[hrp : désolé pour la disparité des récits, ce rp a été écrit en 5-6 fois]
Jour 8 - aube :
Jour 8 - aube :
- Thème:
Ça crépite, ça sent la fumée et les cendres. L’air frémit, se tord sous la chaleur indicible. L’odeur de la chair calcinée, les cris de douleurs. Les craquements du bois qui cède, des palanques qui s’écrasent sur le pont et fracassent le bois. Un chaos de feu et de sang, bercé par les flots agités. La pluie ne parvient pas à juguler les flammes, elle vient seulement en baume aux brûlures des hommes assez chanceux pour avoir déserté le bâtiment avant que ce dernier ne soit la proie des flammes. Nul ne comprend ce qu’il s’est passé, nul n’a vu quel désastre a pu causer cela. Sur le mât de misaine, la voile tombe, libre face au vent. En proie au feu, elle bat au rythme des bourrasques. Le port se remplit déjà d’hommes armés ou non, badauds ou non. Au centre du brasier, un homme est accoudé contre la barre, se tenant le flanc et perdant son sang. Une épée le maintient à terre, le perçant de part en part. Il crache, tousse mais rien n’y fait. Il tire, se débat mais c’est pire. La douleur gagne en puissance, mais la flamme au fond de son regard, faisant échos au navire, ne meurt pas. Elle gagne en force et en puissance. Il relève la tête, et hurle de souffrance.
« Personne ne t’entendra ici … » se murmure-t-il, entre deux gémissements.
Que s’est-il passé au juste, pourquoi se retrouve-t-il ici avec sa propre épée au travers de son ventre ? Une histoire d’horreur, à en faire frémir les générations suivantes. Trop rapide, trop soudain. Un film qui défile devant ses yeux. Femme, enfant. Elle devait l’attendre, allaitant le petit. Lui qui trime pour une honnête paye dans ce royaume pourri jusqu’à la moelle, la seule façon pour sa famille de vivre et de s’en sortir. Il revoit son sourire, les choses plus secrètes encore. Ses dents teintées de sang font écho à sa mémoire. Que s’est-il passé au juste ? Que s’est-il passé …
Ploc. Le son d’un pas sur le pont, léger et fugace. La pluie battait le bois au prix d’une mesure endiablée qui faisait frémir les plus superstitieux. Les dieux déversaient leur haine sur Goa, ou pleuraient les morts. Chacun avait sa vision des faits. La plupart des hommes penchaient pour un déluge qui emporterait et noierait le monde dans son immensité. Comme les corps que l’on repêchait par dizaine à l’orée des égouts en ces temps. Des victimes du roi qu’on disait, des esclaves pour la plupart. On avait peur, on tremblait. Alors le son d’un pas c’était assez pour inquiéter. D’autant plus que l’assassin des rois, son surnom, était toujours recherché. On supposait qu’il fut Auditore, un assassin révolutionnaire. Mais rien n’avait filtré hors de High Town si ce n’étaient les trop nombreuses patrouilles. Pourquoi serait-il ici ? Et que lui voudrait-il à lui, pauvre matelot de faction.
« Hey, Ed’, t’as entendu ça ? »
Oui, il se souvenait de ça. Suivi d’un son strident. Une lame qui fendait l’air, il se souvenait du métal qui perçait la gorge et qui faisait jaillir le sang. Tout comme il se rappelait avoir tiré son épée et reculé en hurlant vers le fond du navire. Il avait appelé à l’aide un tas de cadavre sur lequel il trébucha avant de se rattraper à la barre. Il ne s’était pas posé la question de savoir pourquoi il y avait eu tant de brume soudainement. Tout comme il n’avait pas pris garde à l’homme qui était agenouillé au dessus de la dépouille du responsable de la patrouille.
« Il est mort. »
Il te l’avait dit, et rien que pour ça t’avais cru qu’il s’agissait d’un ami. Quel ennemi t’annoncerait la mort de ton supérieur en te tournant le dos, en prenant son pouls ? Pourquoi tu n’avais pas réagi à l’apparence de sa tenue ? Pourquoi ? Est-ce que ça aurait fait une différence. Certainement pas. Ce fut le crissement du métal contre le métal qui te fit te retourner, mettre les bras en croix pour te protéger. Un gantelet de fer qui frappa et t’assomma au lieu de te briser la mâchoire.
