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L'herbe noire au pays des neiges.

Grey Terminal. Grey Terminal et ses plus de 100 000 vies qui s'écrasaient les unes contre les autres. Ici, c'était la haine, la violence et le sang qui faisaient oublier la misère, la neige inondant la ville pour ne former plus qu'une immonde forme d'un mélange de marron et blanc. C'était ces gosses qui n'avaient pas plus d'une dizaine d'année et qui déjà, étaient à courir après un bout de mie rassie. Ici, les espoirs s’étaient envolé depuis longtemps pour laisser place à la réalité de la vie. Et la réalité, elle était belle, parce qu'au creux de toute cette misère, il y avait encore un bout d'esprit qui tentait, tant bien que mal, de résister à la violence des temps.

Cette beauté, c'était cette femme avec son corps squelettique et ses membres entravés par des chaînes. Elle avait les pieds palmés qui saignaient le métal d'un rouge carmin. Elle avait les frusques déchirés, tachés, avec les marques de coups qui recouvraient les parcelles de corps visible. Elle avait les lèvres fines, coites dans un mutisme plein de hargne. C'était comme entendre toute sa rage dans le creux de son silence. Au creux de son cou bleu ciel apparaissaient de drôles de signes rougeâtres qu'on ne savait si c'étaient d'énormes blessures ou des tâches de naissance.  Et puis... Il y avait ses cheveux roux qui malgré la crasse, continuaient à resplendir de leur beauté comme la crinière d'un Lion, tout trempé de cotons blancs.

Elle avait toute cette sauvagerie et ce calme à la fois. Parce qu'au milieu des gesticulations des hommes qui la vendaient, parce qu'au milieu des crachats, des insultes, des gestes et des paroles obscènes, elle restait droite comme un I. Elle restait le visage fermement crampé avec un regard froid d'une pierre d'hivers .

C'était la misère de son existence qui cognait au creux de ses doux yeux.

Le vendeur postillonnait chaque mot qu'il sortait de son énorme bec. Torse nu face à la fraîcheur qui gerçait les lèvres, la gueule ouverte, blanchâtre, il hurlait aux badauds la vente de ce corps de femme à qui en avait les moyens. Et tous, hurlaient, gueulaient, riaient, rêvaient de pouvoir l'obtenir pour une poignée de centaines de milliers de berrys. Tous, sauf un qui admirait la scène d'un œil triste. Ishii, il fumait son cigare au milieu de la foule crieuse avec le bec coït d'horreur.

Il dépassait chaque gueule de son énorme hauteur, et par son visage, par son costume trois pièces trempé de larmes blanches du ciel, il faisait tache. Tous continuaient à hurler, rire aux éclats et tonitruer leur absurdité tandis qu'il restait là, immobile, comme immuable à l'horreur humaine. Un homme vint à côté de lui. Il n'avait pas 20 printemps. Les yeux plissés dans un rictus d’écœurement, la mâchoire serrée, les cheveux rasés impeccablement, tout en lui suintait l'agacement.

-Une horreur, hein.

-Hmm... Oui.

-Faut pas leur en vouloir.

-Hmm... Si.

L'homme sourit, presque surpris, et tendit la main.

-Moi, c'est Billy. T'es pas du coin, toi, hein ?

-Hmm... Non, je suis ici pour un travail. Je cherche des hommes. Vous aussi, vous faites tache, ici. Vous devez être quelqu'un.

-Ahah. Je vais le prendre comme un compliment.

-Vous pouvez m'aider ?

-Pas sûr. Et si tu me vouvoies, encore moins. Héhé. Tu cherches quoi, comme gars ?

Il n'eut pas de réponse. Le Monstre était trop intrigué par la vente de cette femme pour quelques centaines de milliers de berrys. Le nouveau propriétaire l'amenait déjà. Il avait une drôle d'allure avec son dos totalement tordu, ses côtes en ressortant et ses dents toutes de travers, mais pourtant il l'a traînait comme un vulgaire sac. Les pieds reliés, les mains nouées, elle ne pouvait que supporter son crâne frottant le sol enneigé plein de crasse.

-L'homme chien, un gars intelligent qu'a su comment se faire de l'argent. Les vendeurs ne sont que des imbéciles peureux. Enfin, tu l'as deviné, non ?

-Hmm. Le vendeur a du la ramasser en mer, sûrement assez prêt d'un noble ou d'un homme influent pour savoir que cette femme, c'était de la braise entre les mains. Alors plutôt que de la revendre plusieurs dizaines de millions, parce que c'est ce qu'elle vaut, il s'est dépêché de s'en débarrasser pour dix fois moins. Et si ce vieillard est intelligent, il a fait le même raisonnement et a de quoi la cacher le temps que l'affaire se tasse pour la revendre à son vrai prix dans quelques mois.

-Héhé, bien pensé. Je crois même que t'as rien oublié. Tu cherches des hommes pour quoi ?

-Des hommes de main pour mon patron. Des hommes qui savent se servir d'une arme, qui n'ont pas peur de la mort et qui acceptent de dire « oui chef » pour quelques billets.

-Le vieillard est ton homme, mais tu auras besoin de quelqu'un pour l'approcher. Il est du genre prudent et c'est pas le genre de gars avec qui l'est facile de négocier.

-Hmm. Tu peux m'aider ?

-Ahah. Tout se paye, dans ce monde.


