Il l'avait dit de ne pas croquer dans l'fruit ...

HRP:

Gura n'avait pas l'habitude de voyager si loin de chez lui, à l'époque. Ou plutôt, les gens du cirque, avec lesquels il bossait, n'étaient pas aussi nomades qu'ils voulaient bien le faire croire. Grossomodo, ils se donnaient en spectacle de ville en ville. Et non d'île en île. Un comble dans un monde assez marin comme celui de One Piece.
Pourtant, ces derniers temps, une certaine folie des grandeurs avait tapé dans l'oeil du jeunot. À votre avis ? Un mâle, adolescent, dans la fleur de l'âge ! Exactement, l'envie et la vie trépidante de voguer sur les mers, pardi ! Qu'est-ce que ça aurait pu être d'autre, sans déconner ?
C'est pourquoi, après s'être fait gonfler la tête comme une pastèque, le gaillard se voyait déjà en train de devenir fort, et surtout de bouffer le primordial Fruit du Démon. Tatatam !

Ainsi, de fil en aiguille, Gura changea de corps et d'esprit. De corpulence et de mentalité. Bouffant tout et n'importe quoi sur son passage. Et si le cirque lui avait donné la taille d'un joueur de basketball par le passé, le rêve de l'aventure, lui, transformait l'acrobate en quelque chose énorme et immonde.
Quand même à deux doigts de courir comme un sauveteur d'Alerte à Malibu, sérieux ! Mais au vu des formes plus que généreuses du bonhomme, maudit ou non par un Fruit, autant se laisser couler !

_ Je vais quoi ?! Me taper un régime sur l'îles de vieux aux fesses plates ?!

Gura avait réagi de la sorte lorsqu'il apprit que sa super famille l'éloignerait pendant un temps.

On racontait que sur Ohara, il y avait la blinde de scientifiques. Tous des vieux, tous des érudits ! Que des types qui prenaient un malin plaisir à poser leur fion sur une chaise, et tourner des pages d'un livres. Pour se cultiver, logiquement.
Vérité ou rumeur, ça n'enchantait guère le gros tas de graisse. Et il ferait quoi là-bas ? Comme si on pouvait faire marrer des cervelles surdéveloppées, rien qu'en se déguisant en clown ?

Quoi qu'il en soit, Gura fut donc expédié à destination. Bien sûr, ça n'y changerait rien en fin de compte, mais ça, on ne pouvait pas encore le deviner. Le Sumo eut droit à quelques tests et autres exercices de débutant. Cependant, même ramasser des légumes dans un champ lui demandait trop d'énergie et de contorsions. Et puis, arroser le tout à coups de transpiration abondante, bon appétit ! Sans parler des belles et profondes empreintes de pied qui aplatissaient certaines cultures.
Bah quoi ? Deux cents cinquante kilos de bourrelets ne se manipulaient comme le canif de Macguyver, non mais !

Voilà où on en était arrivé, pour la peine. Peut-être que si on se débarrassait, là encore, de cette énorme loque disgracieuse, cela créerait moins de problèmes aux habitants. Sur ce, le jour venu, où on ferait miroiter qu'il était possible d'obtenir l'impossible, arriva.

_ Te fous pas de ma gueule ! Se lâcha Gura, juste quand un intrus se pointa à l'improviste.

Il détourna alors le regard vers ce nouvel invité, puis regagna les yeux du vieux scientifique, qui servirait apparemment de nounou. Un coup à gauche, un coup à droite, et ainsi de suite... encore deux ou trois fois, quoi.

_ Keuaaah ? Juusei ? Non !, toi, qu'est-ce que tu fous là ?

Le senior n'attendit pas plus longtemps pour annoncer la suite de son programme. Une épreuve, dirait-on.

Gura resta tout de même perplexe. Le mec aux cheveux blancs récita une histoire. Vous savez ? Le genre de connerie qu'on vous raconte avant d'aller dodoter, qui dure trois plombes. Comme s'il ne pouvait pas tout bonnement aller à l'essentiel !
Néanmoins, ce petit stratagème ferma le bec du gros. C'était toujours ça de gagné. Et donc, pour ne pas s'endormir avant la conclusion, la mission s'avérait simple dans les grandes lignes. Il suffisait d'escalader une montagne jusqu'au sommet. Puis, depuis la reconstruction de l'île, une légende laissait entendre qu'un arbre sacré y avait planté domicile. Que désormais arrivé à mâturité, il était susceptible de pondre un Fruit. Un Fruit du démon, évidemment !

_ Chouette ! Jubila Gura, en exposant ses aisselles ruisselantes et nauséabondes.

Bon bah là, l'octogénaire s'écroula. Ça tombait bien, il était enfin temps de partir.

Gura, trop excité de la nouvelle, espérait toujours croquer dans la fameuse pomme, qui permettait de conférer tel ou tel pouvoir. Alors dès qu'il pivota vers la sortie, il bouscula Juusei d'un revers de main (oups), et se tailla en vitesse... bon d'accord, à deux à l'heure, vu sa lourdeur et sa démarche de pingouin.

Spoiler:

Le sol n'en finissait plus de trembler, à tel point qu'un vieillard sur le bas côté se mit à tituber. Déjà qu'il devait se déplacer avec une canne, afin de tenir debout (façon de parler), il n'avait plus qu'à ruminer, une fois étalé, de ne pas avoir opté plus tôt pour un déambulateur.
Gura accélérait donc tant bien que mal, en basculant tout son poids sur sa jambe gauche, puis la droite. Et ainsi de suite. Un peu comme un métronome, avec un tempo de RNB assez slow. Dans le genre soixante dix BPM, qu'on disait dans le jargon.
Il jeta tantôt des regards furtifs par-dessus son épaule... enfin, quand il y arrivait, bien entendu. Parce qu'avec une immensité pareille, c'était à peine si le gros pouvait surveiller ses angles morts. Heureusement que dans l'âge d'or de la piraterie, on n'apprenait pas à dépasser, ni à faire de créneaux sur l'océan. Sinon, il pouvait se mettre le permis où-vous-savez.
Mouais bof ! En fait, les pirates n'étaient que des hors-la-loi, alors à quoi bon ?

