Quelques jours plus tard
- Capitaine ! Venez voir s'il vous plait.
Le vieux commerçant bougea sa carcasse jusqu'à son mousse. Il était ridé et avait la peau dure, maltraité par les vents chargés d'iode, le dos courbé par les charges.
- Capitaine, je suis presque certain que certaines de vos denrées sont pourries, parfois il y a une odeur affreuse.
Le commerçant ferma les yeux pour se concentrer et respira à plein poumon. Caché dans les caisses, Socrate se retenait de respirer pour ne pas se faire remarquer.
- Je ne sens rien mais vérifions, je ne voudrais pas décevoir mes clients.
Socrate commençait à s'affoler. Première caisse d'enlevée. Rien. Puis une seconde et l'odeur commençait à remonter aux nez des marins.
- Pouah ! C'est une colonie de rats qui habitent ici ou quoi ? Elle a décidé de se lâcher là nom de nom ? Va m'chercher la fourche que j'en finisse avec ce fléau !
Socrate déglutit avec peine, les yeux exorbités. Ils s'inventaient toutes les façons avec lesquelles il pouvait mourir. Le vieux continuait à retirer ses affaires, une à une. Jusqu'à ce qu'il soulève ce qu'il croyait être son seau à poisson.
- Nan ! Pas mon seau à commissions !
Socrate avait oublié qu'il ne devait pas se montrer au moment où le Capitaine lui enlevait ce qui était vital pour lui : ses toilettes. Alors au dernier moment il s'accrocha au seau, mais le vieil homme tira davantage en grognant, ce qui fit lâcher prise au blondinet. Autre conséquence, le vieux commença à tituber, couvert de déjections humaines. Il fulmina, les poings serrés, grognant derrière ses dents serrées qu'il faisait grincer.
- Toi ... TOI ! TOI ! RICIDULE !
Le Capitaine fourra son poing au milieu des caissettes et en ressortit un Socrate par le col, comme par magie. Comme un abruti, il lui souriait. Jaune, mais il lui souriait, comme si ça allait le défâcher.
- Encore heureux, j'ai pas mangé les deux kilos de pommes ! Elles me servaient de lit ! J'était bien jusqu'à ce qu'elles pourrissent, maintenant je sens le cidre ...
Le vieux commerçant le plaqua de toute ses forces contre la paroi de sa cabine, avec pour seule étreinte sa main autour de la gorge de sa victime.
- Toi ... Mes pommes, mon colis de l'ermite, et ça ... CA !
Il le décolla du mur et le laissa tomber dans ses déjections au sol.
- J'te préviens mon bonhomme ! Tu vas travailler pour me réparer ça ou sinon, tu vas finir sur la planche ! P't être même que tu y finiras après m'avoir remboursé, Ricidule !
Socrate ne disait rien. A vrai dire, il ne l'écoutait même pas et s'en fichait éperdument. Le plus important pour lui, c'est qu'il avait quitté son village natal. Tout ne pouvait pas aller bien, c'était sur, mais c'était le début.