Un retour dans la joie.

Un mois et demi. Cela avait été long. Très long. Trop long? Il souriait. Debout sur le pont du navire qui le ramenait. Petru lui offrait le retour pour services rendus. C'était un bon ami. Un très bon ami. Le meilleur peut-être maintenant. Vu que Lloyd n'était plus là. De toute manière, avaient-ils été amis un jour? Hein? Aucune idée. Ce passé là s'effaçait au fur et à mesure que l'île se dessinait devant lui. Un futur radieux s'offrait à lui. Il ramenait assez d'argent pour vivre paisiblement quelques temps. De quoi terminer la chasse au trésor. D'ailleurs avaient-ils avancé? Il le saurait bien assez tôt. Tant de choses avaient changé. Il fallait qu'il forme un équipage. Oui. C'était une bonne idée. Il allait l'annoncer à June. De suite? Non. Il avait quelque chose de bien plus important à lui dire. Il trouverait le bon moment. L'air marin lui giflait le visage pendant qu'il scrutait l'horizon. Banaro. Une île bien étrange. Théâtre il y a quelques siècles d'un affrontement titanesque entre deux pointures. Un jour, il serait capable de remodeler le paysage à sa manière lui aussi. Mais pour le moment, il n'avait pas la tête à ça.

Le capitaine du navire était une connaissance de Petru. Il ne faisait que jurer. Comment s'appelait-il déjà? Ollyd. Ollyd Baëllr. Oui. Et le navire? Le Saphir. Héhéhéhéhé. Cela faisait si longtemps. Depuis qu'il avait failli passer de l'autre côté d'ailleurs. Cela lui rappelait tant de souvenirs. Et il était heureux. Tellement heureux de revenir ici après tout ce temps. Trépignant d'impatience, il se mordait les lèvres, les larmes aux yeux. Un sentiment fort venait de le prendre aux tripes. La vie était belle. Il avait envie de crier, de chanter, de hurler, de se tortiller dans tous les sens. Envie de rire.

"Allez mouée d'pisseux abreuvés au lait de laie! On s'remue les gambass' et on pose le sire à bon port!"

Kanbei se fendit d'un sourire rêveur. Ces gars-là. Il les appréciait vraiment. Ce n'était pas de simples hommes, ils faisaient partie de lui. Une sorte de cocon protecteur. Ils lui avaient redonné envie de vivre. Envie de se battre. Et désormais il était là. Battant. Son coeur bien accroché. Il souriait comme un enfant. Et les quais étaient de plus en plus proche. Le Saphir était beau. Un jour il aurait son navire lui aussi. Un navire racé, stylé, claquant. Oui oui oui. Il n'en avait aucun doute. Son appel au capitaine Red l'avait conforté dans son idée de devenir un meneur d'hommes. Cela lui manquait. Diriger? Il en avait toujours eu une folle envie mais ne se l'était jamais avoué. Héhéhéhéhéhéhé! Il allait en avoir l'occasion.

Ils amarraient le navire. Le Khan les serra tous dans ses bras en les remerciant pour les services rendus. Il se sentait tellement bien avec ces gars. Une sorte de famille ouais. M'enfin. Fallait retrouver June. Et il se fendit pour ça d'un sourire encore plus grand tandis qu'il débarquait sur l'île qu'il avait quitté voilà 45 jours. Même si l'idée de retourner sur l'endroit où il avait échoué à défendre June faisait naître en lui un certain sentiment d'amertume, il n'était pas prêt de rester dans un tel état. Sa joie était bien trop grande. Puis il ne faillirait plus. Oh non. Il serait fort désormais. Il vaincrait. Ses pas le menaient tout droit vers la ville fantôme. Vers la maison de Pitt. Il était si impatient. Peu de gens trainaient dans les rues et il se baladait en sifflotant! En espérant que June soit contente! *Ouverture de porte à la volée*

"J'suis de retouuuuuuuuuuuuuuuur!"

» Un retour dans la joie ;

Aller, June, on rentre.
Un jour de plus. Non, un jour de moins avant le retour. C’était ainsi, depuis quelques temps. Elle s’était décidée à ne plus compter les jours sans lui, mais ceux qui la séparaient de lui. Il fallait être optimiste, toujours. Tout semblait plus supportable, de la sorte. Et elle rentrait, une fois de plus, avec le sourire.