Bref, la course-poursuite en solitaire continua sur quelques centaines de mètres, en fin de compte. Jusqu'à ce qu'un saligaud le double par la droite. Bravo ! C'était évidemment Juusei qui avait largement eu le temps de rattraper son retard. Apparemment, lui aussi avait trouvé le moyen de s'endormir un peu plus tôt, pendant le discours de l'autre intello grisonnant.

_ Mourir comme un débutant ? S'interrogea Gura pendant la collision.

Il ne fallait pas juste grimper jusqu'à un sommet ? Encore que, escalader des hauteurs avec une grosse bedaine devait sans doute comporter des risques, quoi qu'il arrive.

Quand on parle du loup ! Dans le feu de l'action, le rival du catcheur balança une bestiole rampante sur la piste. Gura se prit évidemment les pieds dedans, vacilla puis tomba sur le ventre. Là, il rebondit, roula sur lui-même, fit quelques tonneaux, et se redressa sur ses quilles miraculeusement.
Le serpent, lui, le pauvre, il avait été malmené contre son gré. Secoué et aplati, il ne chercherait plus à mordre ou enrouler son bourreau. Par contre, pourquoi ne pas l'utiliser comme un lasso ? Avec du bol, le reptile serait assez long.

_ Je vais même rajouter de la longueur avec ma ceinture, pour être sûr.

Façon Western, Gura ôta son long tissu qui lui entourait la taille, en fit un noeud à la queue du serpent, puis agita le tout au-dessus de son crâne chauve.

_ Kamik'Ass !!! s'écria-t-il pour se donner un peu plus de détente, et se rapprocher de Juusei.

Comme un ressort, une fois ses larges fesses plantées dans le sol, le gros décolla comme un boulet de canon de la Marine. Puis dans les airs, après avoir rattrapé un peu mieux son retard, il visa enfin l'autre sprinteur avec son lasso fait-maison. Quasiment à la verticale, du coup.

Semblable à une sorte de langue de caméléon, l'arme se déroula dans toute sa longueur et atteignit la tête de Juusei au tout dernier moment. C'était suffisant pour se faire ensuite attirer... et traîner comme un sac, aux côtés de son camarade d'enfance. Et tant qu'à faire, ne plus avoir besoin de courir comme une gazelle, si l'autre bougre se sentait fort de tirer plus de deux cents kilos, sans se rompre le cou.
Par chance, le serpent en question n'était pas venimeux. Ou tout du moins, il avait déjà dû utiliser son paralysant sur quelque chose d'autre. Et pour les crocs, on en parle ? Euh... ouf ! Rien ne semblait avoir empalé dans le bulbe de Juusei.

_ Oh bah ça alors ! Plaisanta Gura, emporté par son tout nouveau taxi humain. Juusei ! Pour une surprise... alors quel bon vent t'amène ? En tout cas, tu es devenu un beau mâle qui a su prendre soin de son corps, depuis le temps, héhé !

Ouais ! Et on ne pouvait pas en dire autant du Sumo, pour la comparaison.

_ Mais comme tu peux le constater, j'ai su m'adapter pour faire face à mes handicaps. Je ne vois vraiment pas pourquoi on m'a expédié dans ce trou. Même si ce Fruit m'intrigue grandement. Depuis le temps que je rêve d'en avaler un ! Je prie juste pour que ce ne soit pas du Zoan de goret.

Tu m'étonnes !

Spoiler:

Tu comprends mieux maintenant le sens du "400", dans "faire les quatre cents coups" ? Si Juusei était un pote d'enfance, alors Gura ne faisait juste que s'amuser. Mais au fil des années, ce dernier avait bien gonflé des hanches et ailleurs, et la moindre petite bêtise pouvait vite devenir une grosse boulette.
Par chance, son rival avait survécu à l'assaut aérien. Grâce à ses mucles ou son esprit combattif de la compétition ? Difficile de vraiment savoir. Le bourreau avait quand même bien subi le surpoids de l'autre, de plein fouet. Mince ! S'il finissait trop aplati, il serait même capable de devenir trop léger afin de voler au vent.

Quoique ! La douche de transpiration avait aussi ses mauvais côtés. Et ça, Juusei en paierait bientôt les frais. L'averse dégoulinante du porcin avait notamment la capacité de coller comme de la confiture. Ainsi, doucement mais sûrement, il y avait des chances pour que les mouvements du bonhomme normalement constitué ralentissent contre son gré.

_ Oups, désolé, s'excusa tout de même piteusement Gura. Si je m'attendais à viser dans le mille du premier coup...

Sans doute ses talents de cirque y étaient pour quelque chose. Viser correctement la cible, tel un lancer de basketball, c'était un peu comme tirer aux fléchettes ou aux couteaux. Si si ! Même pour un gros.

_ J'espère que tu finiras pas avec des lèvres trop pulpeuses, reprit-il sur le ton de la plaisanterie.

Encore que, se mettre à genou payait bien parfois. Ahem !

Juusei continua de nager dans les vapes pendant quelques secondes, quoiqu'il en soit. S'était-il brisé quelques os, ou devenait-il carrément tétraplégique ? Avait-il perdu toutes ses neurones, ou avait-il vu l'Enfer entre les énormes miches humides de son adversaire ? Le Sumo fronça les sourcils et s'interrogea un instant, avant de se rappeler qu'il n'y avait qu'un seul Fruit à la clé. Ce qui était bien plus important, selon lui.

Il repartit alors au pas de course, toujours avec sa dégaine de pingouin. Ou de grand-mère, c'était au choix. Il n'avançait donc pas vite, mais avec de la chance, maintenant que la montagne approchait enfin de toute sa carrure imposante, le catcheur émit l'hypothèse que le plus dur avait été fait.

_ Courir, c'est fait ! Distancer, c'est fait ! Il ne reste plus qu'à escalader, on dirait bien...

Ce fut à ce moment-là que quelqu'un hurla son nom. C'était Juusei qui regagnait bien sûr du terrain. Phoque ! Encore lui.

_ Bah mon vieux, tu tires une sale tronche ! Glissa le gros, l'air de rien, alors que tout était de sa faute.

