J'ai jamais trop bien su à quoi l'on reconnaissait une île accueillante ou chaleureuse. Je suis à peu près certain que les différents courant de pensée doivent se tirer dans le pattes à la seule énonciation de ce problème d'ordre métaphysique. Moi je serais prêt à considérer comme accueillante une île dont les rats n'essaieraient pas de me détrousser et les clodos de mes dévorer. Pas besoin de tapis rouge, de lits de vierges ou de bonne bibine gracieusement offerte. Et je suis quasiment certain que ce genre d'île, même si elles seraient vachement attractives en y réfléchissant à deux fois, n'existent que dans mes rêves. Et mes rêves, j'y resterais pas bien longtemps si j'étais moi, parce que je sais d'expérience que les papillons prennent des airs de Sphinx et que même les murs de pierre finissent par brûler. Mes rêves ne sont jamais très chaleureux. Enfin, pas dans ce sens là. Et du coup, je parierais qu'il ne suffit pas de mettre des phares et des feux de croisement à toutes les rues pour considérer une île comme chaleureuse. À la limite les îles hivernales, mais ce serait alors le minimum et le chauffage se devrait d'être gratuit dans les tavernes tout comme les peaux de bêtes comprises dans le prix du billet des salopes locales. Mais au final, un truc chaleureux doit être pourvu de rues aux nombreuses boutiques, mettons avec des arbres et des parcs où les enfants promèneraient leurs parents et où les chiens se feraient la chienne de la voisine, avec des bals nocturnes aussi, pour les indigènes qui se font chier le samedi soir et dont la cousine est occupée avec le cousin. Peut-être un bon marché. Des plages avec parasols. Une compagnie de bus sans grèves, aussi, sûrement et probablement un marchand de marrons chauds. Hé. Les marrons sont indispensable à tout île qui se veut chaleureuse et accueillante.
En revanche, j'ai toujours eu une idée de ce que représenterait une île pas accueillante.
Vous me direz, c'pas bien compliqué. J'imagine une grande montagne faite de roche noire avec des crevasses ressemblant à un crâne ou un troll endormi et des cavernes prêtes à s'effondrer sur la ville en contrebas, toute faîte de bois flotté -à cause de la pluie ou de l'urine des poivrots- aussi rongée par les fourmis qu'évitée par les bonnes gens. Ce serait une île où le Cormoran ne pourrait pas trouver une seule graine qu'aurait pas pourrie à se mettre sous la dent et où l'alcool aurait ce goût désagréable qu'il prend invariablement les lendemain de cuite. Y'aurait une crique qu'aurait tout de l'histoire de fantôme et des nuages bas qui auraient décidé d'en faire leur résidence principale. Les feux qu'on verrait brûler seraient alimentés -non à l'huile- mais à la graisse des cadavres frais de la nuit et on entendrait depuis l'horizon les os des squelettes des pendus. Et puis les femmes auraient du poil aux jambes et des chicots en or.
Ou alors ce serait une île dirigée par des enfants.
Brrrr
Je resserre autour de mon cou le vieux pull que j'ai recyclé en écharpe lorsque j'ai quitté Hinu Town. Je sais pas si c'est le crépuscule, le vent frais qui se lève ou cette pensée atroce qui en est la cause, mais le frisson qui vient de me parcourir était tout sauf agréable. Le genre que l'on a devant un feu mourant lorsque le bois vient à manquer. Je regarde le soleil disparaître à l'horizon. Il a l'air tellement gros vu de là. Ça faisait bien longtemps que je ne l'avais pas observé se border dans d'autres draps que ceux des dunes de Hinu Town.
Mais il faut bien avouer que le spectacle du Cormoran qui rame à ma place est bien plus passionnant. Je sais pas. Réussir à rendre ce volatile utile me comble d'une fierté déplacée. Et le pire, c'est que j'ai même pas de remords. Il aura du poisson. Il me pardonnera. Et puis ma main bandée me fait encore la gueule. Je dois avoir deux trois os qui râlent quand je serre le poing et j'ai toujours l'impression de sentir sa tignasse blonde glissant entre mes doigts alors que j'imprime son visage en relief dans le comptoir. Ouais. Encore des remords. J'aurais pas cru avoir encore de la place pour ce sentiment à la con. Alors m'en veux pas, le Cormoran, mais j'ai pas trop de place pour les sévices que je t'inflige. Et puis tu gueules pas, c'est que tu dois pas être si mal loti que ça. Hé. Je lui flatte le crâne. Il a l'air d'apprécier. Con de Cormoran va. Je redresse mon regard droit devant moi. T'en fais pas, tu te reposeras dans une heure ou deux.
