Je sais pas comment j'ai atterri ici. J'ai la main détruite. J'ai le cerveau qui fonctionne au ralenti. J'ai une bouteille vide qui a roulé jusqu'à cette pierre. Une grosse pierre noire. Dressée au milieu de dizaines d'autres. C'est le tintement du verre contre la pierre qui m'a éveillé. Je suis assis. J'ai les jambes lourdes. Non. Je sens plus mes jambes. Les fourmis dans mes genoux ont déjà tout bouffé. Plus aucuns nerfs. Juste ceux, à vifs, incurables, qui s'embrasent à mon encontre. J'ai les nerfs. Contre moi. J'ai la main détruite. Y'a une espèce de brume qui avance, mais elle reste cantonnée aux rangées de tombes que mon regard inspecte comme si je sortais d'un mauvais rêve. J'y vois flou. J'ai mal. Un peu partout, mais surtout au cœur. Une putain de gueule de bois. J'y vois flou, mais mes souvenirs sont nets. Et le craquement du bois quand sa tête s'y enfonce me fait encore frisonner. Je m'en veux. Mon regard erre. Je ne vois rien de neuf. Seule cette inscription sur cette stèle.
Cette inscription qui porte mon nom.
Je n'espère plus le salut depuis bien longtemps.
Du moins, ça fait depuis quelques heures perdues que je n'entrevois plus aucun salut du tout. Du moins pas celui que l'on réserve habituellement aux belles filles de bonne maison et aux pauvres gosses pas encore baptisés. Et surtout pas celui des prêtres. C'est peut-être le seul côté qui me réjouisse, rater cette partie là du paradis. Non pas que j'aime pas les pédophiles, hein, mais m'est avis que si les prisonniers ne les apprécient guère pas, ce n'est pas pour rien ; et qu'ils doivent avoir un plus mauvais fond que la plupart des autres -sans mauvais jeux de mots. Juste que je ne me compte pas dans le sac de la plupart des autres. Dans mon sac, j'y mettrai des boules de pétanque, des tessons de bouteilles et au moins mon poids en punaises. Mon propre paradis. Déjà que faire cramer ma famille et laisser ma fille se faire percer la cervelles par de belles paroles vaines ne doit pas avoir mis mon nom en tête de la liste des invités au bal de saint pierre, mais t'avoir déglingué, pauvre nana aux aspects aussi lisses que pouvaient l'être tes cheveux, aux pensées au moins aussi noire que les miennes et à l'âme plus acérée encore... Hé. Doit y'avoir une belle rature au nom de Timberwhite sur le registre. Et si il fut un temps ça me rendait malade de me dire que même là-haut je n'y retrouverai pas ma femme ou ma gosse dont j'ai même pas eu le temps de restreindre son intérêt pour les garçons de son âge, maintenant, je me suis fait à l'idée. Et je me vois déjà marcher sur des petits nuages de braises pour arriver devant un pupitre de la taille d'une maison et me faire passer par une porte dérobée et constellée de clous rouillés.
Mais je m'égare.
Le pardon. Même combat. Perdu d'avance. Y'en a bien qui pardonnent. Qui pardonnent aux mendiants d'êtres nés sans le sou ou aux politiciens d'être nés sans intellect. Je suis certain que dans un monde idéal, on m'aurait pardonné. J'ai des collègues qui l'affirment.
Mais moi, à la différence d'eux, je n'ai personne qui puisse me pardonner. Du moins, personne dont l'avis compte vraiment. Y'aurait bien Dieu... mais si la marine existe c'est bien qu'Il s'est endormi sur sa table de travail avec le boulot à moitié achevé. Alors je m'en contrefous de Son pardon. Même si je dois foutre des majuscules dés que je parle de Lui.
Perdu d'avance.