Bref, comment Gura allait-il monter jusqu'au sommet ? Son ventre trop large l'empêchait de prendre appui, de s'accrocher efficacement ou de pousser sur ses jambes. Il ne ferait donc que caresser la pierre avec son nombril. Et l'arroser aussi, dans la foulée.
Il y avait peut-être un chemin déjà tout tracé, plus loin, à gauche ou à droite ? Mais le temps de faire un détour, et il perdrait certainement de précieuses secondes. Si ça tombe, le vieux conteur l'avait mentionné dans sa foutue histoire à rallonge, tout à l'heure ? Néanmoins, puisque Gura s'était endormi ou avait compté les mouches pendant ce temps...

_ T'as pas une idée ? Demanda-t-il alors à son compagnon.

Cependant, vu la riche récompense à l'arrivée, Juusei avait tous les droits d'envoyer balader son interlocuteur. Verbalement ou avec des cailloux dans la teuté, puis de reprendre sa grimpette comme si de rien n'était.
Ou tout simplement de partir sans demander son reste.

Spoiler:

Oeil pour oeil, dent pour dent, disait-on ! Gura avait en quelque sorte mal agi, et son rival en avait fait les frais. Oui, car si celui-ci se tenait l'abdomen, ce n'était pas à cause d'un point de côté, ou parce qu'il avait envie d'un petit encas. Juusei avait pris cher dans les côtes, alors il était normal de rendre la pareille au coupable. Et puisque le gros tas jouait dans la petite provocation, son ami d'enfance n'avait plus qu'à répondre sur le même registre. La blagounette qui passe mal, quoi.

Gura eut, par conséquent, droit à la feinte sur sa taille extra-large et la bouffe. Quand on savait que le garçon était devenu un porc glouton, tout ça parce qu'il souhaitait au plus profond de son âme, de bouffer à tout prix un célèbre Fruit du Démon... vous imaginez l'impatience du bonhomme ? Quitte à avaler tout et n'importe quoi, dans l'espoir qu'un pouvoir quelconque apparaisse !
Maintenant, il ne pouvait compter que sur ses proportions démesurées.

_ Hin hin hin ! Grogna-t-il. Très drôle.

Enfin bref. C'était de bonne guerre, après tout.

Malheureusement, la compétition reprit vite le dessus, et ainsi Juusei entama la seconde phase de son plan. Trouver un moyen de grimper, sans plus de chichis. Et ça tombait bien ! Le Sumo était l'escabot parfait pour parvenir à ses fins.
Grâce à ses plus de deux mètres de haut, ses bourrelets qu'on ne comptait plus, et sa sueur UHU, même un sportif en morceaux était capable de monter les échelons. La Villénie pouvait bien battre un record du saut à la perche, alors pourquoi Juusei ne tenterait pas de viser l'exploit, à son tour ?

_ Oh non ! L'enf... !

Le catcheur stoppa net dans son élan de surprise, tandis que son pote d'enfance venait de lui marcher sur la figure. Et vas-y qu'on le prenait pour un tapis de bienvenue, en le piétinant !

Gura se protégea ensuite le visage, par réflexe, puis essaya de choper Juusei pendant son envol. Mais c'était déjà trop tard, le type gambada aussitôt comme un cabri ou un yamakazi.
Il n'y avait alors plus trente six solutions à cogiter. Puisque l'hippopotame ne saurait comment monter les étages au plus vite, il opta pour faire redescendre son comparse. Avec de la chance, sa force de show-man règlerait amplement le problème.

_ Tu ne t'en tireras pas aussi facilement ! Fit-il, en guise de sommation.

Malheureusement, ce qui devait arriver, arriva.

Après avoir énuméré tous les coups de pieds, genoux, poings, coudes, tête, la montagne commença littéralement à se fissurer. En temps normal, le mec savait déjà secouer la terre rien qu'en se promenant, alors ce n'était pas une simple colline, un mont banal, ou une montagne impressionnante qui l'arrêterait !
Juusei ne mit pas longtemps à ressentir tous ces remous, et les premiers déchirements de la roche l'atteignirent dans la foulée. D'autres craquements retentirent alors, d'autres interstices se dessinèrent, des cliquetis de caillasse claquaient comme les dents d'une chochotte devant un film d'horreur.

Et enfin, les premiers boulets intervinrent. Holy sh*t, sans déconner ! Même l'alpiniste amateur ne se priva pas de râler sur Gura. Ce dernier comprit d'ailleurs le bordel imminent qui s'annonçait.

_ D'accord, reconnut-il, tandis qu'un petit rocher se brisa sur son crâne. Mauvaise idée. Promis, si tu tombes sur mon ventre, je ne te coincerai pas entre mes bourrelets, héhéhé !

Blagounette ou non pour détendre l'atmosphère, les deux compétiteurs avaient de quoi se figer, la seconde suivante.

En effet, si la terre tremblait autant, ce n'était pas exclusivement de la faute du Sumo. Un soulagement ? Oui et non, en fait. Surgissant des entrailles de la roche, une silhouette monstrueuse se manifesta à l'air libre.
C'était quoi ce truc gigantesque ? À suivre... mais quoi qu'il en soit, la bête n'avait apparemment pas aimé qu'on la dérange pendant son sommeil.

Spoiler:

_ Non mais tu te fous de ma gueule !? Pesta Gura, plus pour lui-même qu'à l'encontre de son pote. Quand il n'y a plus de serpent, il y en a encore ?

C'est vrai quoi ! Avec toute cette faune, -bon d'accord, principalement des vieillards cambrés- ne pouvait-il pas y avoir autre chose que du foutu reptile de mes deux ?

Et comme un malheur n'arrivait jamais seul, Juusei était grave furax. Qu'on cherchait à lui mettre des bâtons dans les roues lors d'une compétition, passe encore. Mais si en prime, le mec avait la chance de pouvoir rendre la pareille à l'adversaire, il ne s'en priverait pas.
Pour preuve, deux ou trois bassesses de sa part suffirent à détourner l'attention du serpent. Ça et l'envie soudaine de la bête de manger... laissant ainsi Gura seul à son sort, toujours coincé dans la vallée.
En clair, à ce rythme-là, il ne serait jamais près d'escalader le moindre premier mètre de cette montagne. Alors autant abandonner pour aller jouer au curling aux JO de Sotchi ?