Droit devant moi. Paré des plus magnifiques couleurs qu'un ciel qui marie dans un crépuscule proverbial le rouge et le noir, se dresse une île. Jusque là, trouver une île, ça me va. Je veux dire, j'ai pris la mer pour échapper aux regards, aux flics locaux et à mes souvenirs, certes ; mais surtout pour retrouver ma fille. Parce que bordel son nom n'est pas encore inscrit sur le caveau familial avec ceux de sa mère et de sa sœur. Et ça, il m'a fallu presque cinq ans pour m'en rendre compte. Enfin il me semble que ce sont cinq années. J'ai perdu le compte je crois. J'espère que ce ne sont que cinq années. Je m'en voudrais plus encore. Parce que ouais à ce sujet là aussi j'ai des remords. Tu ne dois plus t'étonner que je ne t'accorde pas plus d'attentions que ça maintenant, hein le Cormoran. Mais ma hantise reste que je ne la retrouve pas. C'est comme chercher une aiguille dans une botte d'aiguilles. Un putain de calvaire, et je sais pas par où commencer. Imaginez un navigateur sans cap, de nuit et par ciel couvert. Et bah je l'envie. Moi, tout ce que j'ai, c'est un très large esquif sur lequel peuvent s'entasser une dizaine de vaches laitières et que j'ai retapé tout seul. Histoire de pas manquer de bois pour le feu. Celui qui me sert à cuire le poisson que pêche le Cormoran avec la canne à sa taille que je lui ai acheté. J'ai une canne à pêche en plus de l'esquif, disais-je, un Cormoran à qui faire la conversation et toute la vie devant moi. Un bon début. Et puis j'ai cette île dans la mire.
Et je la mire, cette île. Toute en faîtes érodées par l'écume harassante et le vent hurlant et qui ressemblent à de gigantesques tas de sable aux hauteurs vertigineuses. Et au vu des trous percés dans ces gratte-cieux en terre cuite, je parierais presque sur des termitières géantes. D'aspect, juste. Je ne pense pas vraiment que ce soient les termites qui contrôlent cette île. À moins bien sûr que les termites aient choisi de tendre des tyroliennes entre presque chaque ouverture, donnant au tout l'apparence d'une gigantesque toile d'araignée. Une toile tissée par une araignée bourrée.
Sur les bords de l'île, y'a un truc qui attire mon attention aussi. Une sorte de Corne d'abondance. Du moins ça en a la forme et à peu près l'aspect. Il suffit de remplacer les fruits et mets délicats par un parc à huitres et des pontons de bois. Le tout doit bien être ce qui sert de port à cette île que ça ne m'étonnerait pas. Des Docks couvert, c'est bien une première. J'en avais jamais entendu parler jusque là. Mais puisque je suis dans la description de ce que je vois, y'a un autre truc qui me choque autant que peuvent l'être les voiles d'un navire. C'est pas le manque d'arbre sur l'île, non. C'est plutôt la grande statue de bois qui semble posée sur la mer à quelques brasses de la rive la plus proche. Une grande statue d'un petit homme complètement nu, exposant une virilité limée par des vagues pudiques ainsi qu'un nez légèrement écorné par un vent jaloux et un soleil farceur.
Et je me dirige droit sur cette île.
J'ai jamais trop bien su à quoi l'on reconnaissait une île accueillante. Mais celle-ci ne m'inspire pas vraiment confiance...
En revanche, j'ai toujours eu une idée de ce que représenterait une île pas accueillante.
Vous me direz, c'pas bien compliqué. J'imagine une grande montagne faite de roche noire avec des crevasses ressemblant à un crâne ou un troll endormi et des cavernes prêtes à s'effondrer sur la ville en contrebas, toute faîte de bois flotté -à cause de la pluie ou de l'urine des poivrots- aussi rongée par les fourmis qu'évitée par les bonnes gens. Ce serait une île où le Cormoran ne pourrait pas trouver une seule graine qu'aurait pas pourrie à se mettre sous la dent et où l'alcool aurait ce goût désagréable qu'il prend invariablement les lendemain de cuite. Y'aurait une crique qu'aurait tout de l'histoire de fantôme et des nuages bas qui auraient décidé d'en faire leur résidence principale. Les feux qu'on verrait brûler seraient alimentés -non à l'huile- mais à la graisse des cadavres frais de la nuit et on entendrait depuis l'horizon les os des squelettes des pendus. Et puis les femmes auraient du poil aux jambes et des chicots en or.
Ou alors ce serait une île dirigée par des enfants.
