Je suis pas toi. Et pourtant. Pourtant je te comprends mieux que toi. Je suis pas ton Dieu, non. J’y crois pas. Pour ça que je te comprends encore mieux. Et c’est pareil pour toi. T’es cette fille qui continue d’y croire alors qu’on lui a tout retiré. T’es… T’es si conne. Tu vis dans un cauchemar qui veut pas finir. Et moi je suis là, je l’assombris encore plus. D’une lumière aveuglante. Je suis tes choix, tes actes. Et l’inverse. On se regarde sans se voir. Mais on porte le même treillis. Je suis le verre cassé, toi l’eau qui déborde.
Serena.
On est pas destiné à se rencontrer. Et puis de toute façon, on est destiné à rien. Et c’est mieux comme ça. Alors je continue de boire à la tienne. La frétillarde qui palpite, je fais la grande soulasse avec ce qu’on me sert. Je numérote mes abatis car la fin est toujours proche. Je rêve de dormir sous le figuier, comme toi. Mais je suis de corvée de cirage depuis une éternité, depuis que j’ai dit adieu à une vie qui ne voulait pas de moi.
Y a personne qui viendra nous sauver…
La radio joue dans le rade salace et lugubre dans lequel tu t’es ramené. Ça parle des morts de la semaine, des courses de chevaux et ça passe des chansons qui me donnent l’air d’avoir vingt ans en plus. On aime bien quand même. Les habitudes, la vie vieillotte. Pour ça que les femmes des types un peu pâlots se ressemblent toutes. C’est des pauvres snobs à bigoudis. Elles sont toutes amies-ennemies. Une parle de l’autre avec elle puis le lendemain elle va parler de l’une avec l’autre. J’pense moi qu’ils se marient avec ces canules pour pouvoir s’en plaindre.
Une excuse pour boire.
Je suis jaloux parce que moi j’en ai pas. Je peux bien dire que l’amertume sur le goulot me fait du bouche à bouche mais une pute, ça embrasse pas. Je peux bien dire que j’apprécie les couleurs molles, mortes et moisies des bars en général. Les mecs qui se tapent au fond, le piollier serein qu’est responsable de plus de dix comas éthyliques par jour. Mais ce serait faux. Je les aime pas et toi non plus. Alors, pourquoi t’es là ? Je le sais. Tu veux qu’on te plaigne ? Je le sais. Tu le penses tout bas, dans les méandres de ton esprit fier et rocailleux. Tu veux qu’on s’apitoie sur ton sort. Tu peux toujours courir après les jupons de la sainte mère, dis. Ah mais suis-je bête. Tu cours déjà après ceux de ton Dieu. C’est pas lui qui viendra t’en revendre. Mais écoute-moi. Arrête de t’entêter à être celle que tu veux être. Non, change.
Change toi toi-même avant que le monde te change. Si on est voué à devenir des ordures, autant que ce soit de notre fait. Saloperie de monde, hein, tu te dis. Tu soupires en fixant le verre auquel t’as pas touché depuis que le patron t’a servi gratos. Faut dire que tes cheveux de feu et ta trogne d’ange laissent pas indifférent. Mais toi tu t’en tapes. Tu sais même pas que t’es belle. Parce que tu regardes ce qu’il y a au fond seulement. Et tu vois une gamine qu’a peur, qui chiale et qu’est triste. Tu la détestes, hein. Mais tu l’acceptes.
Tu te réveilles à l’heure des croissants, tu vas dehors et tu sens. L’air, le souffle, le vent. Toi. Celle que t’es à l’intérieur, celle d’avant, celle qu’a pas bougé. Tu pourras pas te cacher éternellement. Elle vient tous nous chercher.
La camarde.
Serena. Que ce soit des conneries ou pas, j’écouterai toujours. Je suis là pour ça. Qu’est-ce que t’as. Je t’ai connu avec plus de remparts qui protègent ta sensibilité. Aujourd’hui, ils sont étrangement fragiles. Ho… Je sais.
Ho, fraline. T’as peur du commencement de la fin ou de la fin du commencement ?
Dernière édition par Kiril Jeliev le Mer 9 Oct 2013 - 15:36, édité 1 fois