_ Juusei !!! Espèce de sale petite...!

Le catcheur stoppa net tout à coup, tandis que l'énorme bestiole, rose bonbon et écailleuse, filait pourtant à toute allure vers sa proie transpirante.

Un soudain flashback l'étreignit à ce moment précis. Ce qu'il y avait de bien avec le passé ressurgissant, était que le temps avait le chic de s'arrêter en quelque sorte. Bref, Gura replongea donc dans sa jeunesse. Justement avec des animaux de cirque. La plupart du temps, ce n'était que de la viande à quatre pattes, certes. Mais puisqu'il ne semblait y avoir aucune limite à dompter tout et n'importe quoi dans ce monde... peut-être que la première étrangeté venue, aussi imposante soit-elle, pouvait également courber l'échine tôt ou tard ? De gré ou de force, bien entendu.

Quoi qu'il en soit, pas le temps de réfléchir davantage ! La gueule du monstre avala Gura en une seule et unique bouchée. Le Sumo aurait pu essayer d'esquiver quand même, afin de lui monter sur le dos par la suite ?! Mais en vain. Il avait alors préféré l'intérieur.
En effet, le serpent avait beau posséder des mâchoires puissantes, ce n'était pas deux vilaines dents qui supprimeraient deux cent cinquante kilos de bourrelets, aussi facilement qu'un curly quand t'as pas d'amis !

_ Toupie Booblade ! Enchaîna-t-il dans le feu de l'action.

De dehors, on n'y comprenait rien. Le giga python de la mort qui tue gigotait dans tous les sens. On aurait dit qu'il cherchait à se cogner la tête dans le vide, ou danser sur du Breakdance.
Pendant ce temps bien sûr, Gura n'en finissait plus d'atomiser les gencives et la gorge du monstre, grâce à sa technique des mamelles à rallonge et fouetteuses.

Le pire dans tout ça fut que le serpent n'arrivait plus à recracher l'indésirable potelé. Si la sueur collante du Bibendum n'avait apparemment pas réussi à ralentir les déplacements de Juusei, elle fonctionna à merveille sur la bestiole géante. Malheureusement, le rival, lui, avait dû continuer de se faire la belle vers la victoire. Toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus fort... comme disait Olivier Minne.
Cependant, il y eut un semblant de justice dans l'air. Comme quoi tous les efforts de Gura allaient peut-être finir par payer.

_ Yeehaa !!! S'extasia d'ailleurs le gros, déjà en train de recoller aux basques de Juusei.

Si si ! Sur le thème d'Indiana Jones dans le fond, la grosse boule joufflue avait tellement martelé dans la tête du reptile, que celle-ci, à force de se dandiner et se tortiller de gauche à droite, abdiqua droit comme un "I" avant de piquer du nez.
Vous savez ? Comme lorsqu'on est sur le point de se noyer, et qu'à la dernière seconde, on sort enfin la tête hors de l'eau afin de reprendre une profonde respiration. Ça, ou un appel à Dieu vers le ciel, hein !
Beh là, tout pareil.

Kaboum ! À deux pas de Juusei, le monstre s'écroula comme une masse, K.O, étendu dans toute sa longueur, sur un pan de la montagne. Gura en sortit sans aucun véritable bobo, à part peut-être embaumé d'un nouveau parfum d'haleine de chacal sur la peau. Rien de bien exceptionnel, en somme.
Sur ce, il ne restait plus qu'à revenir dans la partie, aux côtés de son copain d'enfance.

_ T'es vraiment qu'une chienne ! Tu le sais ça ?

Après quoi, il s'empressa d'utiliser sa longue ceinture trempée en ruban, et l'enroula autour des chevilles de Juusei afin que ce dernier se rétame méchamment dans la poussière.

Pour conclure, le lourdeau lui marcha dessus, histoire de l'encastrer un peu plus, semblable à une inscription gravée "façon Ponéglyphe". Avec quelques os déjà brisés un peu plus tôt, le phénix ne pourrait sans doute plus revoler tout de suite, pensa le catcheur avant de s'éclipser en solitaire toujours plus proche du sommet en vue.

Spoiler:

Comme le disait si bien le groupe Gold, un peu plus près des étoiles ! Bon d'accord, Gura en était encore loin puisqu'il n'avait toujours pas décollé du sol. Et quand bien même il prenait de la hauteur, il s'épuisait chaque fois un peu plus d'atteindre le point culminant de l'île. À ce rythme-là, il lui faudrait encore une semaine, voire deux, si ça continuait.
Pendant ce temps, l'autre marathonien ne gesticulait même plus en arrière-plan. Gura avait eu beau jeter des vifs coups d'oeil de temps à autre, son rival semblait déjà avoir atteint ses limites. Ou alors était-ce une technique de fourbe, une ruse de Sioux ? Genre, je me repose, je bois un Redbull, et je repars aussi sec ?

Bref, le Sumo se demanda lui aussi, s'il ne devait pas faire une halte, du coup. Il hésita alors longuement, ce qui lui permit au moins de mettre de la distance entre son rival et lui. C'était toujours ça de pris, quand on y pense.
Le hic fut malheureusement de rester trop concentré dans ce dilemme, si bien qu'il finit par se tauler en coinçant son pied dans une petite motte de terre. Pire qu'une balance sur laquelle on déposait plus de poids d'un côté que de l'autre, le gros sac pencha donc sur le côté. Comme la tour de Pise. Puis les kilos en trop firent le reste et le poussèrent à la chute.

_ Phoque ! Baragouina-t-il dans la poussière et entre ses joues rebondies. J'me disais bien que ce Juusei avait prévu un sale truc !

Ou peut-être pas ? Qui sait...

Quoi qu'il en soit, la fameuse petite butte de terre s'avéra finalement être une fourmilière, ni plus ni moins. Et quand on est extra-large comme Gura, qu'on a dû mal à se gratter le dos déjà, ou même regarder ses propres orteils, imaginez l'horreur de ne pas pouvoir se défaire d'une tripotée de fourmis jaunes et brillantes, essayant de vous chevaucher, grimper, monter dessus.
C'est exactement ça ! Une orgie !

