Quelques heures plus tôt, à la pointe du jour... Un ciel dégagé, d'un dégradé bleu maya qui tend vers un sublime orange mandarine survole l'immensité de ce petit bout d'océan. L'aube pointe majestueusement le bout de son nez sur Ralcol Island. Un morceau de terre situé à l'est de Saint-Urea. Un cailloux qui effleure l'orée de l’exubérante tranquillité qu'engendre Calm Belt ; telle est la situation de Ralcol Island. Une île où une imposante et grande ville, empruntant subtilement le même nom, majore la moitié de ce sol. Un sol fertile, prouvé par la présence d'une sylve plus ou moins dense, accompagnée par de belles collines, contrastantes avec clarté le milieu aggloméré.
C'est sous cette somptueuse ambiance matinale qu'accoste un noble galion à l'embarcadère de la merveilleuse île. Un grand voilier destiné à la vente de divers produits alimentaires frais, entassés dans sa sombre cale. À bord de ce navire marchandeur, Magnus s'y trouve. Il a, depuis toujours, vagabondé de la sorte, profitant des nombreuses embarcations écumantes les eaux de South Blue. Parfois gratuitement, parfois coûteusement. Quoi qu'il en soit, le jeune homme n'a guère voulu perdre son temps sur le navire, et décide déjà de fouler les lieux. Décontracté. Les mains dans la poche. Il marche sereinement sur le quai, admirant la grande cité qui se tient fièrement debout face à lui, reflétant dans ses petits yeux marrons. Les marchands qui ont fait le chemin avec lui, commencent à monter chacun leur petit stand. Magnus croise alors le responsable et navigateur du navire. Un quinquagénaire bon et aimable.
– Capitaine : On n'va pas rester ici très longtemps, Kingsley. Peut être six jours, si les affaires sont bonnes.
– Magnus : J'comprends vieil homme. Si j'suis pas là quand vous partirez, vous n'm'attendrez pas... C'est ça ?
Le vieux capitaine se contente alors simplement d'esquisser un sourire et de hocher la tête, affirmant les dires de Magnus. Piétinant désormais le bitume de Ralcol Town en compagnie de Yago, son fidèle perroquet, il cherche attentivement un endroit où crécher ; une auberge. Mais le prix pour une seule nuit semble bien trop coûteux pour son porte-berry qui, ces derniers temps, crache de l'air plus que tout autre chose. « On est fauché, ruiné. On va devoir roupiller au clair de lune ! », dit-il à la cantonade sans vraiment s'en plaindre. Il en a pris l'habitude. Le désargenté pense alors qu'il se fera une place sur le navire, profitant de l’absence des marchands qui séjourneront tous les soirs dans les petites auberges charpentant la ville. Mais avant tout, enthousiasmé, il compte bien gambader ici, visitant les recoins.
Tourner en rond. Marcher sur la grande route principale magnifiquement pavée. Fouler ce solide chemin, trépassant devant plusieurs échoppes plus ou moins luxueuses. Des petits magasins de jouets, ou encore de belles pâtisserie, dont l'odeur du pain chaud sorti du four, chatouille les narines de notre insaisissable vagabond. Les habitants de ce bled semblent vivre tranquillement. Un havre de paix. Il défile par ici. Il arpente par là bas. Ce n'est pas que les belles structures que présentent certaines bâtisses l’intéresse ; c'est plutôt qu'il n'aime pas rester inactif. Et pourtant, un visiteur n'ayant jamais talonné le lieu, ne resterait guère avec tant d'équanimité, aussi inexpressif qu'un paresseux. Après tout, sans parler des innombrables boutiques, quelques restaurants forts somptueux semblent attirer une classe de personnes, pour le moins, raffinées. Des parcs et mêmes quelques fontaines, loin d'installer une certaine acrimonie dans les yeux, surplombent affreusement bien cette agglomération. Mais Magnus, tranquillement, n'a fait que marché. Exténué après des heures et des heures de marche, il s’assoit sur un banc en bois, longeant le trottoir lourdement bétonné. À son dos est présent un joli parc d'un verdâtre abasourdissant, couleur qui reflète une belle jeunesse fougueuse sur lequel s'amusent des enfants enjoués. N'ayant pas vu le temps passé, n'ayant pas mangé, il bascule sa tête en arrière et regarde le ciel dégagé.