Dernière édition par Ishii Môsh le Lun 13 Jan 2014 - 1:32, édité 3 fois
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-Il y a un homme, un chasseur, qui s’intéresse à moi. Si tu pouvais aller lui parler et lui dire qu'en fin de compte je suis quelqu'un de bien, alors on ira ensuite voir notre ami l'homme chien.

-Il est où ? Hmm.

-Il se cache au milieu des bars les plus fréquentés. Il s'appelle Marx.

-Hmm.

-Quoi ?

-Non, rien, je pensais à elle.

-Ahah, t'es pas tombé au bon endroit. Ici, les sentiments se font tuer par la vie.

-Hmm. On se retrouve où?

-C'est moi qui te retrouverais.

Il avait beau dire, le Monstre avait cette image redondante qui revenait à son esprit, celle de ces deux yeux émeraudes qui lutaient contre la terre. Celle de ces cheveux roux remplis de crasse et qui pourtant continuaient à resplendir. Celle de ce corps meurtri par les coups et qui pourtant, suintait l'auto-contrôle. Et au gré de ses pas entremêlés d'images, au gré du temps continuant à enneiger le sol crasseux de Grey Terminal, il arriva au fin fond d'un bar. La poussière avait envahit chaque endroit jusqu'à ne plus oser s’asseoir sur une chaise. L'odeur de rhum, de saké et de tous les autres alcool envahissait tant le bar que le nez du Monstre manqua d’éternuer d'horreur. Mais il resta là, debout, au comptoir. Il resta devant ces drôles de gueules fatiguées par le temps qui ne les avait pas laissé vivre. Au milieu des ivrognes, des racailles et des pauvres bougres qui préféraient s’enfuir dans l'alcool que d'affronter leur misère. Le barman s'avança vers lui. Il avait un énorme tablier qui à une époque avait dû être blanc.

-Tu veux quoi ?

-Un thé.

-J'ai pas.

-Alors un café.

-J'ai pas.

-Alors un tord boyau, Hmm...

-Ca, j'ai, héhé. T'es là pour quoi ? J'ai jamais vu ta sale gueule par ici. Et pourtant, des sales gueules, j'en vois tous les jours. Rien que la matin dans la glace, l'horreur humaine commence  déjà à me faire vomir. Mais je m'égare.

-Hmm...

-Pas bien bavard, toi.

-Hmm. Je cherche un Marx, un nouveau, aussi. Tu connais ?

-Possible.

Un billet se sauve dans la main du barman.

-La dernière table, au fond à droite.

Le Monstre ne pensa pas à dire merci, ni même à prendre son tord boyau. Il partit dirrèctement vers le petit homme à énorme ventre nommé Marx. Il était drôle, cet homme, avec ses oreilles décolées, son crâne à moitié dégarni et ses yeux presque clos comme s'il espionnait tout le monde. Dès qu'Ishii eu faire un pas vers lui, le Monstre vit le petit hommeperdre sa main sous la table.

-Hmm, viser quelqu'un en secret, ce n'est pas très poli.

-Héhé, bien vu très cher. Vous me voulez quoi ?

-Je peux m’asseoir ?

-Je vous y autorise volontiers.

-Merci.

-Alors, que me voulez vous ?

-Hmm. Vous êtes Marx, non ?

-Oui, et vous ?

-Ishii. Je m'appelle Ishii, et ce que je fais là, hmm... Vous le saurez quand vous aurez répondu à mes questions.

-Et bien dîtes moi, pourquoi je répondrais à vos questions ?

-Pourquoi vous n'y rebondiriez pas, plutôt. Hmm... Mais dîtes moi. Pourquoi vous faites ça, comme travail ?

-Pour l'argent, comme tout le monde.

-Et les idéaux ?

-Les idéaux sont les moyens, et l'argent le but.

-Hmm... Drôle, j'ai toujours cru le contraire.

-Et vous vous êtes fourvoyé.

-Donc si je vous donne de l'argent, vous arrêtez de chercher mon ami ?

-Et bien nous y voilà. Au moins vous n'êtes pas lent à venir au fait.

-Hmm. C'est que le temps presse.

-Alors oui, pour trente millions.

-Trente millions sans rien faire ?

-C'est le prix.

-Hmm... Mauvaise réponse.

La tête d'un presque non chevelu explosa contre une table en bois bien peu solide avant de se fracasser contre le sol et de se faire rouer de coups.

-Hmm. Laissez mon ami en paix ; Ou mourrez.

Lorsque le Monstre remit son noeud papillon en place avec les chaussures tachées de carmin, il se dit qu'il faisait un bien sale travail. Il avait les pieds rouges, la gueule blanche et l'esprit rose. Et puis l'image revint, encore.

Ce visage qui lui brouillait les pensées.


Dernière édition par Ishii Môsh le Ven 3 Jan 2014 - 13:38, édité 4 fois
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Elle se disait qu'ils étaient con, ces hommes. Oui, con. Un gros mot très vilain qui ne sonnait pas encore assez fort au creux de ses deux oreilles. Elle regardait l'homme chien tenter de mordre une queue qu'il n'avait pas. Elle regardait deux de ses hommes baver devant elle. Elle regardait tout ça et se disait qu'au fond, la vie n'était qu'une drôle de farce plein de risible. Pourtant elle n'avait jamais rien fait de mal. Elle n'avait jamais tenté de voler ou tuer qui que ce soit. Enfin, si, elle avait bien, une fois, chippé la jolie bague de sa mère mais ça ne valait pas tout ce lot de misère ! Et puis elle l'avait rendue quelques heures plus tard, alors ça ne pouvait même pas compter comme du vol... Et pourtant elle se trouvait là, après s'être trouvée esclave d'un con de Dragon céleste qui se croyait au dessus des lois, elle se trouvait maintenant l'esclave d'un chien totalement fou.

