L'enseigne grince dans le vent. Ça s'entend de l'intérieur, malgré la rumeur de la faune locale, le bruit des choppes cerclées de fer qui raclent le bois collant et gras de crasse, le claquement des chicots des ivrognes en manque d'amour qui peuplent le rade. J'ai avalé ma liqueur, j'aurais du prendre une bière. Mais faut que j'reste lucide, et j'sais ce qui se passe quand j'me laisse aller à sombrer au fond du verre. J'perds le sens de l'absolu, c'est l'attrait du grand rien qui prend le dessus et je me laisse aller comme contre un oreiller ; j'oublie le monde, j'oublie les gens, j'oublie jusqu'à la valeur de mon nom, et de fait, j'obéis à toutes les mauvaises forces qui me traversent. Il reste vite plus que mes poings pour frapper, ma gorge pour gueuler et ma méchanceté pour faire mal.
Ouais, l'oubli, c'est le premier des péchés ; d'ailleurs, le pardon, c'est la première des vertus et il se fait dans le souvenir. Tout est lié, dans l'ordre du bien.
J'sors ma blague, j'roule une clope.
-T'as du feu ?
-... que v'là.
-Merci.
Une bouffée. Me pique un peu la gorge, j'ai l'impression d'avoir avalé l'air local jusqu'à l'essence. J'm'en sens que plus vivante. Et j'peine à retenir un sourire en voyant passer une Jeska qui peine à cacher l'indignation incommodée qu'elle éprouve certainement. J'sais pas trop si c'est elle qu'a eu l'idée de venir dans cette tenue, aussi... mais c'est très con, dans tous les cas. Dans mes groles de femme pirate, j'suis à l'aise, pas emmerdée ; dans ses atours de soubrette, par contre, elle collectionne les mains au cul, les sifflets et les mille et unes petites manifestations de sympathie de la part de toute la clientèle du rade. Mais j'me délecte pas longtemps du spectacle. Elle a son taff à faire, j'ai le mien qui m'attend. J'me penche sur le comptoir, la fumée plein la bouche.
-Mec ? C'est ici qu'il crèche, Flist ?
-Ça s'pourrait. Tu lui veux quoi, à Flist ?
-Le rejoindre.
-Ah. Héhé.
-Il recrute, non ?
-Oh, toujours. Les pertes, ça assure l'embauche, c'est bien connu.
-Comment j'fais pour le rencontrer ?
-T'as un blaze ?
-Ouais.
-Montre.
J'sors mon wanted trafiqué. Serena Porte-Flemme, 57 millions morte ou vive. Avec le sceau de la marine, une jolie photo avec un sale sourire et une fausse tâche de sang sur les fringues. Le tout gentiment délavé par l'eau de mer, parce que j'suis sensée être naufragée.
-Jamais entendu parler. Prime pas dégueu', pourtant. Où sont tes potes ?
-Noyés. J'suis la seule survivante.
-Ah, oui. Des choses qui arrivent dans la zone. Bon. J'vais faire remonter tout ça à Flist, t'auras sans doute la visite d'un lieutenant. 57 briques, c'est pas mal, mais c'est pas ça qui va foutre en émoi un type qu'a la confiance du Malvoulant, tu piges ?
-...
-Fais pas cette gueule.
-J'ai plus qu'à attendre, alors ?
-Pas longtemps.
-Alors redonne moi un rhum.
J'tourne le dos au comptoir, mon verre de nouveau à la main et ma clope entre les doigts. J'fais pas gaffe quand on m'cause, non seulement pour m'donner de l'allure, mais surtout parce que j'veux pas tisser de liens avec les gars que j'vais buter. J'ai rien de personnel contre eux, alors je pourrais pas faire semblant si je me mets à leur parler. Faut que j'm'érige un mur, que j'les pense pas comme des hommes. Sinon, jamais j'pourrais suivre mes ordres. Les liquider parce qu'ils sont d'la bande à Flist, que Flist est un gros poisson, et qu'il faut l'isoler pour mieux le planter. Un plan gentiment rationnel, en clair, une tactique de lâche qu'j'avais pas eu de mal à approuver, mais qui commence à m'écœurer un peu au fur et à mesure que j'comprends à quel point j'suis familière de tout ça. J'serre la main au panache. Puis y'a une voix qui me susurre à l'oreille.