Brrrr
Je resserre autour de mon cou le vieux pull que j'ai recyclé en écharpe lorsque j'ai quitté Hinu Town. Je sais pas si c'est le crépuscule, le vent frais qui se lève ou cette pensée atroce qui en est la cause, mais le frisson qui vient de me parcourir était tout sauf agréable. Le genre que l'on a devant un feu mourant lorsque le bois vient à manquer. Je regarde le soleil disparaître à l'horizon. Il a l'air tellement gros vu de là. Ça faisait bien longtemps que je ne l'avais pas observé se border dans d'autres draps que ceux des dunes de Hinu Town.
Mais il faut bien avouer que le spectacle du Cormoran qui rame à ma place est bien plus passionnant. Je sais pas. Réussir à rendre ce volatile utile me comble d'une fierté déplacée. Et le pire, c'est que j'ai même pas de remords. Il aura du poisson. Il me pardonnera. Et puis ma main bandée me fait encore la gueule. Je dois avoir deux trois os qui râlent quand je serre le poing et j'ai toujours l'impression de sentir sa tignasse blonde glissant entre mes doigts alors que j'imprime son visage en relief dans le comptoir. Ouais. Encore des remords. J'aurais pas cru avoir encore de la place pour ce sentiment à la con. Alors m'en veux pas, le Cormoran, mais j'ai pas trop de place pour les sévices que je t'inflige. Et puis tu gueules pas, c'est que tu dois pas être si mal loti que ça. Hé. Je lui flatte le crâne. Il a l'air d'apprécier. Con de Cormoran va. Je redresse mon regard droit devant moi. T'en fais pas, tu te reposeras dans une heure ou deux.
Droit devant moi. Paré des plus magnifiques couleurs qu'un ciel qui marie dans un crépuscule proverbial le rouge et le noir, se dresse une île. Jusque là, trouver une île, ça me va. Je veux dire, j'ai pris la mer pour échapper aux regards, aux flics locaux et à mes souvenirs, certes ; mais surtout pour retrouver ma fille. Parce que bordel son nom n'est pas encore inscrit sur le caveau familial avec ceux de sa mère et de sa sœur. Et ça, il m'a fallu presque cinq ans pour m'en rendre compte. Enfin il me semble que ce sont cinq années. J'ai perdu le compte je crois. J'espère que ce ne sont que cinq années. Je m'en voudrais plus encore. Parce que ouais à ce sujet là aussi j'ai des remords. Tu ne dois plus t'étonner que je ne t'accorde pas plus d'attentions que ça maintenant, hein le Cormoran. Mais ma hantise reste que je ne la retrouve pas. C'est comme chercher une aiguille dans une botte d'aiguilles. Un putain de calvaire, et je sais pas par où commencer. Imaginez un navigateur sans cap, de nuit et par ciel couvert. Et bah je l'envie. Moi, tout ce que j'ai, c'est un très large esquif sur lequel peuvent s'entasser une dizaine de vaches laitières et que j'ai retapé tout seul. Histoire de pas manquer de bois pour le feu. Celui qui me sert à cuire le poisson que pêche le Cormoran avec la canne à sa taille que je lui ai acheté. J'ai une canne à pêche en plus de l'esquif, disais-je, un Cormoran à qui faire la conversation et toute la vie devant moi. Un bon début. Et puis j'ai cette île dans la mire.
Et je la mire, cette île. Toute en faîtes érodées par l'écume harassante et le vent hurlant et qui ressemblent à de gigantesques tas de sable aux hauteurs vertigineuses. Et au vu des trous percés dans ces gratte-cieux en terre cuite, je parierais presque sur des termitières géantes. D'aspect, juste. Je ne pense pas vraiment que ce soient les termites qui contrôlent cette île. À moins bien sûr que les termites aient choisi de tendre des tyroliennes entre presque chaque ouverture, donnant au tout l'apparence d'une gigantesque toile d'araignée. Une toile tissée par une araignée bourrée.
Sur les bords de l'île, y'a un truc qui attire mon attention aussi. Une sorte de Corne d'abondance. Du moins ça en a la forme et à peu près l'aspect. Il suffit de remplacer les fruits et mets délicats par un parc à huitres et des pontons de bois. Le tout doit bien être ce qui sert de port à cette île que ça ne m'étonnerait pas. Des Docks couvert, c'est bien une première. J'en avais jamais entendu parler jusque là. Mais puisque je suis dans la description de ce que je vois, y'a un autre truc qui me choque autant que peuvent l'être les voiles d'un navire. C'est pas le manque d'arbre sur l'île, non. C'est plutôt la grande statue de bois qui semble posée sur la mer à quelques brasses de la rive la plus proche. Une grande statue d'un petit homme complètement nu, exposant une virilité limée par des vagues pudiques ainsi qu'un nez légèrement écorné par un vent jaloux et un soleil farceur.
Et je me dirige droit sur cette île.
J'ai jamais trop bien su à quoi l'on reconnaissait une île accueillante. Mais celle-ci ne m'inspire pas vraiment confiance...