La suite ? Le roulis du navire. Ce tangage incessant, écœurant. Face contre terre avec une odeur de poudre mouillée. Puis les pièces de métal qu’on trainait sur le pont. Le bruit habituel des canons qu’on armait. Les voiles étaient tirées, le navire avançait. Comment était-ce possible ? L’équipage était broyé, tué. Il fallait un équipage pour manœuvrer le navire. Pourtant la roue de la barre tournait, manœuvrée par un homme vêtu de noir. Un homme avec une capuche et un air déterminé. Il manœuvrait en dépit de la tempête qui se profilait. Les voiles craquaient, le navire grognait. Se diriger vers la baie était du suicide pur et dur : le navire aurait tôt fait de se retourner contre le port. Il … il devait le savoir ! Les voiles étaient bordées profitant du vent descendant de la côte mais les courants contraires auraient tôt fait de les ramener droit dans le mur.
« Que … fais-tu ? »
Peut-être pas les mots les plus intelligents, ni les plus braves. Ce n’était pas une situation intelligente de rappeler à son agresseur que l’on n’était pas mort, de toute manière. Ses yeux. L’un gris, l’autre plus sombre. Cette brume, oui. Cela lui rappelait la brume, cet homme agenouillé. Une cicatrice lui mangeait la moitié du visage, sans que cela ne sembla l’affecter. Il le regarda d’un œil las puis se détourna pour lâcher la barre et se diriger vers le pont inférieur. Que se passait-il ? Le navire tournait et se tordait sous le vent et au loin se profilait déjà la Citadelle. Des coups de feu retentirent, un coup de canon perfora la coque. Un œil par-dessus le bastingage. Cinq navires de la flotte royale pourchassaient le navire du commandant. Armés et prêts à l’abordage, ils seraient là bien avant que l’assassin n’ait pu œuvrer à quoi que ce fut.
Les souvenirs partaient, fuyaient avec son sang. Après ? On s’était battu sur le pont. Le feu … le feu avait démarré là. Non. Le feu avait démarré lorsqu’il avait allumé les canons. Lorsque l’assassin avait fait feu sur la citadelle. Il avait lâché les voiles et s’était servi de la vitesse pour bifurquer vers la citadelle ouest. Le pont supérieur … oui, le pont supérieur était rempli de tonneaux. Pourquoi faire ? Pourquoi faire ? Le navire sombrait lentement, mais avançait toujours. Sa ligne de flottaison indiquait de grandes voies d’eau. Mais la citadelle se rapprochait de plus en plus. On armait déjà les canons, mais c’était trop tard : ils n’étaient pas prêts à une attaque d’aussi prêt. On se battait encore sur le pont, un homme s’écrasa à terre, ouvert en deux. Alors il se releva, s’appuyant sur sa propre épée. Il tremblait mais tint bon. Un œil par-dessus le bastingage, l’assassin dansait. Du moins ç y ressemblait. Un ballet de mort, un véritable virtuose. On aurait cru que les balles lui passaient à travers, mais ce n’était qu’une illusion. Cela ne pouvait qu’en être une.
Il eut alors le geste le plus sot de toute sa vie. La barre était maintenue par une rapière. Sa femme, ses enfants. Si le navire s’écrasait contre les murs de la Citadelle, il ne les reverrait jamais. Il ôta l’épée et la roue se mit à tourner à toute allure, attirant le regard furibond de l’assassin. Le bateau se cabra et tout commença à bouger. Quelques tonneaux roulèrent, certains tombèrent à l’eau. L’assassin se pencha en avant, ne semblant pas être affecté par le brusque changement de direction qui avait mis à terre tous ses adversaires. Il sauta par-dessus l’un d’eux et regagna le pont supérieur en s’aidant d’une corde qui pendait là. Il atterrit en roulant, alors que le soldat tenta de le perforer. Ecartant le coup, il retourna sa lame contre lui et l’enfonça profondément dans le bois, le clouant à terre.
