Part I.-Bon ok les gars, j’vous la raconte encore une fois.
D’un geste savouré dans ses plus infimes détails, l’homme remonte ses manches avant de s’asseoir devant un parterre captivé dont ne se décrochent plus des sourires béants et des regards brillants. Quelle douce sensation que de captiver la masse crasseuse d’ignorance, d’en capter l’admiration, le prestige. Car oui, pour Joe « Mains baladeuses », cette sensation est la plus douce qui soit. Comprenez le : né dans un village de pêcheur sans histoire, nul ignoble massacre parentale n’avait lancé sa carrière de pirate sur des chapeaux de roue, carrière qui d’ailleurs n’avait jamais décollé bien haut. Alors pour un homme auquel même les prostitués de seconde zone n’accordaient que le minimum syndical d’attention, avoir une trentaine de rufians tous deux fois plus gros que lui était d’une indéniable jouissance. Car oui ils l’écoutaient comme on écoute le messie sur la montagne, le grand père près de la cheminer, le baroudeur près du feu.
-Je l’ai vu d’aussi près que je vous vois maintenant. Pour sûr, vrai de vrai !
Et pour tout dire, il était très loin d’être aussi impressionnant qu’on le dit.
-Wouah t’es un dur Joe.
-Pour sûr les gars, pour sûr héhéhé.
Aaaah tous ces sourires lorsqu’il battait des lèvres… il ne s’en lasserait jamais.
-Alors du coup, comme lui et moi on avait une histoire en attente, voilà que j’le dévisage sans peur. Paf direct dans les yeux que j’le fixe !
-Dans les yeux ?
-Chuuuuut laisse le raconter !
-Ouais enfin dans l’œil quoi ! T’as pas fini de m’interrompre ?
Bref, j’le défie du regard, et croyez le ou non, j’l’ai vu douter. Aussi sûr que ma brave mère m’a appelé Joe ! Le doute plein les ye/* plein l’œil qu’elle était la terreur ; l’a du sentir que les carottes étaient cuite et qu’on était pas là pour rigoler. Alors du coup j’me suis pas laisser démonter par la foule et j’lui ai dit c’que je pensais de lui et des sales monstres dans son genre ! Paf direct en pleine poire !
-Comme ça ? Juste devant lui ? Wouaaaah…
-Ouais dommage que vous ayez pas pu voir ça à l’escargo-télé les mecs, c’était du grand spectacle c’est moi qui vous l’dit.
Alors là bien sûr le mec se laisse pas trop démonter et répond tant bien qu’mal, mais j’peux vous jurer avoir entendu sa langue fourcher deux trois fois tant il était mal. Foi de Joe fallait pas s’frotter à moi, il l’a payé au prix fort. Qu’on se le dise, je crains rien et tout me fuit.
Grande inspiration du groupe de grosses brutes assises en tailleur à même la terre battue, qui semblent reprendre leurs souffles tandis que la pression enfle un peu plus dans la pièce déjà lourde d’une humidité de moisissure et d’un manque flagrant de lumière et d’air frais. Et ces sourires… tous dirigés vers lui… bon sang que c’était bon. Ils le respectaient tous depuis ce jour, depuis ce fameux jour où il avait quitter le monde de la médiocrité pour les feux de la rampe.
-Alors bien sûr après ça les gars m’ont ramené dehors, mais tout était déjà fait si vous voulez mon avis. J’crois même pouvoir dire sans m’tromper qu’ils l’ont sauvé du pire si j’étais resté pour ouvrir encore un peu plus ma gueule héhéhé.Clong ! Bruit de métal qu’on frappe et qui se répercute dans la pièce exiguë.
-C’est l’heure les taulards, alors bouclez la et dormez !
-Rooooh aller sergent, Joe nous raconte encore son histoire, laisser le finir !
Refoulé par les huées et les récriminations d’une foule visiblement bien soudée, un grognement d’approbation est arraché avant que le bruit régulier d’une paire de botte ne s’éloigne, étouffée peu à peu par la distance et l’épaisseur de la massive porte de bois.
-Vas-y Joe, continue.
-Ouais parle nous encore.
-Re-raconte nous comment ça s’est passé.
Ahhh brave gens… vous m’aimez. Vous me respectez enfin. Et ces sourires qui n’en finissent pas d’enfler sur vos visages héhé. Regardez les se rapprocher pour mieux m’entendre… Poussez pas les gars, y aura de la place pour tout le monde héhé. Ouais c’est ça mettez vous derrière si vous voulez, y a de la place pour tous. Et ben, je l’ai bien chauffé ce soir décidément. Regardez les me dévorer du regard héhé… Héhé ? Alors pourquoi ce sentiment bizarre qui m’écrase peu à peu la poitrine ?... Pourtant ils n’ont jamais été si impatients de m’écouter, si avares de détail, si souriants et attentifs…
-Bon alors je disais…
-Attend Joe.
-Que ?...
-Nous aussi on un truc à te dire.
Le cercle de prisonnier se rassemble de plus en plus près… occultant jusqu’à la lumière de la minuscule meurtrière ainsi que de la petite fente grillagée de la porte de leur cellule commune.
-On vient d’apprendre un truc. Un truc qui va t’intéresser foutrement vu qu’ça te concerne pas mal apparemment.
-Un truc ?…
Ils continuent à sourire… toujours plus… trop.
Vous me respectez les gars, ne l’oubliez pas. Vous me craignez hein. Je suis celui qui s’y est opposé hein. Je lui ai tenu tête et il a tremblé, j’vous l’ai déjà raconté des dizaines de fois. Ça vous amusait, ça vous… amusait ?…
-Thunder F. s’est évadé.
Que ? Quoi ?!
La phrase claque comme une sentence, et c’est tout un monde qui s’écoule et où je perds pied. Sensation immonde de vertige et d’un estomac qui se tord dans tous les sens ! Je perds pied et je m’affale en arrière sous le choc de la nouvelle. Deux mains sont là pour me retenir ; mais elles ne me lâchent pas pour autant une fois rassis…
-Et il nous demande de te passer le bonjour de sa part.
Une trentaine de ricanements accompagnent alors le cercle de muscles et de méchanceté gratuite qui se resserre sur le pauvre Joe, héros autoproclamé en recherche d’admiration et d’un destin plus glorieux que celui qu’on avait bien voulu lui donner au commencement de sa vie. Une main vient alors calmement se plaquer sur sa bouche tremblotante, puis la masse l’avale à jamais.
Le lendemain, lorsque le sergent Finnerman fera sa première ronde matinale, la cellule 25 de la prison centrale de East blue sera un peu moins serrée. Et c’est d’une main mystérieusement calme qu’il rayera de ses registres le nom de Joe « Mains baladeuses », à qui il ne restait plus qu’une semaine à tirer suite à une remise de peine exceptionnel.
Dernière édition par Toji Arashibourei le Mar 17 Sep 2013 - 16:57, édité 2 fois