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Là où tout finira.

Le Juge Bona rentra dans son bureau à dix heures ce matin-là, déposant son chapeau sur un porte manteau avant d’aller s’assoir sur sa chaise rembourrée. L’homme était grand et élancé, l’air sympathique derrière ses lunettes en demi-lunes. Une calvitie rongeait le sommet de son front, les rides marquaient son âge déjà avancé, il avait une barbe grisonnante entretenue. Soupirant, il se frotta les yeux et fit un grand sourire en regardant par la fenêtre : encore une bonne journée pour mettre des méchants en prison avec les joies de l’administration. Alors qu’il s’apprêtait à lire son courrier déjà posé sur son bureau, son assistant frappa à la porte et entra lorsqu’on le lui permit :

Monsieur le juge ? Un colis urgent…

On lui déposa un énorme carton, aussi long que large sur son bureau en chêne massif, lui mangeant tout l’espace disponible. Il poussa un long soupir et l’ouvrit grâce à un coupe-papier à côté. Il replia le carton, regarda à l’intérieur. Replaçant ses lunettes, il saisit à l’aide de ses mains rêches un sabre de très bonne facture. Il la reposa et prit ensuite une pile de papier qu’il parcourut rapidement sans vraiment la comprendre. Puis un carnet, pour faire la même chose. Enfin, il aperçut une lettre probablement tombée au cours du voyage, qu’il sortit de son enveloppe, signée « à l’attention du Juge Bona ». Il nota l’écriture féminine et lut avec attention :

Monsieur,

Je viens à travers cette lettre ouverte me justifier quant à mes derniers actes sur votre île. Loin de moi l’idée de me disculper de quoique ce soit, mais je veux plutôt expliquer les raisons de mes agissements, ainsi que porter à votre attention les recherches que j’ai menées et qui m’ont conduite à cambrioler une résidence, m’évader de prison et détruire partiellement le palais des Badwin. Lettre qui vous conduira indéniablement à arrêter Charles Badwin, et garder sous les verrous durablement Vassilii Tchempo.

J’ai eu, par le passé, plusieurs fois l’occasion de me frotter à un criminel activement recherché sur les Blues, mais qui restait jusqu’ici intouchable et surtout introuvable. Son nom ne vous dira peut-être rien, ou en tout cas pas grand-chose, mais Igor Gargarismov est le genre d’homme que le commun des mortels qualifierait d’infréquentable, et le Gouvernement mondial de nuisible. Mon expérience ne peut que conforter ces dires, puisqu’à travers le long voyage que j’ai mené depuis, ma route a, à de nombreuses reprises, croisé celle de cet homme, m’en coutant beaucoup. J’y ai gagné dans un premier temps un mentor en m’attaquant malgré moi à une cellule sur Manshon qui tenait les paris illégaux de l’île. A la tête de celle-ci, Le Taureau qui fut capturé et pour le moins amoché par un compagnon de route ne répondant plus de la violence et des pressions exercés sur son île.
Dans un second temps, j’y ai perdu momentanément l’usage d’une main mais surtout, l’ami suscité qui est depuis porté disparu. C’est cette disparition qui m’a poussée à m’intéresser aux agissements d’Igor Gargarismov, et ce que j’y ai découvert m’a fait d’abord froid dans le dos avant de me faire bouillir de rage. Si je devais vous décrire Igor, intouchable ne serait pas que le terme que j’utiliserais : sans cœur, avare, opportuniste, manipulateur, assassin, conviendraient sans doute mieux. Il m’est certes facile de cracher sur le dos d’un criminel, veuillez noter que je pense exactement la même chose de Charles Badwin, à raison puisque le premier et le second ne font qu’un.