Oh, c’était comme ça que ça c’était passé, oui. Après il avait repris le contrôle de la barre. Même qu’un boulet de canon lui avait percuté l’épaule sans lui faire le moindre effet. De … c’était de lui que venait la brume ? Quelle était cette créature ? Un ange, un démon ? La mort ? Et ces pouvoirs … Assurément pas un Dieu, nul Dieu n’était aussi cruel, nul Dieu ne pouvait avoir un tel regard. C'était le Diable personnifié. Le Diable qui venait purger Goa par les flammes. Et il l'avait tué.
"Bande de manchots, coulez-moi ça !" tonna le Capitaine du Téméraire, pointant du doigt le navire en flammes qui venait de faire un écart.
Une main de fumée avait jailli du ponton, écartant un boulet de canon comme s'il n'avait eu d'autre impact que de glisser dessus. Une émanation qui avait fait frémir de terreur la plupart des matelots. Le Capitaine n'oser se l'avouer, mais lui aussi était terrifié. Il était néanmoins plus instruit que ses comparses et avait reconnu là l'oeuvre d'un fruit du démon. Mais s'il l'avait reconnu, il le craignait tout autant, car il savait ce qu'était ce genre de fruit. Le fruit de la fumée, en la personne de l'assassin Rafaelo Di Auditore. L'homme qui avait tué le prince et la princesse. L'ennemi numéro un de Goa. Il menait à présent le navire du Commandant de la flotte Royale droit sur la citadelle, ce qui ressemblait presque à un suicide. Mais concernant cet homme ... les rumeurs disaient qu'il pouvaient voler. Qu'il pouvait vous étouffer d'un seul geste ou disparaître en un battement de paupière. Des choses certainement très exagérées en somme. Mais il avait percé la sécurité du château. Chose insensée qui ne s'était produite en plus de cinquante ans. Constat alarmant qui amena le Capitaine à donner encore plus d'entrain à ses marins.
"Le premier qui flanche passe par dessus bord." grogna-t-il, pointant son mousquet vers l'un des galérien qui essayait de se lever.
Son second l'imita et la cadence du Téméraire reprit de plus belle.
"Capitaine, il se dirige droit vers les récifs bordant la Citadelle, il va s'écraser contre son flanc : le suivre serait pur suicide !" lui fit remarquer son Second.
Le Capitaine se lissa la plume du chapeau, puis le bouc. Ses yeux froids se plissèrent, et il dirigea son canon vers son Second. Il préférait le suicide au châtiment que ses pairs lui réserveraient. Il était un mercenaire à la solde de la Royauté, pas un noble ni un bourgeois. Il était cruel, vindicatif et sa réputation ne souffrirait aucun outrage. Alors c'était la fuite ou la mort.
"Tu préfères traiter avec le Roi en personne, couard ? Bande d'incapables, je n'ai pas peur d'un assassin misérable. La mort est une journée qui mérite d'être vécue !" fit-il, trouant l'occiput de son Second d'une balle ajustée.
Le Capitaine s'empara de la barre et la dresse à bâbord pour suivre le cap de l'assassin. Il ordonna que l'on lâche les voiles et fit presser le tambour des galériens, sous une pluie mordante. Le Téméraire grimpa la vague et s'écrasa violemment dans le creux, soulevant une gerbe d'eau qui envahit le pont. Le mercenaire éclata de rire, faisant face à son destin avec le courage de ceux qui voient leur fin. Il était de ces hommes juste assez fous pour tenter le Diable. Les autres navires hésitaient, restaient en retrait. Lui seul aurait la gloire, ainsi en était-il !
L'assassin s'empara de l'épée de l'homme qu'il avait tué contre la barre et la bloqua de nouveau, contraignant le navire à filer vers les récifs qui bordaient la citadelle. Son but n'était nullement d'y arriver en entier, seulement d'y arriver. Les navires de la flotte royale perdaient de l'entrain derrière lui, comprenant que son voyage n'avait qu'une seule destination. Les flammes se rapprochaient dangereusement des tonneaux entreposés sur le pont, la pluie n'arrivant pas à les juguler. D'un geste de la main, il généra une puissante bourrasque de fumée et souffla les quelques flammes dangereuses puis se concentra à rassembler les tonneaux, encore. Les tirs fusaient au-dessus de lui, et la Citadelle s'armait pour le recevoir. Le temps de réaction laissait à désirer, il était à présent trop tard pour l'arrêter de ce côté, et les vagues soulevées par la tempête le protégeaient d'autant plus. Il grimpa la crête, alors que les voies d'eau prenaient une ampleur alarmante dans la cale du navire.
