» En compagnie d'un mort ;Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.Elle l’avait vu.
L’eau qui l’engloutissait, rugissante. Et elle, comme une enfant éplorée, à crier tant qu’elle pouvait. Mais l’eau s’infiltrait en son corps et l’en empêchait. Quelqu’un pour la sauver ?
Papa ! Elle en était persuadée, c’était lui. Non pas son géniteur, mais celui qui lui avait sauvé la vie, alors qu’elle sombrait dans les flots. La première fois qu’elle croyait l’avoir aperçu, c’était alors qu’elle passait silencieusement dans les ruelles pour visiter un peu, l’homme qui les avait recueillis, Kanbei et elle, sur ses talons. S’imprégner de la philosophie des lieux. Mais il n’y avait rien à voir. Aussi, cette silhouette qu’elle avait côtoyé des mois durant sur une toute petite île de Grand Line sembla comme un phare au milieu du brouillard. Un peu courbé, le bas de la veste volant dans son dos, des cheveux grisonnants. Mais l’instant durait une seconde, et il disparaissait. La seconde fois, il lui apparut sous forme de rumeur. Un navire avait jeté l’ancre non loin de la côte, et son équipage s’était déversé dans la ville. Comme toujours, il y avait les racontars sur les équipages pirates. On en faisait l’éloge, on crachait dessus ou on les craignait. Mais quelque chose dans la description de ceux-ci faisait resurgir de douloureux souvenirs. Ils l’avaient tué. Elle en rêvait, cette nuit-là. Elle se noyait. Il mourrait sous ses yeux. Et elle se baignait dans ses larmes, s’étouffait ; et l’eau pure se tintait de rouge.
Malgré tous ces événements, elle poursuivait sa route. Il le fallait. L’ennui la gagnait un peu, elle se trouvait des occupations comme elle pouvait. Parce que le travail sur la carte n’avançait pas, et que Pitt et elle en avaient un peu marre, à vrai dire. Il voulait reprendre ses activités normales. Et puis Kanbei n’était plus là. Il ne reviendrait pas avant longtemps… Alors elle aidait là où on l’appelait – soit à peu près partout où une femme était nécessaire, dans la limite du décent. Et puis, peu à peu, l’obsession la gagna. Le besoin inexplicable de retourner à l’endroit où ils s’étaient échoués avec Kanbei. Pour tenter de récupérer sa barque. Son précieux bien. Le dernier. Elle ne se faisait guère d’illusion. Mais c’était ainsi, comme un poison qui la rongeait chaque jour plus. La cause n’était guère l’absence de Kanbei, cette fois. Ç’aurait pu. Il était vrai qu’il lui manquait terriblement, et un peu plus chaque jour. Mais là, en cet instant précis, c’était autre chose. Quelque chose de profondément enfoui, qui frappait contre son cœur pour surgir à nouveau.
Elle paraissait sur cette plage qu’ils avaient foulée des jours – des semaines peut-être – auparavant ; lieu méconnaissable toutefois. Et nulle barque à l’horizon. Le désespoir l’envahissait, et elle s’attarda au bord de l’eau. Pourquoi avoir fait tout ça ? Pourquoi s’être lancée dans une quête qui s’avérait vaine, à l’évidence dès le départ ? Un galet jeté à la mer. Il fut un temps où elle jetait des bouteilles, parfois avec des petits mots dedans pour réconforter les marins qui les recevaient, parfois pleines d’une liqueur infecte parce qu’elle jugeait que Papa buvait trop. Sourire. Il fallait rentrer, maintenant. Mais elle traînait ; le cœur en peine. Et puis, elle les vit, les traces à demi effacées par le temps et le vent, qui s’étiraient le long de la plage et formaient des bosses imprécises dans le sable. Des pas, une personne seule, qui tirait un fardeau derrière elle. Son cœur fit un bond ; elle avait retrouvé les traces du voleur de sa barque. Prise d’une énergie toute retrouvée, elle s’élança en grande détective et suivit le chemin ainsi formé.
Dernière édition par June Howk le Lun 6 Jan 2014 - 19:08, édité 1 fois