Il était encore tôt, mais elle savait que Pitt serait debout, attendant son retour avec l’impatience d’un enfant. Il était en pleine effervescence depuis plusieurs jours. Ils touchaient au but, pensait-il. Quel but ? La carte, évidemment. Un semblant de réponse s’était dessiné, et paraissait chaque jour s’affirmer. Pitt était de plus en plus sûr, de jour en jour, qu’ils avaient enfin trouvé le secret de la carte mitée. A peine eut-elle franchie le pas de la porte qu’il surgît, le visage illuminé. Il la pressa de s’asseoir à table où il avait préparé le déjeuner – chose assez remarquable en soi pour être relevée. Et pendant qu’elle picorait un peu, ménageant son effet, il sortit un rouleau de papier jauni qu’il lui présenta fièrement. « C’était pas facile ! Mais j’ai finalement réussi à l’obtenir auprès de Joe qui, curieux comme tout, voulait son pesant de plume de canard si je ne lui disais pas à quoi ça servirait. Quand on sait que Mary s’en servait comme dessous de plat ; ça méritait pas que j’invente cette histoire de grand-oncle qui… Enfin, bref, je m’égare ! Plus important, je vais devoir y aller. Je tiens de source sûre qu’on a trouvé un truc intéressant à la mine, et il faut absolument que je sois des premiers à le voir. Il en est de mon honneur June, tu sais ! Bon, et euh… Bon app’ p’tite mistinguette ! »

La douce ne put s’empêcher de rire aux éclats tant l’homme semblait dépassé par les événements. Elle lui déposa un doux baiser sur le haut de la joue et lui assura qu’il n’y avait aucun souci. Elle se débrouillerait jusqu’à son retour, et avait de toute façon bien à faire avec ce qu’il venait de lui donner. Aussi elle le remercia chaleureusement. Mais il était déjà ailleurs, farfouillant un peu partout à la recherche de « cette fameuse pioche qui lui avait été bien utile en 1623 », pour finalement sortir en courant de la petite habitation. Soit, elle travaillerait donc seule, aujourd’hui.

Ce que Pitt lui avait donné était en fait une carte du ciel ; plus ou moins approximative s’était-elle rendu compte avec l’expérience. Elle touchait à un tout nouveau domaine depuis un mois, et avait énormément appris. Pitt lui avait notamment demandé de ne pas faire aveuglément confiance à ce que des hommes avaient dessiné. Aussi, il fallait plusieurs cartes différentes, les comparer, les mesurer, les redessiner. C’était tout un art que le bonhomme maîtrisait assez bien, vivant de cette activité. Alors voilà, ils en étaient à la cinq, ou sixième, carte du ciel à étudier.

Lorsque quelques heures plus tard quelqu’un s’écria qu’il était de retour, June, toute concentrée qu’elle était, se contenta de pousser un grognement pour signifier qu’elle était là, dans la pièce principale, sans pour autant lever les yeux de sa règle graduée. Et puis, après une courte seconde, elle se leva, prenant le bout de papier qu’elle étudiait avec elle, et s’approcha de l’entrée sans lever le nez. Ni la voix complètement différente de celle de Pitt, ni le fait qu’il ne s’était pas précipité à ses côtés pour voir ce qu’elle faisait, ne lui avait semblait étrange. « Y’a un truc qui colle pas, Pitt ! Regarde… » Et alors, se détachant enfin de sa lecture pour regarder l’arrivant, tout sembla percuter son esprit d’un coup.

La voix, l’attitude, la chevelure blonde, le sourire. Tout la submergea soudainement, avec brutalité, lui fit monter les larmes aux yeux et le sourire jusqu’aux oreilles. « Kanbei ! » Et elle en oublia tout, jusqu’aux convenances, pour se jeter contre lui et le serrer dans ses bras de toutes ses forces.
Dieu existe, qu’il a entendu mes prières.