"Enfin ..." se murmura-t-il, dégainant son mousquet.
Il regarda derrière lui, estimant la distance le séparant du navire de tête. Puis il leva les yeux au ciel, sa capuche tombant vers l'arrière. Il ouvrit sa paume, cueillant les gouttes avec un sourire attristé. Le navire s'écrasa dans les flots, faisant craquer et bouger la quille. Il venait de percuter un récif. Le début de la Révolution de Goa, le départ d'une échauffourée sanglante qui ne connaitrait de fin que lorsque le Royaume serait tombé. Ou lorsque la Révolution serait abattue. Lorsque lui, Rafael, serait mort. Il serra son point, ravalant ses doutes et misant sur ses espoirs. Nul ne devait déceler ses peurs et ses doutes, ils devraient le voir comme un être supérieur, quelqu'un apte à les guider. Il avait échoué avec sa propre Confrérie, cela ne se reproduirait pas. Il mènerait tous ces hommes à la victoire et ferait en sorte de libérer ce peuple en souffrance. Il devrait se montrer infaillible, invincible. Ses ennemis trembleraient de peur à le voir oeuvrer et ils s'enfuiraient en croisant son chemin. Voilà l'image qu'un assassin devait inspirer. Et il le ferait.
Rafael replaça sa capuche sur sa tête puis arma son mousquet. Le navire parut s'ouvrir en deux en percutant un autre récif, puis il bondit dans les airs sous la puissance du choc. Les cordes maintenaient efficacement les tonneaux en places, bien que certains d'entre eux commençaient à bouger dangereusement. La façade de la Citadelle se rapprochait bien trop vite. C'était parfait. Avisant les tonneaux de son mousquet, l'assassin commença à courir le long du pont supérieur puis il bondit par dessus le bastingage, se livrant à la mer. Et, à l'instant même où la proue s'explosait contre la pierre sans même l'entamer, il fit feu.
"Ah ah ah ! L'imbécile, il s'est suici..." ricana le nouveau Second, avant qu'une tape du Capitaine ne le fasse taire.
C'était un logia, pas un être ordinaire. Il avait vu un trait de fumée s'envoler et rejoindre les nuages. Les rumeurs étaient fondées. Ils affrontaient autre chose qu'un être tapi dans l'ombre, c'était d'un autre niveau.
"Bordel ... il peut vraiment voler. Prévenez la milice, qu'ils sortent les armes en granit marin." grogna le Capitaine, avant qu'un éclair n'illumine le pont pour révéler une silhouette encapuchonnée noire.
"Voler n'est pas le terme exact." ricana la silhouette avant de bondir sur lui, épée au clair.
Le Capitaine para le premier coup, puis le second, sentant bien que la force de cet homme surpassait la sienne. Mais sur un navire, on ne l'aurait pas ! C'était sa force, sa spécificité. Il était le maître des lieux et personne ne pouvait le mettre à mal sur son propre territoire. Il se recula de deux pas et esquiva une pointe de l'assassin qui se fendit d'un sourire amusé face aux talents du pirate. Ne voyant que sa bouche, il ne savait qu'en conclure. Qu'il se raillait de lui ? Qu'il était content de se battre face à un adversaire de valeur ? Non, ce n'était définitivement pas un sourire qui plaisait au mercenaire. Il sortit son second mousquet et le pointa vers l'assassin.
"Je sais que tu as un logia, assassin. Mais je parie que tu ne prendras pas le risque de te faire trouer par une balle en granit marin !" bluffa-t-il, espérant par là gagner assez de temps pour trouver une faille chez cet assassin.
"Tire donc." riposta l'assassin, se fendant sur le côté.