– Yago : Arrêtes de rêvasser, idiooOOt !!
– Magnus : Rhaa, n'commences pas Yago !
– Yago : Présence de la sécurité vraiment étrange ici.
– Magnus : Maintenant qu'tu l'dis, c'est clair... Elle est inexistante.
Sur ces mots, clairement dévoilés à haute voix et entendus par le voisinage, Magnus sent soudainement quelques regards méprisants sur lui. Il prend conscience maintenant que subsiste un léger conflit entre les habitants et la sécurité. Pourquoi ? Il a bien l'intention de le découvrir. Yago, sachant qu'il ne pourra pas lui enlever l'idée de la tête, lui informe qu'un petit entrepôt de la Marine, peu pittoresque, est bien présent sur l'île. Plus précisément non loin du quai. Une bonne idée, que de l'installer près de la côte pour surveiller l'horizon. Une trentaine de minutes trépassent brièvement, et notre bougre accompagné de son volatile, sont déjà postés devant le bâtiment. Un bâtiment bétonné assez reculé du pâté d'maisons, muni d'une enseigne complètement délabrée, à un point que même la typographie demeure clairement illisible. On peut malgré tout bien deviner le mot, en fixant le symbole sur la porte qui semble être celui d'une mouette, le symbole de la Marine.
Il frappe à la porte, mais rien. Aucune réponse. Magnus décide alors d'entrer face à tant de négligences. À sa plus grande surprise, un petit groupe est bel et bien présent, ignorant sa présence. Ils semblent bien trop concentrés sur une partie de Poker pour se lever et ouvrir la porte à un individu quelconque. Des soldats qui, aux yeux de Magnus, ne sont clairement pas préparés à un danger. La petite pièce, d'environ vingt mètres carrés, est entièrement constituée de roches. Aucune fenêtre. Aucune ouverture. Rien qui puisse permettre l'espionnage semble être présent. Une odeur de moisie se fait sentir, provenant de quelques caisses en bois qui longent les façades, recouvertes de toiles. Ils sont une dizaine dans cette porcherie. Les fesses posées sur une caisse, autour d'une table éclairée à l'aide d'une lampe à pétrole fixée au plafond. L'un d'eux, assis à la table, lui adresse la parole.
– Soldat : Oy toi là bas ! Tu fais quoi ici ? Tu veux rejoindre notre escadron ?
– Magnus : Nan, pas vraiment. De plus, rejoindre votre groupe impliquerait mon appartenance à la Marine, mais ce n'est pas l'cas. J'étais juste un peu curieux de n'pas vous voir patrouiller en ville. L'endroit est si paisible qu'vous négligez cette tâche ?
– Soldat : T'es un nouveau toi. Un touriste... Tu peux partir. Et mêle toi d'tes affaires si tu n'veux pas avoir de problèmes avec le boss.
L'horloge, fixée sur le mur face à Magnus, sonne soudainement, à plusieurs reprises. Plus exactement trois fois, indiquant qu'il est déjà quinze heure de l'après-midi. Au même moment, un escargophone sonne, « Pulu pulu, pulu pulu ». Le son vient de la poche de ce soldat irrespectueux qui a adressé la parole à Magnus. Il quémande à Magnus de sortir immédiatement. Ce dernier, sans broncher, quitte la pièce aussi sereinement qu'il en est rentré, et prend même soin de fermer la porte. Désormais dehors, il n'entend plus les sons de l'intérieur. Une porte blindée tel un char d'assaut, est actuellement face à son dos. Il soupire, avant d'entendre les bruits de son ventre lui hurlant famine.
– Magnus : Ce n'est pas l'moment d'penser à manger. Yago a pris un gros risque. Rester cacher à l'intérieur de ce taudis pour les espionner... Fais gaffe à tes plumes.