Ils sont cons, ces hommes.

Elle sentait bien qu'au fond de la caboche du vieux chien, il y avait des restes d’intellects. C'était le genre de personne totalement frappée et qui pourtant était capable d'avoir des raisonnements totalement clairvoyant. Elle se disait que ça devait être ça, être homme. Avoir ce mélange incohérent au fond du crane qui empêche de trouver quoi que ce soit de compréhensible.

-Dites, vous allez me garder longtemps ?

-Wouaf, le temps qu'il faudra minette.

-Et vous n'avez pas peur ? Je sais que vous le savez. Je sais que vous savez à qui vous m'avez volé.

-Wouaf, un noble, ou pire, un dragon céleste. Et pis quoi, au pire qu'est ce qu'il se passera, hein ? Wouaf. S'ils se rendent compte que t'es là, ils enverront des hommes te chercher. Et le temps qu'ils te trouvent, je le saurai. Il n'y aura qu'a t'enterrer au fond d'un trou comme un vieil os et wouaf, ni vu, ni connu. J'aurais perdu quelques billets, c'est tout.
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Au fond c'était simple la vie. La pauvre femme devait juste nettoyer, cirer, frotter. Elle devait passerr ces journées là, à ranger tout le bazar d'un endroit qui ne connaissait que la désolation. Elle devait se casser les ongles sur des crasses qui n'avaient jamais rien connu d'autre que la paix de la misère. Alors elle le faisait. Parfois l'homme chien arrivait, se grattait la queue dans un geste plein d'auto-satisfaction en regardant ce bout de vie qui lui appartenait. Il lui levait le menton, la touchant de ses sales doigts plein de pisse et d'autres choses qu'elle ne voulait pas savoir. Il collait son visage à quelques centimètres du sien lui envoyant son haleine horrible en pleine gueule et grommelait.

-Tu t'revendras cher, j'en suis certain. Whouaf ! Tu t'revendras cher.

Il l'observait sous tous les angles, la dévisageant de ses deux yeux où de chaque côté des croutes apparaissaient. Il tournait la tête en tout sens un long moment, lentement, calmement, toujours à quelques centimètres de son visage. Et puis s'en allait, en grommelant.

-Tiens toi prête, un client va peut être venir ! Whouaf !

Ils venaient,nombreux. Non pas pour acheter parce qu'ils n'en avaient pas les moyens, mais pour observer. Ils étaient là, devant elles, comme de vieux cabots devant un os. Ecoeurant, immondes, ils espéraient pouvoir tester la « marchandise », « obtenir un prêt le temps de la rentabiliser », ils étaient tous là, prêt à sortir autant de merde de leur bouche que de leur corps. Et puis vint deux autres hommes. Ils étaient différent. Il y en avait un, jeune, beau, habillé comme un noble avec son couvre chef et son joli costume. Et puis il y avait comme son garde du corps. Elle reconnu sa race d'un coup d’œil. Avec ses énormes lèvres, ses yeux plats, minuscules, et ses épaules imposantes.

C'était un homme cachalot. C'était Ishii.

Elle se dit qu'eux, n'étaient pas venu pour la tester, et que eux,s'ils voulaient vraiment l'acheter, en avaient les moyens. Alors elle se demanda s'ils seraient moins pires, s'ils seraient presque bon.

-L'homme chien, je te présente Ishii. C'est un ami.

-L'ami de mon ami n'est pas mon ennemi, whouaf.

-Hmm... Bonjour.

-Vous venez pour la miss, hein ?! 8 millions et elle est à vous.

-Navré, mais c'est pas ça qu'Ishii recherche. Par contre, moi, ça pourrait m’intéresser.

-Hmm...

-Mais 8 millions... Elle est belle,je te l'accorde, mais bon. Elle est dangereuse aussi. Et puis, tu l'as touché avec tes doigts dégueulasse, alors forcément, elle a perdu de sa valeur. 4 millions, à la limite.

-Hmm...

-Whouaf ! On ne négocie pas avec moi ! C'est 8 millions, et c'est tout ! J'attends un riche de Goa qui la prendra peut être même pour plus de dix millions ! Whouaf !

-Hmm...

-Et puis, toi, le Monstre,si t'es pas là pour elle, t'es là pour quoi ?

-Je cherche des hommes qui savent se servir d'une arme et savent dire « amen » en échange de quelques billets.

-Combien t'en veux ?

-Hmm. 10.

-Ahahwouaf ! Alors j'ai ce qu'il te faut ! 6 millions. 2 pour moi et 4 à répartir entre eux.

-Hmm.. Je veux les voir, avant.

-Whouaf ! Reviens demain à la même heure et ils seront là !
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-Drôle quand même. Quand tu parlais à l'homme chien, il n'y avait qu'elle, que tu regardais.

-Hmm...

-Sauf que toi, tu la regardais pas comme les autres la regardent, avec envie, des regards plein de rage et plein d'envie que j'ai même pas envie de connaître. Non, toi, c'était de la pitié que t'avais dans les yeux.

-Hmm... J'ai connu ça aussi, l'esclavage.

-Ah, merde alors. Où ça ?

-Tequila.

-Et t'as réussi à en sortir ?