Et pourtant elle me ronge, cette culpabilité. Elle me ronge plus que le cercueil que je me suis fait hier. Et même si ça fait un beau rappel du début de post avec le cimetière, je parle bien de ce mélange d'alcool que j'ai acheté à Lolyd le barman. Et cette fois, j'ai beau essayer de me persuader que j'en ai rien à foutre, j'y arrive pas. J'ai croisé mon regard dans l'eau claire d'une fontaine ce matin. Et celui que l'image me renvoyait était, certes rempli d'autant de pitié et de dégout que d'ordinaire, mais emprunt de cette étincelle qu'ont les pères qui encouragent leur fils à franchir le pas de la porte de leur première copine. Ou celui qu'a le copain bourré qui pousse dans le dos un collègue coincé à travers le seuil d'une prostituée. Hin. L'eau tremble encore du poing que je lui ai envoyé pour me faire taire. Et même ça a échoué. Alors avec une liasse de billets en poche, la dernière, pour avoir vendu le peu de toiture qu'il restait de cette maison carbonisée qui fut la notre, je visage bas et le Cormoran sur les talons -aussi joyeux qu'à son ordinaire- j'ai percé la foule des badauds et suis allé au port. Parce que oui, je savais où trouver mon salut. J'ai pas pu m'arrêter de te surveiller.
La main emballée comme à Noël, les lunettes plus hautes sur mon nez qu'elles ne l'ont jamais été, le pas au moins aussi assuré qu'au lever d'une douche froide et un Cormoran zigzaguant entre les enfants qu'il croise, je parcours une ville fourmillante pour laquelle je n'ai plus aucune considération. Je ne suis qu'un fantôme. Une âme errante et qui ne peut trouver le repos. Je n'ai que faire des gens et ils n'ont que faire de moi tant que je ne leur marche pas sur les talons. Ce qui arrive trop fréquemment à leur gout. On me regarde en coin, parfois. Je suis un alcoolique à tendances violentes. Normal que la garde veille au grain. Et quel meilleur grain, insignifiant et insipide, que celui qui porte des tuniques amples et des chapeaux contre le soleil. Je crois que j'ai rarement été aussi heureux de mesurer mes deux mètres cinquante.
Et même si heureux est un mot trop peu approprié, si j'en crois mon pas, ça fait bien longtemps que je ne l'ai pas été à ce point.
Je ne vois pas bien mon regard en cet instant, mais les gens ne me croisent plus avec l'impression de passer près d'un égorgeur de porcs. Alors je déboule sur ce qui sert de port. Ce qui sert ouais. Parce que dans le patelin d'Hinu, les caisses, on les décharge pendant la nuit pour pas chopper une insolation. Parce que cette saleté est plutôt virulente en journée et du genre insomniaque. Même à l'ombre tu peux chopper une insolation sur les quais ; alors la seule heure viable pour tout décharger, c'est celle entre minuit et trois heures de la nuit, quand on ne peut pas lire les cadrans solaires avec la précision qu'ont d'ordinaire les suisses. Une histoire à base de sabliers. Alors du coup, en pleine journée, le port est quasiment désert. Y'a trois gonzes qui arrosent leurs navires avec l'eau de mer pour pas que les planches ne se craquèlent sous la chaleur, deux gamins qui font cramer des cafards avec des loupes et une garce aux cheveux si clairs qu'ils semblent s'être liquéfiés sous les rayons dardant d'un soleil si lourd que le plomb en serait jaloux. Une garce à la voix qui porte et qui résonne. Tu t'adresses à un type dans une sorte de cabine téléphonique et qui est payé à passer l'heure de la sieste à surveiller des quais déserts. Seule une vitre le sépare de ta fureur qui s'évertue à acheter un billet pour se casser de cette île au plus vite. Je m'approche un peu.
L'homme a rempli son enclos de tellement de glace qu'il avait dû s'y encastrer plutôt qu'y entrer. Et le regard mi peiné mi effrayé qu'il te lance lui donne l'air d'un merlan au milieu de l'étale d'un poissonnier. La bedaine et le double menton en supplément.
Je ravale mon rictus. Le Cormoran m'ouvre la voie, comme s'il savait où on va ; ou comme s'il avait juste pas eu assez de câlins auprès des gosses perdus qu'il a croisé pour venir jusqu'ici.