La balle partit, le frôlant d'un cheveux. Calculé. Puis le fer perça la chair du Capitaine, ouvrant son estomac et son dos. Le mercenaire cracha un mélange de sang et de bile, en se cramponnant à l'épaule de Rafael. Puis il tomba, sous l'impulsion d'un coup d'épaule. D'un tout autre niveau ... Il vit l'homme vêtu de noir se retourner vers l'équipage, son épée encore ensanglantée.
"Fuyez pour vos vies." leur fit-il, avant de disparaître dans une gerbe de fumée, montant vers les cieux pour ne plus jamais revenir.
Puis ce furent les cris, la panique. Et le néant.
Les feux s'allumèrent dans la cité. La Révolution était en marche.
« Personne ne t’entendra ici … » se murmure-t-il, entre deux gémissements.
Que s’est-il passé au juste, pourquoi se retrouve-t-il ici avec sa propre épée au travers de son ventre ? Une histoire d’horreur, à en faire frémir les générations suivantes. Trop rapide, trop soudain. Un film qui défile devant ses yeux. Femme, enfant. Elle devait l’attendre, allaitant le petit. Lui qui trime pour une honnête paye dans ce royaume pourri jusqu’à la moelle, la seule façon pour sa famille de vivre et de s’en sortir. Il revoit son sourire, les choses plus secrètes encore. Ses dents teintées de sang font écho à sa mémoire. Que s’est-il passé au juste ? Que s’est-il passé …
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Ploc. Le son d’un pas sur le pont, léger et fugace. La pluie battait le bois au prix d’une mesure endiablée qui faisait frémir les plus superstitieux. Les dieux déversaient leur haine sur Goa, ou pleuraient les morts. Chacun avait sa vision des faits. La plupart des hommes penchaient pour un déluge qui emporterait et noierait le monde dans son immensité. Comme les corps que l’on repêchait par dizaine à l’orée des égouts en ces temps. Des victimes du roi qu’on disait, des esclaves pour la plupart. On avait peur, on tremblait. Alors le son d’un pas c’était assez pour inquiéter. D’autant plus que l’assassin des rois, son surnom, était toujours recherché. On supposait qu’il fut Auditore, un assassin révolutionnaire. Mais rien n’avait filtré hors de High Town si ce n’étaient les trop nombreuses patrouilles. Pourquoi serait-il ici ? Et que lui voudrait-il à lui, pauvre matelot de faction.
« Hey, Ed’, t’as entendu ça ? »
Oui, il se souvenait de ça. Suivi d’un son strident. Une lame qui fendait l’air, il se souvenait du métal qui perçait la gorge et qui faisait jaillir le sang. Tout comme il se rappelait avoir tiré son épée et reculé en hurlant vers le fond du navire. Il avait appelé à l’aide un tas de cadavre sur lequel il trébucha avant de se rattraper à la barre. Il ne s’était pas posé la question de savoir pourquoi il y avait eu tant de brume soudainement. Tout comme il n’avait pas pris garde à l’homme qui était agenouillé au dessus de la dépouille du responsable de la patrouille.
« Il est mort. »
Il te l’avait dit, et rien que pour ça t’avais cru qu’il s’agissait d’un ami. Quel ennemi t’annoncerait la mort de ton supérieur en te tournant le dos, en prenant son pouls ? Pourquoi tu n’avais pas réagi à l’apparence de sa tenue ? Pourquoi ? Est-ce que ça aurait fait une différence. Certainement pas. Ce fut le crissement du métal contre le métal qui te fit te retourner, mettre les bras en croix pour te protéger. Un gantelet de fer qui frappa et t’assomma au lieu de te briser la mâchoire.
La suite ? Le roulis du navire. Ce tangage incessant, écœurant. Face contre terre avec une odeur de poudre mouillée. Puis les pièces de métal qu’on trainait sur le pont. Le bruit habituel des canons qu’on armait. Les voiles étaient tirées, le navire avançait. Comment était-ce possible ? L’équipage était broyé, tué. Il fallait un équipage pour manœuvrer le navire. Pourtant la roue de la barre tournait, manœuvrée par un homme vêtu de noir. Un homme avec une capuche et un air déterminé. Il manœuvrait en dépit de la tempête qui se profilait. Les voiles craquaient, le navire grognait. Se diriger vers la baie était du suicide pur et dur : le navire aurait tôt fait de se retourner contre le port. Il … il devait le savoir ! Les voiles étaient bordées profitant du vent descendant de la côte mais les courants contraires auraient tôt fait de les ramener droit dans le mur.
