L'aurore. Un lever de soleil, dans un ciel vierge de tout nuage se dévoile à son public; l'homme. Il est seul, au milieu d'une clairière encore endormie, cintrée d'un jardin de fleurs et d'un bosquet; havre de paix derrière un simple rempart de verdure, retiré loin de tout et pourtant cerné par la ville. Il est assis confortablement sur son banc de pierre, les coudes calés sur le dossier, les jambes étirées au loin devant lui, dans une posture qui ne lui ressemble pas. Posée à côté de lui, sa veste de cuir noire qu'il a ôtée un peu plus tôt pour s'offrir des mouvements plus amples. Il ne l'a pas remise, il fait déjà bon. L'astre découpe l'horizon, paisible, rougeoyant. Il le regarde s'élever lentement, le toise presque. Face à face silencieux. Il ne détourne pas le regard, son unique œil valide scrute intensément la boule incandescente. Qu'il sait en train de lui accorder toute son attention en retour. Nulle aspérité dans ce halo aux couleurs chaudes. Nulle trace d'effort sur son visage. Non, ses traits sont relâchés, sa respiration douce. Il défie sereinement l'étoile, simplement, par goût ou par habitude.
Autour, il ne se passe rien. Pas un marcheur sur le sentier qui découpe le jardin, pas un oiseau qui vienne se glisser un temps entre lui et la lumière. Les bruits de pas de l'extérieur ne parviennent pas jusqu'ici, absorbés par les arbres. Le chant des vagues, depuis le port, s'essouffle un peu plus avant. Pas même une timide brise, une caresse du vent pour venir froisser branches et feuilles. Juste, une scène figée, avec lui en son centre. On pourrait le croire un élément de décor tant son immobilité est totale. Un tableau unique, parfait. Une tranche d'éternité éphémère. Un seul détail donne vie à l'ensemble. Un son. Un bruit léger qui revient, succinct mais périodique; comme le tic-tac d'une horloge, comme les battements d'un cœur. Il émane de lui, mais pas de sa poitrine. De ses doigts. Le long de sa main au repos, depuis la base des phalanges, coule un liquide rouge et gluant. Du sang. Qui perle, gouttelette après gouttelette, à intervalle régulier, sur l'assise du banc. Plic. Ploc. Plic. Ploc.
Il pourrait l'essuyer, chercher à s'en débarrasser; mais il n'en fait rien. La sensation de ce corps étranger qui roule le long de sa peau ne le dérange pas. C'est chaud, c'est apaisant. Et familier, surtout. Il a appris à voir au delà de la douleur qui exsude par chaque goutte versée, au delà de la vie qui s'écoule, vacille et s'éteint par les meurtrissures provoquées. Une couche protectrice. Une source de réconfort, presque. Mais, là, sur ce banc à ce moment précis, ce n'est pas pareil. Il ne ressent pas la satisfaction d'avoir vaincu. Pas cette envoûtante adrénaline qui vient masser son corps, se distiller dans ses artères. Aujourd'hui, contrairement à d'ordinaire, il laisse son environnement lui proposer ses bienfaits, murmurer ses chants à son oreille pour panser ses plaies, soigner ses maux. Une douce thérapie. Ce n'est pas dans ses habitudes, mais pourquoi pas. Ici, c'est bien. Il n'y a rien, personne. Juste, le soleil. Une cohabitation nouvelle. Il a rarement pris le temps de l'observer, de l'admirer. Sa lumière est trop agressive, sa chaleur trop étouffante. Et son emprise sur les gens trop malsaine. Un pouvoir oppressant. Qu'il fuit, le plus souvent possible. Mais pas ce matin.