Je me dresse dans ton dos et si tu ne repères pas le Cormoran tout de suite, tu peux voir mon ombre grandir au-dessus de ta tête. Comme une sombre promesse qui n'est pourtant pas aussi dramatique qu'à notre première rencontre. Ma main tremble. Je serre les dents et la planque dans ma poche. Tu ne pourras pas voir le bandage tout de suite. J'attends juste que tu te retournes ; que tu me jettes un regard qui me fait bien comprendre qu'en plus de m'avoir reconnu, tu n'es pas du tout heureuse de me voir. De toute façon, il ne m'était pas de tout venu à l'esprit que tu aie pu l'être. Chaque matin je suis déçu de voir que je suis moi. Ça doit pas être simple de se retourner pour se retrouver face à mon torse. Trop grand pour la plupart des gens. Lever la tête ne les arrange pas, et si ils doivent hausser le regard sur un visage aussi engageant qu'un panneau danger sur en haut d'une falaise escarpée, d'ordinaire, ils ont pas envie de rester dans mes environs. Mais toi, je ne te laisse pas le choix. De ma main gauche, je te prends par l'épaule, pas vraiment méchamment, juste avec fermeté et t'attire un peu plus loin, à l'ombre d'un bâtiment où se ressourcent seize chats, quatre chiens fainéants, un vingtaine de pigeons pré-cuits et un cuisinier qui surveille ses œufs dans la poêle laissée en plein soleil.
…
Je ne dis rien encore. Tu ne dis rien non plus. Je pense que tu ne sais pas du tout à quoi t'attendre. Ça nous fait un point commun. Parce que je sais pas du tout ce que je vais m'apprêter à dire. Ou plutôt, je ne sais pas du tout comment tourner les mots qui me brûlent la langue pour ne pas en faire une phrase stupide. Tout ce que je sais, c'est que je m'efforce de ne pas te regarder. Tu le vois, ça, tu sais ce que je veux faire, je pense. Je laisse le Cormoran te distraire une seconde, le temps de passer sur mes yeux des doigts rêches et sur mon visage une paume calleuse. Je cherche mon souffle, je cherche mes mots, je cherche mon courage. J'expire bruyamment, me torture une énième fois l'esprit avec des questions ou des piques acérées, écoute le petit ange qui m'invite à continuer et regarde le démon rester de marbre. Mon poing droit sort de ma poche comme je me retourne vers toi, tendant le bras comme un vieil homme tendrait un journal roulé vers une mouche. Tu y vois la liasse de billets. Tu y vois mon poing bandé. Tu vois mes lèvres trembler une seconde et tu entends ma voix.
Pardonne moi.
Parce que bordel, c'est dur de se dire qu'il y a enfin une personne qui serait à même de me pardonner.
Même si ce n'est très certainement pas toi qui m'ouvriras les portes du paradis.
Cette inscription qui porte mon nom.
*****
Je n'espère plus le salut depuis bien longtemps.
Du moins, ça fait depuis quelques heures perdues que je n'entrevois plus aucun salut du tout. Du moins pas celui que l'on réserve habituellement aux belles filles de bonne maison et aux pauvres gosses pas encore baptisés. Et surtout pas celui des prêtres. C'est peut-être le seul côté qui me réjouisse, rater cette partie là du paradis. Non pas que j'aime pas les pédophiles, hein, mais m'est avis que si les prisonniers ne les apprécient guère pas, ce n'est pas pour rien ; et qu'ils doivent avoir un plus mauvais fond que la plupart des autres -sans mauvais jeux de mots. Juste que je ne me compte pas dans le sac de la plupart des autres. Dans mon sac, j'y mettrai des boules de pétanque, des tessons de bouteilles et au moins mon poids en punaises. Mon propre paradis. Déjà que faire cramer ma famille et laisser ma fille se faire percer la cervelles par de belles paroles vaines ne doit pas avoir mis mon nom en tête de la liste des invités au bal de saint pierre, mais t'avoir déglingué, pauvre nana aux aspects aussi lisses que pouvaient l'être tes cheveux, aux pensées au moins aussi noire que les miennes et à l'âme plus acérée encore... Hé. Doit y'avoir une belle rature au nom de Timberwhite sur le registre. Et si il fut un temps ça me rendait malade de me dire que même là-haut je n'y retrouverai pas ma femme ou ma gosse dont j'ai même pas eu le temps de restreindre son intérêt pour les garçons de son âge, maintenant, je me suis fait à l'idée. Et je me vois déjà marcher sur des petits nuages de braises pour arriver devant un pupitre de la taille d'une maison et me faire passer par une porte dérobée et constellée de clous rouillés.
