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En compagnie d'un mort

» En compagnie d'un mort ;


Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.
Elle l’avait vu.
L’eau qui l’engloutissait, rugissante. Et elle, comme une enfant éplorée, à crier tant qu’elle pouvait. Mais l’eau s’infiltrait en son corps et l’en empêchait. Quelqu’un pour la sauver ?
Papa ! Elle en était persuadée, c’était lui. Non pas son géniteur, mais celui qui lui avait sauvé la vie, alors qu’elle sombrait dans les flots. La première fois qu’elle croyait l’avoir aperçu, c’était alors qu’elle passait silencieusement dans les ruelles pour visiter un peu, l’homme qui les avait recueillis, Kanbei et elle, sur ses talons. S’imprégner de la philosophie des lieux. Mais il n’y avait rien à voir. Aussi, cette silhouette qu’elle avait côtoyé des mois durant sur une toute petite île de Grand Line sembla comme un phare au milieu du brouillard. Un peu courbé, le bas de la veste volant dans son dos, des cheveux grisonnants. Mais l’instant durait une seconde, et il disparaissait. La seconde fois, il lui apparut sous forme de rumeur. Un navire avait jeté l’ancre non loin de la côte, et son équipage s’était déversé dans la ville. Comme toujours, il y avait les racontars sur les équipages pirates. On en faisait l’éloge, on crachait dessus ou on les craignait. Mais quelque chose dans la description de ceux-ci faisait resurgir de douloureux souvenirs. Ils l’avaient tué. Elle en rêvait, cette nuit-là. Elle se noyait. Il mourrait sous ses yeux. Et elle se baignait dans ses larmes, s’étouffait ; et l’eau pure se tintait de rouge.

Malgré tous ces événements, elle poursuivait sa route. Il le fallait. L’ennui la gagnait un peu, elle se trouvait des occupations comme elle pouvait. Parce que le travail sur la carte n’avançait pas, et que Pitt et elle en avaient un peu marre, à vrai dire. Il voulait reprendre ses activités normales. Et puis Kanbei n’était plus là. Il ne reviendrait pas avant longtemps… Alors elle  aidait là où on l’appelait – soit à peu près partout où une femme était nécessaire, dans la limite du décent. Et puis, peu à peu, l’obsession la gagna. Le besoin inexplicable de retourner à l’endroit où ils s’étaient échoués avec Kanbei. Pour tenter de récupérer sa barque. Son précieux bien. Le dernier. Elle ne se faisait guère d’illusion. Mais c’était ainsi, comme un poison qui la rongeait chaque jour plus. La cause n’était guère l’absence de Kanbei, cette fois. Ç’aurait pu. Il était vrai qu’il lui manquait terriblement, et un peu plus chaque jour. Mais là, en cet instant précis, c’était autre chose. Quelque chose de profondément enfoui, qui frappait contre son cœur pour surgir à nouveau.

Elle paraissait sur cette plage qu’ils avaient foulée des jours – des semaines peut-être – auparavant ; lieu méconnaissable toutefois. Et nulle barque à l’horizon. Le désespoir l’envahissait, et elle s’attarda au bord de l’eau. Pourquoi avoir fait tout ça ? Pourquoi s’être lancée dans une quête qui s’avérait vaine, à l’évidence dès le départ ? Un galet jeté à la mer. Il fut un temps où elle jetait des bouteilles, parfois avec des petits mots dedans pour réconforter les marins qui les recevaient, parfois pleines d’une liqueur infecte parce qu’elle jugeait que Papa buvait trop. Sourire. Il fallait rentrer, maintenant. Mais elle traînait ; le cœur en peine. Et puis, elle les vit, les traces à demi effacées par le temps et le vent, qui s’étiraient le long de la plage et formaient des bosses imprécises dans le sable. Des pas, une personne seule, qui tirait un fardeau derrière elle. Son cœur fit un bond ; elle avait retrouvé les traces du voleur de sa barque. Prise d’une énergie toute retrouvée, elle s’élança en grande détective et suivit le chemin ainsi formé.