Quelque chose est différent. Le goût de l'air, peut-être ? Le poids de la terre, sous ses pieds. Il a envie de s'arrêter, un temps, de respirer librement, l'esprit en veille. Être assis, là, les muscles détendus, les crocs du chasseur rentrés sagement, enfouis très loin dans son esprit. Une étreinte qui se relâche, une entité qui se libère de la pression qu'elle a toujours subie et essaye de communiquer; maladroitement pour n'avoir jamais vraiment eu cette opportunité. Sensation nouvelle, qu'il appréhende. Il ne saurait dire si elle lui plait. Il se sent étranger à son propre corps, veille à demeurer immobile pour être sûr de ne pas s'en séparer. Peut-être n'est-ce que passager. Peut-être s'agit-il des contours indistincts d'un nouvel état à apprivoiser pour atteindre un nouveau cap. Difficile à dire, il n'a plus personne pour le renseigner, maintenant. C'est dommage. Ce matin, il n'a pas envie de se façonner tout seul. Ce matin, il veut essayer autre chose. Ne pas rester seul.
Tu n'es pas seul.
Une voix. Venue d'ailleurs. Comme un écho de ses propres pensées. Claire, fraîche. Mais rassurante, presque grave. Étrange. Il croit rêver, n'esquisse pas un geste mais la voix répète.
Tu n'es pas seul.
Ce n'est pas un songe. Il détourne son regard de l'astre, pour chercher à identifier qui lui parle. Les tâches devant son œil le laissent aveugle, un temps. Il balaye sa droite et sa gauche jusqu'à distinguer une forme. Les corps flottants vont et viennent, l'obligent à deviner plus qu'à identifier son interlocuteur. Une petite chose, toute frêle. Un enfant. Les jeux d'ombre et de lumière se dissipent peu à peu. Il le dévisage. Sans un mot, sans colère non plus. Devine un corps fragile, derrière cette chemise blanche et ce short brun. Examine cette tête maigrichonne sous sa tignasse blonde mal arrangée. Sonde ce vert émeraude qui noie des yeux trop grands.
Échange muet. L'adulte reste inexpressif malgré son étonnement, l'enfant sourit. Tend une main vers lui.
Viens.
Il ne dit rien, regarde sa propre pogne, souillée du sang d'un autre; puis reporte son attention vers le soleil. Il a perdu sa belle robe orangée, pour arborer son traditionnel cercle d'or. Un souffle de vent. Un soupir. Il se lève sans hâte, ni vrai enthousiasme et rejoint le gamin qui attendait patiemment. Il tient un petit objet en main, maintenant. Qu'il porte à sa bouche. Un son en provient. Plusieurs sons. Comme une mélodie. Ça sonne bien.
Ok, jte suis.
Un lever de soleil paisible. Un joueur de flûte en herbe. Drôle de journée.
Autour, il ne se passe rien. Pas un marcheur sur le sentier qui découpe le jardin, pas un oiseau qui vienne se glisser un temps entre lui et la lumière. Les bruits de pas de l'extérieur ne parviennent pas jusqu'ici, absorbés par les arbres. Le chant des vagues, depuis le port, s'essouffle un peu plus avant. Pas même une timide brise, une caresse du vent pour venir froisser branches et feuilles. Juste, une scène figée, avec lui en son centre. On pourrait le croire un élément de décor tant son immobilité est totale. Un tableau unique, parfait. Une tranche d'éternité éphémère. Un seul détail donne vie à l'ensemble. Un son. Un bruit léger qui revient, succinct mais périodique; comme le tic-tac d'une horloge, comme les battements d'un cœur. Il émane de lui, mais pas de sa poitrine. De ses doigts. Le long de sa main au repos, depuis la base des phalanges, coule un liquide rouge et gluant. Du sang. Qui perle, gouttelette après gouttelette, à intervalle régulier, sur l'assise du banc. Plic. Ploc. Plic. Ploc.