Mais je m'égare.
Le pardon. Même combat. Perdu d'avance. Y'en a bien qui pardonnent. Qui pardonnent aux mendiants d'êtres nés sans le sou ou aux politiciens d'être nés sans intellect. Je suis certain que dans un monde idéal, on m'aurait pardonné. J'ai des collègues qui l'affirment.
Mais moi, à la différence d'eux, je n'ai personne qui puisse me pardonner. Du moins, personne dont l'avis compte vraiment. Y'aurait bien Dieu... mais si la marine existe c'est bien qu'Il s'est endormi sur sa table de travail avec le boulot à moitié achevé. Alors je m'en contrefous de Son pardon. Même si je dois foutre des majuscules dés que je parle de Lui.
Perdu d'avance.
Et pourtant elle me ronge, cette culpabilité. Elle me ronge plus que le cercueil que je me suis fait hier. Et même si ça fait un beau rappel du début de post avec le cimetière, je parle bien de ce mélange d'alcool que j'ai acheté à Lolyd le barman. Et cette fois, j'ai beau essayer de me persuader que j'en ai rien à foutre, j'y arrive pas. J'ai croisé mon regard dans l'eau claire d'une fontaine ce matin. Et celui que l'image me renvoyait était, certes rempli d'autant de pitié et de dégout que d'ordinaire, mais emprunt de cette étincelle qu'ont les pères qui encouragent leur fils à franchir le pas de la porte de leur première copine. Ou celui qu'a le copain bourré qui pousse dans le dos un collègue coincé à travers le seuil d'une prostituée. Hin. L'eau tremble encore du poing que je lui ai envoyé pour me faire taire. Et même ça a échoué. Alors avec une liasse de billets en poche, la dernière, pour avoir vendu le peu de toiture qu'il restait de cette maison carbonisée qui fut la notre, je visage bas et le Cormoran sur les talons -aussi joyeux qu'à son ordinaire- j'ai percé la foule des badauds et suis allé au port. Parce que oui, je savais où trouver mon salut. J'ai pas pu m'arrêter de te surveiller.
La main emballée comme à Noël, les lunettes plus hautes sur mon nez qu'elles ne l'ont jamais été, le pas au moins aussi assuré qu'au lever d'une douche froide et un Cormoran zigzaguant entre les enfants qu'il croise, je parcours une ville fourmillante pour laquelle je n'ai plus aucune considération. Je ne suis qu'un fantôme. Une âme errante et qui ne peut trouver le repos. Je n'ai que faire des gens et ils n'ont que faire de moi tant que je ne leur marche pas sur les talons. Ce qui arrive trop fréquemment à leur gout. On me regarde en coin, parfois. Je suis un alcoolique à tendances violentes. Normal que la garde veille au grain. Et quel meilleur grain, insignifiant et insipide, que celui qui porte des tuniques amples et des chapeaux contre le soleil. Je crois que j'ai rarement été aussi heureux de mesurer mes deux mètres cinquante.
Et même si heureux est un mot trop peu approprié, si j'en crois mon pas, ça fait bien longtemps que je ne l'ai pas été à ce point.