Que d’hardiesse, me direz-vous en lisant ceci, surtout venant de celle qui a délibérément incendié la demeure de ce noble très connu et apprécié d’Alabasta, qui doit faire partie de vos connaissances sans doute les plus intimes, compte tenu de votre présence à son bal la semaine précédente. Sachez néanmoins, Monsieur, que j’ai mis un temps fou à en venir à cette conclusion, d’abord appuyée par une des victimes d’Igor, puis par des preuves tangibles que vous aurez à votre disposition et que je vous aiderais à traduire. Et avant qu’on ne rajoute « calomnies » à mes charges parce qu’il est vrai que parler sans preuves est un crime, pourriez-vous répondre à ceci :
- Depuis tout ce temps où vous semblez connaitre Badwin, savez-vous quel est ce gagne-pain qui l’a mené à une si grande fortune ? J’ai ouï dire qu’il possédait certaines entreprises d’exportation, qu’il travaillait pour un chantier naval, ou quelque chose de cet acabit. Vous me direz sans doute la même chose, puisque tout ce temps, Charles Badwin est resté suffisamment évasif pour ne pas qu’on pose de questions, et suffisamment charismatique pour ne pas attirer l’attention. Mais selon mes calculs, il est presque impossible d’amasser autant d’argent en si peu de temps avec deux trois entreprises disséminées sur les Blues. Nous parlons d’un compte en banque à douze zéros… Et entendons-nous : les Blues ne sont pas forcément un marché attractif. Il y a du monde, mais pas assez avec le portefeuille bien garni pour correspondre aux revenus de Charles. Alabasta ? Il n’a ici, en réalité, que son palais et quelques appartements dans les différentes cités, certainement pas de quoi engranger de la fortune sur du court terme. Alors, comment expliquer qu’il soit devenu si riche, si vite ?
- L’argent, alors… D’où vient-il ? On ne pose pas la question à de bons amis, n’est-ce pas ? Il serait peut-être temps de franchir cette étape. Mais demandez-vous aussi : Si c’est de l’argent sale comme je le sous-entends plutôt clairement, où est-il réinjecté ? Là, vous n’aimerez pas la réponse.
- Devenir un noble d’Alabasta, à seulement vingt-cinq ans ? Et obtenir ce titre sitôt à la sueur de son front ? Charles Badwin est soit un modèle de réussite, soit un sacré menteur. Devinez sur quoi je mise.
- Quid de sa relation pour le moins étroite avec Vassilii, qui lui, ne se cache pas d’être un criminel ? Attraper Tchempo dans la demeure des Badwin le jour de cet incendie à en tout cas de quoi éveiller les soupçons, et on ne pourra pas lui remettre la responsabilité de l’incident sur les épaules : je le revendique et l’affirme, c’est entièrement de ma faute. Alors… Que faisait-il ici ?

Les suspicions s’éveillent, je n’en doute pas, mais elles ne sont pas des preuves. Pour ça, j’ai une solution dont vous pourrez vous servir en temps venu : Vous trouverez ci-joint un carnet qui vous apparaitra d’un prime abord énigmatique tant son contenu est codé. Il est de mon devoir de vous orienter et de vous donner les moyens de le comprendre. Notez que ce carnet a été trouvé dans les biens de Monsieur Charles Badwin suite à mon enquête. Ce dernier a mis au point un système qui semble complexe dans un premier temps mais qui est assez simple en réalité. Chaque code est divisible en trois parties avec une ossature fixe qui est la suivante : +/- XXXX XM P/C/D suivi en général d’un nom ou d’un surnom.
Le premier code de quatre chiffres correspond à une date précise ou a eu lieu une transaction d’argent, la deuxième correspond à la somme reçue (en millions mais plus souvent en milliers, pour que la transaction soit plus discrète et de ce fait, moins décelable). Le +/- correspond à des rentrées ou des sorties d’argent, de ses gains ou pertes. P/C/D veulent dire respectivement « Prostitution, Combat et Dette », pour déterminer quel secteur d’activité lui rapporte le plus.

Bien entendu, vous n’êtes pour l’instant pas à même de croire mes allégations, ou tout du moins ce qui peut y ressembler. J’ai fait ma propre enquête et ai tenté de joindre certaines des personnes citées sur ce carnet. Beaucoup n’ont pas répondu, certaines m’ont insultée, d’autres ont choisi de vérifier mes dires. C’est en partie ce qui m’a servi à reconstruire le code de monsieur Badwin. Badwin qu’ils ne connaissaient pas sous ce nom-là, mais sous celui d’Igor Gargarismov. Vous trouverez aussi toute l’enquête minutieuse menée, ainsi que la retranscription des conversations que j’ai pu avoir avec toutes les personnes que j’ai pu joindre. Certaines vous intéresseront beaucoup. Pour apporter de l’eau au moulin, deux témoins sont prêts à témoigner à charge contre Badwin, ou Gargarismov pensent-ils plutôt, le jour où vous vous déciderez à ouvrir un procès.
Je me suis permise néanmoins de piocher au hasard dans ce petit livre de compte et de faire des rapprochements avec certains achats de Badwin. Vous trouverez le hasard fantastique, un peu comme l’a été ma satisfaction lorsque je me suis rendue compte de ces correspondances. Un endetté verse sa somme à tel date à Igor Gargarismov et Charles Badwin s’achète(nt) une nouvelle œuvre d’art qu’il entrepose dans sa somptueuse galerie. Je suis certaine qu’en fouillant un peu plus, vous trouverez des transactions d’argent partant de Badwin jusqu’au compte en banque de Tchempo, lui aussi joliment garni. Pour vous faciliter la tâche, je l’ai déjà fait. De rien.
A propos du Taureau : Derrière les barreaux de sa cellule, il ne taira pas plus longtemps le nom de ses patrons lorsqu’il rentrera en possession d’une lettre de ce même acabit, lui donnant la possibilité de retrouver la liberté plus tôt en échange de son témoignage. Je peux vous sembler confiante, mais croyez bien que j’ai les moyens de l’être, et constatez surtout.