-Hmm... Tu sais, c'est le genre de souvenirs qu'on aime pas revivre.

-Y'a une legende, sur Tequila. Celle d'un Monstre qu'aurait réussi à s'échapper. Mais je vais te laisser tranquille avec ça. Juste qu’égoïste que je suis, ça m'arrange.

-Hmm ?

-Tu vois, dans mon travail on aime pas trop ce genre de choses. Et on aime pas trop non plus les nobles. Tu vois où je veux en venir ? Le noble, là, dont a parlé l'homme chien, il viendra jamais ici. C'est trop risqué. Par contre il amènera des hommes de mains. Et ses hommes à lui auront assez d'or pour acheter la fille. Tu sais, l'homme chien, s'il a donné cette info, c'est pas pour rien. Lui non plus il aime pas trop les nobles. Ca lui rappelle trop le gouvernement.

-Hmm. 8 millions pour moi. Le reste pour toi ?

-Héhé. Décidément. Je t'aime bien, Ishii.
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Elle était presque libre. Presque parce avec le collier qu'avait dégoté l'homme chien, elle ne pouvait pas fuir. Mais elle avait une heure à elle. Une heure à voir l'horreur humaine de cette ville. Une heure où elle pouvait laisser autant aller son âme que ses jambes au détour des ruelles de Grey Terminal. Elle allait pouvoir observer les vagues se fracasser contre le port. Elle allait pouvoir rêver à son île, et se laisser bercer par les sifflements de la mer.

Ses bras lui faisaient mal, comme si les chaînes étaient encore là. Elle avait beau ne plus être entravée, elle sentait encore la brûlure du métal contre sa peau abîmée.

Elle était là, seule, emmitouflée dans un énorme veston recouvrant son visage. Elle était là, les yeux fermées, à tenter d'oublier les hommes vidant les coques, à oublier les raclement des caisses cognant le pont pour ne plus entendre que le fracas des vagues. Ce bruit là, qu'elle ne pouvait oublier, qui avait bercé son enfance. Elle le ré-écoutait enfin. Il avait beau faire froid, elle avait beau devoir subir les flocons blancs qui venaient geler son corps, elle souriait. Car elle se rappelait à son enfance où ce bruit qu'elle entendait était la plus belle de ses berceuses. C'était autant de souvenirs d'enfance qui resurgissaient à chaque éclaboussures.

Mais ce calme là ne resta pas longtemps. Il y eut une odeur de sang et de violence qui peu à peu embruma l'air, qui l'obligea à ouvrir les yeux pour voir 4 hommes se faire face. C'étaient les deux hommes de la veille. L'étrange homme poisson qui ne parlait pas, qui ne l'avait à peine regardé et l'autre, aussi étrange. Le premier avait une lame sortie de son fourreau. Le second un pistolet en main. Et en face, deux autres qu'elle ne connaissait pas. Ils sortaient d'un bateau.

-Dites les gars, je dois vous le dire quand même. On n'aime pas le sang alors si vous laissez la caisse et que vous partez maintenant, on ne vous en voudra pas.

Il n'y eut pas de réponse. L'air s'embruma juste encore plus pour ne plus laisser que ces quatre hommes se faire face. Ils restèrent là, longtemps. Les secondes passaient et aucun d'eux ne voulaient bouger. Les minutes s'écoulèrent sous les rafales de flocon et aucun mouvement ne se faisait. Même elle, n'osait plus refermer les yeux, fixés qu'ils étaient sur cette étrange scène. Les autres marins autour avaient fuit le port, s'étaient calfeutrés dans leur coque ou dans le bidonville. Mais elle voulait rester, comme vouée d'une curiosité malsaine, comme trop embrumée pour oser bouger. Elle se demanda un instant pourquoi les hommes voulaient toujours faire couler le sang. Le moment d'après les 4 hommes avaient basculé les uns contre les autres, les pétoires avaient tiré et les corps se démenaient les uns contre les autres. Le Monstre sauta vers l'un des deux adversaires , son épée cogna l'arme de l'homme pour laisser son genou percuter l'abdomen.

C'était fini. L'une des deux victimes vomissait ses tripes contre le sol et l'autre pleurait la balle rentrée dans son épaule. L'homme poisson et son acolyte ne s'en occupaient déjà plus. Ils prirent une grosse caisse et s'en allèrent sans un mot pour leur victime. Elle les regardaient sortir du port comme s'ils n'avaient rien fait. Elle le regardait s'approcher d'elle sans la voir. Ils passèrent à quelques centimètres et pourtant ne dirent rien. Il y avait leur frusques tachées de quelques gouttes de sang. Il y avait leur démarche alourdie par le poids de la caisse en bois et leurs manches retroussées par l'effort. Elle observait les bras du cachalot dont les veines ressortaient de sa peau noirâtre. Elle observait ses doigts crispés sur la poignée de la caisse. Elle observait les drôles d'incrustation qu'il avait au bas des mains, comme s'il avait porté trop longtemps des chaînes trop serrées. Comme celles qu'elle avait, le sang en moins.

Mais ce n'était pas possible ; Ce genre de chaînes ne partaient jamais pour toujours. Ce genre de chaîne restait à vie, jusqu'à ce que le prisonnier ne meurt. Parce que les hommes étaient trop cons.