« Que … fais-tu ? »
Peut-être pas les mots les plus intelligents, ni les plus braves. Ce n’était pas une situation intelligente de rappeler à son agresseur que l’on n’était pas mort, de toute manière. Ses yeux. L’un gris, l’autre plus sombre. Cette brume, oui. Cela lui rappelait la brume, cet homme agenouillé. Une cicatrice lui mangeait la moitié du visage, sans que cela ne sembla l’affecter. Il le regarda d’un œil las puis se détourna pour lâcher la barre et se diriger vers le pont inférieur. Que se passait-il ? Le navire tournait et se tordait sous le vent et au loin se profilait déjà la Citadelle. Des coups de feu retentirent, un coup de canon perfora la coque. Un œil par-dessus le bastingage. Cinq navires de la flotte royale pourchassaient le navire du commandant. Armés et prêts à l’abordage, ils seraient là bien avant que l’assassin n’ait pu œuvrer à quoi que ce fut.
Les souvenirs partaient, fuyaient avec son sang. Après ? On s’était battu sur le pont. Le feu … le feu avait démarré là. Non. Le feu avait démarré lorsqu’il avait allumé les canons. Lorsque l’assassin avait fait feu sur la citadelle. Il avait lâché les voiles et s’était servi de la vitesse pour bifurquer vers la citadelle ouest. Le pont supérieur … oui, le pont supérieur était rempli de tonneaux. Pourquoi faire ? Pourquoi faire ? Le navire sombrait lentement, mais avançait toujours. Sa ligne de flottaison indiquait de grandes voies d’eau. Mais la citadelle se rapprochait de plus en plus. On armait déjà les canons, mais c’était trop tard : ils n’étaient pas prêts à une attaque d’aussi prêt. On se battait encore sur le pont, un homme s’écrasa à terre, ouvert en deux. Alors il se releva, s’appuyant sur sa propre épée. Il tremblait mais tint bon. Un œil par-dessus le bastingage, l’assassin dansait. Du moins ç y ressemblait. Un ballet de mort, un véritable virtuose. On aurait cru que les balles lui passaient à travers, mais ce n’était qu’une illusion. Cela ne pouvait qu’en être une.
Il eut alors le geste le plus sot de toute sa vie. La barre était maintenue par une rapière. Sa femme, ses enfants. Si le navire s’écrasait contre les murs de la Citadelle, il ne les reverrait jamais. Il ôta l’épée et la roue se mit à tourner à toute allure, attirant le regard furibond de l’assassin. Le bateau se cabra et tout commença à bouger. Quelques tonneaux roulèrent, certains tombèrent à l’eau. L’assassin se pencha en avant, ne semblant pas être affecté par le brusque changement de direction qui avait mis à terre tous ses adversaires. Il sauta par-dessus l’un d’eux et regagna le pont supérieur en s’aidant d’une corde qui pendait là. Il atterrit en roulant, alors que le soldat tenta de le perforer. Ecartant le coup, il retourna sa lame contre lui et l’enfonça profondément dans le bois, le clouant à terre.
Oh, c’était comme ça que ça c’était passé, oui. Après il avait repris le contrôle de la barre. Même qu’un boulet de canon lui avait percuté l’épaule sans lui faire le moindre effet. De … c’était de lui que venait la brume ? Quelle était cette créature ? Un ange, un démon ? La mort ? Et ces pouvoirs … Assurément pas un Dieu, nul Dieu n’était aussi cruel, nul Dieu ne pouvait avoir un tel regard. C'était le Diable personnifié. Le Diable qui venait purger Goa par les flammes. Et il l'avait tué.
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"Bande de manchots, coulez-moi ça !" tonna le Capitaine du Téméraire, pointant du doigt le navire en flammes qui venait de faire un écart.