Ici, j’ai la certitude d’avoir votre intérêt. Ne vous gênez pas pour feuilleter et revérifier les comptes si l’envie vous en prend. Trois passages valent mieux que deux, j’imagine. Je me suis permise de joindre un autre papier que je tiens d’une source proche : vous souvenez vous de la découverte, il y a trois semaines de cela, d’un navire à la dérive au large d’Alabasta ? Il a semblé selon les journaux et l’enquête préliminaire que la cargaison était faite d’esclaves et d’armes, mais que vous n’aviez pas assez de preuves pour remonter au propriétaire du navire ainsi qu’à ladite cargaison. Ce papier que je vous donne sur un plateau d’argent relie le navire à Igor, Igor à Alabasta ainsi qu’à Badwin. La transaction a été signée le 03/02, devait arriver à destination le plus discrètement possible. Vous trouverez dans ce livre de compte le montant de la transaction affiché à la date du 03/02. Je m’excuse cependant de ne pas avoir retrouvé la cargaison malgré une enquête minutieuse. Elle aurait été d’autant plus accablante, mais les charges sont déjà suffisamment lourdes, vous ne trouvez pas ?

Non, effectivement. Un dernier point : Le Lieutenant-Colonel Jenkins a suivi une autre piste que nous avons trouvée, quant à une transaction d’armes destinée à la révolution. Il est allé interrompre cette transaction et a fait en sorte d’arrêter les responsables. Nous avons tous ce papier, et elle est signée bêtement du nom « Badwin ». Les révolutionnaires ont clairement identifié l’ainé Badwin, Michael.

Je m’arrête ici et vous laisse aviser en conséquence. Ne dérangez personne pour me faire sortir de ma cellule, le Contre-Amiral Fenyang s’en est chargé à votre place, également pour ce qui est de me taper sur les doigts pour mes actions. Vous trouverez néanmoins en compensation l’arrestation de trois criminels dangereux, et je vous remets également le Meitou de Vassilii, saisi sur les lieux, qui ne lui sera plus d’aucune utilité désormais.

Je me permets de surveiller de près le déroulement de l’enquête. Et je vous jure de ne plus remettre les pieds à Alabasta avant un petit moment. Excusez encore les désagréments occasionnés. Je vous laisse mon flambeau, prenez-en soin, Monsieur.

Bien à vous.

Lilou Bennett Jacob.
Sans s’en être rendu compte, l’homme s’était installé confortablement sur son siège. Il avait tout suivi avec une attention particulière, d’abord avec des aprioris, enfin avec intérêt. Il avait touché à tous les objets, vérifié les évidences que soulevaient la lettre. Plusieurs fois, il s’était arrêté pour fouiller dans ses souvenirs. Fronçant les sourcils, il poussa un soupir en posant le papier juste à côté. Retirant ses lunettes, mordillant la tige avec un air distrait. Il songea un temps, puis appela son assistant en lui demandant d’ouvrir un dossier sur Charles Badwin, de programmer une audience. L’homme sembla surpris mais s’exécuta sans poser de question.

Un autre soupir.

Il eut un sourire en pensant que certains ne manquaient pas de toupet.
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Accusé levez-vous. Jury, êtes-vous arrivés à un verdict ?

Oui Votre Honneur.

Pour les charges pesant sur Charles Badwin de complot à l’échelle nationale, réseau illégal de contrebande, vol en bande organisée, association de malfaiteurs, meurtre, tentative de meurtre et corruption, Nous, Jury de ce procès, déclarons l’accusé… coupable.

Pour les charges pesant sur Vassilii Tchempo de corruption, meurtre, tentative de meurtre, vol en bande organisée, association de malfaiteurs, agressions, Nous, Jury de ce procès, déclarons l’accusé… coupable.

Pour les charges pesant sur Michael Badwin de corruption, association de malfaiteurs et trafic d’armes, nous déclarons l’accusé… coupable.
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CINQ ANS POUR L’UN, PERPETUITE POUR LES DEUX AUTRES.