Parce que les hommes étaient trop cons.
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Lorsqu'elle rentra chez l'homme chien, ce fut pour retrouver ses chênes, la froideur du métal contre sa peau et l'odeur de la poudre qui commençait peu à peu à envahir la pièce. Les hommes arrivaient peu à peu, avec leurs armes, leur odeur de transpiration et de crasse. Ils arrivèrent avec leurs regards plein d'envie et de haine. Ils l'observaient comme un animal en cage, enfermé entre deux barreaux crasseux. Leurs rires résonnaient dans le crane de la Dame comme ceux d'un mauvais rêves. Leurs voix graves volaient vers son visage avec les postillons et les crachats.

Et puis, vint les deux hommes.

-Whouaf, voilà les nouveaux patrons de la troupe.

Le Monstre ne dit mot. Il lança un sac au milieu de la pièce que s'empressa d'ouvrir l'homme chien. L'animal jeta les billets par terre, comme surpris.

-Hmm. 14 millions.

-Whouaf, on avait dit 6. Qu'est c'que tu m'veux avec ces 8 millions en plus ?

-Hmm... La femme.

-La chose ?

-Non, la femme. La chose, c'est vous.

L'homme chien s’arrêta. Lança son cou pour observer le Monstre qui venait de l'insulter. Ses grosses dents toutes jaunis sortirent de sa gueule comme pour aboyer. Et puis... Il rit. De toutes ses dents, de tout son corps, jusqu'à presque faire sourire ses hommes, jusqu'à presque faire lever les lèvres d'Ishii vers le haut.

-Whouaf whouaf, 14 millions alors ! Le Noble fera la tête m'enfin, whouaf whouaf.

Elle, admirait la scène sans comprendre. Elle qui avait pris ce Monstre pour un homme de main comme les autres, juste un peu plus laid. Elle qui avait cru le voir comme ancien esclave, elle allait maintenant devoir l'appeller... « Maitre » ? Mais lui, s'en fichait, il était de trop occupé à regarder les hommes sous toutes leurs coutures. Il levait les bras de certains, frappait les épaules d'autres. Il soulevait les armes d'un homme pour observer le regard d'un second. Il faisait les cent pas devant ces soldats comme pour soupeser leur prix.

-Hmm... 6 millions, pour ça... Tu as vu leurs armes ? Des pétoires bons qu'à exploser dans les mains... Et leurs bras... La moitié perdrait contre mon grand père au bras de fer... 6 millions pour ça...

Il s'en fichait, d'elle. Il n'avait de regard que pour ces hommes. Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait pas pourquoi il avait mis plusieurs millions pour la prendre alors qu'elle ne le connaissait pas. Et là, alors qu'elle attendait les explications il n'était obnubilé que par ce tas de muscle sans cervelle. Il ne lui jeta pas même un seul regard et il n'y avait que son collègue pour venir vers elle. Lui, souriait, il n'avait ni haine ni envie dans son regard. Il avait juste ce sourire de l'homme heureux de rendre service, presque géné par le cadeau offert.

-Hé, l'homme chien, libère la de ses chaînes.

-Hmm. Non.

-Quoi ?

-Elle reste enchaînée.

Ils se regardèrent un moment en silence, le temps pour le plus sympathique de maugréer quelques mauvais mots dans sa barbe. Puis il repartit, sortit de la maison tandis que le Monstre et l'homme chien continuaient de se battre sur le prix des soldats.

Les hommes étaient cons.


Dernière édition par Ishii Môsh le Ven 10 Jan 2014 - 2:24, édité 1 fois
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Les hommes étaient cons.

Ils l'avaient presque jeté au milieu de la coque sans même une couverture. Ils l'avaient balancé là, la traînant par les pieds sur tout le trajet, avec juste un pauvre couverture pleine de vermine pour l'éviter de racler le sol. Et alors qu'elle était maintenant à souffrir du froid qui engourdissait tous ses membres, ils se contentaient de discuter à quelques mètre. Les matelots faisaient voguer le bateau vers une destination qu'elle ne connaissait pas, mais eux, ne s'en préoccupaient pas. Ils avaient le visage rivé vers la mer, dos à elle. Les hommes étaient cons, parce qu'ils ne savaient pas qu'elle avait de jolies oreilles. Ils ne savaient pas que les messes basses qu'ils disaient, elle pouvait les entendre.

-Dis moi que tu ne vas pas la laisser comme ça.

-Hmm...Non. Et je n'aime pas la voir ainsi.

-Alors libère la.

-Pour qu'elle se fasse prendre par d'autres quelques mètres plus loin... Hmm... Non.

-Alors, quoi ?

-Tu connais du monde, toi,j'en suis sûr. Du monde qui pourra la ramener chez elle en toute sécurité. Tu feras marcher tes contacts mais en attendant je la garde en sécurité.

-Et je gagne quoi ?

-Hmm. Rien.

-Héhé, toi alors.

Ils restèrent longtemps, là.  Les anges passèrent. Les vagues s'écrasèrent. Les hommes  maintinrent le navire et peu à peu, l'île de Logue Town apparaissait. Logue Town, elle ne connaissait rien de ses rues, de cette ville. Elle ne connaissait pas la misère des cœurs de ces gens là. Ni la violence. Parce que oui, à Logue Town la violence était là. Plus vicieuse, plus sournoise. Elle se faufilait entre les cœurs au gré du temps, insidieusement. Et alors qu'à Grey Terminal elle s'écrivait sur les gueules, à Logue Town elle s'insinuait dans les cœurs. Et cette violence là, elle allait la connaître.

