encore. Et puis, plein l’cul de voir venir, de combattre sagement, d’analyser. Mon cul. J’ai toujours été un animal sauvage et c’est toujours comme ça que j’ai combattu. La paix avec moi-même, et me voilà déjà plus réceptif à mes propres sens. Alors, rageur, je reprends le dessus, je lui jette à la gueule mon épée courte et garde ma bâtarde garce dans mes deux mains. Coup de butoir après coup de boutoir, je brise sa garde en lambeaux. Je crame comme la pièce qui nous entoure et qui menace de m’frire la tronche, et à lui aussi. Moi, je m’sens en transe, comme une bête sans laisse, un chien sans muselière et je déballe toute ma colère sur lui. Et c’est dans cet état où je suis moi, tout entier que j’écoute la voix de ses coups le mieux. Jouer au maître zen n’est pas mon truc et c’est au hachoir que je lui refais la façade en repoussant ses pathétiques ripostes que j’entends venir avant de voir son bras partir. J’insiste sur lui, matraquage vertical à peine interrompu pour me remettre dans l’axe. Lui, les deux épées en opposition, à peine assez de vigilance pour bloquer. Je sens ses craintes effriter sa concentration. Il n’a jamais eu de combat aussi difficile.
« T’inquiète, petit, c’est ton dernier. »
Dans son visage, la stupéfaction de m’avoir entendu lire ses pensées. Et puis, un poignet qui visse mal sa prise et mon épée glisse et entame salement son épaule. Il titube, tombe à mes pieds, transi par une douleur qui irradie dans mon crâne. Je l’finis, chancelant, à peine debout d’un estoc au cœur.
Presque crevé le Julius, mais il aurait tué un sacré paquet de connards dans la vie. Là, j’ai plus tellement l’espoir qu’il va s’en sortir. Il s’est baisé seul et tout ce carnage ne va pas lui ramener ses gars. Non.
Marrant comme Mark n’en avait rien à foutre qu’on lui dézingue du pécore, il les vengeait, mais c’était seulement pour son image.
Julius, mon gars, t’es vraiment trop con. T’as jamais pu capter qu’à force d’ouvrir ton palpitant pour y loger des gus, ils finissent morts ou pire. T’es pas l’genre de compagnie qu’on recommande aux bonnes personnes. Et puis, est-ce si grave que tu meurs, là ?
Pas tellement, ta fille te hait, ta femme te hait, tous ceux qui te connaissent vraiment. Un boucher, c’est tout ce que t’es, un bon à rien, un déchet.
Tu crois vraiment que c’est pour venger ces personnes que tu t’es fourré là-dedans ? Tu te goures, gros con. Si tu le voulais vraiment, t’aurais juste pris ton temps, trouvé du renfort et le moyen de les prévenir discrètement. Tu voulais juste clamser avec l’excuse de l’héroïsme. Ce que tu n’piges pas, c’est que personne ne pleure les assassins, non personne. Ils ne meurent même pas dans l’indifférence, mais dans le soulagement.
Le seul héros ici est cette poutre qui t’as éclaté le crâne.