Ouais, l'oubli, c'est le premier des péchés ; d'ailleurs, le pardon, c'est la première des vertus et il se fait dans le souvenir. Tout est lié, dans l'ordre du bien.
J'sors ma blague, j'roule une clope.
-T'as du feu ?
-... que v'là.
-Merci.
Une bouffée. Me pique un peu la gorge, j'ai l'impression d'avoir avalé l'air local jusqu'à l'essence. J'm'en sens que plus vivante. Et j'peine à retenir un sourire en voyant passer une Jeska qui peine à cacher l'indignation incommodée qu'elle éprouve certainement. J'sais pas trop si c'est elle qu'a eu l'idée de venir dans cette tenue, aussi... mais c'est très con, dans tous les cas. Dans mes groles de femme pirate, j'suis à l'aise, pas emmerdée ; dans ses atours de soubrette, par contre, elle collectionne les mains au cul, les sifflets et les mille et unes petites manifestations de sympathie de la part de toute la clientèle du rade. Mais j'me délecte pas longtemps du spectacle. Elle a son taff à faire, j'ai le mien qui m'attend. J'me penche sur le comptoir, la fumée plein la bouche.
-Mec ? C'est ici qu'il crèche, Flist ?
-Ça s'pourrait. Tu lui veux quoi, à Flist ?
-Le rejoindre.
-Ah. Héhé.
-Il recrute, non ?
-Oh, toujours. Les pertes, ça assure l'embauche, c'est bien connu.
-Comment j'fais pour le rencontrer ?
-T'as un blaze ?
-Ouais.
-Montre.
J'sors mon wanted trafiqué. Serena Porte-Flemme, 57 millions morte ou vive. Avec le sceau de la marine, une jolie photo avec un sale sourire et une fausse tâche de sang sur les fringues. Le tout gentiment délavé par l'eau de mer, parce que j'suis sensée être naufragée.
-Jamais entendu parler. Prime pas dégueu', pourtant. Où sont tes potes ?
-Noyés. J'suis la seule survivante.
-Ah, oui. Des choses qui arrivent dans la zone. Bon. J'vais faire remonter tout ça à Flist, t'auras sans doute la visite d'un lieutenant. 57 briques, c'est pas mal, mais c'est pas ça qui va foutre en émoi un type qu'a la confiance du Malvoulant, tu piges ?
-...
-Fais pas cette gueule.
-J'ai plus qu'à attendre, alors ?
-Pas longtemps.
-Alors redonne moi un rhum.
J'tourne le dos au comptoir, mon verre de nouveau à la main et ma clope entre les doigts. J'fais pas gaffe quand on m'cause, non seulement pour m'donner de l'allure, mais surtout parce que j'veux pas tisser de liens avec les gars que j'vais buter. J'ai rien de personnel contre eux, alors je pourrais pas faire semblant si je me mets à leur parler. Faut que j'm'érige un mur, que j'les pense pas comme des hommes. Sinon, jamais j'pourrais suivre mes ordres. Les liquider parce qu'ils sont d'la bande à Flist, que Flist est un gros poisson, et qu'il faut l'isoler pour mieux le planter. Un plan gentiment rationnel, en clair, une tactique de lâche qu'j'avais pas eu de mal à approuver, mais qui commence à m'écœurer un peu au fur et à mesure que j'comprends à quel point j'suis familière de tout ça. J'serre la main au panache. Puis y'a une voix qui me susurre à l'oreille.