Le Monstre s'avança vers elle. Ses deux yeux tournaient vers elle un regard étrange, qui s'alliait au temps pour refroidir encore l'air/

-J'ai froid.

-Moi aussi. Hmm... Qui est ton maître ?

-Toi, l'autre. Tout le monde, personne.

Il sourit.

-Personne, oui. Tu t'appelles comment ?

-On m'a donné plusieurs noms... Les hommes sont cons...

-Hmm... Alors je t'appellerai Pälie. Pa, comme le passé que tu as connu et qui te marquera. Lie, comme la liberté qui te hante et que tu retrouveras.

-Ce n'est pas moche.

-Non, moi c'est Monsieur Môsh.


Dernière édition par Ishii Môsh le Ven 10 Jan 2014 - 2:23, édité 1 fois
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Il lui fallut plusieurs jours pour s'habituer à ce drôle de Monstre. Et elle avait beau avoir maintenant les pieds détachés, elle avait beau ne plus avoir peur des coups ou des taches, elle restait triste. C'était le mal du pays qui la gagnait mais c'était aussi cette drôle de sensation comme si tout ça, ce n'était pas fini, comme s'il lui restait encore de la misère à connaître. Comme si la fin n'avait pas lieu d'être. Et le Monstre avait beau tenter de la rassurer, rien n'y faisait.

Elle n'y croyait pas.

Parce qu'elle se disait qu'au fond, les hommes étaient cons. Qu'ils finiraient par lui retomber dessus un jour ou l'autre. Et à chaque fois que la sonnette retentissait,à chaque fois que des pas se faisaient entendre dans l'escalier de l'immeuble, son cœur se mettait à battre plus vite, ses tempes dégoulinaient et son visage se transformait en une horrible grimace de peur. Le Monstre, lui, ne faisait rien pour la rassurer. Il parlait peu, était toujours sur ses gardes.

Elle avait peur.

Et peut être que ce silence là, celui du Monstre, celui qu'il ne brisait que pour partir un instant à ses affaire ou pour allumer un cigare, peut être que ce silence là, il la rendait plus folle. Elle aurait aimé sentir la présence d'un homme pour la rassurer. Elle aurait aimé sentir les bras de son père pour s'y enfoncer comme dans du coton, pour s'y protéger du reste du Monde. Mais lui, le Monstre, c'était comme s'il s'en fichait, comme s'il en avait cure, de sa peur !

Elle était en colère.

Elle revoyait, elle revivait ces choses qu'elle avait du subir, ces choses là qui l'avaient marqué plus dur encore que le fer rougi qui marquerait à jamais son dos. Cette douleur là, sourde et insinueuse la marquait plus encore que l'horrible tatouage. Et quand elle se reculait dans la douche pour ne plus sentir que l'eau couler le long de son corps honteux, elle pleurait des larmes chaudes qui ruisselaient le long de son corps. Elle pleurait silencieusement cette douleur qui ne voulait plus partir.

Elle était triste.

D'une tristesse sans fin dont elle ne trouvait aucun moyen de s'en défaire. Elle aurait tant aimé oublier toutes ces années de misères, tant détruire cette carapace qu'elle s'était construite pour oublier comme les hommes étaient cons. Parce que ce passé là, elle n'y pouvait plus rien, c'était une trace indélébile dont rien ne pourrait effacer les marques. Et cette chose là, elle le savait elle devait apprendre à vivre avec comme l'une des marques de la vie qui ne sont ni belle ni laides, mais des faits irréversibles.

Elle l'acceptait, peu à peu.

Parce que peu à peu, au fur et à mesure des jours qui s'écoulaient, au fur et à mesure des repas qui s'ingurgitaient lentement comme si elle n'avait plus goûté à ça depuis trop longtemps, son corps retrouvait autant forme que son esprit. Elle apprenait à vivre avec cet homme qui ne disait rien, qui ne demandait rien. Cet homme là la regardait comme une pauvre enfant perdue. Et lorsqu'il vit une larme perler le long de sa joue, ses gros bras patauds vinrent se serrer contre elle presque délicatement. Ils sentaient un mélange de tabac et de thé. C'était une douce odeur qui lui rappelait les infusions de sa mère, la tranquillité d'un lieu qu'elle ne connaissait plus que dans ses souvenirs. Et ses larmes se mirent à perler plus vite encore, moins silencieusement, pour se transformer en plainte lancinante. Des gouttes de tristesse trempaient le costume de l'homme. Des cris et pleurs résonnaient dans toute la pièce mais ce moment là. Elle aurait aimé qu'il ne s’arrête jamais. C'était comme redécouvrir le plaisir d'un poids en moins.

Elle était comme une minuscule pousse ayant subie trop de tempête et trouvant enfin son tuteur.

Emmitouflée dans les bras de l'homme, elle se sentait au chaud, pour la première fois depuis des années, elle n'avait plus froid.
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Elle sentait bien pourtant, que plus les jours passaient et plus la tension montait. C'était de petits signes, à peine visibles. Les regards de l'homme qui se faisaient plus pressent vers la fenêtre. C'était les habits qu'il prenait pour aller chercher de quoi se nourrir. C'était ses sorties de plus en plus rares, de plus en plus courtes. Et à chaque fois, en revenant, son visage était plus fermé, plus dur encore.

Les nouvelles n'étaient pas bonnes. Son contact n'arrivait pas à joindre ses amis pour faire fuir la belle. Des soldats de son premier propriétaire étaient arrivés en ville pour la chercher et ils avaient la description du cachalot. Ils n'allaient pas tarder à trouver cette planque, qui même si elle n'était pas à son nom était de trop connue.

