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Steps to insanity


Son.
Comme une gouttelette. Un seul plomb éthéré, à la forme sphérique parfaite. Une simple réalité transparente et liquide brisant la quiétude d'un étang en s'y frappant.

Un son. Un son qui brise et trouble l'onde qu'est le silence de la cellule.

Un son qui agit comme le plus violent des gongs. Un son qui vient momentanément huiler un mécanisme auditif rouillé par les longues périodes d'inactivité. La vague sonore traverse la solide porte d'acier, fond au milieu de la cellule immaculée pour s'infiltrer vicieusement dans la première oreille qu'elle croise. Ce bruit pratiquement inaudible se trace un chemin dans le canal auditif complètement blanc de sa cible, puis s'écrase contre le tympan qui annonce l'assaut de l'ennemi dans un tintement seulement capté par un cerveau vicié et avili. Et lorsque ce son fait enfin réagir le propriétaire de ces oreilles. Celles-ci brûlent de l'intérieur, comme atteint d'une infection.

Il y a quelqu'un dans le couloir, un pas feutré, intrépide.

Un pas presque dynamique, aventureux. Le pas léger de ceux qui rêvent et admirent. Le pas qui se démarque par cet imperceptible déséquilibre de l'approche d'un homme normalement constitué. Le pas de ceux qui ne savent marcher que depuis trop peu. Le pas des enfants. Un son inconnu à l'oreille d'un monstre brisé. Un son oublié, plutôt.

Ce n'est pas un garde qui marche dans ce couloir, c'est un enfant.

Mes deux pupilles glauques s'entrouvrent, mes lèvres craquelées laissent passer une langue sèche qui goutte l'air à la façon des reptiles. La tête appuyée contre le sol matelassé de coussins blancs, recroquevillé dans un des coins de la cellule. C'est là où j'ai trouvé refuge pour échapper à mes ennemis.

À ce vil ballon. Sa forme trop agressante, son attitude suffisante et placide. Insupportable. À cette porte, cette porte d'acier qui me nargue en me bloquant ma liberté. Cette porte d'acier munie d'un petit hublot me montrant ce que je manque à l'extérieur. Un couloir de béton à l'éclairage morne, un couloir qui pourtant vaut mille fois cette cage nacrée de blancs coussins.

Par réflexe, je tente de me relever. Impossible, mes bras ne répondent pas. C'est à peine si je sens encore le sang affluer douloureusement dans ces derniers, entravés par la camisole de force doublée de chaînes. Et à mes chevilles, deux énormes anneaux de fer, reliés à une chaîne prenant naissance au centre de la cellule. Même si elle est à portée, j'ai abandonné l'idée de m'étouffer avec celle-ci, les gardes de L'Asile ne se feront pas avoir deux fois.

Ils sont décidés à me laisser souffrir ici, m'empêcher de rejoindre l'enfer, le vrai, là où je pourrai oublié cette existence ridicule.

Toutefois, il y a ce bruit. Ce mouvement, à l'extérieur. Cet enfant dont l'odeur échappe à mes narines qui s'enflamment à chaque inspiration. Dans un gémissement, je roule difficilement sur moi-même, tente désespérément d'atteindre cette porte qui me hurle pourtant de battre en retraite.

Je dois parler à quelqu'un, je dois voir quelqu'un.

Je dois m'abreuver un instant de la présence d'un autre être vivant.

Même les gardes ne viennent plus, on m'a laissé à moi-même, me nourrissant à l'aide d'une perche provenant d'une pièce adjacente. Depuis que j'ai défoncé la porte, depuis que j'ai tenté de m'échapper, on a décidé que plus jamais je ne pourrai jouir d'un contact humain.

Et toujours cette voix glaciale qui me susurre ses mots de vouloir et de pouvoir.


"Rampe, progresse, attire, tue et brise."

Ce ton alléchant, omniprésent, qui souffle à mon esprit tourmenté de tuer à nouveau. Cette voix qui gangrène mon cerveau à chaque parole. Ce démon qui noircit mon âme en l'aspergeant de mauvaises pensées.

D'un élan à me briser une nouvelle fois l'épaule, je me propulse dans une dernière roulade contre la porte. Tintement sonore lorsque je rencontre de face la paroi de métal où je m'assomme quasiment.

J'appuie ma tête contre le sol, bande mes muscles pour me redresser malgré mes entraves. Les crampes m'assaillent sous cet effort nouveau pour mon corps qui croupit depuis bien trop longtemps. Mon cou se paralyse, mon ventre cri à l'abandon alors que, petit à petit, je réussi à me pousser suffisamment haut pour m'adosser à la porte. Haletant, couvert de sueur, enfin le dos contre la porte d'acier, je tente un dernier effort.

Contre leur volonté, mes cordes vocales s'aiguisent. Une vague d'air traverse ma gorge asséchée dans l'espoir d'être captée par une oreille. Rien. Silence. Nouvelle tentative. Un son, juste un son. Trouver la force et la volonté de ne proférer qu'un simple son. Vibration intérieur, une vauge d'air porteuse d'espoir se trace un chemin dans mon organisme pour s'échapper de mon désert buccal, enfin.