Dernière édition par June Howk le Lun 6 Jan 2014 - 19:08, édité 1 fois
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Diable ! Il s’était frappé avec son marteau. C’était bien sa veine ça ! Et dans un geste machinal il se suça l’extrémité de son doigt endolori. Puis il s’essuya le front d’un revers de manche et regarda son œuvre. Il y avait encore pas mal de boulot. C’est que le nombre de trous et de défauts ne manquaient pas dans cette barque ! Comment avait-elle fait pour ne pas couler avec ce vieux bout de bois ? A son souvenir il s’arrêta, posa son postérieur sur une roche à proximité et soupira. C’était étrange. La revoir après tout ce temps. C’était même… Non, ni joyeux, ni triste. C’était énervant. Très énervant. Il était en colère. Vraiment en colère ! Et il jeta violemment son marteau à terre. Un bruit soudain et très proche le fit sursauter et il se releva promptement, là, au milieu de la broussaille qui longeait la plage, pour faire face à son assaillant.

Il y avait ce sourire ; le Soleil. Puis il y avait ces yeux bleus ; et la mer.
Sa colère s’évapora et il se retrouva muet devant un tel spectacle. June. Mais sa voix, soudainement enrouée, ne parvenait pas à franchir ses lèvres. Et ce prénom se perdit quelque part dans ses entrailles, lui retourna le cœur, lui fendit les poumons. Il se sentit fiévreux, tremblant, étourdit. Non, il s’était mépris. Ce n’était pas la colère qui lui avait fait jeter son marteau, auparavant. C’était quelque chose d’indescriptible. Qui lui saisissait les tripes et le pétrifiait sur place. C’était ce sentiment de ne rien pouvoir faire. De ne rien avoir pu faire. De l’avoir perdue. Et de la retrouver maintenant… Différente. Oui, c’était précisément cela. La différence. Car si son sourire restait pareil au Soleil, là elle n’en affichait point. Car si ses yeux avaient absorbés la mer, là ils avaient la couleur de la pluie.

Et pourtant, elle était toujours aussi magnétique. Elle était à lui. Rien qu’à lui. Il l’avait juste perdu quelques temps. Et maintenant, plus rien ne pourrait l’empêcher de la conserver.

Il était devenu fou. Il n’était pas préparé à la rencontrer de nouveau. Ce petit bout de femme qu’il avait chéri, surveillé, aimé tant d’années. Oh, June… Par où commencer ? Et elle continuait de le regarder, sans un mot. Oui, c’était certainement difficile à croire pour elle qu’il soit encore vivant. Son petit Papa adoptif. Mais lui aussi, il avait cru qu’elle était morte. Tué par ses enfoirés de pirates. Et son poing se serra. Il avait changé, aussi. Ressentait-elle le même sentiment que lui ? La différence. C’était horrible, de se sentir transformé. Pourtant, il en était sûr, son sentiment à l’égard de la douce n’avait pas changé. Et il s’approcha alors, porta une main au visage de June et lui caressa doucement la joue.
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Elle tressaillit. Sa paume si chaude, contre sa joue. Ses yeux se fermèrent, et l’instant d’après elle sentait la pulpe de ses lèvres lui effleurer la peau. Doucement, dans le cou, sur son front, ses joues. Et elle, elle ne bougeait pas. Et il parcourait son visage de ses lèvres abimées. Elle ne savait pas quoi penser, de toute évidence son esprit s’était déconnecté. Oui, il n’y avait rien. Absolument rien. Comme si son cœur s’était finalement laissé engloutir par l’abime qui le menaçait depuis quelques jours. Depuis qu’elle l’avait vu. Vivant. Les mains de l’homme l’agrippèrent avec force, comme s’il voulait qu’elle ouvrît les yeux. Mais elle se défilait. Elle fuyait, loin. Tout au fond d’elle. Il n’y avait plus rien. Ni joie, ni peine. « June… » Elle frissonna. Ce n’était pas un appel. C’était un gémissement de douleur. Il souffrait de dire son nom. Elle aussi, elle avait souffert. Elle avait fait son deuil toutefois, pensait-elle. Quoiqu’elle n’en soit plus certaine, à présent. Pourquoi donc son esprit était-il si vide ? « S’il-te-plait June… Nous sommes vivants. Nous sommes là. S’il-te-plait… Ma petite June. »

Petite… Elle ouvrit les yeux ; Papa. Et éclata en sanglots. Des spasmes incontrôlables et d’une puissance insoupçonnée qui la firent crier, même. Elle souffrait. Et elle pleurait. Ses jambes ne la portaient plus et elle se laissa tomber. Des bras se resserrèrent autour d’elle. Il tentait désespérément de la calmer. Mais c’était impossible. Comme si toute sa tristesse qu’elle avait minutieusement emprisonnée des mois durant pour ne pas s’abandonner se relâchait soudainement. Vivants.