Je ne vois pas bien mon regard en cet instant, mais les gens ne me croisent plus avec l'impression de passer près d'un égorgeur de porcs. Alors je déboule sur ce qui sert de port. Ce qui sert ouais. Parce que dans le patelin d'Hinu, les caisses, on les décharge pendant la nuit pour pas chopper une insolation. Parce que cette saleté est plutôt virulente en journée et du genre insomniaque. Même à l'ombre tu peux chopper une insolation sur les quais ; alors la seule heure viable pour tout décharger, c'est celle entre minuit et trois heures de la nuit, quand on ne peut pas lire les cadrans solaires avec la précision qu'ont d'ordinaire les suisses. Une histoire à base de sabliers. Alors du coup, en pleine journée, le port est quasiment désert. Y'a trois gonzes qui arrosent leurs navires avec l'eau de mer pour pas que les planches ne se craquèlent sous la chaleur, deux gamins qui font cramer des cafards avec des loupes et une garce aux cheveux si clairs qu'ils semblent s'être liquéfiés sous les rayons dardant d'un soleil si lourd que le plomb en serait jaloux. Une garce à la voix qui porte et qui résonne. Tu t'adresses à un type dans une sorte de cabine téléphonique et qui est payé à passer l'heure de la sieste à surveiller des quais déserts. Seule une vitre le sépare de ta fureur qui s'évertue à acheter un billet pour se casser de cette île au plus vite. Je m'approche un peu.
L'homme a rempli son enclos de tellement de glace qu'il avait dû s'y encastrer plutôt qu'y entrer. Et le regard mi peiné mi effrayé qu'il te lance lui donne l'air d'un merlan au milieu de l'étale d'un poissonnier. La bedaine et le double menton en supplément.
Je ravale mon rictus. Le Cormoran m'ouvre la voie, comme s'il savait où on va ; ou comme s'il avait juste pas eu assez de câlins auprès des gosses perdus qu'il a croisé pour venir jusqu'ici.
Je me dresse dans ton dos et si tu ne repères pas le Cormoran tout de suite, tu peux voir mon ombre grandir au-dessus de ta tête. Comme une sombre promesse qui n'est pourtant pas aussi dramatique qu'à notre première rencontre. Ma main tremble. Je serre les dents et la planque dans ma poche. Tu ne pourras pas voir le bandage tout de suite. J'attends juste que tu te retournes ; que tu me jettes un regard qui me fait bien comprendre qu'en plus de m'avoir reconnu, tu n'es pas du tout heureuse de me voir. De toute façon, il ne m'était pas de tout venu à l'esprit que tu aie pu l'être. Chaque matin je suis déçu de voir que je suis moi. Ça doit pas être simple de se retourner pour se retrouver face à mon torse. Trop grand pour la plupart des gens. Lever la tête ne les arrange pas, et si ils doivent hausser le regard sur un visage aussi engageant qu'un panneau danger sur en haut d'une falaise escarpée, d'ordinaire, ils ont pas envie de rester dans mes environs. Mais toi, je ne te laisse pas le choix. De ma main gauche, je te prends par l'épaule, pas vraiment méchamment, juste avec fermeté et t'attire un peu plus loin, à l'ombre d'un bâtiment où se ressourcent seize chats, quatre chiens fainéants, un vingtaine de pigeons pré-cuits et un cuisinier qui surveille ses œufs dans la poêle laissée en plein soleil.
…
Je ne dis rien encore. Tu ne dis rien non plus. Je pense que tu ne sais pas du tout à quoi t'attendre. Ça nous fait un point commun. Parce que je sais pas du tout ce que je vais m'apprêter à dire. Ou plutôt, je ne sais pas du tout comment tourner les mots qui me brûlent la langue pour ne pas en faire une phrase stupide. Tout ce que je sais, c'est que je m'efforce de ne pas te regarder. Tu le vois, ça, tu sais ce que je veux faire, je pense. Je laisse le Cormoran te distraire une seconde, le temps de passer sur mes yeux des doigts rêches et sur mon visage une paume calleuse. Je cherche mon souffle, je cherche mes mots, je cherche mon courage. J'expire bruyamment, me torture une énième fois l'esprit avec des questions ou des piques acérées, écoute le petit ange qui m'invite à continuer et regarde le démon rester de marbre. Mon poing droit sort de ma poche comme je me retourne vers toi, tendant le bras comme un vieil homme tendrait un journal roulé vers une mouche. Tu y vois la liasse de billets. Tu y vois mon poing bandé. Tu vois mes lèvres trembler une seconde et tu entends ma voix.
Pardonne moi.
Parce que bordel, c'est dur de se dire qu'il y a enfin une personne qui serait à même de me pardonner.
Même si ce n'est très certainement pas toi qui m'ouvriras les portes du paradis.