-…Pa…Parler….
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Steps to insanity 975358loo
Mizu, 14 ans.

Une goutte d'eau qui tombe dans un splash imperceptible pour les âmes inconscientes. Des lumières qui s'aventurent dans les ténèbres d'un couloir qui sent la moisissure. Une odeur répugnante ralentit mes pas. Je me réfugie en empoignant les quelques grains roses terrés au fond de mes poches.

Cristaux sucrés.

Restes d'un trésor avalé.  

Mes bonbons me manquent... Ce sont mes armes. Ils me permettent d'avancer dans cette pénombre. Je marche en observant le décor fade, triste, sans vie. Puis, je serre les poings, caressant les petites billes colorées. Je me redonne du courage en insultant ma curiosité qui m'a poussé aux frontières d'un monde obscur. Sous mes pieds, la poussière grise mêlée de fragments noirs s'agrippe avec force. Au dessus de mes cheveux blonds, le plafond insaisissable se rapproche dangereusement.

Une vague imaginaire m'effleure.

Un vertige !

Je me sens dans un cauchemars interminable. Je suis bercé entre la douleur et l'inquiétude. Une sensation vite amplifiée quand j'entends un souffle de voix à la même intensité que les bruits sous mon lit.

Dois-je m'imaginer dans un endroit féerique ou affronter mes peurs ? Il s'agit d'un choix. Mais, je suis incapable de le faire. Franchir le mur bâtit par ce que je raconte à travers un flux de pensées ou me dire ce que je dois faire ? Entre raconter et dire, il y'a une nuance assez conséquente. Elle n'est ni colorée, ni colère. Elle est transparente, impassible...

Je me sens faible.

Je me sens seul, chez moi tout est silencieux, des ressorts de mon matelas jusqu'au den den mushi. Pourtant, je ne suis pas chez moi.

Je suis...

Là.

Ailleurs.

Perdu.

Dans un endroit où un son strident provenant de l'acier d'une cellule fermée fait écho. Les vibrations viennent à moi et me donnent la chair de poule. Soudain, je vois une chose à travers un hublot et je deviens pâle. Il n'y a nul miroir pour contempler l'horreur qui me prend subitement.

Une horreur aussi vaste et étroite que les barreaux invisibles qui séparent ce monstre et moi.

Il a l'air si faible, là, ailleurs, perdu.

- Monsieur ? Vous allez bien ? Vous aussi, vous n'avez plus de bonbons ?

Je m'approche doucement, apeuré, mais avec l'impression que je n'ai rien à craindre de cet être enfermé.

- Pourquoi vous êtes dedans ? Vous vous êtes perdu ?


Ma curiosité ne cessera de m'emmener dans un monde plus obscur... Et au delà.

    Cette voix…

    C'est comme si on me griffait l'oreille avec du cristal. Comme si on ouvrait une plaie béante dans mon esprit esseulé. Comme si on me tuait… pour ensuite me guérir avec le plus doux des onguents. Elle agit comme un baume sur mon âme qui se morcèle, retient momentanément ma raison avant qu'elle n'éclate par la fébrilité qui anime mon être.

    Inspiration excitée. Candeur.

    Un instant, mes cordes vocales s'agitent, elles aussi fébriles. Elles tentent désespérément de faire savoir au garçon qu'il y a quelqu'un, que je l'écoute, qu'une partie toujours humaine de mon âme me hurle de pouvoir le regarder en face. Mais je reste adossé à cette porte, et rien ne sort de ma gorge. Trop faible…

    Si je vais bien? Si je n'ai plus de bonbons?

    Non, je ne vais pas bien. J'ai l'impression de vivre une nausée perpétuelle, de voguer sur une mer sombre un soir de tempête. J'ai le sentiment de perdre un peu plus la raison à chaque seconde passée dans cette cellule maudite. Mais ça, ta voix et ta démarche d'enfants t'empêchent probablement de le comprendre, gamin séparé de moi par cette barrière salutaire. Sans elle, qui sait ce que je ferais… Sans elle, qui sait si tu serais toujours en un morceau, de ton côté…
    Parce qu'avec ta présence si près, assez pour que je puisse te toucher, sans cette porte. Avec cette proximité, Il a recommencé de plus belle. Il a recommencé à chuchoter sans cesse, toujours plus fort, toujours plus alléchant, toujours plus convainquant.


    "Tue. Brise. Démembre. Éviscère."

    Mais je suis trop faible, alors je souffre en silence en écoutant ce paradis interdit qu'est l'humanité. Ce paradis qui émerge de ta bouche à chaque parole comme un Éden inaccessible.