« Oui, nous sommes vivants. »
Combien de temps était-elle restée là, au sol, sans pouvoir bouger sinon par secousses ? Combien de temps était-il resté à la bercer dans ses bras, patiemment ? Elle n’en avait aucune idée. Mais, finalement, elle parvint à se calmer. Une sorte de paix étrange l’envahit et cela s’imposa à son esprit : nous sommes vivants. Nous sommes ensembles. Et alors, elle se sentit tout à fait libre. Elle l’étreignit avec tendresse, lui sourit même. Il fit de même, avec sa rudesse habituelle. Puis, passé le temps à ne rien dire, les langues se délièrent. Elle voulait des nouvelles, des explications surtout. Ils s’installèrent à même le sol, et entreprirent leur grande discussion.

Il avait été gardé par les pirates qui les avaient attaqués, sur leur île. Ils avaient voulu en faire un des leurs. Sûrement que sa bravoure avait eu raison de leur cruauté. Mais alors, était-il toujours avec eux ? Oui, oui, bien sûr. Il n’avait guère d’autre endroit où aller. Mais rapidement, il passa sur le sujet, sans trop que June ne comprenne pourquoi, et enchaîna sur leurs voyages. Elle voulut revenir sur le fait qu’il aurait pu leur fausser compagnie. Il resta vague. Très vague. Ils avaient fait des rencontres étranges. Il parla de bataille navale. De petites îles exotiques. De ragots amusants sur l’équipage. Mais elle, elle n’oubliait pas ce qu’ils avaient fait. Elle n’arrivait pas à rire des blagues de ces hommes que lui rapportait Papa. Il s’en aperçut, s’excusa. Et elle se replia sur elle-même. Alors le silence revint. Pesant.

C’était si difficile. Il était mort. Cela faisait des semaines qu’elle s’était résignée. Était-elle devenue folle ?
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Oui. Il était fou.
Son ange le refusait. Il se sentait trahi, quelque part. Mais il ferait l’effort – surhumain – d’être patient. De la redécouvrir, de la comprendre de nouveau. Il se leva, la regarda ; une toute petite chose, à ses pieds. Si fragile, comme lorsqu’elle était gamine. Non, ce n’était pas si lointain que ça, et pourtant. C’était devenu une femme. Mais elle restait sa fille. Sa petite chose, à ses pieds. Alors, il se remit à l’œuvre : un marteau, un clou, un rabot. Il n’y avait rien d’autre à faire ; elle parlerait quand elle en serait capable. Tout ça parce qu’elle voulait savoir pourquoi il n’avait pas fui. Pourquoi… Il ouvrit la bouche. La referma. Il ne pouvait pas, elle ne comprendrait pas. Qu’est-ce qu’elle était têtue, quand même ! Et il jeta son marteau par terre, encore.

Elle dû croire qu’il l’avait seulement fait tomber sans faire exprès, car elle le ramassa et le lui tendit avec un sourire. Ah ! Ce sourire… Il en avait les larmes aux yeux. Alors, enfin, elle prit la parole de son initiative. Il ne la connaissait pas comme ça ; muette. Elle avait bien trop changé… Etait-ce la solitude qui lui avait fait cet effet ? Mais peu importe, elle lui demanda ce qu’il avait en tête. Il ne comprit pas. Il n’avait rien dans sa tête. Rien que de la souffrance. Elle lui répéta. La barque, oh la barque, pourquoi la réparait-il ? « Pour toi, June. On l’a construite ensemble, et voilà ce que tu en as fait : une passoire. Petite bécasse, va ! » Elle sourit encore, puis entreprit de l’aider, gentiment. « Et toi, qu’es-tu devenue ? » Elle haussait les épaules et continuait de raboter.