Bon. Elle sentait si bon. Son parfum l'enivrait comme le plus violent des opiacés. Elle était belle, si belle. Et ce sourire... Cela l'emplissait d'un bonheur sans fin. Il aurait aimé rester ainsi des heures. Des années. Des siècles s'il avait pu. Il l'aimait. Oups. C'était dur à dire mais il s'en était rendu compte depuis un bon moment maintenant. Ce petit bout de femme représentait plus pour lui que le reste du monde. Et il comptait le lui dire très bientôt, quitte à se faire violemment rejeter. Quoi qu'il arrive, il serait là pour elle jusqu'à la fin de sa vie. Elle était son phare. Il la serra un peu plus fort et faillit laisser rouler une larme sur ses joues avant de se retenir.

Sa joie était pure, intense. C'était la première fois de sa vie qu'il se sentait aussi bien depuis la mort de Ludmilla. Elle ne lui manquait plus. Son deuil était terminé désormais. Ow. Il se permit d'embrasser la belle dans les cheveux tant son émotion était intense. Cela ne parut pas la perturber plus que ça. Combien de temps défila sous ses yeux? Il n'en savait rien. Pitt semblait rentrer apparemment et tira une tronche de plusieurs mètres après avoir vu Kanbei. Se libérant de l'étreinte qui le liait à June, Kanbei offrit une accolade à l'homme qui venait d'arriver et lui tendit un sac avec assez d'argent pour tenir encore un mois sans travailler.

"Bon bon. Quoi de neuf mesdames et messieurs?"

La joie se lisait sur le visage de Pitt et de June qui se blottit contre lui une fois installés dans le salon. Apparemment, ils avaient bien avancé sur la carte et Pitt semblait fou de joie. Leur avancée était majeure. La carte ressemblait apparemment à une sorte de carte du ciel et ils étaient en train de rechercher à quoi elle correspondait précisément. June avait une idée d'ailleurs. Fin elle avait vu quelque chose de spécial et tenait à leur expliquer. Mais d'abord, ils se servirent à boire et Kanbei leur raconta ce qu'il avait fait pendant son voyage, minimisant amplement le danger auquel il s'était soumis. Mais ce n'était pas grave. Il était avec Elle désormais et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Il ne restait plus qu'à savoir que ce June avait à dire. Puis après il lui dirait ce qu'il avait sur le coeur.

Finalement, Pitt aussi était rentré. Son expédition dans la mine n’avait pas mené à grand-chose. Mais la joie de ce matin ne s’était toutefois pas envolée et s’était même nourrie de la surprise de revoir Kanbei. Ça faisait longtemps, oh oui ça faisait même bien plus d’un mois ! Et au petit rire du grand homme, June savait qu’il s’était posé nombre de fois la question ; Kanbei reviendrait-il un jour ? C’était un grand soulagement. Comme il demandait, tous deux tinrent informés le Khan de leur avancée ; June avait des nouvelles intéressantes. Pitt lui lança un regard entendu : les nouvelles viendraient après, il fallait d’abord lever le voile sur le voyage de leur ami commun.

Alors qu’il racontait ses péripéties, June le dévorait du regard, ainsi blottie contre lui comme une douce enfant. Elle était bien, comme ça. Il avait un peu changé, non ? N’avait-il pas grandi ? C’était impossible. Maigri, ça oui ! A croire qu’on ne l’avait pas nourri. Et il faudrait qu’il pense à couper un peu sa tignasse, un de ces quatre. Mais au fond, oui, au fond c’était toujours le même. Ce petit homme attendrissant. Et elle se surprit à sourire bêtement ; profondément heureuse. Bien qu’ayant l’air un peu fatigué, il ne semblait pas avoir trop souffert, c’était le plus important. Au moins, assurait-il, il n’avait pas pris trop de risque. June claqua sa langue contre le palet, satisfaite de tout ce qu’elle avait entendu. Ils avaient tous rempli leurs objectifs avec brio ! Et elle s’empressa de débarrasser leurs affaires au petit trot.

