Au milieu du chemin de notre vie, je me retrouvai par une forêt obscure car la voie droite était perdue…Dévalé un gouffre sans fin. Perdre de son souffle dans la course, les cailloux esquintant la peau à côté de la crête, les joues, les mains. Les vêtements déjà en piètre état, déchirés. Une énorme chute. Mais pas que. Un cap. Une chute de la vie à la mort. Car en ces lieux, il n’y avait aucune couleur. Perdu. Aucune senteur, rien à toucher. Rien que la douleur de la descente. Douceur ironique. Aucune parole, rien que les oreilles puissent feindre d’entendre. Même pas le souffle. Rien que les yeux puissent feindre de voir, même pas les images qu’on se fait quand on arrive pas à dormir. Dormir ? Ici, ce serait synonyme de dire Adieu. De partir pour de bon, à la grande joie des autres qui ont toujours détesté ce que vous incarniez. La peste, le choléra, le rat, scélérat, hardeau, vaurien.
Sombre. Un vide de surfaces noires. Les yeux clignotent et pourtant, rien ne change, toujours cette non-couleur, toujours ce que vous avez fait dans votre vie. Le soleil n’est plus là pour le rendre plus clair, hélas. Aucune teinte pour le nuancer. Condamné à rester en sa compagnie, celui qui fait peur aux enfants et à d’autres phobistes, malades, fanatiques et curés. La question est, êtes-vous un de ces cités ? On ne doit avoir peur, si ce n’est des objets qui pourraient engendrer le malheur du prochain : pour le reste, aucun mal n’est digne d’être craint. Alors ne craignez pas de mourir, craignez de voir quelqu’un d'aimé mourir. Souffrez, pleurez et ne vivez plus un instant. Réfléchissez à ces mots ensuite : auriez-vous peur pour vous ou pour cette personne tant aimé ? Vous souffrez de ne plus la voir mais souffrez-vous pour elle ? Parce que personne ne craint la mort. La mort n’est que le cadet de la solitude, celle qui vous fait si différent, Kiril. Celle qui vous a appris à l’être, à voir autrement, à voir le masque mortuaire de son cadet. Un masque noir qui n’a ni œil, ni nez, ni bouche, ni oreille. Car vous n’en aurez pas besoin une fois que le moment sera enfin arrivé. Vous ne ferez que visionnez ce que vous avez accompli. Ce noir. Ce masque que vous avez décidé de porter à la seconde où vous êtes né. Un masque pour ne pas voir un monde cruel, un masque pour ne pas qu’on voit votre visage effrayé. Aviez-vous peur pour vous ou pour eux ? La règle à laquelle vous serez soumis, non, la phrase, que vous verrez affichée dans le Royaume des Frères sera celle-ci :
Une folie contre une autre.
Portez ce masque, et vous ne verrez plus rien, pas même ce que vous avez accompli durant votre vie passée car ce voile vous la vole pour vous montrer ce que vous avez vu et pas ce que vous avez refusé de voir. Lamentez-vous. Repentez-vous. Mais en ces lieux, personne ne peut vous absoudre qu’un Dieu qui en a déjà perdu les pouvoirs. Par moi, vous pénétrez dans la cité des peines, par moi vous pénétrez dans la douleur sans fin, par moi vous pénétrez parmi la gente perdue. Et, une folie contre une autre, si vous parvenez à ne pas vous perdre durant ce voyage, peut-être arriverez-vous à ouvrir les yeux. Mais je vous préviens, l’humanité est bien plus horrible que toutes les horreurs qu’elle peut trouver à raconter.
Alors, vous qui entrez, abandonnez toutes espérances.
Espérances que vous avez toujours eues, depuis le voile de la mort, son masque, son trésor. Espérances de pouvoir un jour l’enlever et découvrir un monde sain, de devenir l’homme que n’avez jamais pu être, de recouvrir la vie. Car les yeux de la mort offre la mort. Elle vous consume petit à petit tandis que vous vous efforcez à cacher votre visage de sa Sœur. Celle qu’on craint encore plus que lui. Celle qui hante et règne sur bien des cauchemars de peur qu’elle se finisse. Avez-vous peur du début ou de la fin ? Or quand la Mort commence, c’est la Vie qui se finit. Les curés ne vous ne le conte pas, ça. Kiril, défaites-vous de ce masque et oubliez tous les doutes car ce n’est pas Ici qu’un lâche peut entrer.