Elle lui conta ses péripéties,  comment elle s’était échappée de l’île sur la barque, comment elle s’était échouée sur une île étrange. L’enfant n’alla pas plus loin dans son récit. Il fronça les sourcils. Alors quoi ? Que s’était-il passé sur cette île pour qu’elle reparte et arrive sur Banaro ? Mais elle secoua la tête. Et puis, après une hésitation. « Je t’ai creusé une tombe, Papa. Sur notre île. Je t’ai enterré, sans corps. Je n’ai même pas prié pour ton repos. » Il la considéra un instant, bouche bée, et puis éclata d’un rire franc et heureux. June, June… Irrattrapable cette enfant ! Elle parut nettement soulagée qu’il le prenne de la sorte. Ils se remirent à bavarder. Mais plus de leurs voyages respectifs, uniquement du passé. Leur navire, l’arrivée sur Grand Line. Et la fièvre de June, quelle maladie ça avait été ! Et puis leur bonheur sur leur île. Les fruits ; June se souvenait de l’odeur délicieuse des fruits. Lui, il se souvenait plus de leur goût et du bien qu’ils lui faisaient une fois dans son estomac. Ils rirent ; c’était bon de rire à deux comme ça.  

Mais le jour commença à décliner, leur rappelant qu’ils ne devraient pas s’attarder trop longtemps. La douce promit de revenir ici le lendemain. Mais il ne voulait pas qu’elle parte. Il était bien là, ils pouvaient continuer à bavarder tous les deux, personne ne les dérangerait. Elle parut hésitante. Il fallait qu’elle parte. Il le fallait ? Soudainement, il lui attrapa les épaules et la fixa sévèrement. Non, il ne le fallait pas. Tout comme lui n’avait aucune obligation de rester avec ces pirates, elle n’avait aucune obligation de partir maintenant. Et il serra plus fort ses épaules. « Nous pourrions… Nous pourrions prendre cette barque et fuir très loin. Oui, c’est ce que nous allons faire, June. Nous nous trouverons une autre île, nous serons heureux. Je te le promets. » Elle parut décontenancée, un peu gênée par sa prise sur ses épaules. Il ne se rendait pas compte qu’il commençait à lui faire mal. « Pourquoi partir ? Tu pourrais rester avec moi ici…Il faut partir. » Elle secoua la tête. Non ? Si, c’était nécessaire à leur bonheur. Non. Elle ne pouvait pas partir loin. Une lueur effrayée passa dans le regard de la demoiselle. Cela eut le don d’agacer l’homme. Il la lâcha, souffla fort, se mordit le poing. Pourquoi ne pouvait-elle pas ? La lueur dans les yeux de la belle s’intensifia. Elle crevait de peur, maintenant. Elle devait rester sur cette île, il fallait qu’il le comprenne. Mais elle ne pouvait pas lui expliquer pourquoi. « Ça suffit, ne fais pas l'enfant. On part, maintenant. »

Un geste vers elle. « J'ai dit non ! » Elle mordit avec toute sa force et son angoisse la main qu’il lui présentait, comme une menace. Il poussa un cri de surprise.
Elle se mit à courir. Elle voulait lui échapper. Elle ne voulait pas partir. Il hurla. Il avait mal.
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Fuir, fuir. Il était fou. Une larme. Elle devait rester ici. Et lui, il voulait la forcer. Il fallait qu’il oublie tout ce qui s’était passé. Il fallait qu’il passe à autre chose. Elle avait tourné la page, elle. Courir, encore.

Mal. Elle l’avait mordu si fort. Etait-il méchant ? Pourquoi ne voulait-elle pas partir avec lui ? Lui qui avait attendu si longtemps… Non, il n’avait pas attendu. Il s’était juste abandonné à la souffrance. Il n’avait pas fait son deuil. Il avait espéré, et entretenu cet espoir dans l’unique but de se faire d’autant plus mal en se rappelant qu’elle n’était plus là. Serrer le poing. Mal. Si mal…

Les ruelles. Soupir de soulagement. Et son cœur cognait si fort dans sa poitrine. Elle avait vraiment eu peur. Mais au fond, n’était-ce pas uniquement la peur de lui dire ? Avouer sa faiblesse, sa trahison. Elle pleurait à chaudes larmes maintenant. Les choses étaient si difficiles à dire aux personnes que l’on aimait. Elle s’arrêta, chercha son chemin dans le brouillard que formaient ses larmes.

Il marcha un peu, trébucha, heurta le sol. Une seule douleur. Celle de son cœur. Il avait désiré une rencontre heureuse. Comme deux vieux amis qui ne s’étaient pas vus depuis des années. Mais voilà, ce n’étaient pas des amis. C’était plus que cela. Il l’avait aimé.

Elle ne les reconnaissait plus. Le chemin, comme Papa. Alors elle errait. Et elle doutait. Tout ça, c’était juste parce qu’il était resté avec eux. Ces pirates. Ils l’avaient rendu fou, comme eux. Meurtrier, barbare. Elle ne lui appartenait pas. Il lui avait promis. Elle était libre. Libre de rester. Où était-elle maintenant ?