Une main de fumée avait jailli du ponton, écartant un boulet de canon comme s'il n'avait eu d'autre impact que de glisser dessus. Une émanation qui avait fait frémir de terreur la plupart des matelots. Le Capitaine n'oser se l'avouer, mais lui aussi était terrifié. Il était néanmoins plus instruit que ses comparses et avait reconnu là l'oeuvre d'un fruit du démon. Mais s'il l'avait reconnu, il le craignait tout autant, car il savait ce qu'était ce genre de fruit. Le fruit de la fumée, en la personne de l'assassin Rafaelo Di Auditore. L'homme qui avait tué le prince et la princesse. L'ennemi numéro un de Goa. Il menait à présent le navire du Commandant de la flotte Royale droit sur la citadelle, ce qui ressemblait presque à un suicide. Mais concernant cet homme ... les rumeurs disaient qu'il pouvaient voler. Qu'il pouvait vous étouffer d'un seul geste ou disparaître en un battement de paupière. Des choses certainement très exagérées en somme. Mais il avait percé la sécurité du château. Chose insensée qui ne s'était produite en plus de cinquante ans. Constat alarmant qui amena le Capitaine à donner encore plus d'entrain à ses marins.
"Le premier qui flanche passe par dessus bord." grogna-t-il, pointant son mousquet vers l'un des galérien qui essayait de se lever.
Son second l'imita et la cadence du Téméraire reprit de plus belle.
"Capitaine, il se dirige droit vers les récifs bordant la Citadelle, il va s'écraser contre son flanc : le suivre serait pur suicide !" lui fit remarquer son Second.
Le Capitaine se lissa la plume du chapeau, puis le bouc. Ses yeux froids se plissèrent, et il dirigea son canon vers son Second. Il préférait le suicide au châtiment que ses pairs lui réserveraient. Il était un mercenaire à la solde de la Royauté, pas un noble ni un bourgeois. Il était cruel, vindicatif et sa réputation ne souffrirait aucun outrage. Alors c'était la fuite ou la mort.
"Tu préfères traiter avec le Roi en personne, couard ? Bande d'incapables, je n'ai pas peur d'un assassin misérable. La mort est une journée qui mérite d'être vécue !" fit-il, trouant l'occiput de son Second d'une balle ajustée.
Le Capitaine s'empara de la barre et la dresse à bâbord pour suivre le cap de l'assassin. Il ordonna que l'on lâche les voiles et fit presser le tambour des galériens, sous une pluie mordante. Le Téméraire grimpa la vague et s'écrasa violemment dans le creux, soulevant une gerbe d'eau qui envahit le pont. Le mercenaire éclata de rire, faisant face à son destin avec le courage de ceux qui voient leur fin. Il était de ces hommes juste assez fous pour tenter le Diable. Les autres navires hésitaient, restaient en retrait. Lui seul aurait la gloire, ainsi en était-il !
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L'assassin s'empara de l'épée de l'homme qu'il avait tué contre la barre et la bloqua de nouveau, contraignant le navire à filer vers les récifs qui bordaient la citadelle. Son but n'était nullement d'y arriver en entier, seulement d'y arriver. Les navires de la flotte royale perdaient de l'entrain derrière lui, comprenant que son voyage n'avait qu'une seule destination. Les flammes se rapprochaient dangereusement des tonneaux entreposés sur le pont, la pluie n'arrivant pas à les juguler. D'un geste de la main, il généra une puissante bourrasque de fumée et souffla les quelques flammes dangereuses puis se concentra à rassembler les tonneaux, encore. Les tirs fusaient au-dessus de lui, et la Citadelle s'armait pour le recevoir. Le temps de réaction laissait à désirer, il était à présent trop tard pour l'arrêter de ce côté, et les vagues soulevées par la tempête le protégeaient d'autant plus. Il grimpa la crête, alors que les voies d'eau prenaient une ampleur alarmante dans la cale du navire.
"Enfin ..." se murmura-t-il, dégainant son mousquet.