_ Aaargh ! Beugla-t-il alors, suivi d'un bel echo de fillette jusque dans la vallée. C'est quoi ça ! C'est dégueulasse ! Enlevez-moi ça !

Et il avait raison de vouloir que ça s'arrête au plus vite, car la honte et l'humiliation n'en étaient qu'à leur début.

Le vieux sage l'avait d'ailleurs mentionné pendant son speech, avant que la randonnée ne commence. Mais comme ces sales djeunz ne s'était pas donné la peine d'écouter l'ancien...
Il y avait donc notamment des insectes assez particuliers dans les parages. Et ce qui faisait qu'on prenait souvent les scientifiques d'Ohara pour des vieux, pouvaient bien être la faute de ces bestioles.
Les premiers explorateurs du dimanche les avaient surnommées "les fourmis fasolasi dorées" ('fa sol la si do ré', eh ouais mon gars !). toute une gamme de notes de musique, en l'occurrence.
Ces misérables larves prenaient un malin plaisir à affaiblir leurs proies, avec des morsures bien spécifiques. La capacité de faire crier sa victime donnait droit ainsi à lui faire pousser la chansonnette. Bien sûr, les paroles ne volaient pas haut car cela restait avant tout des piaillements incontrôlables et intempestifs.
Moralité, lorsqu'elles vous vidaient de vos cordes vocales, c'était comme se retrouver à la sortie d'un concert. On finissait par parler comme le Père Fouras.

Sur ce, toujours au sol, Gura roula à gauche, à droite, et pria pour en écrabouiller le plus possible. Il utilisa même sa technique du Hot Dog, qui consistait à manipuler ses bourrelets, de façon à broyer tout ce qui serait susceptible de s'y coincer. Manque de bol, ces s*l*peries devaient sans aucun doute être trop petites pour sentir la douleur.

_ Ah ! Ah ! Ah ! Non, pitié ! Pas là, ça chatouille !

Puis, le premier couplet enchaîna bientôt. Car là, ce n'était que l'échauffement de la voix. Et donc, la suite ne saurait tarder.

_ Oh lolilol la li oh... youhou !!!

Voilà ! Gura poussa donc ses cordes vocales au max, dans les notes les plus aigües, le tout en hurlant. Même à côté de ça, L'école des Fans, Lara Fabian ou encore Sangoku en jap' semblaient encore supportables.

Lot de consolation peut-être ? Avec une chansonnette pareille, même improvisée, qui paraissait tellement crade, devait sans doute être capable de réveiller les morts. Alors qui sait ? Si Juusei était effectivement dans le coma, comme Schumacher après du hors piste, il y avait fort à parier que ça finisse par le réveiller de force, un de ses quatre.
Pour l'heure, le Sumo ne cessa jamais de palper sa graisse, dans l'espoir de retirer le plus de fourmis possibles. Mais apparemment, en shootant dans leur chaumière, il avait vraiment rasé une colonie bien nombreuse dans leur habitat.

Néanmoins, alors qu'il aurait dû se péter la gorge au fur et à mesure, son timbre de voix eut tout de même l'air de revenir vers la normale, à un moment donné. Le gros ne s'en aperçut pas tout de suite, sauf lorsque les premières fourmis commencèrent à joncher le sol... mortes.
Gura ne pouvait toujours pas parler en bon français, encore trop condamné à piailler par ses assaillantes, mais il se réjouissait vraiment que sa torture s'atténue enfin, dans son for intérieur. Il comprit plus tard que c'était grâce à son odeur corporelle, même s'il avait autant du mal à admettre qu'il pouvait chlinguer à un si haut niveau. Du coup, il ajouta à son raisonnement que la cause venait probablement aussi de la gueule pestilentielle du monstre rencontré un peu plus tôt.

_ Phoque ! J'peux pas croire que cette roupilleuse de Juusei ait pu indirectement me servir à quelque chose ! Mais j'avoue.

Eh ouaip ! Qui l'eut cru ? Si Gura ne s'était pas fait avaler par le monstre, il y avait aussi fort à parier pour que de vulgaires fourmis ne réussissent pas à lui faire la peau.
Il termina d'ailleurs par dépoussiérer son corps huilé, et contempla les insectes en train de se noyer par terre dans les grosses gouttes de sueur.

Enfin, c'était vite dit. Car désormais, un nouveau rebondissement ne tarda pas à retentir dans les alentours. Et lorsque Gura leva les yeux pour constater, il put découvrir une petite meute de quadripèdes cornus, bien bâtis. Des cerfs, ou une variante du genre, quoi.
À en juger par leur pose, on pouvait peut-être en déduire deux options. Soit ils étaient affamés, soit ils étaient en manque... et ça, depuis que le Sumo avait bramé comme une bête en rut ! Ça pardonne pas.

_ P*tain, quelle journée ! Pesta-t-il, après quelques virils raclements de gorge. Si vous avez faim, je peux vous proposer un autre met de choix, par contre.

Avec un sourire salace, il désigna évidemment, du pouce par-dessus son épaule, son collègue derrière lui, en contrebas.

Mouais bof. Visiblement, il y avait plus de chair tendre à croquer sur la carcasse du catcheur, au vu des grognements de la meute. Vous l'aurez compris ? Ce serait encore à Bibi de se farcir les charges belliqueuses du groupe à fourrure, tandis que son pote ferait perdurer son rêve érotique, pépère.
Et vous savez comment ça marche chez les animaux, n'est-ce pas ? Exactement, il valait mieux surveiller en permanence ses arrières. La levrette était souvent de la partie avec ces bébêtes-là. Alors pas question de se faire déchirer la couche-culotte !

Spoiler:

Pendant les premières secondes, il y eut comme de l'électricité dans l'air. Le genre d'étincelles qui pouvaient se jeter à la figure de l'autre, dès qu'il s'agissait de regarder son ou ses rivals de travers, et inversement. C'était à celui qui déciderait de démarrer la danse le premier. Oui, car avec du bétail pareil, on aurait sûrement droit à une variante du Hip-hop. Ça, mélangé avec des sauts à la Yamakazi.
Gura avait d'abord pensé à les compter, bien qu'il perdit vite le nombre en cours de route. Ces sauvages se ressemblaient tous comme deux gouttes d'eau, qu'il y avait de quoi se tromper. À la rigueur, peut-être se fier à la longueur et à la forme des cornes ? Quoique... on n'avait tellement que ça à f**tre dans un moment pareil !