C’en est fini des méfaits d’Igor Gargarismov et Vassilii Tchempo. La cour a condamné les deux hommes à la perpétuité, sans possibilité de remise de peine avant minimum trente ans. Ainsi se termine le terrible procès qui a défrayé la chronique ces dernières semaines, sur les agissements d’un noble familier de tous sur l’île d’Alabasta. Les révélations furent pour le moins choquantes, comme les répercussions : Badwin est condamné pour presque dix chefs d’accusation différents, allant du vol au meurtre, cachés derrière une singulière association de malfaiteurs. Selon l’accusation qui a remporté la partie, rappelons-le, le couple de criminels avait amassé des centaines de millions de berries grâce à leurs trafics de paris, combats et prostitutions, et selon les dernières nouvelles, le duo comptait se mettre rapidement à l’esclavagisme en s’associant avec plusieurs revendeurs et acheteurs dans la haute société. A n’en pas douter, les deux hommes comptaient négocier un sursis avec des noms à revendre, mais le Juge Bona est intransigeant désormais : l’enquête, menée par l’intrigante Lilou Bennett Jacob, ne permet pas beaucoup de marge de manœuvre, ne laissant que peu d’alternatives à Gargarismov et Tchempo. Ajoutons qu’Edward Bona n’a, selon ses déclarations, « aucunement l’intention de rouvrir des négociations ». Et quand on interroge la timide demoiselle Jacob sur ce qui l’a poussée à enquêter jusqu’à ce point sur Charles Badwin, elle ne répond que d’amitié et de justice : « Je crois en l’emblème que je défends, mieux : je crois en l’humanité. J’ai peut-être des méthodes peu orthodoxes, mais je ne permettrais pas à un homme de sévir et opprimer pour de l’argent, du pouvoir, ou pour le plaisir. » et avec l’air déterminé d’ajouter : « Les prochains sont prévenus. Je ne les laisserai pas faire… Les Rhinos Storm ne les laisseront pas faire. »
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Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?
Oh… Des trucs bêtes… M’installer, travailler, me la couler douce…

Jörg fit un petit sourire en se passant la main dans les cheveux. Gardant toujours son air malicieux, l’homme semblait plus serein depuis l’arrestation de Badwin et la fin du procès. Il ne lui restait que peu de marques de son entrevue avec Daniel, puis de l’altercation avec Vassilii. Une cicatrice restait tout de même au niveau de son œil, comme une brulure encore rouge sur son menton.

Trouver l’amour.

La jeune fille pouffa de rire, tandis que lui se contenta d’un sourire dévoilant toutes ses dents. Il jeta un coup d’œil derrière Lilou brièvement, puis elle reprit la parole en se tenant toujours les côtes :

Mauvaise idée.
Ta tante, elle est seule non ?...
Très mauvaise idée, Jörg.
Arh, quel dommage…

Plus pour l’humour que pour le sérieux, il s’arrêta pour de bon. Elle, se mit les mains dans les poches en attendant de pouvoir dire quelque chose. Le cœur serré, sûre de la réponse pourtant, elle tenta quand même :

Tu ne veux pas me suivre ? Venir avec moi ?

Il souffla, bruyamment. Puis suivit un autre sourire, sincère :

Non, je crois pas Lilou. Tout ça, c’est pas pour moi. J’suis un électron trop libre pour ça.
D’accord.

Regardant encore une fois derrière la jeune fille, il détailla la stature du Contre-Amiral qui attendait patiemment. Sur le quai, prêt à embarquer, tout aussi pressé, il dit :

Tu devrais y aller.

Lilou se retourna, regarda Salem avec un sourire. Il le lui rendit en remarquant qu’elle le fixait, l’incita à continuer. Jörg comprit sans un mot ce qui l’attendait. Il comprit qu’elle avait un rendez-vous important, plus important qu’il ne le serait jamais pour elle

Ils t’attendent.

Elle déglutit péniblement, souriant toujours. Au fond, elle l’aimait bien. Au fond, il l’aimait bien aussi.

A bientôt ?

Elle tourna les talons en le saluant, belle comme un cœur dans une petite robe en voile. Elle tourna les talons et il songea à Marie-Belle, la tante de Lilou. Et il songea que cette femme était bien assez belle pour lui, qu’il tenterait sa chance.

A bientôt, Lilou.
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Sonny Badwin ?

A la fenêtre du petit appartement se dessine la silhouette d’un homme muscle. A contre-jour, le jeune Sonny fronce les sourcils et quitte son bureau pour inviter la personne à entrer sans plus s’étonner. Il attrape un papier sur son meuble et le passe à son visiteur qui s’en saisit avec un petit sourire.

C’est vous, la lettre ?
Ouaip.
Qu’est-ce que vous voulez ?