Elle aurait bien coupé court à la discussion ici, pour le laisser se reposer, tout de même. Mais ni lui, ni Pitt ne voulaient, trop pressés sans doute qu’elle partage ses découvertes. Alors elle fut bien forcée d’accepter, même si elle ne trouvait pas cela raisonnable. Elle fit ça très bien, en commençant par le début pour Kanbei, comme une maman raconterait un conte à ses enfants. Et elle sourit à cette image. Cela lui rappelait ce rêve, de l’autre jour… C’étaient ses enfants qu’elle avait vu, elle en était certaine. Mais cela devait rester son petit secret à elle.
Elle raconta ainsi comment, travaillant tard le soir, Pitt et elle avaient soudainement eu la conviction qu’il s’agissait bien d’une carte du ciel. Que tous ces petits trous dans le papier jauni n’avaient pas été faits au hasard par quelques bestioles papivores. Comment le jeu de lumière – et la fatigue sûrement – avaient eu raison de leurs sens et qu’il s’était imposé à leur esprit que tous les points lumineux, passant par les trous, projetés contre les murs, étaient des étoiles. Et alors, il fallut aussi raconter toutes les recherches qu’ils avaient menées dès lors pour collecter quelques rares cartes du ciel, et comparer, point par point chaque étoile.

June fit une pause dans son récit, pour permettre à Kanbei de tout assimiler. Ils avaient étalés la carte sur la table. S’il avait des questions, c’était également le bon moment. Pitt, qui avait suivi toute l’histoire avec la plus grande attention, et qui revivait chacun des instants qu’elle relatait, semblait de nouveau transporté. Il s’agitait, hochait la tête vigoureusement pour appuyer ses propos. Et n’y tenant plus, demanda finalement quelles bonnes nouvelles elle avait.
Alors elle sortit la fameuse dernière carte que lui avait donné Pitt le matin-même et commença à montrer quelles similitudes il y avait avec la carte au trésor. « Mais vous voyez, là, ce signe est différents du symbole des étoiles ! En fait, j’ai pensé que ça devait être une île. Mais sur une carte du ciel ça serait bizarre. Je suis allée chercher dans le bouquin que tu m’as filé Pitt, et c’est une toute petite île céleste, qui devrait se situer à peu près vers là. » Et disant cela, elle pointa du doigt une zone sur leur carte. « Et donc… En tenant compte du fait que les étoiles peuvent bouger – c’est bien ce que tu m’as dit Pitt, non ? – j’en ai déduis que notre carte à nous devrait sûrement être le ciel tel qu’on le voit depuis cet emplacement… A peu près. » Pas si loin que ça de Banaro, finalement. A ceci près qu’elle pointait du doigt un endroit apparemment dépourvu d’île, en plein océan. La douce haussa les épaules. « C’est le mieux que j’puisse faire, moi ! »
Et elle regarda Kanbei.

La petite dame débordait de vitalité. Il l'aurait croquée tellement elle donnait plaisir à voir. Tellement de choupitude en un seul être. Mon Dieu! Cela donnait presque envie d'imposer des quotas de choupitude pour pouvoir lui parler! Et puis son sourire. Aie aie aie. Elle aurait fait fondre la banquise d'un simple sourire tellement elle irradiait. Il l'aimait. Oh ça oui! Plus que tout ce qu'il avait au monde! La voir joyeuse comme cela le mettait presque en larmes mais il n'en fit rien paraitre. L'aimait-elle elle aussi? Il n'en savait rien. Il ne pouvait pas savoir mais il se sentait si proche d'elle que jamais il n'aurait pu imaginer que cela ne fûsse pas de l'amour. Enfin bon. Elle racontait son histoire et il était pendu à ses lèvres comme un homme transi d'amour, chose que Pitt lui fit remarquer en lui décochant un discret clin d'oeil. Hahahaha. Sacré Pitt. Kanbei aimait beaucoup cet homme là. Un homme plein d'honneur et de traditions avec un sacré humour. Et ils écoutaient tous les deux la belle. Elle venait de leur expliquer tout ce qu'elle avait sur la carte et en avait conclu par un petit mais non mois choupi C'est l'mieux que j'puisse faire moi! Elle était tellement attendrissante. Il en rayonnait de bonheur et était carrément scotché à June. Pitt venait de grommeler quelque chose et ils reportèrent leur attention sur lui. Il était ému lui aussi mais pas pour les mêmes raisons que Kanbei. Depuis le temps qu'il avait cette carte, c'était la première fois qu'il avançait autant dans la chasse au trésor. Il serra les deux jeunes gens qu'il avait recueilli voilà bientôt deux mois dans ses bras et les remercia en leur annonçant qu'il allait préparer le repas.

