A une période de son existence, l'ïle aurait pu être bien nommée. Entre ses commerces, sa fête foraine, cela devait être un paradis sur terre. Hélas, elle était une île de Grand Line, et à ce titre, on devinait que cela ne pouvait pas durer bien longtemps.
A présent, ce qui avait fait la joie d'enfants ressemblait à des ruines macabres, comme des squelettes à l'air libre, envahis par la rouille et les mauvaises herbes. La désertion de toute vie humaine, à part quelques voyageurs qui ne demandaient par leurs restes, confirmait cette impression de poser les pieds dans un cimetière.
Elinor regardait le triste spectacle depuis le pont du Marvel Genbu et ne put s'empêcher de retenir un frisson. Elle avait pourtant mis une veste supplémentaire sur ses épaules ; il ne faisait pas particulièrement froid non plus. L'ambiance seule suffisait à vous glacer le sang. A se demander si elle ne détestait pas cette île plus encore que Zaun, déjà pas mal dans le genre glauque et sale.
D'ailleurs, leur radar à île infréquentable s'était réveillé à l’accostage du navire aux embarcadères vétustes des lieux. Stefan avait jeté un regard dégoûté et méprisant au rivage, haussa les épaules avant de lui tourner délibérément le dos et présenter la situation au reste de l'équipage qui le rejoignait pour venir aux nouvelles.
- D'après le log pose, nous sommes obligés de rester ici dix jours afin qu'il se recharge.
Dix jours, c'était long. Très long. Surtout quand on doit attendre. Les Desperados n'allaient pas attendre bêtement sur le quai que le temps passe ; de toute façon, ils étaient avides de découvertes et pouvaient trouver des choses utiles sur cette île, pour le navire, les armes, ou la cuisine. Même si rien n'était pour ce dernier point très engageant. Mais comme on dit, l'odeur du Munster cache sa noblesse de cœur ; et on peut trouver une rose au milieu d'un champ de purin. Après un petit temps de discussion, il fut convenu que deux personnes pour l'instant descendraient en éclaireur sur le terrain. Elinor, à la conquête de nouvelles saveurs, fut la première à lever la main avec enthousiasme. Depuis les bonnes résolutions qu'elle avait prises au Cap des jumeaux, elle avait hâte d'avancer, de devenir de plus en plus capable, indépendante pendant les situations de crise, ne pas être la princesse à sauver mais la pirate déterminée.
Pourtant, à présent qu'elle était là, à laisser planer ses yeux bleus sur l'immensité de cette lugubre destination, sa bonne humeur traditionnelle se laissa envahir par un soupçon de tristesse. Il n'y a rien de plus déprimant qu'une fête foraine à l'abandon. Si, un clown triste, peut-être.
Elle emboîta néanmoins le pas à Axel lorsqu'il rejoignit la terre ferme ; et fut ravie qu'Elphys, leur feu follet, leur salade verte, soit aussi de la partie. Avec eux deux à ses côtés, elle serait vite remotivée. Et pour donner le LA à la fière équipe d'explorateurs, elle entonna d'une chanson paillarde.***
- Je ne suis pas sûre d'arriver à faire quoique ce soit avec ça.
Elinor rejeta au loin une vieille chaussure trouée, laissée là depuis des années. L'endroit était désert. Partout autour d'eux demeuraient des preuves d'existences humaines dans ce parc d'attraction, mais rien ne bougeait, mis à part ce que le vent secouait par rafales avant de s'arrêter à nouveau. Elle avança de quelques pas, découvrit une porte fermée, la força sans difficulté. Elle pivota sur ses gonds dans un grincement sinistre qui se répercuta dans un écho glacial dans toute la fête foraine. Sur une table décapée par les intempéries trônait du vieux matériel de cuisine, permettant de préparer crêpes, barbes à papa, pommes d'amour.
- Axel, si on récupère ça, tu penses pouvoir réussir à les retaper ? Je pourrais faire des choses sympas, avec !
En attendant le diagnostic du spécialiste, et qu'Elphys fasse elle-même une petite visite du local, Elinor restait sur le pas de la porte, soupirant. Soudain, son regard capta un mouvement anormal pour être qualifié de naturel ; le corps entier de la jeune femme fut traversé par des signaux nerveux; elle se mit en alerte. Ressentant sa tension, Elphys et Axel la rejoignirent, à l’affût. Ils attendirent quelques temps. Rien ne vint. La quiétude, à nouveau.
- Désolée, je crois que je me suis méprise.
Peut-être en effet. Et pourtant, tandis qu'ils reprenaient la route, la cuistot avait la désagréable impression d'être suivie du regard.
Dernière édition par Elinor Lafayette le Dim 9 Fév 2014 - 19:01, édité 2 fois