Il fallait changer d'endroit, et vite.

Il aurait pu garder pour lui toutes ces informations, mais il la sentait prête à savoir ce qu'elle risquait. Et, un peu égoïste qu'il était, un peu stupide de ne pas comprendre lui même pourquoi, il voulait qu'elle sache ce qu'il faisait pour elle. Tous ces risques là, tous ces dangers auxquels il se risquait, il ne savait pas pourquoi il les prenait. Peut être était-ce son passé à lui. Peut être aussi était-ce quelque chose de plus étrange encore qu'il n'avait jamais connu.

-Pourquoi ? Pourquoi tu fais tout ça ?

-Hmm... Je ne sais pas.

Ses yeux se baissèrent pour ne plus admirer que ses chaussures. C'était la première fois depuis longtemps. C'était la première fois qu'il n'arrivait plus à regarder quelqu'un dans les yeux, comme honteux de cette drôle de sensation qu'il ne comprenait toujours pas. Son cœur battait trop vite alors qu'il n'avait fait aucun effort, son corps avait trop chaud alors qu'il n'y avait pas plus de chaleur que la veille. Et ses lèvres, elles tremblaient à chaque mot comme si gorge se bloquait de peur de sortir une chose qu'il ne fallait pas. C'était ça, peut être, le plus étrange. Lui qui n'avait jamais eu de mal à parler se trouvait avec la gorge coincée comme pris de la pire des grippes. Sa voix partait vers le haut sans même qu'il ne le veuille.

Il regarda un instant la Dame. Elle avait la tête tournée. Heureusement, elle ne l'avait pas vu faire cette drôle de chose que les autres appelaient rougir. Il devait être malade, c'est ce qu'il se dit. Ce ne pouvait être que ça, cette drôle de sensation. Il avait une impression de mou et de chaleur qui gagnait son corps et son cœur. Il devait se lever, bouger, peut être cela passerait-il. Que faisaient les autres lorsqu'ils étaient malades ? Ils se reposaient ? Pas lui, il avait trop de choses à faire. Il devait préparer le changement de planque. Il devait faire assez de provision pour ne pas avoir à re-sortir. Il devait prévenir le vieillard du changement pour que celui ci puisse avertir son contact. Non, vraiment, il n'avait pas le temps de se reposer.

-Hmm. Ce soir, nous changeons d'endroit.

Le reste de la journée, il courut en tous sens, prépara les affaire et réussit à mettre assez de nourriture pour une bonne semaine. Il courrut tant et si bien que sa drôle de sensation finit par partir. Mais dès qu'il repensait à la Dame lorsqu'il n'était pas avec elle, dès qu'il tournait son visage vers elle lorsqu'il préparait le déménagement, ça le reprenait.

Et lorsqu'il questionna le vieillard sur ces maux qui ne voulaient partir, celui ne donna même pas de réponse. Pourtant il sentit bien que son ami savait. Il vit bien que celui ci se moqua de lui en explosant de rire. Mais il ne comprenait pas. Il était gentil ce rire là, plein de tendresse et d'amusement, mais pourtant le Monstre se vexa. Son corps se raidit et avant même que le vieillard ne s'en rende compte, Ishii était parti.
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Il y avait une cheminée qui ne fumait pas.
Il y avait une radio qui ne tournait pas.
Il y avait des fenêtres qui ne s'ouvraient pas.

Et les deux êtres, plongés dans la noirceur de quelques bougies, faisaient passer le temps au gré des pions d'échiquier tombant, des cartes se montrant et des joues qui se rougissaient. C'était étrange. Ils étaient là, tous les deux, l'un face à l'autre. Ils étaient assis à quelques centimètres d'écart avec comme seule barrière une minuscule table basse. Ils étaient là et à chaque fois qu'un œil se perdait sur l'autre, les quatre joues se rougissaient à l'unisson, comme épris d'une même étrange sensation.

Elle, elle savait. Elle, elle connaissait ce drôle de sentiment qu'elle avait lu dans les comptes et légendes. Elle avait bercé son enfance de ces histoires d'hommes et femmes. Elle avait lu et relu ces histoires en espérant qu'un jour, ce serait elle, la princesse. Ce serait elle,la jolie reine sauvée par le magnifique prince. Et son prince à elle, n'était pas beau. Et son prince à elle, l'avait sauvé d'une prison pour l'installer dans une autre. Et son prince à elle, n'était doué que pour se délecter d'un cigare ou briser des langues. Alors que sa langue, à lui, restait scotchée dans un mutisme presque mortuaire. C'était son cœur qui bloquait les mots et ses yeux qui les criaient. Lorsqu'elle le regardait sans qu'il ne s'en rende compte, elle voyait ses drôles de narines se gonfler au gré du cigare. Elle voyait ses deux minuscules yeux tenter de voir ses cartes. Ses doigts effleuraient à peine les bouts de cartons, les faisant presque bercer au creux de sa paume.

Elle aurait aimé qu'il parle. Peut être. Son cœur se noua à cette idée. Il lança une carte du plat de la main pour faire découvrir un vallet de pic.

-Hmm. J'ai gagné.

Elle sourit.