Bref, finalement ce fut sans doute le leader de la meute qui annonça l'ouverture de la chasse. D'un frottement de sabot sur le sol. Les bestioles étaient dans leur élément, alors en deux temps, trois mouvements, les voilà qui faisaient déjà face au gros plein de soupe en slip. Face ou fesses, hein... ils l'encerclaient, quoi.

_ Kamik'Ass ! Invoqua-t-il, tout en réalisant sa chorégraphie aérienne.

Il n'y avait pas vraiment de place pour un mec de sa trempe aussi large, mais il fallait que ça marche et que la roche tienne. Ainsi, après un décollage dans le vide, un salto arrière, Gura esquiva le coup de cornes qui aurait pû être fatal à son derche.

Le Sumo se crasha sur le dos de l'un d'entre eux, dans tous les cas. La pauvre victime n'y résista évidemment pas. Déjà que les reins de Juusei avaient pris cher précédemment... imaginez avec un cerf maintenant ! Vertèbres en miettes, et bête déjà à l'agonie.
Au même moment, d'autres membres de la horde s'étaient enchevêtrés l'un dans l'autre. Bah quoi ? Ça restait des animaux avant tout, hein. Un peu... cons, en l'occurrence. Et à part l'appel de la bouffe ou de la baise, pas certain qu'ils leur arrivaient de réfléchir mieux que ça.

Désormais, le catcheur ayant quitté la ronde, il ne restait plus qu'à massacrer les croupes qui lui étaient pratiquement exposées en vitrine. Avec un peu de chance, puisque ces chicons s'étaient coincés l'un dans l'autre, on pouvait penser qu'ils suivraient donc le mouvement.

_ Toupie Booblade ! Enchaîna-t-il donc, fier de son raisonnement.

Et paf ! Des coups de seins à rallonge se mirent à pleuvoir sur l'arrière-train de tous ces mâles cholapins.

Conclusion, il n'y avait pas vraiment eu de soucis à se marteler en tête. Gura avait bien négocié le virage comme dirait l'autre, en fin de compte. Et plutôt que d'imaginer qu'il aurait pu s'asseoir sur un yaourt sans l'écrabouiller, il préféra aussitôt se réjouir de son exploit. Au moins maintenant, c'est lui qui demeurait le mâle, le seul maître à bord.

Sur ce, traumatisme et cauchemar rayés de son esprit, le colosse contempla les cerfs en train de couiner, chaque fois qu'ils s'étalaient sur un ou deux rochers plus ou moins taillés en pointe. Il n'y en avait même un qui gicla jusque dans la vallée, tout en bas au rez-de-chaussée.
Prions pour qu'un des vieux scientifiques d'Ohara n'étaient pas en pleine cueillette. Dans le meilleur des scénarios, ça remplirait leur garde-manger, mine de rien.

En revanche, que se passerait-il si tout à coup, un morceau de paroi du sommet se mettait à dessiner des fissures, puis craquouiller ? Voire même... décrocher un gros boulet !

_ Hein ? Fit Gura, en se figeant brusquement. Qui c'est qu'a fait 'criiik' ?

Sa tête tourna lentement vers le sommet de la montagne, avec une grimace à l'arrivée. Le genre de tronche qu'on tire progressivement, une fois qu'on devinait que la fin du monde est proche. Ça commence par un bruit, une ombre, une secousse, puis la tragédie s'amorce enfin.

Cette fois-ci, on n'avait donc pas affaire à une monstruosité nichée dans tel interstice de roche, prête à faire jaillir sa gueule et avaler de nouveau un Sumo tout cru. C'était bel et bien un morceau de pierre qui se décrochait. Et bien évidemment, pas le petit caillou tout moisi qu'on s'amusait habituellement à faire ricocher à la surface de l'eau, hein !
Ainsi, une sorte de boulet de canon ne tarderait pas à s'engager sur une pente glissante et cabossée de partout. L'imposant ballon ferait quelques rebonds, prendrait de la vitesse, et embarquerait tout sur le passage. Pas payé au Smic, moins douce et monotone qu'une femme de ménage... mais tellement rapide, efficace et expéditif !

_ Aaaah ! Hurla le gros, en panique. J'ai pas fait tout ce chemin pour mourir quand même ?! Qu'est-ce que j'vais devenir ? Espèce de vieux crouton ! Tu sais où tu peux te le carrer ton fruit, puisque c'est comme ça !?

Sauf que ça ne faisait pas avancer le Schmilblik.

Gura grogna alors de plus belle et transpira à grosses gouttes, pour la peine. En voilà une idée qu'elle est bonne, dans le fond ! Bientôt, il n'aurait plus qu'à patiner dessus, comme il savait si bien le faire, malgré sa carrure d'éléphant.
Ce qu'il fit donc dès que le projectile, chargé à pleine vitesse, essaya de l'écrabouiller. Et hop ! Un petit pas châssé et une vrille majestueuse plus tard, le Bibendum esquiva la fatalité de justesse.

_ Youhou ! Jouit-il, pour applaudir sa performance avant de se figer net. Oh m*rde, Juusei !

Le Sumo se mordit alors les doigts jusqu'au sang. Il chercha ensuite à savoir où bronzait son rival depuis tout à l'heure, mais ne vit rien car le rocher en mouvement faisait eclipse.

À un moment donné, il entendit tout de même un bruit qui ne présageait rien de bon, puis il se rassura en se convainquant autrement... comme quoi, avec du bol, le bonhomme s'était déjà tellement aplati dans le sol, qu'un écrabouillement de plus ou de moins ne devait pas tant faire de différence que ça.
Sur ce, le boulet continua sa course bruyamment sans personne pour l'arrêter. Mais il y avait quoi, au fait, dans la vallée ? Des vieux et des habitations ? Oups.

_ À moi le Fruit ! Conclut-il, les bras levés. Je comprends mieux maintenant pourquoi on rajoute "du démon" souvent, à la fin.