Abandonnez foi aux savants, ceux qui oublient la chaleur des sentiments et de l’apathie, ceux qui préfèrent le froid de l’intellect. Mais que savent-ils ? Ils n’ont regardé rien que le Ciel, les Astres et les Etoiles. Ils pensaient pouvoir s’enfuir des maux et douleurs que tout homme doit subir pour connaître et endurer la vérité. Alors ils ont créé des théories que vous ne devez pas écouter, ni entendre. Ici, des pleurs, des soupirs des lamentations résonnent de partout dans un air privé d’étoiles. Ici la nuit est noir, obscure, sombre. Elle se resserre jusqu’à être si proche qu’elle atteint les fronts. Et susurre des mots et discours étranges aux oreilles des malheureux. Des mots de la douleur, des cris, des complaintes. C’est là la triste destinée qui guette les esprits de ceux qui ont refusé de regarder et de voir. Ils demeurent ici, mêlés au chœur des anges qui n’aiment qu’eux-mêmes. Il y a là des visages baignant dans des ruisseaux de sang se mêlant aux pleurs de ces derniers. Ne baissez pas la tête, ici, vous ne pouvez être lâche. N’écoutez pas le bruit infini des lamentations ou si, écoutez-le. Peut-être qu’au milieu des grandes tirades, vous en reconnaîtrez certaines.
Lana... Ma mère...
Plus loin, près d’un puits quelconque, de regrets, voici une troupe d’esprits peinés, courbés et soupirant. Eux, n’ont pas commis de pêché mais ont refusé de voir tout comme les savants. Leur seule peine est de vivre et d’attendre. En ignorant l’espoir.
Comme vous.
Laissez-moi...
Mais le voyage n’a pas encore commencé, Kiril, et, bientôt nous entrerons dans les cercles, les lieux où rien ne luit. Les lieux des pêchés. Tout ça pour vous permettre d’ouvrir les yeux. Vous découvrirez bientôt que vous ne pouvez pas seulement mourir. Vous appellerez en attendant, comme vous voulez, celui qui se trouve dans le premier des cercles. Celui qui juge et soupèse les fautes, qui décide dans quel coin de l’enfer l’âme devrait être redirigé. Le responsable de tous ces malheurs.
Un démon... Laissez-moi... Laissez-moi...
Il y a un antre sans lumière qui mène au deuxième, à côté de son tribunal, un antre où rugit tourments et vagues. A cause du tourbillon qui punit ceux qui ont perdu la vie par Amour ou qui ont été trop luxurieux. Et je vous regarde car j’en ai bien des raisons à cause de celle que vous considérez comme l’amour de votre vie, celle à qui vous vous destinez, celle qui vous a empêché de vous rendre en Enfer avant. Vous pourriez très bien être jeté dans ce tourbillon pour une éternité.
Lana... Laisse-la...
Réveillez-vous ensuite dans le troisième cercle où vous verrez plein de tourmentés s’étendant aussi loin que vous pouvez tourner les yeux et regardez. Ici, la pluie ne cesse de tomber sur des corps gisant au sol les uns sur les autres. Il y a là des aveugles, leur tête à jamais plongée dans le sol, les jambes en l’air. Ne laissez pas la gourmandise alourdir votre vie déjà légère.
Je veux voir... Je veux voir !
Dans la quatrième fosse, vous verrez plus de gens que nulle part ailleurs, hurlant terriblement divisés en deux bandes et poussant devant eux des fardeaux inouïs. A la fin de leur course ils se heurtent entre eux et reprennent aussitôt leur pénible travail. Faut-il imaginer Sisyphe heureux ? Ici règnent les avares et les prodigues. Quand ils se croisent deux questions résonnent : « Pourquoi tiens-tu ? » et « Pourquoi lâches-tu ? » Mal donner et mal tenir leur a ôté le beau séjour et mis en cette échauffourée.
Laissez-moi... Je veux voir !
Plus bas se noient dans les eaux boueuses du Styx ceux qui sont tombés dans la colère. Mais ici ne sont pas les plus grands tourments ! Il vous faut avancer encore pour que vos yeux se remplissent de pitié et de douleur. Et surtout, qu’ils s’ouvrent. Quand le voyage prendra sa fin vous serez un autre homme. Celui auquel vous étiez destiné mais hélas, la crainte est plus forte que tout, compagne de la solitude. Vous ne pouvez pas seulement mourir… Car nous arrivons dans les fosses où le sens de la punition prend tout son sens. Et là, où je vous l’accorde, vous auriez raison d’avoir peur. Dans ces lagons où ne se reflète nulle étoile.