Elle aurait bien aimé que ce moment dure encore. Que le le temps continue à se faire bercer par les voluptés de cigare. En fait, elle aimait bien cette odeur qui peu à peu envahissait la pièce. Elle aimait bien sentir la chaleur d'Ishii venir caresser l'air. Elle aimait bien le voir décortiquer les légumes et effleurer leurs peaux pour en enlever les imputés. Elle aimais bien le voir, les manches retroussées, préparer ses mets. A ses côtés, elle oubliait que le temps continuait son chemin,elle était coupée de tout, si ce n'est de devoir se remplir les sens de choses simples. Et peu à peu, la peur s'envolait. Cette peur là qui l'avait démangé commençait à ne plus être qu'un vieux cauchemar.

Elle se sentait en sécurité.

Ce n'était qu'une illusion parce qu'autour, dehors ces quatre murs, la violence et la haine courraient encore après elle. Mais recluse dans ce petit espace, cachée de tous les êtres sauf d'Ishii, elle se sentait comme enfouie au milieu d'un nuage de coton. Les formes s’arrondissaient au gré de ses envies pour se transformer en de magnifiques choses agréables. Les mets avaient ce goût adorable de liberté qui émerveillait ses sens. Ce n'était plus des restes qu'elle mangeait. C'étaient des repas que l'homme ne faisait que pour elle. Où il mettait toute son envie et toute son amour pour qu'il en soient encore plus délicieux.

Lui, il avait commencé à comprendre. Oui, il avait compris parce que ses yeux à elle, c'étaient deux rayons de soleil qui l'éclaboussaient. Malgré la noirceur des lieux, lorsqu'elle le regardait, c'était comme d'énormes rayons qui éclaboussaient la pièce de toute ses lumières. Et ses joues se réchauffaient par ce feu là. Et son cœur tambourinait fâce à cette chaleur là. C'était comme si le feu de cheminé se rallumait d'un coup pour venir lui brûler le corps.
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Elle était là, allongée devant lui. Il y avait ses longs bras jetés négligemment sur les draps. Il y avait ses deux yeux émeraude fermés pour laisser apercevoir de jolis paupières endormies. Il y avait ses cheveux roux qui dansaient au creux de ses reins au gré des courant d'air. Et tout autour, c'était le calme du juste. Assis à quelques pas, c'était à peine si l'homme osait bouger de peur de la réveiller. Alors il passait son temps entre voluptés de cigare et regards d'admiration. Oh qu'elle était belle. Il ne pouvait s'empêcher de sourire comme il ne l'avait jamais fait avant. Il faisait froid dans la pièce avec la fenêtre ouverte qui berçait les cœurs au rythme des vagues de pluie. Il faisait humide avec les gouttes tambourinant contre le sol près de l'ouverture. Mais l'homme n'osait rien changer à cette pièce où le sommeil de la jeune femme avait trouvé un calme qu'elle n'avait plus connu depuis longtemps.

Alors il se taisait, il se blottissait dans le coton de ses voluptés de tabac. Il admirait les joues bleutés et rêvait, un peu. Mais pas assez pour oublier que c'était bientôt la fin. Celle du rêve éveillé qu'il aurait aimé durer encore longtemps.

Il y eu ce son là. C'était le son qu'il ne voulait pas entendre. C'était celui d'un poing qui frappait délicatement contre la porte. Alors il sortit lentement de son fauteuil pour ne pas éveiller la dame. Il ouvrit la porte en faisait bien attention de ne pas la faire grincer. Lorsqu'il la ferma, c'était pour la laisser seule. En face de lui, deux hommes tenaient tête. Il y avait un plus vieux, dont les cheveux blancs clairsemaient son crane. Des rides inondaient ses joues des traces de la vie. A côté, un plus jaune dodelinait sur lui comme s'il ne savait pas où se mettre.

-Hmm. Vous voulez un café ?
-Oui, mais un thé, avant. Thé noir si possible.

C'était le vieillard qui parlait. Et lorsqu'il sortit ces mots, la tension retomba aussi vite qu'elle était arrivée.

-Hmm. Je vois, vous êtes les bons hommes.
-Elle est derrière ?
-Elle dort. Hmm... Vous la laisserez bien dormir un peu.
-Navré, un bateau nous attend. Nous devons y aller.
-Hmm. Bien.

C'était la fin, il le savait. Et pourtant il n'arrivait pas à s'y faire. Alors il resta là devant ces deux hommes. Il le voyait bien pourtant, qu'ils étaient pressé. Et le silence qui se faisait les rendait mal à l'aise. Mais à quoi bon parler ? Lui, restait droit. Il regardait les deux hommes mais ses pensées n'allaient qu'à la femme allongée derrière la porte. Il l'imaginait sourire et c'est son cœur qui tambourinait.

Le vieillard se racla la gorge, comme pour faire oublier l'ange qui passait lentement.

-Hmm. Oui. Bon voyage alors.

Il leur tourna le dos et partit. Il se fit interpeller par le plus jeune mais c'était l'heure de s'en aller. Il ne voulait pas la revoir. Il ne pouvait pas. Et lorsqu'elle se réveilla quelques instants plus tard devant les deux inconnus, elle ne pu sortir comme mot que « Où est-il ? ». Et le long voyage qu'elle fit vers sa nouvelle vie, et les longues heures à ne devoir rien faire d'autre qu'attendre, il y avait comme une présence qui lui manquait. C'était celle de l'homme qui l'avait libéré, qu'elle ne connaissait pas, qu'elle aurait aimé connaître, remercier. Mais cet homme là n'était pas un homme à qui l'on disait merci. Parce que pour lui, le plus beau remerciement était d'embrasser de nouveau la vie.


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