Papam…
Il se relevait, regardait aux alentours. Seul. Résolument seul, depuis toujours. C’était sa faute. Sa faute.
Papam…
Il lui avait menti. Non, il n’avait rien dit. C’était pire. C’était pour ça qu’elle ne voulait plus de lui. Elle avait compris.
Papam…
Elle pensait qu’il était des leurs maintenant… Ça faisait des ravages, la différence. Mais non, il n’était pas des leurs. C’était bien pire que ça. Il transpirait leur folie sanguinaire, et il n’était même pas admis dans leur cercle.
Papam…
Il était… Non, s’il le lui disait, elle ferait des choses inconsidérées. Elle mourrait bêtement, pour lui. Il valait mieux qu’elle le déteste parce qu’il était devenu un monstre. Oui, c’était bien mieux.
Papam…
Reviens. Reviens. Ou je viens te chercher.
Papam…
Comment allait-il se faire détester ? Elle devait s’éloigner. Pourquoi s’étaient-ils revus ? Ils étaient différents. Mais il l’aimait encore. Toujours.
Papam…
Tu ne dois pas mourir.

Frisson. Ah, la maison. Bonsoir Pitt. Oui, oui, ça va. Fatiguée. Oui, à demain.

Traquer. Je suis la bête que tu dois haïr. Il faut que je te fasse mal. Pour que tu sois heureuse.
Où se cachait-elle ?
Soif… De souffrance. Papam.
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Il faisait tout noir. Dans son cœur. Ça cognait fort dans sa tête. Il lui sembla rouler ; il ne voulait pas rouler mais son corps ne lui obéissait plus. Roule, lui disait-il. Et il roulait. Et de plus en plus vite. Il avait envie de vomir. Ça cognait fort. Arrêtez. S’il-vous-plait, pitié… Arrêtez d'hurler dans mes oreilles ! Et il vomit.
Alors la lumière perça. Elle cessa de se cacher derrière ses paupières et le fusilla sur place. Aveugle, puant, malade. Il ne ressemblait plus à rien. Il tenta de s’asseoir, en attendant de retrouver la vue. Maintenant qu’il avait tout rendu, même si ça lui faisait mal au cœur d’être droit, il savait qu’il ne risquait plus rien. Damned. Il allait falloir ramasser tous les petits bouts de lui qui s’étaient éparpillés ici et là, durant la nuit. S’il ne s’était écoulé qu’une seule nuit. Mais oui, c’était bien le cas. Et lorsqu’il retrouva enfin la vue et le sens de l’équilibre, il put alors pleinement constater sa déchéance.

Partout, du verre. Sous ses chaussures, et même incrusté dans sa main. Un verre épais et coloré à l’ancienne. Alcool. Ça expliquait son réveil ; au moins il ne s’en était pas trop foutu sur lui. C’était déjà ça. Mais les morceaux de verre dans la paume, ça allait faire mal ça par contre. Ils étaient bien là, il ne sentait rien. Peut-être que sa main était déjà morte. Fichtre ! Le plus inquiétant, ça n’était pas ça, de toute évidence. Il avait des hématomes. Bon sang, mais il avait foutu quoi ?!

Et puis, l’illumination. Il avait cherché June. La nuit emplissait l’espace. Le désespoir aussi. Il avait croisé un type, il l’avait frappé. Ou il s’était fait frappé, ça n’avait aucune espèce d’importance. Le tout, c’était qu’il avait réussi à choper la bouteille. C’était bon de boire. Ça faisait oublier à quel point il avait foiré. Tout foiré. C’était lui l’enfoiré. Avec un E majuscule. Maintenant, il souffrait physiquement et ça lui permettait de compenser avec sa souffrance psychique. Et puis, il avait l’habitude de toutes ses douleurs physiques. Se faire battre. Il serra le poing – celui qui ne contenait pas d’éclat de verre. Ces types alors… Ça faisait deux jours qu’il s’était éclipsé. Ils allaient le battre s’ils le choppaient. Fort, plus que jamais. Pas grave, il irait même se rendre en temps voulu. Pour se faire abattre avec panache. Mais ça en valait le coup, non ? Revoir June, ça valait bien tous les coups du monde. Et June, c’était un bon coup ! Ahahaha !
Et il s’écroula, les yeux fermés. Il avait peur. Terriblement peur. Il avait songé à toutes les choses les plus horribles cette nuit, pour qu’elle le déteste. Il avait songé à la tuer. Lui faire croire. Même si la tuer vraiment aurait apaisé sa peine. Sa vie n’avait plus de sens maintenant.