Il les laissa seuls tous les deux dans le salon et partit en sifflotant. Bon... Quand faut y aller faut y aller. Kanbei proposa à June d'aller faire un tour et celle-ci accepta. Ils sortirent en annonçant à Pitt qu'ils rentreraient dans peu de temps. Le coeur de Kanbei battait à tout rompre. Il fallait qu'il lui dise. Oui. Ils marchaient le long de la plage depuis près de cinq minutes et le Wanajima se sentait tout transpirant. Il avait l'impression que son coeur allait sortir de sa poitrine pour s'enfuir en courant. HOP. Courage où-es tu? Voilà. Une fois son courage empoigné à deux mains, il prit les mains de June dans les siennes et posa son regard dans le sien. Le moment que tous attendaient depuis sa rencontre avec June était enfin venu. Trois mots. Enfin quatre pour les puristes.

"June je t'aime"

« Je… D’accord. Euh… Non, pas d’accord. Enfin, je veux dire ! … »
Que voulait-elle dire ? Elle n’en savait trop rien. Des milliards de fourmis s’étaient emparées de son corps, qui rougissait, qui tremblotait, se tortillait. Pourquoi diable lui tenait-il les mains ? Il allait sentir sa gêne. Il pourrait mal l’interpréter et… Et elle ne savait pas ce qu’elle voulait dire. Sûrement que la plage était belle. La mer aussi. Plus encore, que toute la vie semblait délicieuse, ainsi. A ses côtés. Oui, c’était ce qu’elle voulait lui dire. Mais cela semblait prématuré, non ? Il l’avait prise de court. Elle avait pensé… Elle avait pensé qu’ils allaient se raconter quelques petites histoires. Qu’elle pourrait lui parler de son père. Lui demander conseil, surtout. Car elle n’avait plus de nouvelles, alors qu’il lui avait promis.

« Je suis désolée... Je sais pas quoi dire. »
Elle n’avait rien vu venir. Non, vraiment rien. Enfin, ils étaient proches, c’était certain. Mais… Résolument, elle n’avait pas remarqué qu’il l’aimait. Ils avaient passé de bons moments ensemble. Des moments plus difficiles. Très difficiles. Et elle souffrait de se rappeler cet épisode sanglant sur l’île où ils s’étaient rencontrés. Elle avait peur, toujours très peur. Pour lui ; il prenait des risques inconsidérés. Et puis il était parti si longtemps. C’était peut-être cela qui l’avait décidé ? Qui lui avait fait prendre conscience qu’il l’aimait ? Elle se mordit la commissure des lèvres, libéra ses mains de son emprise.
Savait-il seulement ce que signifiait aimer quelqu’un ? Ou était-il comme… Comme Papa, oui. Comme cet homme qui ne l’aimait pas pour elle-même mais plutôt pour assouvir ce besoin de posséder les choses. Alors elle le regardait ; elle ne voyait plus cet homme dangereux, autant pour les autres que pour lui-même. Elle voyait seulement un grand enfant un peu perdu. Un peu comme elle. Et elle sourit. Elle était heureuse, parce qu’elle savait dans le fond qu’il l’aimait vraiment. Du véritable amour.

Mais il y avait toujours et encore cette barrière invisible. Celle que les mots nous imposent. Et quoi de plus difficile que de dire ce qui se passe dans un cœur aimant. Et elle, elle rougissait encore. Le temps pressait, il fallait qu’elle dise quelque chose – quelque chose d’intelligent cette fois. Car le doute s’immisçait un peu plus à chaque seconde qu’elle laissait filer. Il ne fallait pas que toute la volonté, tout le courage dont il avait fait preuve ne s’envole. Elle sourit encore, laissa échapper un semblant de rire gêné. Bon dieu, ce que cela pouvait être difficile. Finalement, comme cela en devenait trop embarrassant, June regarda ailleurs.

Inspiration. Et elle se mit à parler très vite.
« Je… Je pensais que tu ne reviendrais pas. J’ai croisé quelqu’un pendant ton absence. Je le connaissais, et il voulait m’emmener loin d’ici. Mais j’ai dit que je pouvais pas. Bien sûr que je pouvais pas. Parce que… Je… Tu… Enfin, tu vois, quoi… Moi aussi ! » Les larmes roulaient sur ses joues, et elle se mit à rire. Un rire profondément heureux.
Eh bah ! Ce n’était pas si difficile finalement. Et même si elle ne l’avait pas vraiment dit… C’était tout comme, non ?