Ouais bon, d'accord ! Aucun rapport avec la mer, dans ces conditions...

Quoi qu'il en soit, le catcheur parcourut les derniers mètres d'altitude sans encombres, et atteignit enfin le sommet. C'était vraiment officiel, si si ! Un terrain plat, des fleurs, et un arbre fruitier en plein milieu.
Par contre, comment on savait lequel il fallait décrocher de sa branche ?

_ J'ai réussi ! J'y suis enfin arrivé !

Tout joyeux, Gura leva les bras au ciel. Il en profita aussi pour faire quelques étirements et autres mouvements circulaire du bassin. C'est que ça tuait grave les guiboles et tout le toutim d'escalader un relief jusqu'au sommet. Sentier prévu ou non. Et surtout pour un gros porc de son espèce, cela va sans dire.

Puis, un litre de sueur déversé plus tard, il se remit en marche. À peine une vingtaine de pas le séparait de l'énorme plante concernée, à présent. Ne s'attardant donc pas sur le reste de la verdure, toutes les fleurs et papillons 'useless' finirent piétinés comme des crêpes, sous la démarche pesante du lourdingue.
Une fois devant, malgré ses deux mètres vingt, le Sumo leva le nez vers la cime pour constater l'envergure de la bête. Le tout-dur végétal avait un p*tain de tronc bien costaud et érigé, de longs branchages eux aussi robustes, et bien sûr les fruits tant attendus en suspension. Si si ! On parle bien d'un arbre, namého !

_ Les Fruits ? Récita bêtement le gros tas, très surpris et confus.

Bien qu'intrigué, Gura n'avait effectivement pas tort.

Que fallait-il en conclure ? Que l'arbre faisait pousser autant de Fruits du Démon, comme ça, gratos, dans le normal ? Que chaque Fruit avait son propre pouvoir, ou c'était à l'utilisateur de trouver le bon ?

_ Chiottes !

À la limite de se rompre le cou, le catcheur décida de baisser la tête, dans un premier temps. Il se massa ensuite la nuque alors que le torticolis montrait ses premières douleurs, puis il s'interrogea de plus belle.

À force de patauger dans le doute et l'ennui, il remarqua seulement après plusieurs minutes qu'il avait déjà tourné trois fois autour de l'arbre. Et apparemment, ça ne lui avait pas apporté plus d'inspiration.
Puis comme la fatigue finit par le guetter, peut-être était-il enfin l'heure d'agir, qu'importe les conséquences. Alors il détacha sa ceinture en tissu, trempée par la sueur, et s'engagea dans une petite mission de cueillette mouvementée.

_ Home Sweat Home ! S'écria-t-il, en fouettant les branches.

Son arme improvisée avait en quelque sorte la faculté de servir comme la toile d'araignée de Spiderman. En clair, elle collait, quoi.

Grâce à son ruban, imbibé de son essence corporelle des plus malsaines, il pouvait ainsi se permettre de décrocher les fruits de leur perchoir boisé. Sinon, il restait toujours la dureté du textile et son effet "serviette mouillée", qui avait aussi son charme pour frapper fort.

_ Miam miam ! Saliva-t-il ensuite, prêt à croquer dans la pomme.

Heureusement, l'estomac sur pattes se ressaisit de justesse et mordit dans le vide. La faim le tiraillait, certes, mais le gros devait encore résister un chouia. Ce serait tellement ballot de s'être gourré de bouffe, sans l'avis d'un expert. L'ancien du village, en l'occurrence.

Il récupéra alors plusieurs fruits, les emballa dans sa ceinture humide en guise de petit panier mignon, et rebroussa chemin. Bah quoi ? Un Fruit du Démon est déjà à la base dégueulasse. Saupoudré à la transpiration, il y avait des chances pour qu'on y voit que du feu, quoi qu'il arrive. Mais chut, hein !

Ce ne devrait plus qu'être une formalité désormais de redescendre la montagne, se disait Gura lorsqu'il contempla le chemin inverse. En effet, depuis que la route avait été remodelée par le boulet de tout à l'heure, le chemin se dessinait de nouveau tout tracé. Et surtout plus direct qu'à l'aller. Plus besoin de slalomer, quoi.
À présent, on avait droit à une sorte d'escalier, certes toujours bien pentu, mais mieux travaillé. Du moins, selon Gura, ça restait dans ses cordes. Déjà, la largeur du couloir épouserait à la perfection son fessier, à vue de nez. Et il n'eut ensuite qu'à tester au plus vite cette probabilité, qui se vérifia donc aussitôt.

_ Délire ! Je n'ai plus qu'à pousser très fort, et le tour est joué !

Il se recroquevilla alors, esquissa plusieurs grimaces comme lorsque vous-savez-quoi avait du mal à sortir de vous-savez-où, tandis qu'on s'aggripait fermement sur le trône.

_ Home Sweat Home !

Bah oui, hein ! Le but était bien sûr de se forcer à fumer des oreilles et autres mises en pli du corps potelé du Sumo. Faisant ainsi monter la température sous l'effort, Gura produisit de nouvelles doses liquides comme il savait si bien le faire.

Résultat, la longue gouttière improvisée ne tarda pas à se remplir de flotte. Il ne restait maintenant plus qu'à se laisser glisser, et filer à toute allure 'version parc d'attraction aquatique' ou 'Matrix, dès lors qu'on se faisait malencontreusement débranché'. Le seul regret du catcheur fut qu'il n'y avait pas de virages, et donc que la descente se règlerait en un tournemain. De plus, c'était sans compter sur le terrain toujours râpeux et rocheux qui n'aurait alors de cesse de lui gratter la chair plutôt deux fois qu'une ! Enfin, tant qu'il ne trouait pas son slip de part en part, l'honneur était sauf.

Mais patience ! Car lot de consolation, tu as toujours rêvé ? Eh bien, le voilà qui arrive à point nommé ! Pas plus tard qu'une petite dizaine de mètres en contrebas, un nouveau support bien plus confortable tendit les bras au catcheur : le corps longiligne et immobile du big serpent, rencontré au tout début de l'escalade.
D'accord, de sa carcasse aussi, on aurait pu espérer qu'elle soit sinueuse, car ce genre de reptiles était connu pour se tordre dans tous les sens... mais en vain. En succombant, le monstre s'était justement écroulé raide.