Il regarda derrière lui, estimant la distance le séparant du navire de tête. Puis il leva les yeux au ciel, sa capuche tombant vers l'arrière. Il ouvrit sa paume, cueillant les gouttes avec un sourire attristé. Le navire s'écrasa dans les flots, faisant craquer et bouger la quille. Il venait de percuter un récif. Le début de la Révolution de Goa, le départ d'une échauffourée sanglante qui ne connaitrait de fin que lorsque le Royaume serait tombé. Ou lorsque la Révolution serait abattue. Lorsque lui, Rafael, serait mort. Il serra son point, ravalant ses doutes et misant sur ses espoirs. Nul ne devait déceler ses peurs et ses doutes, ils devraient le voir comme un être supérieur, quelqu'un apte à les guider. Il avait échoué avec sa propre Confrérie, cela ne se reproduirait pas. Il mènerait tous ces hommes à la victoire et ferait en sorte de libérer ce peuple en souffrance. Il devrait se montrer infaillible, invincible. Ses ennemis trembleraient de peur à le voir oeuvrer et ils s'enfuiraient en croisant son chemin. Voilà l'image qu'un assassin devait inspirer. Et il le ferait.
Rafael replaça sa capuche sur sa tête puis arma son mousquet. Le navire parut s'ouvrir en deux en percutant un autre récif, puis il bondit dans les airs sous la puissance du choc. Les cordes maintenaient efficacement les tonneaux en places, bien que certains d'entre eux commençaient à bouger dangereusement. La façade de la Citadelle se rapprochait bien trop vite. C'était parfait. Avisant les tonneaux de son mousquet, l'assassin commença à courir le long du pont supérieur puis il bondit par dessus le bastingage, se livrant à la mer. Et, à l'instant même où la proue s'explosait contre la pierre sans même l'entamer, il fit feu.
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"Ah ah ah ! L'imbécile, il s'est suici..." ricana le nouveau Second, avant qu'une tape du Capitaine ne le fasse taire.
C'était un logia, pas un être ordinaire. Il avait vu un trait de fumée s'envoler et rejoindre les nuages. Les rumeurs étaient fondées. Ils affrontaient autre chose qu'un être tapi dans l'ombre, c'était d'un autre niveau.
"Bordel ... il peut vraiment voler. Prévenez la milice, qu'ils sortent les armes en granit marin." grogna le Capitaine, avant qu'un éclair n'illumine le pont pour révéler une silhouette encapuchonnée noire.
"Voler n'est pas le terme exact." ricana la silhouette avant de bondir sur lui, épée au clair.
Le Capitaine para le premier coup, puis le second, sentant bien que la force de cet homme surpassait la sienne. Mais sur un navire, on ne l'aurait pas ! C'était sa force, sa spécificité. Il était le maître des lieux et personne ne pouvait le mettre à mal sur son propre territoire. Il se recula de deux pas et esquiva une pointe de l'assassin qui se fendit d'un sourire amusé face aux talents du pirate. Ne voyant que sa bouche, il ne savait qu'en conclure. Qu'il se raillait de lui ? Qu'il était content de se battre face à un adversaire de valeur ? Non, ce n'était définitivement pas un sourire qui plaisait au mercenaire. Il sortit son second mousquet et le pointa vers l'assassin.
"Je sais que tu as un logia, assassin. Mais je parie que tu ne prendras pas le risque de te faire trouer par une balle en granit marin !" bluffa-t-il, espérant par là gagner assez de temps pour trouver une faille chez cet assassin.
"Tire donc." riposta l'assassin, se fendant sur le côté.
La balle partit, le frôlant d'un cheveux. Calculé. Puis le fer perça la chair du Capitaine, ouvrant son estomac et son dos. Le mercenaire cracha un mélange de sang et de bile, en se cramponnant à l'épaule de Rafael. Puis il tomba, sous l'impulsion d'un coup d'épaule. D'un tout autre niveau ... Il vit l'homme vêtu de noir se retourner vers l'équipage, son épée encore ensanglantée.
"Fuyez pour vos vies." leur fit-il, avant de disparaître dans une gerbe de fumée, montant vers les cieux pour ne plus jamais revenir.
Puis ce furent les cris, la panique. Et le néant.
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Les feux s'allumèrent dans la cité. La Révolution était en marche.