Il attendit là, sur le sol, quelques temps. Et puis se redressa, s’épousseta, et s’en alla. Il allait marcher, se balader. C’était le petit matin, il fallait profiter.
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Des vagues. Il y avait beaucoup de vagues ce matin. Et le vent les amenait se fracasser contre la côte. Elle leur brisait la nuque d’un coup sec. Et les vagues se retiraient alors, vaincues, dans un doux soupir. C’était beau. Et la douce soupira elle aussi. Quand est-ce qu’ils allaient revenir, franchement… Elle releva ses jambes contre sa poitrine, frissonnante. Comme tous les jours depuis que le Khan était parti. Sauf qu’aujourd’hui, quelqu’un allait venir la déranger, perturber son rituel. Ça ne la peinait pas réellement, parce que c’était lui. Elle aurait eu plus de mal avec un autre.

Ainsi, il apparut sur le quai. Elle ne s’en rendit pas compte tout de suite. Elle entendit juste l’exclamation, suivie d’un juron. Ce dernier la poussa à se retourner. Il paraissait vraiment, sincèrement, surpris. Et surtout, bien plus calme que la dernière fois qu’elle l’avait vu. Étrangement, cela ne collait pas du tout avec son visage tiré par la fatigue, ses yeux injectés de sang et ses blessures aux bras. Son regard tomba sur les bouts de verre qu’il n’avait même pas pris la peine d’enlever. Inconscient, comme toujours. Ça se voyait que plus personne ne s’était occupé de lui depuis longtemps. Alors June comprenait pourquoi cela avait si mal fini la veille. Elle était désolée pour lui. Elle lui sourit. Il s’approcha. L’odeur d’alcool et de sueur humaine lui agressa les narines, et elle ne put réprimer une grimace. Il s’excusa, d’un ton bourru, et prit place à ses côtés.

« Tu fais quoi ?J’attends.Quoi ? » Comment dire… Elle l’observa un instant, en silence. Puis lui prit sa main invalide et l’inspecta. Il lui aurait fallu de l’eau et un tissu propre. « Un ami. On s’entraide ; il faut bien survivre. » Il connaissait ça, l’entraide. Il comprendrait. Il retira sa main un peu brusquement.

Il faut qu’elle me déteste.
Elle ne dit rien. La pâleur du jour lui faisait redécouvrir avec délice le visage de l’homme. Il avait pris des rides, elle ne s’en était pas aperçue. Mais même amoché par la bagarre et l’alcool comme il l’était, elle lui trouvait un certain charme. Il portait encore sur son visage les marques de quelqu’un qui a ri et été heureux. Elle détourna le regard vers les vagues.
Elle ne me haïra jamais. Je ne veux pas qu’elle me haïsse.
Le silence se faisait lourd, maintenant. Il fallait balayer tout ce qui s’était passé. Il se racla la gorge. Puis se releva. Bon sang, pourquoi n’arrivait-elle pas à dire quelque chose ? Elle le sentait qui glissait dans l’espace. Il allait partir. La laisser. L’abandonner. Et elle, elle n’avait rien à dire ? Il continuait de glisser. De lui filer entre les doigts. Il était debout, il attendait. Et elle tardait.

Finalement, elle s’y risqua, hésitante.

« Tu aurais pu simplement rester avec moi ici…
… Non. Je ne peux pas.
Tu es un pirate comme eux maintenant…
Oui. Je suis un monstre.

C’est juste ton ami, hein ? Enfin… Tu m’aimes encore, moi ?
Bien sûr. Oui, évidemment.
Bien.

On va partir. Une question de jours…
Écris-moi.
Ici ?
Oui, à Pitt Ahlbégey. Je travaille pour lui, il saura me trouver. T’oublieras pas, hein ? »

Hochement de tête, il recula sans un mot. Et disparut finalement. C’était tout ce qui restait de leur tendre affection ; deux mensonges.
Mais comment lui avouer qu’il n’était qu’un esclave, sur ce navire.
Mais comment lui avouer qu’elle en aimait un autre, désormais.

Alors, ils se séparaient définitivement. L’un pour la mer, l’autre pour l’amour.

Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
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