_ Promis, je leur dirai que t'as grimpé plus de la moitié ! Plaisanta le gros, pendant le changement de rails.

Il estimait que la dernière position connue du rival devait se trouver dans les parages, d'après ses souvenirs. Mais ne l'apercevant plus, il l'ouvrit surtout au pif, dans l'espoir tout de même que sa voix puisse servir de réveil. Sait-on jamais...

Sur ce, dans la dernière ligne droite avant l'arrivée dans la vallée, Gura surfa aussi vite qu'un jet-ski. Les écailles de sa monture endormie lui faisait un bien fou dans les jambes. Rien de tel qu'une caresse douce et interminable pour terminer en beauté ce parcours du combattant. À tel point qu'y prenant un peu trop plaisir, le colosse s'évada dans ses pensées. Ça ou la fatigue, quoi.
Du coup, la course folle lui réserva une ultime surprise qui lui marquerait bien l'esprit. Ou le front, en tout cas. En bout de piste, ça redevenait donc de la terre ferme, mais surtout, le boulet qui avait également et étrangement freiné sec de son dégringolage. Un mystère qui resterait irrésolu, en revanche.

Ainsi, Gura finit imprimé dans le rocher. Ce qui le réveilla en un éclair, par la même occasion. Un mal pour un bien, dirait-on. Après tout, la mission restait de ramener au moins un fruit à l'ancien du village. Alors heureusement que sa cueillette n'avait pas, elle non plus, fini broyée entre son bide et le mur.

_ Hmm hhmm fmfmf ! Baragouina-t-il en pleurant, avant de se décrocher la tête de la grosse caillasse.

Ça devait sans doute vouloir dire quelque chose du genre, "p*tain de rocher à-la-con !". C'est vrai quoi, qu'est-ce qu'il foutait là ?

Ayé ! Apu d'épreuves, ni de corvées de dernière minute ! Enfin normalement. Vous connaissez les vieux, sinon ? Si la sénilité les guettait d'un peu trop près, on n'était pas dans la mélasse.
Gura reprit d'abord sa respiration, essaya de se faire une petite toilette rapide, puis réajusta sa couche. Dernière vérification des fruits toujours dans sa ceinture – le compte est bon – alors la marche impériale, euh... finale pouvait s'entamer.

Le Sumo regagna ainsi la maison du papi en quelques minutes seulement. Il fallait quand même compter dans la trentaine, évidemment. Vu la lenteur du gars, et sans courir cette fois-ci, on avait donc largement le temps de déguster un Nespresso, voire même d'en rapporter un deuxième pour la donzelle. What else ?

_ Grand-père ! S'écria le catcheur, devant la porte d'une maison. T'es toujours là ?

Il avait aussi penser à frapper comme un élève bien élevé, mais il pénétra à l'intérieur sans attendre qu'on l'y invite.

Là, un vieux dormait assis sur sa chaise. Mais lorsque Gura claqua brusquement la porte, l'autre se réveilla en sursaut. Un long moment silencieux flotta dans l'air, tandis que les deux hommes se jaugeaient du regard. L'un qui ne se souvenait plus trop si c'était le bon mec grisonnant, et l'autre qui devait rebooter son cerveau tout simplement.

_ J'ai ramené ce que vous aviez demandé.

_ Hein ? J'ai demandé quelque chose, moi ? Ah oui, le Fruit. Mais avant tout, où est ton rival, Juusei, au fait ?

_ Eh bien... hésita Gura, faussement embarrassé. Je crois qu'il n'a pas survécu à votre épreuve. Je ne suis pas très sûr, mais je crois bien qu'il est mort. Carrément.

_ Et c'est tout l'effet que ça te fait !? Pesta le vieux, en se tenant la poitrine.

Le mec changea de couleur et tout. Son visage pâlit notamment, tandis que le reste de son corps avait l'air de convulser. p*tain, nan ! Pas une crise cardiaque quand même ?

Le mastodonte ne savait pas quoi faire, pris au dépourvu. Alors il transpira de panique, pour commencer. Puis, il sautilla partout avant de rejoindre le malade ridé, de le secouer, de le gifler légèrement, et autres gestes inutiles dans des cas pareils.

_ Mais fais quelque chose, bon sang ! Je meurs, moi !

_ Bah quoi ? Si c'est votre heure, j'y peux rien, hein ! Euh... j'sais pas... tenez... avalez ça, par exemple !

On ne pouvait pas faire plus débile et désespéré, et pourtant le Sumo y avait pensé dans la précipitation. Il dégota donc son sachet de fruits, les tendit au senior qui les ingurgita tous sans hésitation, pour la peine.

_ Ah bah ça va mieux, merci.

Gura resta bouche bée. Il ne comprenait pas ce revirement soudain de situation, et pouf ! L'octogénaire était... guéri ? Comme ça, dans le normal ?
Il se gratta la tête à plusieurs reprises, mais rien à faire. Ses méninges étaient incapables de trouver l'astuce derrière tout ce foin.

_ Je plaisantais, pauvre imbécile. J'ai surveillé vos moindres faits et gestes depuis tout ce temps. Je sais donc très bien ce que tu as accompli.

_ Mais euh... fit le gros, en montrant timidement du doigt la pause morfale précédente.

_ Les Fruits ? Répondit le papi, avec le sourire. À vrai dire, je ne m'attendais pas à ce que tu en ramènes plusieurs. Ni même que tu n'envisages pas d'en croquer un. Et tu as eu tort, ils sont tellement bons. Je suis repu jusqu'à demain.

Le Sumo commença enfin à rafistoler toute l'histoire, et réussit à supposer que l'autre avait juste besoin de manger. Le grand-père s'esclaffa en guise de confirmation, puis ajouta qu'il ne voulait juste pas se bouger le train jusque tout là-haut. Aussi simple que ça.

Gura conclut alors en tirant une grimace de consternation, encore plus figé et muet que tout à l'heure. On dut même venir l'aider à lui raccrocher sa mâchoire, d'ailleurs.