Il pourrait l'essuyer, chercher à s'en débarrasser; mais il n'en fait rien. La sensation de ce corps étranger qui roule le long de sa peau ne le dérange pas. C'est chaud, c'est apaisant. Et familier, surtout. Il a appris à voir au delà de la douleur qui exsude par chaque goutte versée, au delà de la vie qui s'écoule, vacille et s'éteint par les meurtrissures provoquées. Une couche protectrice. Une source de réconfort, presque. Mais, là, sur ce banc à ce moment précis, ce n'est pas pareil. Il ne ressent pas la satisfaction d'avoir vaincu. Pas cette envoûtante adrénaline qui vient masser son corps, se distiller dans ses artères. Aujourd'hui, contrairement à d'ordinaire, il laisse son environnement lui proposer ses bienfaits, murmurer ses chants à son oreille pour panser ses plaies, soigner ses maux. Une douce thérapie. Ce n'est pas dans ses habitudes, mais pourquoi pas. Ici, c'est bien. Il n'y a rien, personne. Juste, le soleil. Une cohabitation nouvelle. Il a rarement pris le temps de l'observer, de l'admirer. Sa lumière est trop agressive, sa chaleur trop étouffante. Et son emprise sur les gens trop malsaine. Un pouvoir oppressant. Qu'il fuit, le plus souvent possible. Mais pas ce matin.
Quelque chose est différent. Le goût de l'air, peut-être ? Le poids de la terre, sous ses pieds. Il a envie de s'arrêter, un temps, de respirer librement, l'esprit en veille. Être assis, là, les muscles détendus, les crocs du chasseur rentrés sagement, enfouis très loin dans son esprit. Une étreinte qui se relâche, une entité qui se libère de la pression qu'elle a toujours subie et essaye de communiquer; maladroitement pour n'avoir jamais vraiment eu cette opportunité. Sensation nouvelle, qu'il appréhende. Il ne saurait dire si elle lui plait. Il se sent étranger à son propre corps, veille à demeurer immobile pour être sûr de ne pas s'en séparer. Peut-être n'est-ce que passager. Peut-être s'agit-il des contours indistincts d'un nouvel état à apprivoiser pour atteindre un nouveau cap. Difficile à dire, il n'a plus personne pour le renseigner, maintenant. C'est dommage. Ce matin, il n'a pas envie de se façonner tout seul. Ce matin, il veut essayer autre chose. Ne pas rester seul.
Tu n'es pas seul.
Une voix. Venue d'ailleurs. Comme un écho de ses propres pensées. Claire, fraîche. Mais rassurante, presque grave. Étrange. Il croit rêver, n'esquisse pas un geste mais la voix répète.
Tu n'es pas seul.
Ce n'est pas un songe. Il détourne son regard de l'astre, pour chercher à identifier qui lui parle. Les tâches devant son œil le laissent aveugle, un temps. Il balaye sa droite et sa gauche jusqu'à distinguer une forme. Les corps flottants vont et viennent, l'obligent à deviner plus qu'à identifier son interlocuteur. Une petite chose, toute frêle. Un enfant. Les jeux d'ombre et de lumière se dissipent peu à peu. Il le dévisage. Sans un mot, sans colère non plus. Devine un corps fragile, derrière cette chemise blanche et ce short brun. Examine cette tête maigrichonne sous sa tignasse blonde mal arrangée. Sonde ce vert émeraude qui noie des yeux trop grands.
Échange muet. L'adulte reste inexpressif malgré son étonnement, l'enfant sourit. Tend une main vers lui.
Viens.
Il ne dit rien, regarde sa propre pogne, souillée du sang d'un autre; puis reporte son attention vers le soleil. Il a perdu sa belle robe orangée, pour arborer son traditionnel cercle d'or. Un souffle de vent. Un soupir. Il se lève sans hâte, ni vrai enthousiasme et rejoint le gamin qui attendait patiemment. Il tient un petit objet en main, maintenant. Qu'il porte à sa bouche. Un son en provient. Plusieurs sons. Comme une mélodie. Ça sonne bien.
Ok, jte suis.
Un lever de soleil paisible. Un joueur de flûte en herbe. Drôle de journée.