    Et des bonbons? On m'a tout prit, tout retiré, confisqué, saisit. Ma liberté, ma dignité, mon humanité, ma joie, ma peine, tout. Je n'ai plus comme raison de vivre que celle d'un animal en cage. Un fauve qui attend incessamment qu'on lui apporte à manger, en vociférant dans l'obscurité. Même la plus petite des sucreries de la vie, ces douceurs qui peuvent parfois embellir ces si tristes et mornes séjours, je n'en ai plus. Pas le moindre petit intérêt, pas le moindre évènement. Juste moi, seul, prisonnier de moi-même, avili par mes propres choix.

    Pourquoi je suis là-dedans? Me suis-je perdu?

    Oh oui. Oui. Je me suis perdu. Je me suis perdu dans le plus terrifiant des enfers, j'y erre toujours. Je m'y enfonce dans la douleur, dans la tristesse et les ténèbres. Autrefois, j'en serais venu à m'ouvrir les veines pour faire s'écouler ce mal qui noie mon corps, mais aujourd'hui, je suis résolu à l'accepter. À le laisser me corrompre et torturer ceux que je croise. J'ai ployé sous cette part de moi qui enfle et qui n'est pas humaine.

    Je deviens un monstre. Jour après jour, petit à petit.

    Et c'est bien parce que je suis un monstre que je suis ici. Dans ce monde immaculée, enfer matelassé, jungle où la solitude s'épanoui à profusion. C'est parce que je fais peur, que je suis fort, et tous ces autres attributs monstrueux, qu'on m'a cloîtré dans cet asile. Qu'on me laisse pourrir ici sous les frais d'une royauté quelconque en attendant que mon propre mal m'emporte.


    -Et toi? Que fais-tu ici? Tu t'es perdu?

    Ces mots sortent subitement, raclent ma gorge comme un râteau, cette voix rocailleuse n'est pas la mienne. C'est à force de ne pas l'utiliser… j'imagine…

    Tiens, c'est sa respiration, qui s'est faite irrégulière? Ça doit être ma faute, se faire poser une question par un monstre comme moi…


    -On ne donne plus de bonbons aux gens comme moi… On en donne seulement à ceux qui sont gentils…

    Et de toute façon, aucune sucrerie ne pourrait étancher cette soif de violence qui m'envahit à chaque instant. Ce garçon, là, que je distingue pas derrière cette porte. Il est criant de vérité, il hurle cette réalité dont il est constitué, messager céleste venant de l'extérieur. Un demi-dieu porteur de vie, bravant l'Asile pour descendre dans ces sous-sols, pour traverser ces couloirs…

    Et venir m'irradier de son humanité jusqu'ici.

    Merci…


    -Ton nom?
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    - Mizukawa Sutero !

    Dis-je le poing fermé, en colère contre ces paroles digne d'un fou, digne d'un gars rendu dingue. On devrait donner des bonbons à tout le monde ! Qu'on soit gentil ou méchant, on ne mérite pas cette séparation ! C'est pas juste.

    C'est quoi être gentil ? C'est me crier une vérité qui paralyse mon âme. Elle la rend droite et constante. Elle la caressera de sa chaleur apaisante. Comme l'amour d'une mère à son enfant... Ma maman aime le monde, chaque monde, chaque môme... C'est le printemps, celui qui fait couler les ruisseaux dans les flots des océans...

    C'est quoi être méchant ? C'est me chuchoter un mensonge qui brise mon âme. Il la rend triste et instable. Il la brutalisera de sa froideur alarmante. Comme la haine d'une mère envers celui qui s'en prend à son enfant... Ma maman déteste le monde, chaque monde, chaque môme... C'est l'hiver, celui qui fait geler les ruisseaux jusqu'aux flots des océans...

    - Je me suis pas perdu ! Je fais ce que je veux ici ! Et moi, je ne comprends pas pourquoi, on enferme un homme qui sent bon, mais qui a sa noirceur bien trop grande et trop lourde pour ses épaules... J'aimerai alléger ce poids.


      Soudain une vague déferlante s'émane de mon âme. Comme un appel lointain vers l'horizon vert d'où se trouve le royaume des morts. Un souffle d'une fraîcheur infini qui pourrait provenir du Jardin d'Eden. Une glace froide, de la vapeur chaude, des larmes qui ne coulent plus... Figé. Le monstre, homme noir et blanc, chocolat-vanille est en suspens dans une atmosphère incomprise du monde des vivants. C'est comme se regarder dans un miroir qui vous prédit l'avenir, c'est affreux et je n'ai pas de mots pour décrire mes sentiments qui s'échappent l'un après l'autre. Je n'ai pas le vocabulaire nécessaire pour un enfant de mon âge. Je me contente de voir de mes grands yeux verts, les mirages de la vie.

      Le petit prince déambule, vivace. Il brûle les inepties du monde et s'en fait une torche. Les petits papiers crépitent à terre, l'encre ne coule plus. L'enfant perdu va retrouver son chemin, laissant dans sa cellule un être malheureux qui vient de perdre connaissance sous le poids de l'enfer qu'il subit ou l'incompréhension soudaine d'un Mizukawa qui ne connait pas sa force.

      Adieu Monsieur le monstre.
      Je filoche, un bonbec en bouche.
      Finalement, il m'en restait un.
      Et lui ?