Sonny observe et reste aux aguets. L’homme qui lui fait face, il l’a déjà vu quelque part. Au hasard, sur une affiche de prime. Son nom lui revient vite en mémoire, mais pas plus tracassé que ça, il l’invite même à s’assoir sur un fauteuil en cuir rembourré. Sonny est un homme assez sûr de lui pour faire face à un criminel. Donc, Punk prend ses aises, il parcourt la pièce en attrapant tous les petits objets qui lui tombent sous la main, en plonge certain dans sa poche. Il regarde, revient, s’installe et parle :

Te proposer un arrangement.

Sonny éclate de rire. S’installant dans son propre fauteuil, il se tient l’arête du nez avec un sourire béat qui en dit long sur ce qu’il pense de son vis-à-vis :

Très drôle ! Et qu’est-ce qui me pousserait à accepter un arrangement avec un criminel notoire ?
Come on, Sonny. T’as déjà fait pire, viens pas me la jouer sainte-nitouche : ça marche pas sur moi et t’es loin d’être une sainte.
Je ne vous permets pas…
Moi, j’me permets. T’es un type malin, Sonny. Mais je suis plus malin que toi.

En disant cela, Punk se redresse et se rapproche du jeune blond. Le sourire malicieux qui va bien à la situation, il se relève précipitamment et commence à faire les cent pas dans la pièce en entamant une sorte d’explication qu’il déclara en agitant ses mains :

Les armes pour la Révolution, c’était pas par appât du gain. Je sais, j’suis pas con. J’me disais ça quand j’me suis rendu compte que les Révos capturés ont balancé sans faire de zèle ton frère. J’me disais que ça sentait le truc fourbe à plein nez. Pourquoi balancer son fournisseur quand on est révo et qu’on a besoin de moyen ? Ils se sont pris tellement de dérouillés dernièrement qu’un allié, c’est précieux. Puis j’me suis dit : à mon avis, c’pauvre Michael, c’t’une tête de turc, on lui fait porter le chapeau pour pas emmerder un autre. Puis j’me suis dit : qui est-ce qu’on veut pas emmerder ? Charles ? Aucun intérêt : il a pris pour perpet’ de toute façon et c’qu’il faisait, ça rentrait pas dans les bonnes grâces de Freeman. Tchempo ? Un sale type. Madame Badwin ? La pauvre femme est tellement effondrée qu’ça m’étonnerait qu’ça soit elle. Reste qui, en fin de compte ?
Moi.
Toi. Exactement. Et c’est pas par appât du gain qu’tu fais ça, mais par conviction. C’beau, Sonny, vraiment. L’émotion, l’engagement. J’en aurais presque la larmichette, dis.

Sonny déglutit péniblement. Découvert par un forban de bas étage. Grinçant des dents, il prend une grande inspiration et se prépare au pire :

Et donc ?
Et donc, je te propose un deal. J’veux le marché de ton père. Dans les grandes lignes. Et soit tu m’assistes, soit tu me le files, soit j’te balance gentiment. Soit je te tue, mais tu n’aimerais pas ça.
Qu’est-ce que j’y gagne ?
La liberté, bon dieu d’bois. La liberté, gamin.
Si je vous assiste, je peux continuer ce que je faisais pour la Révolution ?
Bien sûr. J’crache pas là-d’ssus. A une condition !
Laquelle ?
Pas de paperasse. On fait ça entre nous. On reste discret. Pas de paperasse. L’administration, ça tue.

Le blond y songe. Il fait les connexions dans sa tête, réfléchit. Il y gagne. Un peu. En tout cas, il n’y perd rien.

Hun… C’est vous qui avez balancé mon père, n’est-ce pas ?…
Bien vu l’aveugle. J’étais sur le navire, j’ai piqué la marchandise, laissé un bateau fantôme. Et j’me suis dit « mon p’tit Punk, y’a bien un truc à exploiter. » Concours de circonstances, rien de personnel.
Je vois.

Sonny sourit. Pas personnel. Il ne lui en veut pas. Punk n’a fait que précipiter les choses, il n’y avait rien à empêcher. Et l’arrangement lui convient de plus en plus. Se raclant la gorge, il ose revendiquer quelque chose :

J’ai aussi une condition.
J’t’écoute.
Pas d’esclavagisme, pas de prostitution. Les paris et les combats illégaux, c’est votre affaire, je m’en lave les mains. Par contre, je me charge de la contrebande et des armes.

Punk affiche un grand sourire. Il tend la main vers Sonny :

On a un deal ?

Le fils Badwin s’en empare et la sert fermement :

On a un deal.
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